introduction
Lorsque j’ai commencé mon apprentissage de la contrebasse – assez tardivement dans
mon cursus musical, puisque je ne me suis intéressé (par hasard) à cet instrument que vers
l’âge de vingt ans, après déjà une douzaine d’années de pratique du tuba au sein de l’orchestre
d’harmonie de la commune de mon enfance – j’ai été assez rapidement amené à me confron-
ter, lors des auditions ou examens que je passais, à la question du jeu de mémoire des œuvres
que j’abordais successivement, ce qui n’avait jamais été le cas auparavant. Répondant doci-
lement à cette exigence plus ou moins avouée de mes différents professeurs, après une courte
période d’adaptation et d’acquisition de cette « nouvelle » façon de faire pour moi, il s’avéra
finalement que je présentais quelque facilité à cet égard, et je fus bientôt suffisamment à l’aise
avec cet usage pour préférer en définitive avoir la possibilité de me passer de la partition lors
des occasions que j’avais (et que j’ai toujours) de jouer en soliste (en auditions et examens
donc dans un premier temps, et maintenant en concerts ou récitals ou encore en concours), en
fonction du travail fourni en amont.
Ainsi, dès les débuts de ma pratique enseignante, il m’a paru naturel de reproduire au-
près de mes jeunes élèves ce schéma auquel j’avais moi-même survécu, et d’envisager leurs
prestations instrumentales « par cœur », et perpétuant de cette manière, sans vraiment de recul
ni de réflexion à ce sujet, une certaine tradition du jeu de mémoire en musique classique. Je
me rendis bien sûr vite compte que mes opinions étaient loin d’être pleinement partagées par
le public auquel je m’adressais, et j’ai pu constater que nombre d’élèves de nos écoles de mu-
sique (en cursus « classique » tout au moins) semblent terrorisés à l’idée de devoir jouer sans
partition quelque programme que ce soit.
Toute action d’apprendre fait pourtant appel à une utilisation indispensable, inévitable –
mais plus ou moins consciente – de la mémoire. Celle-ci est essentielle dans le monde du
spectacle vivant et des arts de la scène, de la part des intervenants lors d’une performance. Par
ailleurs, les diverses esthétiques musicales semblent reposer sur des enjeux très différents en
termes de mémoire selon que leur transmission repose principalement sur l’écrit ou sur une
tradition orale – dans notre société actuelle où il est évident que l’écrit tient pourtant une place
prépondérante. Au vu de ces observations qui montrent combien la mémoire est omniprésente
car incessamment sollicitée, peut-on imaginer bénéficier d’apports pédagogiques et artistiques
par une exploitation plus consciente, et en même temps plus raisonnée de cette capacité d’une
richesse inouïe que représente la mémoire de l’être humain ?
Ce mémoire débutera dans sa première partie par un « état des lieux » de la question, à
travers une enquête réalisée auprès de nombreux musiciens issus de tous horizons, sur leurs
positions à cet égard au vu de leurs propres expériences. Suivra ensuite une courte étude de la
mémoire du point de vue du neuropsychologue et ses applications dans le cadre d’une prati-
que musicale. Enfin, en troisième partie, on trouvera des pistes de réflexion sur des façons de
tenir compte de ces enseignements pour une pédagogie de la musique classique.
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