nécessaire7, et en ce qui concerne le génome en tant que tel, ce qui est vrai pour une
population générale (statistiquement parlant) ne l’est pas pour un individu qui demande un
pronostic le concernant. Les maladies monogéniques sont rares, et leur évolution reste
partiellement dépendante de l’environnement dans lequel évolue l’organisme.
Il n’existe donc pas de déterminisme génétique au sens fort. Mais il nous reste à
comprendre le rôle joué par cette idée au cours de l’histoire. Nous allons montrer comment
la conception déterministe des sciences biologiques a servi à fonder en apparence un
« déterminisme » psychologique et un « déterminisme » social censés reposer sur des lois.
Incapables de trouver un fondement par eux-mêmes, ils ont eu recours à la pensée
biologique pour y trouver la justification d’un ordre naturel et inné. Si le déterminisme
biologique est théoriquement faible, il reste que l’idée déterministe en biologie possède et a
possédé une grande force idéologique.
II) L’usage du déterminisme génétique dans le contexte de la socio-biologie
Les difficultés liées à la vision déterministe de la théorie génétique n’ont jamais gêné
les réinterprétations sauvages, chargées d’entériner des idées préconçues ou des stéréotypes
sociaux en postulant un ordre « par nature ». L’idée eugéniste propose de renforcer
artificiellement la sélection naturelle en favorisant les plus aptes, c’est-à-dire les plus
naturellement déterminés à devenir des individus socialement importants. Ce genre d’idée
est commune à la fin du XIXème siècle et dans la première moitié du XXème siècle. Elle n’est
pas réservée aux régimes autoritaires ou aux idéologues racistes ou antisémites. L’intérêt du
livre d’André Pichot, La Société Pure, est de montrer que même des auteurs parmi les plus
respectables dans l’histoire des sciences comme Ernst Haeckel (1834-1919) ont été partisans
d’une théorie raciste, ou que Julian Huxley (1887-1975), directeur de l’UNESCO en 1946,
biologiste social démocrate, frère d’Aldous Huxley, était un eugéniste convaincu. En la
matière, Alexis Carrel n’était en rien extrémiste, en dépit de son pétainisme avéré sur le plan
politique. Lorsque Carrel écrit que la médecine se fourvoie en essayant "d'améliorer les
individus de mauvaise qualité", qu’il convient plutôt de "fortifier les forts : il faut abandonner l'idée
dangereuse de restreindre les forts, d'élever les faibles, et de faire ainsi pulluler les médiocres"8, il ne
fait pas état d’idées particulièrement choquantes pour la majorité des contemporains. On
peut trouver des citations exactement semblables chez Charles Richet (prix Nobel de
médecine en 1913, un an après Carrel) : "Quoi! Nous nous appliquons à produire des races
sélectionnées de chevaux, de chiens, de porcs, voire de prunes et de betteraves, et nous ne faisons
aucun effort pour créer des races humaines moins défectueuses [...]. Quelle incurie étonnante". (…)
Les moyens de sélection serviront à "créer des races humaines moins défectueuses, pour donner
plus de vigueur aux muscles, plus de beauté aux traits, plus de pénétration à l'intelligence, [...], plus
d'énergie au caractère, pour faire accroître la longévité et la robustesse, [ce qui constituerait] un
prodigieux progrès"!9. "Il ne s'agit pas de punir [les tarés], mais de les écarter de nous. Il ne faut pas
que leur sang vicié vienne corrompre le sang généreux d'une race forte"10.
L’idée eugéniste, présente depuis l’Antiquité11, a trouvé dans la théorie darwinienne
et l’idée du struggle for life une vigueur nouvelle. Les réinterprétations de la pensée de
Darwin ont vu le jour dès les premières publications de l’Origine des espèces (1859), en France
dès 1862 avec la préface franchement eugéniste de sa traductrice, Clémence Royer12.
Pourtant, si le darwinisme social parle des plus aptes et des médiocres comme si ceux-ci
étaient déterminés à l’être, la théorie de Darwin, elle, insiste sur toutes les formes de sélection
7 SERALINI (G-E.) Génétiquement incorrect, Paris, Flammarion, 2003.
8 CARREL (A.) L'Homme, cet inconnu, Paris, Plon, 1997, p. 349.
9 CARREL (A.) Eugénique et sélection, Paris, Alcan, 1922, p. 34.
10 Ibid. p. 54.
11On trouve des considérations clairement eugénistes dans La République de Platon. L’infanticide des
enfants mal formés à la naissance était répandu à Athènes et surtout à Sparte.
12 PICHOT (P.) Histoire de la notion de vie, Paris, Gallimard, coll. « TEL », 2000, p. 770.