Opération Verdi - Opéra de Rouen

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Arthur et Charlotte sont de retour au
Théâtre des Arts. Ils ont hâte de revoir
Gilbert, la souris, détentrice des clefs du
bâtiment. En moins d’une seconde, nos
jeunes héros, curieux de tout, se retrouvent
dans une aventure trépidante. En effet, ils
ont décidé de porter secours à leur ami
afin de retrouver son frère Basile. Celui-ci
est parti rejoindre Verdi, à qui il voue une
passion sans borne. Mais c’est sans compter
que le célèbre compositeur ne vit pas à
notre époque et qu’il faut donc arriver
à voyager dans le temps !
Reste à retrouver l’astucieuse
machine qui les mènera
jusqu’à leur but.
en partenariat avec
la SNCF, Le Groupe La Poste
et la Caisse des Dépôts
ISBN : 978-2-9541412-2-0 / Dépôt légal : février 2014
OPÉRA DE ROUEN HAUTE-NORMANDIE
Opération Verdi
AU THÉÂTRE DES ARTS II - OPÉRATION VERDI
Anne-Cécile Favier | Marie Casaÿs
Opération
Verdi
Au Théâtre des Arts II
Anne-Cécile Favier | Marie Casaÿs
L’auteur
Poursuivant un Master Grande École à Rouen Business
School, Anne-Cécile Favier a effectué un stage de janvier à juin 2013 en tant qu’assistante communication
à l’Opéra de Rouen Haute-Normandie. Passionnée
de cinéma, elle a relevé le défi de se saisir d’un autre
genre artistique : l’opéra. Rodée à l’écriture puisqu’elle
signe régulièrement des chroniques de cinéma pour
le site Cinematraque, elle a poursuivi avec humour
les aventures de Charlotte et Arthur. Son texte, truffé
d’anecdotes, offre un panorama historique de la naissance de l’opéra à nos jours. Synthétique et clair,
il permettra aux enfants d’appréhender les moments
clefs de l’Histoire de l’art lyrique.
L’illustratrice
Pour ce second volet des aventures de Charlotte
et Arthur, il est apparu naturel de faire appel à Marie
Casaÿs, étudiante en cursus supérieur d’Arts Appliqués
au lycée Raymond Loewy à la Souterraine. Ses dessins
à la ligne proche de la BD ont donné une existence aux
héros de ces aventures se passant au Théâtre des Arts
de Rouen. Nous les retrouvons ici dans de nouvelles
atmosphères emblématiques.
Coordination de la publication : Florence De Meyer
Assistante : Anne Delisle
Action pédagogique : Anne Marguerin
Mécénat : Juliette Démares
Graphisme et mise en page : l’Atelier de communication
Impression : Art Offset
Opération
Verdi
Au Théâtre des Arts II
En publiant en 2012 le premier volume d’Au
Théâtre des Arts, nous souhaitions accompagner les plus jeunes lorsqu’ils entrent
pour la première fois à l’opéra et leur permettre de garder une trace de cette émotion
artistique. Le succès de cette opération a
largement dépassé nos prévisions puisqu’il
a été nécessaire de rééditer l’ouvrage, déjà
diffusé à près de vingt mille exemplaires.
Avec ce second opus, nous veillons à ne pas
abandonner en chemin ces jeunes oreilles
qui nous ont accordé leur confiance. Tout
aussi ludique que le premier, il entreprend
un voyage à travers l’Europe et parcourt,
quatre siècles d’opéra.
Nos jeunes lecteurs pénétreront la grande
histoire lyrique par la petite porte, celle de
la rencontre, avec des compositeurs tour
à tour joyeux, grognons, illuminés ou fantasques. Ainsi, l’humain reste au cœur des
aventures de nos héros et la connaissance
passe d’abord par la sensation.
Je tiens à remercier particulièrement la
Caisse des Dépôts et La Poste qui ont
accepté de renouveler leur mécénat, et la
SNCF qui nous a rejoints pour ce projet.
Sans leur aide précieuse, nous n’aurions
pu poursuivre cette invitation au voyage
musical, à la lecture et à la rencontre.
Puisse ce livre donner envie d’aller à l’opéra
pour écouter, voir, rire et pleurer, en un
mot s’émerveiller ! Je vous souhaite une
très bonne lecture et de belles évasions
musicales.
