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I - INTRODUCTION
La vérité est un sujet aussi vaste que paradoxal. En effet, la question qui
revient le plus souvent à son sujet est : faut-il la dire ou pas ? Sans avoir besoin de
mener une étude rigoureuse sur le sujet, il suffit de poser la question autour de nous
pour se rendre compte combien les réponses sont aussi variées que contradictoires,
plongeant parfois même l’interrogé dans l’impossibilité de répondre franchement.
Avant de commencer ma formation, avec ma vision encore naïve des soins, il
me semblait impensable de ne pas dire la vérité à un malade, de lui cacher certaines
données sur son état de santé. Car pour moi, connaître la vérité sur son état de
santé était un à la personne hospitalisée. C’était donc une nécessité qui lui était
utile au plus haut point que de ne jamais lui mentir, jamais répondre a coté, être le
plus authentique possible.
Puis, au cours de ma formation, j’ai souvent été confronté à des situations
délicates, les malades me demandaient des renseignements que je ne pouvais
pas leur fournir. Soit parce que je ne les avais pas, soient, car je ne savais pas si j’y
été autorisé. J’ai donc découvert au cours de mes stages qu’il y’a parfois des cas
l’on ne peut pas dire la vérité à un malade. Je me suis donc surpris à devoir trahir
cette valeur que je considérais comme fondamentale. Mais je m’y résignais, en
évitant de trop me questionner sur le sujet, jusqu’au milieu de ma deuxième année.
En effet, mon deuxième stage de deuxième année m’a donné l’occasion de
vivre une situation particulièrement embarrassante, que j’ai vécue comme la
situation « de trop », et qui a été le point de départ de tout un questionnement. En
effet, un malade m’a demandé à plusieurs reprises des informations sur son
pronostic, que je savais fatal à court terme, et j’avais pour ordre du médecin de
l’unité de ne rien lui dire. Je ne savais donc pas comment gérer les assauts répétés
du malade demandeur de vérité. Et je ne savais pas réellement si je pouvais la lui
dire, ou non, quitte à outrepasser les recommandations du Médecin. J’ai donc dû me
débrouiller seul à éviter le problème, n’ayant pu trouver de réponses concrètes
auprès de mes pairs. Mais j’avais quand même conscience qu’un manque
d’informations pouvait paradoxalement signifier une réponse pour le malade, et que
l’interdiction de dire la vérité à un malade pour une Infirmière pouvait être source de
difficultés pour elle. C’est donc la raison pour laquelle j’ai choisi de porter mon travail
de fin d’études sur ce thème.
Ce travail a donc pour objet d’explorer cette thématique en s’axant plus
spécifiquement sur la façon dont les Infirmières vivent l’impossibilité de dire la vérité,
et en essayant de proposer une réponse.
Je préciserais dans un premier temps au travers d’un constat professionnel
ma situation de départ avec le récit précis des faits qui m’ont interpellés. Dans un
second temps, je développerais la problématique en procédant étape par étape. En
partant de mes questions les plus naïves, représentées par ma question de départ,
je vous exposerais mon questionnaire de pré-enquête ainsi que l’analyse
quantitative et qualitative des réponses récoltées. Enfin, dans le dernier temps de ce
travail écrit, j’explorerai le cadre législatif et conceptuel, nécessaire d’une part à la
définition exacte des situations l’annonce d’une vérité est effectivement proscrite
à l’Infirmière, et d’autre part à la compréhension conceptuelle du problème avec pour
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aboutissement la formulation d’une question de recherche axée sur le « vécu » de
l’Infirmière. Question à laquelle je tenterais de répondre par une hypothèse, dont je
vous présenterais succinctement les outils d’évaluation retenus pour tenter d’y
apporter une réponse.
II - SITUATION DE DEPART
J’ai eu au cours de ma scolarité à l’IFSI de nombreuses situations qui m’ont
interpellées. Parfois pour leur singularité, parfois, au contraire, par leur récurrence.
