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Nuits blanches et gène d'horloge
07/07/10
Nous ne sommes pas tous égaux devant la privation de sommeil. Après une nuit blanche, les sujets qui ont
hérité de l'allèle 4/4 du « gène d'horloge » PERIOD3 s'avèrent moins sensibles à la privation de sommeil que
ceux qui en possèdent l'autre forme, l'allèle 5/5. Comme le relatait récemment The Journal of Neuroscience,
des chercheurs du Centre de Recherches du Cyclotron ont mis en évidence des différences dans le mode de
fonctionnement cérébral de ces deux populations.
L'Homme est une espèce diurne. Pourtant, certains d'entre nous sont amenés à travailler de nuit et, qui plus
est, souvent selon des horaires variables. En d'autres termes, les impératifs socio-économiques auxquels sont
confrontées nos sociétés nous imposent parfois un programme incompatible avec notre propre génétique.
Rythmes biologiques circadiens et privation de sommeil constituent donc un terrain fertile pour la recherche,
d'autant que nous ne sommes pas tous égaux devant les nuits sans sommeil, d'une part, et le travail
posté - par exemple, le système classique «3 X à rotation hebdomadaire -, d'autre part. Des personnes
exercent leurs activités professionnelles nuitamment sans le moindre désagrément, et se jouent même des
changements de poste, tandis que d'autres ont plus de mal à maintenir leur niveau de performance dans les
mêmes circonstances. Fatigue persistante, troubles du sommeil, irritabilité, troubles de concentration et de
remémoration... peuvent être leur lot.
Il existe par ailleurs un rythme circadien de la vigilance et des performances cognitives qui fait des individus
peu tolérants à la privation de sommeil des candidats à «l'erreur humaine» - mais, dans ces circonstances, le
terme est-il vraiment approprié ? «Nombre de catastrophes industrielles récentes se sont produites en seconde
partie de nuit, lorsque la pression de sommeil, c'est-à-dire le besoin de dormir, n'est pas contrecarrée par un
signal circadien d'éveil suffisamment puissant», indique le professeur Pierre Maquet, directeur de recherches
du FNRS. Et de citer quelques noms évocateurs : Three Miles Island, Bhopal, Seveso, Tchernobyl.
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En effet, tous les organismes vivants possèdent une horloge biologique interne qui leur permet de s'adapter
aux variations périodiques du milieu, en particulier à l'alternance du jour et de la nuit. Chez l'homme comme
chez les mammifères, elle se présente sous la forme d'un agrégat de cellules neuronales localisées dans
la partie antéro-médiane de l'hypothalamus : le noyau suprachiasmatique. Les neurones constitutifs de
ce dernier expriment des «gènes d'horloge», dont un certain nombre ont été identifiés : PERIOD1 (PER1),
PERIOD2 (PER2), PERIOD3 (PER3), cryptochrome1, cryptochrome2, etc. «Ces gènes, dont l'activité continue
à être rythmée par une période de 24 heures environ même dans une boîte de culture, entraînent différentes
variables physiologiques (température corporelle, productions hormonales, fréquence cardiaque, etc.) dans
leur rythmicité circadienne» explique Pierre Maquet.
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La mécanique intime de l'horloge biologique s'avère extrêmement complexe, mais semble relativement bien
élucidée aujourd'hui chez la drosophile et la souris. Chez l'Homme, la période de l'horloge biologique est
légèrement supérieure à 24 heures, ce qui appelle la notion de rythmes circadiens. Par ailleurs, notre horloge
biologique est maintenue en phase avec notre environnement par des éléments de l'environnement physique
et social baptisés «synchroniseurs de temps», du moins dans des conditions «normales». Le principal
synchroniseur est constitué des variations de luminosité induites par l'alternance du jour et de la nuit. Mais il
y en a d'autres, tels l'activité physique ou les repas.
Du matin ou du soir ?
C'est dans ce contexte que les chercheurs du Centre de recherches du
cyclotron (CRC) de l'Université de Liège se sont intéressés aux performances cognitives humaines. On sait
non seulement que ces dernières fluctuent en fonction du moment de la journée, mais aussi que les individus
ne sont pas touchés de façon identique par le phénomène.
Les rythmes circadiens et la pression de sommeil (le processus homéostatique, dit-on également) résultant du
nombre d'heures durant lesquelles le sujet est resté éveillé interagissent en permanence. Par exemple, à 19
heures, la pression de sommeil est déjà élevée et, à elle seule, pourrait pousser à aller dormir. Mais le signal
circadien, lui, incite encore à l'éveil, contrebalançant en quelque sorte l'action du processus homéostatique.