Frédéric Roels
Directeur artistique et général
Retour
à l’opéra
CHAPITRE 1
Depuis qu’ils ont rencontré la malicieuse souris
Gilbert au Théâtre des Arts, Arthur et Charlotte ont décidé de poursuivre leur découverte
de l’univers du spectacle. Et voici nos deux
compères installés confortablement dans
les sièges de l’Opéra de Rouen Haute-Normandie pour assister à la représentation
de La Flûte Enchantée de Mozart. Rappelle-toi,
l’air de la Reine de la Nuit les avait déjà intrigués avant leur première venue1. Les lumières
s’éteignent doucement, le spectacle commence, grandiose. La magie du chant mêlée
à la musique et aux décors somptueux laisse
les enfants rêveurs. Après un tonnerre d’apCf Volume 1 : Au Théâtre des Arts de Joanna Della Rosa, illustré par Marie Casaÿs.
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plaudissements vient le temps de l’entracte.
« J’ai adoré le costume de Pamina, j’voudrais
la même robe ! » s’exclame Charlotte. « Moi, j’aimerais apprendre à chanter comme Tamino ! »
répond Arthur. Alors que les deux acolytes
sirotent une boisson au bar, Gilbert arrive
en courant à toute vitesse. Complètement
paniqué, il les interpelle :
« Basile a disparu !! Il faut que vous m’aidiez,
j’ai peur qu’il reste coincé dans le temps ! En plus,
c’est la guerre civile en Italie à cette époque !
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– QUOI ?!? s’exclament en chœur Arthur
et Charlotte.
– Je ne comprends rien, dit Charlotte.
– Mais si, Basile, c’est mon frère, une petite
souris qui chante tout le temps, il adore l’opéra
et surtout Verdi, reprend Gilbert. Je suis sûr qu’il
a utilisé la machine à voyager dans le temps !
J’ai trouvé son livre préféré sur la vie de Verdi
à côté de l’engin. Il a toujours rêvé de rencontrer
le compositeur italien. Il faut absolument qu’on
aille le chercher, suivez-moi ! »
Gilbert guide Arthur et Charlotte à travers
le labyrinthe des couloirs du Théâtre.
« Mais ça existe vraiment les machines à voyager
dans le temps, Gilbert ? demande Arthur.
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– Dans les sous-sols du Théâtre, il existe un
lieu que l’on appelle le “moins 48” lui répond
Gilbert. On y entrepose toutes sortes d’objets,
c’est un véritable capharnaüm ! C’est là qu’est
cachée la machine à voyager dans le temps
depuis des années. Elle était endommagée et
laissée à l’abandon. Plusieurs fois, j’ai vu Basile
se faufiler au “moins 48”, je pense qu’il a réussi
à la réparer. Il est vraiment prêt à tout pour sa
passion, l’opéra.
– C’est Verdi qui a inventé l’opéra ? lui demande
soudain Charlotte.
– Non, répond Gilbert, l’opéra est né en Italie
à l’époque de la Renaissance grâce à un
groupe d’artistes et d’intellectuels de la ville de
Florence, la Camerata fiorentina. Ces poètes
voulaient faire revivre ce qu’ils pensaient être
les spectacles de théâtre en musique du temps
de la Grèce Antique. Sans vraiment s’en rendre
compte, ces humanistes ont créé un nouveau
genre musical par hasard. Ils ont révolutionné le
chant ! Dès lors l’histoire sur scène était chantée
de façon à être parfaitement compréhensible
par le spectateur.
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– Comment s’appelle le premier opéra ? dit
Arthur, en l’interrompant.
– Orfeo est le premier opéra connu et raconte
une histoire d’amour qui finit mal. C’est
Monteverdi qui l’a composé » lui répond Gilbert.
Précédés de ce dernier, les enfants parviennent
au mystérieux sous-sol du bâtiment. Dans un
recoin se trouve une grande cabine métallique
recouverte d’un tissu noir poussiéreux. On dirait
un ascenseur que l’on aurait arraché de sa cage.
La porte de la machine, légèrement bancale,
est ornée d’une sorte de blason en forme de clé
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de fa. Un peu inquiets, les trois aventuriers se
glissent à l’intérieur de l’étrange cabine. « Dis,
t’es sûr qu’elle marche cette machine à voyager
dans le temps ? » demande Charlotte, visiblement
angoissée. Gilbert essaie de la rassurer tout en
cherchant le manuel d’utilisation de l’appareil. Il
semble perdu face à la console de commandes
recouverte de boutons. Du coin de l’œil,
Gilbert aperçoit Arthur qui s’apprête
à appuyer sur un bouton au hasard.
