Les recherches les plus récentes, qu’elles viennent d’économistes
ou de sociologues, obligent à penser l’emploi comme ce qui ressort
de la confrontation de déterminants économiques et sociaux en
même temps qu’elles nous donnent certains moyens de le faire.
En d’autres termes, la sociologie, aujourd’hui, ne se place plus
seulement sur le terrain des « conséquences » ou sur le registre du
« vécu ». Les processus sociaux sont créateurs de chômage et de
mouvements d’emploi : telle est l’hypothèse qui fonde l’existence
et la pertinence d’une sociologie de l’emploi.
À l’intersection de la sociologie du travail et de l’économie du
travail, la sociologie de l’emploi traite des rapports sociaux de
l’emploi. Ses objets centraux : les mouvements de recomposition
de la population active, les mécanismes sociaux de répartition de
l’emploi et de production du chômage. Avec la sociologie du
travail, elle partage la conviction fondamentale que l’activité labo-
rieuse constitue l’« expérience sociale centrale » [Erbès-Séguin,
1988]*. Mais elle en déplace l’épicentre : du travail (compris comme
l’activité de production de biens et de services, et l’ensemble des
conditions d’exercice de cette activité) vers l’emploi (entendu
comme l’ensemble des modalités d’accès et de retrait du marché
du travail ainsi que la traduction de l’activité laborieuse en termes
de statuts sociaux [Decouflé et Maruani, 1987]). À l’économie du
travail, elle emprunte un de ses champs d’investigation privilégiés :
le marché du travail. Mais elle y ajoute la prégnance du social et
la pression des acteurs sociaux : elle analyse les mouvements de
l’emploi et du chômage comme des constructions sociales et non
comme des mécanismes économiques ; elle étudie les conséquences
des modalités d’accès et de retrait du marché du travail sur les
statuts professionnels et sociaux, réintroduisant ainsi l’emploi au
cœur de ce qui construit la stratification sociale.
La sociologie du travail, telle qu’elle s’est développée en France
depuis les années 1950, s’est très largement confondue avec celle
des travailleurs. Centrée sur l’entreprise, l’atelier, le métier, foca-
lisée sur l’analyse des groupes, communautés et relations de travail,
elle a fonctionné à partir du postulat implicite que le fait de
travailler était une donnée intangible des sociétés contemporaines.
Depuis le début des années 1980, deux événements sociaux sont
venus modifier ce paysage :
— les transformations de la population active : l’afflux massif
des femmes sur le marché du travail, d’une part, le rétrécisse-
ment, aux deux extrémités, de la pyramide des âges, d’autre part,
* Les références entre crochets renvoient à la bibliographie en fin de volume, p. 114.
SOCIOLOGIE DE L’EMPLOI4