Ensuite, plus tard dans la soirée, il se met à diminuer et, devenu trop faible pour contrer la pression de sommeil,
ouvre la porte de l'endormissement.
Il faut néanmoins tenir compte des différences interindividuelles qui modulent cette interaction entre rythme
circadien et pression de sommeil. En effet, il existe des «chronotypes» spécifiques. Certains individus n'ont
pas de préférence d'horaire marquée : ils ne sont ni «du matin» ni du «soir». D'autres aiment se lever tôt, sont
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performants le matin mais se couchent de bonne heure. D'autres encore, à l'inverse, ont des difficultés à se
lever le matin, préfèrent travailler en soirée et se coucher en pleine nuit.
Des différences significatives
Aspirante du FNRS, Christina Schmidt fut la cheville ouvrière d'une étude, publiée dans Science (1)en
2009,qui mit en scène des «extrêmes du matin» et des «extrêmes du soir» (Lire l'article «Du soir ou
du matin?»). Une épreuve d'attention visuelle fut proposée aux uns et aux autres. Résultats ? Les
seconds se révélèrent plus résistants à la privation de sommeil que les premiers. Parallèlement, la région
suprachiasmatique et le locus coeruleus, deux régions cérébrales anatomiquement interconnectées et
fortement impliquées dans le signal circadien qui sous-tend l'éveil et régule notre niveau de vigilance à l'éveil,
étaient activés différemment dans les deux groupes.
(1) Schmidt, C., Collette, F., Leclercq, Y., Sterpenich, V., Vandewalle, G., Berthomier, P., Berthomier, C., Philipps, C., Tinguely, G., Darsaud, A., Gais, S.,
Schabus, M., Desseilles, M., DangVu, T., Salmon, E., Balteau, E., Degueldre, C., Luxen, A., Maquet, P., Cajochen, C., & Peigneux, P. (2009). Homeostatic
Sleep Pressure and Responses to Sustained Attention in the Suprachiasmatic Area, dans Science 324, 516.
La conclusion apportée par Christina Schmidt était la suivante : «La pression de sommeil retentit
négativement sur le niveau d'activité de la région du noyau suprachiasmatique pendant la tâche de
vigilance. Nous avons ainsi montré pour la première fois chez l'Homme -et la deuxième fois toutes espèces
confondues - que l'activité des circuits cérébraux responsables de la régulation circadienne est modulée par
les processus homéostatiques du sommeil. Ceci suggère que les "sujets du matin" souffrent plus fortement
que "ceux du soir" de l'impact de la pression de sommeil accumulée au cours de la journée, pression qui
empêche l'expression optimale du signal d'alerte par la région du noyau suprachiasmatique et le locus
coeruleus.»
PERIOD3 : un miroir à deux faces
Une autre étude, fut alors menée au Centre de Recherches du Cyclotron en collaboration avec le Surrey
Sleep Research Centre de l'Université du Surrey, en Angleterre. Elle était axée sur la vulnérabilité
individuelle à la privation de sommeil et ses résultats furent publiés le 24 juin 2009 dans The Journal of
Neuroscience (2).
D'abord les antécédents. L'équipe de Derk-Jan Dijk, de l'Université du Surrey, a montré en 2007 que
l'un des gènes de l'horloge circadienne des mammifères, PERIOD3 (PER3), intervient dans la régulation
homéostatique du sommeil. Le gène PERIOD3 est doté d'un polymorphisme spécifique aux primates
caractérisé par la répétition d'un même motif, soit quatre fois, soit cinq fois. Il existe des homozygotes de
la forme (allèle) courte PER34/4 et d'autres de la forme longue PER35/5. Mieux encore : les chercheurs
anglais ont mis en évidence que les individus PER35/5 sont plus sensibles à la privation de sommeil que
les autres (PER34/4). «Assez curieusement, les deux populations ne se distinguent en rien par leurs
marqueurs circadiens, précise Pierre Maquet. Ainsi, on n'observe aucune différence entre elles au niveau de
la sécrétion de mélatonine ou de cortisol, de la température centrale, de l'expression des gènes d'horloge
dans les leucocytes, etc. En revanche, il est acquis que les "5/5" accumulent plus vite la pression de
sommeil. La preuve en est qu'ils produisent plus d'ondes lentes lors des premiers cycles de sommeil.»