En effet, certaines situations ont la particularité de se retrouver dans beaucoup de
services. C’est le cas de la situation que j’ai vécue, et dont ce travail fait l’objet.
Revenons pour cela en hiver 2009, j’effectuais un stage en Médecine
Cardio-Gériatrique dans une clinique Niçoise. Dans le service, nous avions un
patient qui venait de rentrer quelques jours auparavant pour des malaises à
répétitions avec troubles de l’équilibre, sans antécédents particuliers. Nous
l’appellerons Mr S. Le Médecin du service, soucieux d’explorer le problème, décida
de lui faire passer un Scanner cérébral, car il suspectait une tumeur cérébrale.
De mon côté, j’avais pris en charge ce patient dans le cadre de ma
préparation à ma MSP. Ainsi, tous les matins, j’allais dans sa chambre pour lui faire
les surveillances d’usage et lui administrer ses traitements. J’avais établi un très bon
contact avec lui.
C’est ainsi que le lendemain du Scanner demandé par le Médecin, le patient me
demanda si j’avais eu les résultats de la veille. Tout d'abord, j'ai été pris au
dépourvu par la question du patient. Je n’ai pas su trop quoi répondre à part un
vague « oh vous savez, je ne suis qu'un simple stagiaire, et je n'ai pas accès aux
résultats du scanner... ». En réalité, j’y avais évidemment accès, et je savais que le
Médecin suspectait une tumeur cérébrale. J'ai été très gêné d'être obligé de mentir
pour ne pas risquer de faire une annonce sauvage et qui plus est, incertaine, ce qui
aurait pu détruire psychologiquement le patient... Cela dit, je me suis dit que c'était
tout de même dans l'intérêt du patient de savoir... Mais l'était-ce réellement ?... J'ai
donc plus ou moins esquivé la question, puis embrayé sur un autre sujet, sur un trait
de sympathie, histoire de détourner l'attention et détendre l'atmosphère.
Sur le moment, j'ai bien eu l'impression que ma réponse avait été crédible,
mais je me suis demandé après coup si le patient m'avait réellement cru... Car les
patients ne sont pas dupes, et peut-être savait-il si je mentais ou non ?
Et en fait, j'ai continué à être gêné tout seul, après être sorti de la chambre...
Car je savais qu'il y'avait une forte suspicion de tumeur cérébrale, et que le résultat
du Scanner avait 9/10 chances d'être très mauvais, et donc annonciateur d’un très
mauvais pronostic. D'autant que le Scanner datant de la veille, les résultats étaient
certainement connus de l'équipe.
Alors, j'ai attendu le lendemain, où il y'avait une réunion d'équipe où le Médecin
reprenait le cas de certains malades et en profitait pour mettre certains membres de
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l’équipe au courant d’informations qu’il n’aurait pas eu par leurs propres moyens. Le
cas de Mr S. a été repris, et j’ai appris le résultat du Scanner : tumeur maligne stade
4 envahissant la loge vestibulaire droite. Le Médecin a fait part de son inquiétude
quant à l’avenir du patient, et a avoué qu’il le considérait « condamné » à court ou
moyen terme. J’ai alors demandé si le patient était au courant du résultat. On m'a
demandé pourquoi je posais cette question, j'ai répondu « parce que le patient me l'a
demandé »... Et le Médecin du service m'a immédiatement repris, presque affolé :
« tu ne lui a pas dis j'espère ??!! Parce qu’il ne faut pas lui dire, il ne le sait pas
encore!!..." J'ai répondu que non, bien évidemment. Le Médecin voulait en fait
attendre le moment opportun pour lui faire l’annonce.
Mais cela m'a contrarié qu'on se soucie plus de ne pas lui dire, plutôt que de lui
dire... On aurait dit un secret de polichinelle, tout le monde le sait... sauf le
principal intéressé... J'appréhendais un peu la prochaine rencontre avec le patient
où il me demanderait encore les résultats de son scanner.