Gilbert arrête alors de feuilleter
le guide d’utilisation et saute sur
la main du jeune garçon pour le
stopper dans son élan. Mais le
bout du doigt d’Arthur dérape
et se pose sur une touche où
est inscrite la lettre « L ». Tout à
coup, la machine se met à trembler
et les trois aventuriers sont propulsés
dans les airs. Quand la machine atterrit,
Gilbert ordonne aux enfants de rester à
l’intérieur de la cabine tandis qu’il jette un œil à
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l’extérieur. « Avec tes bêtises, on ne sait même
pas où on est ! » dit-il à Arthur en claquant la
porte. Penauds, les enfants ne disent mot en
attendant le retour de la souris.
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Au pays
l
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e
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S
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R
u
d
CHAPITRE 2
L’attente est de courte durée. Tout sourire,
Gilbert revient et les rassure.
« Bon, pas de panique, c’est génial ! Nous avons
réussi à faire fonctionner la machine et à changer d’époque. Même si nous ne sommes pas
au siècle de Verdi, nous allons rencontrer le
Roi Soleil, Louis XIV ! s’exclame-t-il. Nous
sommes à Versailles, j’ai vu les jardins avec
les fontaines et le canal à travers les grandes
baies vitrées. J’ai même entendu quelqu’un
crier très fort et des musiciens répéter. Comme
nous sommes à la cour du roi Louis XIV, je
parierais que le « L » sur lequel tu as appuyé,
Arthur, signifie Lully, le compositeur fétiche
du Roi ! Venez avec moi. »
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Quittant leur cabine, les enfants remarquent
que celle-ci a changé d’aspect. La cabine apparaît fabriquée de bois et recouverte de peinture
dorée, comme pour se fondre dans le paysage
de miroirs et d’or de la Galerie des Glaces.
Seul le blason permet d’identifier l’appareil.
Cette clé de fa leur permettra de le retrouver.
Guidés par la musique et les cris, les trois amis
s’approchent d’une haute porte entrebâillée.
Ils aperçoivent l’intérieur d’un salon richement décoré où des musiciens répètent sous
la direction du fameux Lully. Plein de fougue
et d’agacement, celui-ci tient dans sa main
un très grand bâton orné de pierreries avec
lequel il dirige l’orchestre et aussi les danseurs.
Soudain, un homme annonce la venue du Roi.
Les décors s’animent au moyen de différentes
poulies, faisant s’élever des astres dans les airs.
De petits feux d’artifices bordent une ouverture par laquelle le Roi fait son apparition,
véritable star du spectacle. C’est un homme
à la chevelure abondante et au visage entièrement maquillé, majestueux, tout d’or vêtu.
Gilbert, trop petit pour tout admirer, se coule
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à l’intérieur du salon et se pose sur le bras d’un
fauteuil de velours. Il n’a pas remarqué qu’il
s’agissait du trône royal ! Gilbert se dirige vers
les musiciens mais Lully frappe si fort le sol de
son bâton que la petite bête prend peur.
« Tu as vu comme tout était
mélangé, Arthur ? Il y avait de
la musique, de la danse, des
machines et même des effets
spéciaux ! C’est incroyable !
s’enthousiasme Charlotte.
– Tout est fait à la gloire
du Roi, dit la souris. Lully
est bien connu pour ses
comédies-ballets mais on
retient avant tout la
grandeur de ses
spectacles où le Roi
est toujours glorifié.
Il a également marqué
l’histoire de la musique car il
a créé la tragédie lyrique. Son dernier opéra, Armide, a influencé
de nombreux musiciens.
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– Mais c’est quoi la tragédie lyrique ? lui demande
Arthur.
– Et bien, c’est un spectacle total où tous les
arts sont représentés : la musique, le chant, le
théâtre, la danse et même la pyrotechnie ! » lui
répond Gilbert. Sur ce, nos trois compagnons
rejoignent leur cabine à voyager dans le temps.
Mais surprise, à l’intérieur, plus de manettes
mais des flacons de chimiste remplis de liquides
fumants ! Gilbert tente alors de remettre en
route l’engin en versant le contenu de certaines fioles dans d’autres. La machine se met
à trembler et voici nos fins compères parachutés entre deux grandes armoires laquées.
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Invitation
au salon
CHAPITRE 3
Les trois explorateurs s’aventurent silencieusement hors de leur habitacle. Dissimulés
dans un recoin obscur, ils observent un grand
salon boisé éclairé par des lustres de cristal.
Ils entendent un clavecin et un piano faire
écho aux vibrations d’un violon. Ils viennent
d’atterrir en plein milieu d’un concert privé.
De l’autre côté de la pièce, un groupe d’individus, manifestement des nobles et de riches
bourgeois, encercle des musiciens, invisibles
depuis le point d’observation des trois intrus.
