John Ogbu
Anthropology of education
International Encyclopedia of Education, 1985 p.276-298
Traduction Pierre Clanché
Sommaire (les n° de pages sont ceux de la traduction excepté pour la
bibliographie; la pagination du texte original est indiquée entre crochets dans le cours de
la traduction)
1. Fondement historique 2
1.1.La période utilitaire : l’école considérée comme problème social 2
1.2.Emergence de l’Anthropologie Educationnelle en tant que discipline
académique 5
2. Buts, méthodes, et structures 10
2.1. Buts 10
2.2. Méthodologie 11
2.3 Cadres théoriques 13
2.3.a Une quête de modèles 14
2.3.b Un modèle instrumental (Spindler) 14
2.3.c Les modèles de transaction (Gearing) 15
2.3.d Modèle interactionnel / interprétatif. 17
2.3.d.i Mc Dermott et l’organisation des relations sociales dans la classe 17
2.3.d. ii Gumperz et les stratégies communicatives différentielles. 18
2.3.d. iii Fonctionnalisme structural (néo-marxisme) 19
2.3.e Les méthodes écologiques (G. Ogbu) 20
3. Champs d’études indépendants 22
3.1. Evolution de l’Education 23
3.2. Le milieu socioculturel des écoles 26
3.3. Liens avec les autres institutions 26
3.4. Continuités, discontinuités et éducabilité, relation maison/communauté
scolaire, valeurs, langage et communication, cognition, motivation 29
3.5. Education et changement social 32
4. L’avenir 34
Bibliography 293
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@ J. Ogbu, Anthropology of education, trad. P. Clanché 1
[276] L’anthropologie éducationnelle renvoie à des théories, méthodologies,
questions, intérêts et approches de diverses disciplines telles que l’anthropologie, la
sociolinguistique, l’ethnomethodologie et l’interaction symbolique. Mais des problèmes
surgissent dans la mesure où certains EA (Anthropologues de l’Education) traitent
l’éducation comme un sujet de recherche fondamentale alors que d’autres sont plus
engagés vers la «recherche appliquée » (improvement research) (Education et
Anthropologie à Stanford, Spindler 82). Face à cette situation, il n’existe pas encore de
consensus établi dans ce nouveau champ. Cet article met l’accent sur l’éducation
comme sujet de recherche fondamentale ; il est divisé en quatre sections : fondements
historiques ; buts, méthodes et structure théorique ; champs d’études indépendants ; et
perspectives futures.
1. Fondement historique.
1.1.La période utilitaire (service-oriented) : l’école (schooling) considérée
comme problème social
L’histoire de l’anthropologie de l’éducation ou anthropologie éducationnelle [à
partir de maintenant EA dans notre traduction] se présente sous deux dimensions,
dimension de service et dimension académique. La dimension de service remonte aux
dernières décades du dix neuvième siècle. L’histoire de la dimension académique est
plus brève parce que les anthropologues [à partir de maintenant A dans notre
traduction] n’ont pas, dans les débuts, considéré l’éducation formelle ou schooling
comme un thème digne d’une investigation intellectuelle sérieuse par comparaison avec
la famille, le langage, la religion ou l’économie de subsistance (Diamond 71, Roberts
76). Ils on plutôt voulu constituer un savoir anthropologique sur la culture et sa
transmission, destiné aux éducateurs et planificateurs ayant à faire avec «l’éducation
indigène (native education) » dans les sociétés coloniales, aussi bien qu’avec les
migrants et les minorités dans leur propre société. A cela se rattachait le soucis des A de
réfuter ce qu’ils considéraient comme des idées fausses sur les capacités intellectuelles
et d’apprentissage des populations non occidentales, ainsi que celles des minorités, des
immigrants et des classes inférieures (lower class) dans les sociétés occidentales. Dans
ce contexte les A considéraient l’éducation formelle comme un problème social.
[277] Les A critiquent d’une manière caractéristique les éducateurs pour leur
ignorance de la culture de ceux à qui ils ont à faire (their clients). Mais la manière dont
un A particulier définit le problème de la transmission culturelle ou de l’éducation, et la
solution qu’il ou elle propose, dépend de son «école » de pensée. Par exemple, Hewett
(1905), influencé par l’évolutionnisme spencerien, attribue les problèmes éducationnels
des immigrants, des Indiens d’Amérique et des «natifs » des Philippines, au fait que les
écoles les forçaient à apprendre unz culture anglo-américaine «plus élevée (higher) ». Il
recommandait par conséquent que les écoles devaient essayer de comprendre les
fondements culturels de ces populations et proposer une éducation multiculturelle. A
l’opposé, la perspective théorique de Boas (28) met l’accent sur le relativisme culturel :
il rassemble des données anthropologiques physiques et culturelles pour avancer l’idée
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que les différences de performances scolaires étaient dues aux différences culturelles et
non à des différences biologiques ou géographiques.