Une fois la réunion finie, arriva le moment d'aller dans la chambre du patient
avec le résultat en tête. Inévitablement, le patient me demanda : « alors, vous avez
eu les résultats du Scanner ?". Toujours la même réponse de ma part, « je n'ai pas
accès aux résultats..." mais cette fois-ci, le patient m'a rajouté : « bah, ça doit pas
être si grave que ça, ils ont pas l'air de s'affoler »... et là, deuxième grand moment
de solitude... Que répondre... J'ai encore rougir, laissé transparaître que j'étais
mal à l'aise. Cette fois-ci je n’ai vraiment pas su quoi répondre... j'ai bafouillé un « je
sais pas... je peux pas vous dire... ». Bref, une sortie nettement moins réussie que la
première fois...
Je pense a posteriori que ma réponse n'était pas du tout crédible et que le
patient me « gérait » de plus en plus. Il devait sentir la mauvaise nouvelle, et j’étais
mauvais menteur... J'ai vraiment commencé à me poser la question de comment se
sortir de ce genre de situations inextricables ou l’on est contraint à mentir. Comment
faire pour donner une réponse qui ne m’obligerait pas à mentir, mais qui
n'angoisserait pas le patient pour autant... Et comment arriver à bien vivre cela.
En fait, à partir de ce moment, le sujet a commencé à me préoccuper
réellement, et j'ai demandé aux infirmières quels étaient leurs « trucs » lorsqu'elles
devaient se sortir ce genre de situations, comment elles le vivaient, si elle avait
l’impression de dire un mensonge lors de leurs réponses, etc... Car ça m'embêtait
vraiment de devoir mentir au patient sur « ordre » du Médecin, mais en même
temps, je n’avais pas envie de le faire souffrir en lui laissant comprendre la vérité,
car je savais que le résultat était synonyme de diagnostic et je ne savais pas
comment il aurait pu réagir, et surtout moi, comment j'aurais pu répondre à
l’effondrement psychologique d'un patient, sous mes yeux, surtout, si je l'avais
provoqué... Je n'avais pas le droit de lui dire la vérité, mais je voulais qu'il la sache...
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III – PROBLEMATIQUE
1) Problème évoqué :
Dans mon cas, j’étais dans une impasse entre mes valeurs (ne pas mentir), et
la nécessité d’appliquer les recommandations du Médecin. J’étais pour ainsi dire pris
dans un conflit interne ou je devais choisir entre deux règles de conduite, deux
forces de pensée. Dans un choix comme dans l’autre, j’allais devoir y laisser un petit
peu de ma personne.
Je me suis alors demandé si mon cas ne s’inscrivait pas dans un problème
plus global, et généralisable à l’ensemble de la profession, au sens que mon
attachement pour la sincérité pourrait bien faire partie des Valeurs de la profession
Infirmières, et que les recommandations du Médecin ne feraient que s’inscrire dans
un cadre légal contraignant tout acteur de soin.
2) Question de départ :
Ainsi a émergé mon premier questionnement. La question que je me suis
immédiatement posée est : en tant qu’Infirmier, peut-on toujours dire la vérité au
patient ? Cette interrogation constitue la première question clef de tout mon travail.
Nous la nommerons « question de départ ». De s’en suit tout un questionnement.
En effet, si le Médecin tarde à faire l’annonce, que c’est un acte qui lui incombe
légalement, et que le malade demande la vérité avec insistance, que faire ? Si l’on a
comme valeur de toujours dire la vérité, va-t-on risquer d’outrepasser les
recommandations médicales pour respecter nos engagements moraux ? Et ces
recommandations trouvent-elles un fondement légal ou sont-elles juste une stratégie
médicale ? Si fondemment législatif il y’a, lorsque les valeurs personnelles ou
professionnelles se retrouvent en contradiction avec, que faire ? Qu’est-ce qui serait
le plus utile pour le patient ? Parfois, est-il préférable de mettre ses valeurs de côté
au nom de la « cohérence thérapeutique » afin de garantir la qualité de prise en
charge par le service entier ? Y’aurait-il plusieurs « vérités » et pas qu’une seule,
ainsi chacun aurait son rôle a jouer dans l’annonce de telle ou telle vérité ?