Loin du faste de Versailles, avec leurs perruques moins extravagantes et leurs habits plus
sobres, les spectateurs apparaissent presque
austères aux yeux des enfants. « Je crois que
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nous avons pris un siècle » murmure la souris.
Le public ne cesse de pousser des cris admiratifs. Notre trio s’avance à pas de loup vers la
foule afin de découvrir qui sont ces fascinants
musiciens. Quel n’est pas leur étonnement
lorsqu’ils aperçoivent au centre du cercle de
spectateurs deux enfants accompagnés d’un
violoniste ! Les enfants prodiges ressemblent
à des adultes miniatures tout endimanchés,
l’un au clavecin en veste et culotte bouffante et
l’autre au piano en ravissante robe bleu pastel.
« Regarde comme ils sont jeunes ! Tu crois que
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ce sont des princes ? dit Arthur en interpellant
Charlotte.
– En plus, ils portent des perruques ! répond
Charlotte, ébahie.
– J’ai jamais vu ça, ils jouent comme des pros. »
Le récital touche à sa fin. Le violoniste s’avance et
demande à l’assemblée d’applaudir les enfants :
son fils Wolfgang Amadeus et sa fille Nannerl.
« C’est Mozart et sa sœur, les amis ! » s’écrie
Gilbert. Leur père les a emmenés en tournée
partout en Europe dès leur plus jeune âge. On
demandait même au petit Mozart, pour impressionner le public, de jouer les yeux bandés ou
avec un tissu cachant les touches
du clavier. Sa précocité a fait de lui
une bête de foire dans les salons
viennois et les cours des
princes. On le considère
comme un génie tant il
a marqué l’histoire de la
musique. Vous vous rendez compte qu’à votre âge, il avait déjà écrit
de nombreux morceaux et même des opéras
comme Bastien et Bastienne ? Il possédait un
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don exceptionnel et son œuvre est devenue
légendaire.
– Mais alors c’est lui qui a écrit l’opéra qu’on a
vu tout à l’heure, La Flûte Enchantée ! s’écrie
Charlotte.
– Tu crois qu’on peut lui demander un autographe ? » demande Arthur.
Charlotte, trop excitée à l’idée de rencontrer Mozart en chair et en os, n’attend pas
l’approbation de Gilbert pour s’élancer vers
le virtuose.
« Nous venons de voir La Flûte Enchantée,
c’était génial ! J’ai adoré, surtout l’air de la
Reine de la nuit.
– Oh ! Je ne connais pas. C’est quoi exactement ? Je n’en ai jamais entendu parler,
rétorque le jeune Mozart avec un fort accent
autrichien.
– C’est toi qui l’as composé !
– Mais si, c’est toi ! » insiste Arthur, avant de
siffler la mélodie en question.
Interloqué, le jeune Salzbourgeois éclate de rire.
Il a l’impression de parler à des fous.
« C’est pas mal du tout quand même ! » dit-il,
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avant de se précipiter vers un pupitre et de
griffonner à la hâte sur une partition la mélodie
fredonnée par Arthur. « Mais quel âge as-tu ? »
lui demande Charlotte. « Douze ans » dit-il. Les
enfants en restent bouche bée. Gilbert fait alors
comprendre aux enfants qu’il est temps de
partir pour retrouver Basile. Ils laissent Mozart
amusé chantant l’air de la Reine de la Nuit…
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Mon précieux
Wagner
CHAPITRE 4
De retour à la machine, le trio, encore sous
le choc de cette rencontre, s’apprête à décoller pour l’époque de Verdi. Charlotte, téméraire, propose de programmer le GPS de
l’engin qui ressemble désormais à une grosse
boussole. Manœuvre plutôt hasardeuse : la
machine se met en route mais à l’atterrissage,
ce ne sont pas les accents chantants de l’Italie qui accueillent nos amis mais
les cris rauques de techniciens
allemands. Nos héros se
trouvent désormais à l’intérieur d’un grand théâtre
à la décoration assez
sobre. De toute évidence,
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les équipes techniques s’affairent en vue d’une
représentation. Un orchestre répète quelque
part mais impossible de le situer, celui-ci semble
invisible. Intrigués, nos trois amis partent à la
recherche de cet orchestre caché. Descendant
les gradins faiblement éclairés, ils s’approchent
de la scène quand tout à coup, ils remarquent
un homme faisant les cent pas devant la scène.
Celui-ci a l’air préoccupé et calme ses angoisses
en dévorant une énorme part de gâteau.