Ici, ce sont les gènes qui parlent, et non des préférences individuelles. Au cours d'une journée normale, les
deux groupes d'individus («4/4» et «5/5») maintiennent un niveau de performances cognitives relativement
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stable et équivalent. Toutefois, après une privation de sommeil, les individus plus vulnérables en raison de
leur appartenance génétique vont être confrontés en fin de nuit à une détérioration de leurs performances
beaucoup plus prononcée que les personnes moins sensibles, celles qui sont dotées de l'allèle 4/4 du gène
PER3.
Mais que se passe-t-il concrètement dans le cerveau des uns et des autres ? C'est ce que Pierre Maquet et
ses collaborateurs ont voulu élucider au moyen de l'imagerie par résonance magnétique fonctionnelle
(IRMf). Ils constituèrent un groupe de 15 sujets PER34/4 et un autre de 13 sujets PER35/5 selon des critères
stricts - avoir de 18 à 30 ans, être droitier, ne pas se plaindre d'un problème de sommeil, ne pas avoir
d'antécédents médicaux, traumatiques ou psychiatriques, ne pas consommer de la caféine ou de l'alcool
en excès, ne pas avoir effectué durant les deux derniers mois un voyage avec franchissement de plus
d'un fuseau horaire, ne pas avoir un indice de masse corporelle supérieur à 27, ne pas consommer de
médicaments ou de drogues psychoactives, ne pas avoir fait partie d'équipes de travail de nuit durant la
dernière année. En outre, les deux échantillons étaient similaires sur les plans de l'âge et du sexe, ainsi que
de l'humeur, du niveau d'anxiété, du quotient intellectuel et du niveau d'éducation de leurs membres.
Le protocole expérimental se fondait sur une tâche exécutive : le 3-back task. Les participants entendaient
une lettre toutes les 2,5 secondes. À eux de déterminer si elle était la même que celle prononcée 7,5
secondes auparavant. Exemple : H M O P - non, H M O H - oui. «Cette tâche réclame un effort mental
considérable, souligne Pierre Maquet. Nous l'avons choisie parce que les études menées à l'Université
du Surrey nous avaient appris que les performances à cette tâche se détérioraient chez les "5-5" après
privation de sommeil, alors que ce n'était pas le cas chez les "4-4".» L'épreuve fut proposée aux participants
le matin (1h30 ou 25h après le réveil) et le soir (après 14h de veille continue), une fois après une nuit de
sommeil, une autre fois après privation de sommeil. L'activité cérébrale des sujets était mesurée en IRMf.
(2) Gilles Vandewalle, Simon N. Archer, Catherine Wuillaume, Évelyne Balteau, Christian Degueldre,
André Luxen, Pierre Maquet et Derk-Jan Dijk, Functional Magnetic Resonance Imaging-Assessed Brain
Responses during an Executive Task Depend on Interaction of Sleep Homeostasis, Circadian Phase, and
PER3 Genotype, in The Journal of Neuroscience, 24 juin 2009 - 29(25):7948-7956.
Phénomène compensatoire
Première question : que se passe-t-il entre la session du soir et la session du matin chez des sujets ayant
bénéficié d'une nuit de sommeil ? Dans les deux cas, tant les «4/4» que les «5/5» recrutent dans les cortex
frontal, temporal et pariétal des aires typiquement impliquées dans la mémoire de travail, mais si, entre la
session du matin et la session du soir, aucune différence notable n'est relevée chez les individus détenteurs
de l'allèle 4/4 du gène PER3, on observe une réponse cérébrale inférieure au niveau du lobe frontal chez les
détenteurs de l'allèle 5/5. «Déjà après une journée normale, les "5/5" se montrent incapables de maintenir les
réponses cérébrales induites par la tâche», commente Pierre Maquet.
Plus éloquente encore est la comparaison entre deux sessions du matin, l'une après une nuit réparatrice,
l'autre après privation de sommeil. En effet, les réponses corticales chez les «4/4» se maintiennent quelle que
soit la pression de sommeil, cependant que, au sein du génotype vulnérable, elles chutent dans toutes les aires
frontales, pariétales et temporales concernées. Mais ce n'est pas tout. En plus de maintenir leurs réponses
cérébrales dans les zones précédemment évoquées, les individus résistants («4/4»), à l'inverse des sujets non
résistants («5/5»), recrutent des régions supplémentaires, dont des régions préfrontales ventrales, le cervelet
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