Malinowski pour sa part rejette l’affirmation selon laquelle les résultats inférieurs
des Africains aux tests de QI montrent avec évidence qu’ils étaient intellectuellement
inférieurs aux européens, faisant remarquer que les Africains avaient des résultats
inférieurs aux tests parce qu’on leur offrait une scolarité inférieure. Dans sa perspective
fonctionnaliste, il recommande aux éducateurs de préserver les cultures d’origine et de
n’enseigner une école formelle que pour les indigènes devant avoir des contacts avec
les Européens. Pratiquement, aucun des anthropologues de cette époque n'étudiait alors
l’éducation formelle d’un point de vue ethnographique.
Dans les années 50, quelques anthropologues commencent à étudier l’école. Un
de ces pionniers est Spindler à Standford qui participa à un projet interdisciplinaire
étudiant comment les enseignants et les membres de l’administration interagissaient
entre eux et avec les élèves «dans les cadres naturels (natural setting) de l’école et de la
communauté » (Spindler 63). Dans ces mêmes années 50, les autres pionniers étaient
Henry aux Etats Unis (57), Brameld à Porto Rico (58), Wylie en France (57), et Read en
Afrique (55). Les résultats de leurs recehrches étaient généralement publiés dans des
revues qui n’étaient pas des revues d’Anthropologie. A cette période, un facteur
important de promotion de l’établissement de relations entre Anthropologie et
Education fut la conférence réunissant A et éducateurs soutenue conjointement par
l’American Anthropologist Association, la School of Education et le département d’A
de Stanford. Le résultat de cette conférence fut la publication du premier recueil de
textes sur le thème A et éducation, Éducation and anthropology (Spindler 1955).
Dans les années 60 trois événements entraînent et l’engagement des
anthropologues dans les problèmes scolaires, et le développement d’une anthropologie
éducationnelle considérée comme un sous champ de l’anthropologie :
Le premier est la crise sociale et politique que les Etats Unis ont eu à affronter
dans les années 60. On fit alors appel aux anthropologues pour contribuer à la solution
des problèmes éducatifs de la nation, spécialement ceux affectant les pauvres et les
minorités. Quelques A commencèrent à s’interroger sur la place de l’éducation dans un
espace de crise sociale et politique, spécialement auprès des pauvres et des minorités
pour qui les écoles étaient des «institutions étrangères (alien)». Pour répondre à cette
question et d’autres qui lui sont reliées, Stanley Diamond initia le Culture of the School
Study Project en 1963. Un des objectifs de ce projet était de produire une critique
Anthropologique ainsi qu’une bibliographie de l’éducation ; un autre était d’organiser
des réunions sur des thèmes (issues) spécifiques concernant le rôle des écoles dans les
troubles sociaux et politiques. Les premiers résultats furent présentés au « United States
Office of Education » en 1966, et certains des résultats de cette recherche furent intégrés
avec des textes postérieurs et publiés sous le titre Anthropological perspective on
education en 1971 sous la direction éditoriale de Wax, Diamond et Gearing. Les auteurs
des textes de ce volume représentaient une section transversale (cross-section) des A.
Le second facteur encourageant l’AE dans les années 60 fut la nécessité de répondre
à la conception erronée de la culture défendue par les psychologues de l’education et
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d’autres, et les applications tout aussi erronées qui en est faite. Ceux-ci définissaient la
Culture en terme de traits matériels et sociaux. Ils voulaient comparer une liste de traits
qu’ils pensaient devoir constituer la culture de la classe moyenne (ou bourgeoisie)
blanche avec les listes des autres groupes. Ils en concluaient alors que les enfants des
minorités et ceux de la classe inférieure (ou classe populaire) à qui il manquait des
traits de la culture de la classe moyenne blanche, étaient «culturally deprived ». Les
anthropologues ont critiqué cette théorie de la déprivation culturelle sur ses fondements
conceptuels, méthodologiques ainsi que sa validation, déniant l’idée qu’un ensemble de
traits constitue une culture (Valentine 68). Ils n’hésitèrent pas à défendre les
revendications des minorités en soutenant que s’ils échouaient, c’était probablement
parce que les écoles n’utilisaient pas leur culture pour enseigner, apprendre et évaluer.
Les A proposèrent le terme de «discontinuités culturelles » comme une alternative à
l’explication de l’échec des minorités scolaires.
Les efforts des Anthropologues pour introduire l’anthropologie dans le cursus des
publics schools constituent le troisième facteur encourageant le développement
anthropologique en éducation dans les années 60. Pour faire progresser l’enseignement
de l’A dans les public schools, l’AAA a mis sur pied à la fin des années 50 un comité
d’étude pour développer et diffuser des programmes d’anthropologie. L’Association
voulait rendre l’anthropologie plus visible dans le programme des high-school. Au
même moment, le Education Development Center de l’Université de Harvard
commençait aussi à développer des programmes pour les upper elementary-school
grades. [278] D’après Gearing (73), les deux projets produisaient ce que les A
considéraient comme des programmes convenables – «programme empirique sur
l’Homme (empirical Mankind curriculum) » - destinés à une bonne transmission du
message anthropologique aux étudiants du niveau pre-universitaire (precollege-level).
