N° 3228 / 15 mai 2013
16 / L’EXPRESS
L’entretien
à un match de football, aller au concert, lire The Eco-
nomist et voir un film à grand spectacle. D’habitude, on
ne retient que l’envers de ce phénomène – le succès des
jeux vidéo, par exemple. Mais c’est ignorer que ce
public, de plus en plus étendu, dépense aussi beaucoup
d’argent dans les festivals, les expositions, les livres…
Cela revient-il à dire que vos concurrents
aujourd’hui ne sont pas tant les autres
médias que toutes les formes de loisirs ?
Oui. Pour moi, notre principal concurrent, c’est le
temps. C’est là où le numérique fait la différence, car il
offre au lecteur une très grande souplesse d’utilisation.
Prenez Angela Merkel: elle écoute la version audio de
The Economist. Avec un iPad ou un iPhone, vous pouvez
l’écouter en voiture ou à la gym, le lire en avion sur tablette,
etc. Aux Etats-Unis, 50 % des nos abonnés choisissent la
version combinée à 160 dollars afin de bénéficier de cette
plus grande liberté.
Pour laquelle ils paient donc davantage…
Oui. Payer pour avoir accès à une information de
qualité est crucial. Et c’est la grande erreur que commet
l’industrie des magazines. Partout, c’est la course à la dif-
fusion, quel que soit le prix à payer pour la gonfler, afin
de vendre le plus grand nombre de lecteurs aux annonceurs
publicitaires. Les grands groupes américains offrent ainsi
de très bons magazines pour rien – 20 dollars par an! Heu-
reusement, la tendance s’inverse. Bloomberg Business
Week et The New Yorker ont augmenté leurs prix de vente.
Il n’y a aucune raison pour ne pas payer le juste prix pour
des produits de qualité.
Le succès de The Economist peut-il être dupliqué?
Oui. En Europe, vous avez de bons magazines, comme
L’Express, le Spiegel, la presse italienne… Et notre intérêt
est de voir le plus grand nombre de magazines rester en
vie. Car plus nous serons nombreux, plus les annonceurs
continueront à dépenser de l’argent dans ce secteur. L’iPad
fera la différence. Un Français installé à Detroit, aux Etats-
Unis, n’avait, jusqu’à présent, que peu de raisons de s’abon-
ner à L’Express à cause du coût du transport et du temps
d’acheminement. Aujourd’hui, grâce aux tablettes, il peut
le lire aussitôt. C’est un immense avantage. Et c’est un
marché considérable qu’ouvrent les objets nomades
lorsque vous pensez à tous ces francophones, de Hanoi à
Vancouver, pour lesquels vous envoyiez, il n’y a pas si
longtemps encore, de coûteux exemplaires de votre ma-
gazine. Cette réserve de croissance est désormais à votre
portée grâce à l’iPad – et pour rien ! Nous avons ainsi des
publications spécialisées aux Etats-Unis, comme Congres-
sional Quarterly Roll Call, sur l’activité du Congrès: en
Europe, cela peut intéresser un millier de lecteurs, qui
pourraient y avoir accès via un abonnement en ligne
payant. C’est une nouvelle source de revenus.
Votre succès tient aussi à votre spécificité
éditoriale. The Economist est plus
« reconnaissable » que ne l’était Newsweek,
par exemple, qui a mis fin, l’an dernier, à sa parution
sur papier. Vos Unes sont audacieuses, voire
provocatrices… Si on cache le logo de The Economist,
on vous reconnaît tout de suite…
Un commentaire contradictoire, là-dessus. Oui, les lec-
teurs veulent des Unes qui les fassent sourire, et nous
sommes contents quand l’une d’elles, amusante ou subtile,
retient l’attention. Notre Une récente « France: la bombe
à retardement de l’Europe», avec des baguettes de pain
en guise de bâtons de dynamite, s’est très bien vendue en
France: tous les numéros se sont écoulés. Cela dit, comme
partout, l’importance des points de vente décroît, au profit
des abonnés. Qu’est-ce qui nous rend unique ? Le choix
de l’anonymat – aucun article n’est signé. Notre indépen-
dance, aussi. La structure de The Economist m’accorde
cette grande chance de ne pas avoir de comptes à rendre
au service commercial du magazine: ses responsables dé-
couvrent le journal en même temps que les lecteurs. Cela
simplifie mon travail: je dois seulement convaincre des
lecteurs de payer pour découvrir chaque semaine notre
vision de l’actualité du monde.
C’est vrai que The Economist n’hésite pas à donner
son point de vue…
Il a été dès l’origine, en 1843, un journal libéral. Au
Royaume-Uni, on le situe au centre de l’échiquier. Aux
Etats-Unis, nous avons soutenu, avant l’élection prési-
dentielle, Barack Obama, mais nul ne peut dire à l’avance
qui sera notre candidat et nous ne sommes certainement
pas considérés comme inféodés au Parti démocrate. En
Europe continentale, il est clair que nous faisons entendre
une voix libérale sur les questions de société (pro-mariage
gay, pour la réforme des prisons, contre Guantanamo…)
comme sur les sujets économiques, dans le droit fil d’Adam
Smith et de John Stuart Mill.
1962
Naît à Londres.
1985
Devient banquier à la Chase Manhattan.
1987
Quitte la banque pour rejoindre The Economist
comme journaliste financier.
1990
Ouvre le bureau de Los Angeles.
1996
Dirige la section américaine du magazine.
2006
Devient directeur de la rédaction.
JOHN
MICKLETHWAIT
EN
6 DAT ES
« Le magazine incite à une lecture plus contemplative.
Internet n’est pas une menace existentielle pour nous »
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