Certaines règles peuvent-elles nous pousser à ne pas être aidant et donc soignant ?
Autant de questions qui restaient sans réponses pour moi…
3) Pré-enquête :
Afin de connaître un peu mieux l’avis de la profession sur ces questions plutôt
naïves, au sens qu’au moment je me les posais je n’avais pas encore
suffisamment exploré les références législatives et conceptuelles, je me suis rendu
dans un service d’hôpital de jour en Cancérologie. J’y avais déjà passé 4 semaines
au cours d’un stage de 3ème année, ainsi je savais que les Infirmières étaient
fréquemment en prise avec ce genre de situations. J’ai donc préparé un petit
questionnaire qui reprenait un peu toutes les questions que je me posais. Je l’ai
distribué à 4 Infirmières, ainsi qu’à la Cadre Supérieure de Santé du Centre.
Je vous propose donc de regarder ce questionnaire ainsi que les réponses
recueillies, et bien évidemment, de les analyser. Puis, au sortir de cette analyse,
nous explorerons le cadre de référence (législatif et conceptuel) afin de formaliser
une interprétation conceptuelle des réponses et une seconde question clef : la
question de recherche.
Voici tel quel le questionnaire que j’ai distribué au panel :
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Questionnaire pré-enquête
1 °) Pour vous, une fonction essentielle du métier infirmier est elle de savoir entrer en
relation avec un patient? Pourquoi ?
2 °) Pensez-vous que tous les patients ont besoin connaître leur diagnostic lorsqu’il est
sûrement établi et quel qu’il soit ? Pourquoi ?
Comment faire lorsque le médecin tarde trop à faire l'annonce ?
3 °) Seriez-vous prêt à dire la vérité à un patient qui vous la demande alors que la loi vous
l’interdit ?
- Si oui dans quel cas ?
- Si non comment faire alors pour appliquer la loi régissant les droits des patients ?
4 °) Selon vous, est-il possible que dans certains cas, le respect des règles professionnelles
nous pousse à ne pas être aidant ? Dans quels cas ? Pourrais-je avoir un exemple S.V.P. ?
5 °) Pour vous, faut-il VRAIMENT toujours dire la vérité au patient ?
4) Analyse des résultats :
Sur les 5 questionnaires distribués, tous furent exploitables. Lorsqu’une réponse
n’est pas précisée, c’est qu’elle fut l’objet d’un « ne se prononce pas ».
À la question n°1, 4/5 IDE ont répondu Oui. Cela signifie que la relation
soignant-soigné est une donnée fondamentale de la profession pour 80 % des
Infirmières interrogées. Cela pose la question de savoir quel type de relation ?
L’authenticité étant un des fondements de la relation d’aide, et cette dernière étant le
seul type de relation enseigné dans les IFSI, nous la considérerons comme étant la
plus communément adoptée par la profession, et nous l’étudierons plus en
profondeur dans le cadre conceptuel.
À la question n°2, 5/5 IDE ont répondu oui. Nous voyons donc que la
nécessité de transparence vis à vis du malade est aussi une Valeur primordiale sur
le terrain. Le patient a donc besoin de connaître la vérité. Le besoin de vérité pour le
malade nécessite une profonde sincérité de la part de l’Infirmière, et nous verrons
par la suite comment les résultats de cette question peuvent s’articuler avec ceux de
la question n°1.
Au « pourquoi ?» de la question, les IDE ont été une majorité à répondre que
c’était pour permettre au patient de commencer son travail de deuil, sa
reconstruction.
Quant au « comment ?», 3/5 IDE choisissent d’insister auprès du Médecin.
Cela montre certainement l’envie des Infirmières d’apporter la vérité au patient, mais
sans se substituer à un rôle qui incombe au Médecin. Mais cela montre aussi
qu’elles ne sont pas dans la passivité, qu’elles sont dans l’action, comme si cela
montrait leur « envie » d’amener le patient à la vérité.
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