« Il a l’air nerveux, tu crois que c’est le chef
d’orchestre ? murmure Charlotte.
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– Moi, je te parie que c’est Verdi ! fanfaronne
Arthur.
– Faux ! Je vous présente Richard Wagner, les
enfants, explique Gilbert. Un artiste des plus
complexes et des plus fascinants du XIXe siècle
mais aussi un des plus controversés de nos
jours. Son œuvre et ses écrits ont été utilisés à
des fins de propagande par le régime nazi des
années après sa mort. Il n’en reste pas moins
un compositeur incroyable et extrêmement
novateur pour son époque. »
Le grand théâtre aux allures antiques par ses
gradins circulaires face à la scène n’est autre
que celui de Bayreuth. Cet opéra a été construit
à la mesure des rêves du célèbre compositeur
allemand grâce à la générosité d’un jeune roi
un peu fou, Louis II de Bavière. Gilbert, ravi de
rencontrer un si illustre auteur, ose interrompre
le repas de ce dernier.
« Pardon maestro, mais que se passe-t-il exactement ?
– Ce soir aura lieu le premier volet de ma Tétralogie, L’Anneau du Nibelung, répond Wagner,
la bouche pleine. Pardonnez ma grossièreté
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mais je prends des forces, mon festival va
durer plusieurs jours. Imaginez quatre épisodes
tragiques de complots, manipulations et stratagèmes, quinze heures de musique presque en
continu ! C’est un pari risqué.
– Ça parle de quoi la Tétralogie ? lui demande
Charlotte.
– Ach, c’est complexe. En bref, je pourrais
vous la résumer comme une vaste fresque
épique et mythologique, mon chef-d’œuvre !
Des dieux se disputent un anneau magique
qui offre la toute-puissance à son propriétaire
et qui attire évidemment toutes les convoitises.
De là, découlent les histoires des différents
personnages.
– Comme dans le film Le Seigneur des
anneaux ! s’exclame Arthur.
– Ma foi, je ne connais pas cet ouvrage mais
il ne peut être aussi complet que le mien.
Voyez-vous, ma Tétralogie, Le Ring, incarne
mon idéal d’œuvre d’art totale ! Mais j’ai peur
des imprévus d’autant que j’ai eu beaucoup de
malchance avec ma musique. J’ai bien failli
croire que mon œuvre était maudite. Une fois,
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le ténor de mon opéra La Défense d’aimer s’est
fait casser la figure par le mari de sa partenaire
de scène car ce dernier pensait qu’il y avait réellement une liaison entre les deux artistes ! Le
spectacle a donc été interrompu. » Les enfants
éclatent de rire en imaginant l’absurdité de la
scène. « Mes amis, je vais devoir prendre congé
de vous. Nous allons commencer la répétition
de la Walkyrie. Restez si vous voulez !
– Merci à vous maestro mais nous devons
trouver mon frère Basile. Il a voulu partir en
Italie rejoindre son idole Verdi. »
Nos trois aventuriers laissent ainsi Wagner
à ses occupations. Gilbert informe ses amis que
chaque année a lieu un festival à Bayreuth en
hommage à l’œuvre colossale de Wagner. Mais
pour y assister, il faut réserver ses billets sept
ans en avance !
34
Elémentaire
mon cher
Britten !
CHAPITRE 5
Charlotte, Arthur et Gilbert, de retour à la
machine à voyager dans le temps, restent
perplexes face à la console de boutons de
cuivre devant eux. Afin de ne pas commettre
de mauvaise manipulation, Gilbert prend les
choses en main et essaie une combinaison
de chiffres et de lettres. Mais un bouton reste
coincé ! La machine se remet en route. Arthur
et Charlotte commencent alors à paniquer car
leur vaisseau tremble inhabituellement à cause
d’une surchauffe du système. Heureusement,
la machine parvient à atterrir mais une fois de
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plus, les trois compagnons n’ont pas atteint leur
objectif. En ouvrant la porte, ils découvrent un
salon assez vieillot dont les murs sont couverts
de livres en anglais et de bibelots kitsch en tout
genre. Un homme en costume à rayures buvant
une tasse de thé observe, stupéfait, l’étrange
débarquement qui vient d’avoir lieu au beau
milieu de son appartement. Il est tellement
étonné qu’il ne remarque pas que le vinyle sur
son tourne-disque s’est rayé, massacrant ainsi
la 5e Symphonie de Mahler. Il se lève de son
gros fauteuil à carreaux écossais et s’avance,
un livre à la main, vers Arthur et Charlotte.