Le cours du Educationnal development Center intitulé L’Homme : un objet d’étude
(Man : a Course of study) et destiné aux grades «upper-elementary, pose explicitement
la question, «qu’est-ce l’humain pour tous les humains ? (What is human about all
humans ?) » La façon de concevoir le cours était d’aider les étudiants à découvrir la
réponse à la question en les guidant «par une vision large et exhaustive d’une petite
communauté, les Esquimau Netsik, principalement au travers d’un film sans
commentaire (unnarrated) et avec son naturel » (Gearing 73). D’autre part, le projet de
programme d’étude anthropologique destiné aux hight school students (grades 8-12) et
intitulé Modèles en Histoire Humaine (Patterns in Huma History) avait pour objet de
répondre à la même question : qu’est-ce qui est humain dans tous les humains, mais
d’une manière plus précise. Précisément, le programme observe «de manière analytique
un échantillonage de communautés humaines, proches et étrangères, choisies pour leurs
contrastes dans la taille et la structure – qui paraissent adaptée à l’analyse pour ce
niveau d’étude. »
Les A ne se contentèrent pas de construire des programmes pour les élèves des
public schools et de fournir des livres du maître (teaching guide) pour les enseignants ;
Ils menèrent également des études ethnographiques sur l’implantation du programme et
ses effets dans quelques écoles choisies. Ces études furent publiées plus tard, diffusées
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et utilisées pour le perfectionnement et la promotion de l’Anthroplogie dans l’école
publique.
L’introduction d’un programme d’Anthropologie dans les public schools a eu
quelques effets repérables. Par exemple elle a augmenté le nombre d’enseignants des
publics schools s’intéressant à l’anthropologie. Dans certaines villes ces enseignants se
sont eux-mêmes organisés en associations qui ont recherché activement la coopération
d’A professionnels et essayé de se mettre à jour dans le développement du champ
anthropologique.
Les progrès de l’investissement anthropologique dans l’éducation ont culminé avec
la création du Council on Anthropology and Education en 1970. L’objet en était de
rassembler le nombre croissant d’A concernés par les problèmes d’éducation, et les non
A intéressés par l’application des approches anthropologiques de ces problèmes. Le
Council a aussitôt lancé une lettre d’information qui a en 78 accédé au statut de revue
l’Anthropological and Education Quarterly. En plus, le Council a lancé divers projets et
constitué de nombreux comité pour étudier divers sujets, comprenant l’étude
anthropologique de l’école et de la culture, les études cognitives et linguistiques,
l’enseignement de l’anthropologie, les questions de minorités, et la formation des
enseignants et la production des cours. Ces comités ont non seulement maintenu vivant
l’activité de l’EA mais ils ont été également opératoires dans la promotion de l’étude de
l’éducation en tant que problème anthropologique et académique (Gearing, 73, Linquist
71).
1.1 Emergence de l’Anthropologie Educationnelle en tant que discipline
académique
Des recueils de textes avaient été publié (Spindler 63, Kneller 65) ainsi que
quelques recensions dans la Review of Educational Research dans les années 60
Bramed & Sullivan 61, Wolcott 67, Sindell 69), mais la plupart des A seraient d’accord
pour dire que l’EA n’existe pas en tant que sous-champ académique avant 1970
(Diamond 71, Lindquist 71, Roberts 76). Ainsi, après avoir recensé une littérature
anthropologique extensive sur l’éducation, Linquist (71) affirmait en 71 que, parce que
«il n’existe pas à présent de champ autonome A et Education, il est difficile d’établir
avec un certain degré de clarté ce qui constitue la base des travaux dans le champ ». Il
en arrivait à dire que, ne pouvant trouver de fil conceptuel le long duquel il pourrait
organiser son résumé, il avait eu recours à «des thèmes récurrents » tel que l’élitisme,
l’éducation des minorités, la planification éducationnelle, la coupure (split) rural-urbain,
l’attachement national vs l’attachement local, le chômage.
Plusieurs raisons expliquent que les A n’aient pas sérieusement considéré
l’éducation comme un champ de recherche systématique avant 1970.
- L’une d’entre elles est que les sociétés étudiées par les A n’ont pas
institutionnalisé le schooling (Roberts 76).
- Une autre explication, avancée par Diamond (71) est que, pour les A, étudier
l’école comme agent de changement dans les sociétés coloniales, va à l’encontre de leur
orientation majoritairement structuro-fonctionaliste. De plus, dans leurs propres
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