– Quelle coïncidence ! J’étais justement en train
de lire un livre sur des enfants qui voient des
fantômes, un petit garçon, Miles et sa sœur,
Flora. Est-ce vous ? Est-ce que c’est un rêve ?
Vous êtes des fantômes ? demande l’inconnu.
– Je m’appelle Gilbert et voici mes amis Arthur
et Charlotte. Nous ne sommes pas des fantômes, nous avons voyagé dans le temps. Nous
sommes à la recherche de Basile, mon frère.
Il s’est envolé en Italie au XIXe siècle pour aller
voir Verdi et je dois absolument le ramener
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à la maison avant qu’il ne lui arrive malheur.
– Ma foi, bienvenue dans les années 1950
à Aldeburgh en Angleterre ! Je m’appelle Benjamin Britten. Vous pouvez rester un moment ?
Vous tombez à pic : j’ai créé il y a peu un
festival de musique classique avec ma compagnie, l’English Opera Group, afin de présenter
mes pièces et celles de mes amis. Votre venue
ne pouvait pas mieux tomber. Il se trouve
que j’adore travailler avec des chœurs d’enfants,
j’ai déjà écrit des partitions spécialement pour
eux comme Faisons un opéra. C’est une belle
expérience.
– Moi, j’aimerais bien être chanteur d’opéra
plus tard ou chef d’orchestre, dit Arthur.
– Je te présenterai Peter Pears, mon ami,
c’est un excellent ténor. Je travaille beaucoup avec lui, je suis sûr qu’il saura te donner
des conseils judicieux. Il avait même le premier
rôle dans mon opéra Peter Grimes. J’ai écrit
la partition pour lui.
– Et vous allez composer d’autres opéras ?
demande innocemment Charlotte.
– Et bien figure-toi jeune fille, que lorsque
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vous êtes apparus dans mon salon, je finissais
de lire Le Tour d’Écrou de Henry James.
Je veux en faire un opéra. C’est une nouvelle assez étrange, on n’arrive pas à démêler
le vrai du faux, l’imaginaire du réel. Une jeune
femme est engagée comme gouvernante pour
s’occuper de deux adorables enfants, Flora et
Miles. Elle s’installe avec eux à la campagne.
Rapidement, des phénomènes bizarres se
déroulent et les enfants ont un comportement
anormal. Miles est même renvoyé de l’école
car il aurait proféré des abominations.
La gouvernante voit des revenants dans
la maison. Il s’agit des fantômes de deux
anciens domestiques de la famille
morts récemment. Ces fantômes
semblent hanter les enfants voire
les posséder.
– Trop cool, j’adore les histoires
de fantômes ! s’exclame Charlotte.
– Vous pourriez jouer les rôles
de Flora et Miles si ça vous
tente.
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Les enfants n’en croient pas leurs oreilles,
tout excités à l’idée de faire partie d’un opéra.
– Ce serait un honneur pour eux, j’en suis sûr,
dit Gilbert en interrompant le célèbre compositeur. Malheureusement, nous devons d’abord
retrouver Basile. Est-ce que vous pourriez
nous aider à mettre en route notre machine ?
Nous ne cessons de nous tromper d’époque.
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– Pas de problème mon ami ! » dit Britten en
se dirigeant vers la machine à voyager dans le
temps.
Il appuie alors sur un bouton aux couleurs du
drapeau italien tout en tournant un autre où
apparaît la lettre « V ». Gilbert et les enfants
sursautent en entendant une musique résonner
dans la cabine.
« Je la connais cette chanson, je l’ai entendu
dans une pub pour du jambon ! s’écrie Charlotte.
– Tu as probablement raison, rétorque la souris.
Mais avant d’être utilisée dans une publicité,
il s’agit surtout d’un chant tiré de l’opéra Rigoletto de Verdi.
– S’il savait que sa musique est utilisée pour du
jambon, il serait sans doute vexé, tu ne crois
pas ? s’interroge Arthur.
– Et bien, nous allons pouvoir lui poser la
question de vive voix. » conclut Gilbert tandis
que Benjamin Britten les salue de la main pour
leur dire au revoir.
42
Evviva
Verdi !
CHAPITRE 6
Enfin, l’équipage pose le pied en Italie. Un grand
jardin fleuri s’étale devant eux. Des senteurs
de romarin et de thym embaument l’air chaud
et sec de Sant’Agata, hameau situé dans la
région natale de Giuseppe Verdi. Gilbert aperçoit alors Basile, abrité à l’ombre d’un olivier, et
se précipite vers lui. Assis derrière un bureau
miniature, la souris est occupée à cacheter une
pile de lettres plus haute que lui. Il ne semble pas
étonné par l’arrivée de son frère. « Je savais que
tu viendrais me chercher, grand frère.
– Tu m’as fait une peur bleue ! réplique Gilbert.
– Pourtant, regarde autour de toi, il n’y a pas
de quoi s’inquiéter.
– Tu plaisantes ? L’Italie est en plein Risorgi43
mento et toi, tu décides que c’est le moment
idéal pour rejoindre ton artiste préféré ?! Tu es
complètement fou !
– Calme-toi Gilbert. C’est une bourgade tranquille. Tu devrais être content pour moi : j’ai
été promu secrétaire officiel du maestro Verdi !
Je réponds aux courriers de ses fans. Et il y en
a un paquet ! En plus, je suis payé en onces
de parmesan.
– C’est quoi le Risorgi-machin ? C’est dangereux ? demande Arthur.
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– C’est un peu comme une révolution, lui
explique Gilbert. Au début du XIXe siècle, l’Italie
était découpée en différents territoires. Certains
étaient indépendants, d’autres appartenaient
aux puissances européennes comme l’Empire
d’Autriche-Hongrie ou la France. L’Italie n’existait
pas comme un pays à part entière. Le Risorgimento correspond à cette longue période de
guerres après laquelle l’Italie a été unifiée.
– D’ailleurs mon maître est un fervent défenseur
de ce rêve de nation italienne, ajoute Basile.
On le considère comme un artiste populaire
et patriote. Verdi est devenu un tel symbole de
l’Italie que certaines de ses œuvres sont encore
chantées par les supporters lors des matchs de
foot. Et son « Va, pensiero », le chant du chœur
des esclaves hébreux dans Nabucco, a failli
devenir l’hymne national italien.
– Verdi, les pizzas et le foot : c’est ça le cœur
de la culture italienne ! plaisante Gilbert.
– Mais pourquoi tu préfères Verdi ? intervient Charlotte. Nous avons rencontré d’autres compositeurs
très connus et qui ont fait des opéras incroyables.
Pourquoi Verdi et pas Mozart ou Wagner ?
47
– Et bien, tu vois, pour moi Verdi, c’est un
musicien humble, proche du peuple et qui
raconte des histoires au public. Je le trouve très
humain et sa musique me touche beaucoup.
Il a écrit vingt-huit opéras et aucun d’entre eux
ne me semble incompréhensible. Ce sont de
belles histoires, inspirées parfois de la littérature
comme celle de William Shakespeare ou Victor
Hugo. Et puis, sa musique… elle me fait pleurer
autant qu’elle me donne de la joie de vivre.
Par exemple, l’air « Libiamo » dans La Traviata,
signifie « Buvons joyeusement ».
– Chante-le ! » ordonne Charlotte.
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Tout en chantant, Basile invite Charlotte
à danser. Ils sont rejoints par Arthur et Gilbert. Pendant ce temps, alerté par l’agitation
dans le jardin, Verdi sort de la villa et observe,
amusé, les enfants chanter en chœur avec son
secrétaire à quatre pattes.
« Quel joyeux raffut mon ami ! se réjouit-il.
– Maestro, je vous présente mon frère Gilbert
et ses amis, Arthur et Charlotte. Ils sont venus
me chercher pour rentrer à la maison.
– Oui, vous comprenez, maestro, notre mère
lui a préparé son soufflé au fromage préféré.
Elle serait triste qu’il ne le mange pas avec nous.
– Ha ha ha ! Basile, tu ne dois pas décevoir
ta famille. Rentre donc en France. Tu as bien
travaillé. J’ai un cadeau pour toi. » dit le compositeur barbu en souriant.
À ces mots, il lui tend une partition dédicacée du
Trouvère, un de ses chefs-d’œuvre. Ému, Basile
fait ses adieux à son maître et monte dans la
cabine à voyager dans le temps. Il tape rapidement un code et la machine se met à tournoyer.
49
Retour
au Théâtre
des Arts
CHAPITRE 7
à toutes les étapes de la reprise de sa pièce.
Basile exulte à l’idée d’entendre la dernière
création de Philip Glass qui imagine les derniers
moments de la vie du célèbre Walt Disney,
personnage pour le moins haut en couleurs.
« Connaissez-vous Philip Glass ?
– Non, répondent les enfants à l’unisson.
– C’est un des plus fameux compositeurs
du XXe siècle et de nos jours. Il a écrit des opéras
très innovants, quasi expérimentaux mais toujours harmonieux. Voyons… Il y a Einstein on
Finalement, nos courageux explorateurs
sont revenus au « moins 48 ». En se baladant
dans les couloirs du Théâtre, ils croisent de
nombreux techniciens assez nerveux.
« Que se passe-t-il ? s’étonne Charlotte.
– Il n’y a pas un instant à perdre, répond un
régisseur. Nous devons passer une bonne partie
de la nuit à démonter les décors du spectacle qui
vient de se terminer car demain matin arrivent
ceux d’un autre opéra. Il s’agit de The Perfect
American de Philip Glass. Le compositeur est
déjà là d’ailleurs, il veut absolument assister
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the beach par exemple. Il y a aussi Satyagraha.
Celui-ci évoque le mouvement de résistance nonviolent de Gandhi en Inde. Ce qui est frappant
chez Glass, c’est le côté répétitif de sa musique,
presque hypnotique. C’est pour cela que l’on dit
qu’il a composé de la musique « minimaliste ».
– Ça a l’air bizarre, déclare Arthur, sceptique.
– Non, non, c’est très beau, affirme Gilbert.
– Il s’est beaucoup inspiré de la musique
indienne, reprend Basile. Ses compositions
sont plutôt populaires. Il a même écrit de la
musique de films et a gagné des prix pour ça.
– Je me rappelle maintenant ! interrompt Gilbert. Je l’ai déjà vu jouer ici, au Théâtre des
Arts, il y a peu de temps. C’est un merveilleux
pianiste. J’irais bien le voir dans sa loge pour
lui demander un autographe.
– Ça a l’air chouette un opéra sur Walt Disney,
non ? dit Charlotte, intéressée. J’ai bien envie
de voir ce que ça donne la musique « minimaliste ».
– Personnellement, ce que j’aime chez Glass,
c’est ce côté novateur et en même temps très
classique. Il dit lui-même qu’il est un composi52
teur classique. Il apprécie beaucoup Schubert
ainsi que Bach et Beethoven. Vous m’accompagnez pour le voir ? » propose Gilbert en se
faufilant vers les loges des artistes.
Il s’introduit dans la loge de Philip Glass. Le compositeur américain, tout juste débarqué, a l’air
très surpris par l’apparence de son nouvel admirateur. Charlotte, Gilbert et Arthur pénètrent
à leur tour dans la pièce, timides. Gilbert saisit
un stylo entre ses pattes et demande, dans un
anglais approximatif, s’il pourrait avoir un autographe. Philip Glass rit face à l’étrangeté de la
situation et lui demande s’il a une pièce préférée.
« Oh oui, j’aime énormément les morceaux que
vous avez composés pour la bande originale du
film The Hours. C’est sublime.
– Alors je te ferai une dédicace, lui répond
Philip Glass.
– Merci beaucoup Maestro, je suis très honoré. »
ajoute la petite souris en faisant une pirouette
de politesse.
En sortant de la loge, Arthur et Charlotte sont
interpellés par des voix angoissées. Ce sont
leurs parents, très inquiets car leurs enfants
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ont disparu depuis deux heures. Les jeunes
aventuriers essaient de s’expliquer mais leur
histoire de machine à voyager dans le temps
avec une souris pour rencontrer des compositeurs d’opéra dans les siècles passés n’est
guère convaincante. Furieux, les parents
emmènent les deux amateurs d’opéra
vers la sortie. À cet instant, Basile et
Gilbert bondissent devant eux pour
prouver la sincérité des deux enfants.
Ils montrent la partition dédicacée par
Verdi. Perplexes, les parents restent sans
voix. Pour se faire pardonner, Gilbert les
convie à la représentation prochaine de
l’opéra de Philip Glass. Basile profite de
cette proposition inattendue pour inviter
enfants et parents à dîner, achevant de
réconcilier tout le monde :
« Vous allez voir, le gratin de coquillettes au
parmesan de Maman, c’est… mamma mia !
le début du bonheur ! »
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Opération Verdi
Opération Verdi
Au Théâtre des Arts II
Au Théâtre des Arts II
Anne-Cécile Favier | Marie Casaÿs
Anne-Cécile Favier | Marie Casaÿs
Chapitre 1
Retour à l’opéra
Chapitre 2
Au pays du Roi Soleil
page 17
Chapitre 3
Invitation au salon
page 21
Chapitre 4
Mon précieux Wagner
page 28
Chapitre 5
Élémentaire mon cher Britten !
page 35
Chapitre 6
Evviva Verdi !
page 43
Chapitre 7
Retour au Théâtre des Arts
page 50
56
page 7
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