Shakespeare et Martin Luther King archivés en ADN
La molécule de l’hérédité peut être utilisée pour stocker àlong terme des documents numérisés
Les microbes,
peuple des nuages
microbiologie |
L’analyse de grêlons révèle la présence de nombreuses bactéries, qui jouent un rôle
dans les cycles des précipitations et du carbone. Cet écosystème céleste commence tout juste àêtre exploré
SCIENCE &TECHNO
actualité
Denis Delbecq
L
es sonnets de Shakespeare,
un extrait sonore d’un dis-
cours de Martin Luther
King, une photo, une copie
del’articlede1953décrivantla struc-
ture de l’ADN,et du code informati-
que. C’estlecontenu d’une archive
informatique concoctée àl’Euro-
pean Bioinformatics Institute (EBI)
àHinxton, en Grande-Bretagne,
dont les cinq fichiers sont conser-
vés sous forme de brins d’ADN arti-
ficiel dans… une éprouvette!
«Tant qu’il yaura des humains
sur Terre, il yaura quelqu’un pour
liredel’ADN.» Pour ChristopheDes-
simoz, un Suisse installé àl’EBI,
notre curiosité est la meilleure jus-
tification desefforts entrepris afin
de stocker des informations sous
forme d’ADN. Il cosigne aujour-
d’hui des travaux publiés dans la
revue Nature qui confirment que
la molécule du vivant pourrait
devenir le Graal de l’archivage d’in-
formations àlong terme. Car c’est
une molécule étonnamment sta-
ble:endépit de mauvaises condi-
tions de conservation, nous pou-
vons décoder l’ADN de Néanderta-
liens et celui de mammouths
retrouvés dans les glaces sibérien-
nes. Stocké àl’abri de l’humidité et
delalumière,l’ADN serait donc sus-
ceptiblederésisterdurantdesdizai-
nes de milliers d’années.
Dans les ordinateurs, les infor-
mations sont représentées par
des 0etdes 1. L’ADN, lui, code
notre génome avec un alphabet
de quatre lettres, quatre molécu-
les organiques:Apour adénine, C
pourcytosine, Gpourguanine etT
pour thymine. Des molécules
qu’on peut assembler une àune,
pour créer de l’ADN artificiel, lisi-
ble àvolonté.
En août 2012, une équipe de Har-
vard avait proposé dans Science
une méthode pour traduire le
contenu d’un livre numérique en
fragments d’ADN. Dans Nature cet-
te semaine, l’équipe de l’EBI propo-
se une autre technique, conçue àla
même époque, qui permet de stoc-
ker 2200téra-octets de données
dans un gramme d’ADN. «L’équipe
de George Church àHarvard avait
obtenu une densité de stockage
beaucoup plus élevée,analyse Jérô-
me Bonnet, bio-ingénieur àl’uni-
versité Stanford (Californie). Mais
sa technique de codage était moins
sophistiquée et sujette àdes erreurs
de lecture.» L’équipe britannique a
presque obtenu un sans-faute.
«Notre codage est encore rudimen-
taire, bien en deçà de ce qui se fait
pour éviter les erreurs de lecture
dans les CD,souligne Christophe
Dessimoz.Ilfautvoircette expérien-
ce comme une preuve de concept. »
Un avis partagé par Sriram Kosuri,
collaborateur de George Church :
«Nos techniques sont là pour
démontrer l’intérêt d’un archivage
sous forme d’ADN.»
Pasquestion,biensûr,derempla-
cer les disques durs par des éprou-
vettes.Carlesopérationsde synthè-
se et de lecture de l’ADN sont bien
troplentes.«L’idées’appliqueseule-
ment àl’archivage àlong terme de
données auxquelles on n’accède
pas souvent,précise Christophe
Dessimoz. Par exemple pour stoc-
ker des photos qui seront regardées
par vos arrière-petits-enfants. Nous
allons tenter l’expérience àl’échelle
d’unebibliothèque. Vous imaginez
si on pouvait préserver les trésors de
la Bibliothèque d’Alexandrie pour
les dix mille prochaines années ?»
p
Marc Gozlan
I
lyatoujours en suspension dans l’air
ordinaire des corpuscules organisés tout
àfait semblables àdes germes d’organis-
mes inférieurs»,rapporta Louis Pasteur
quand il découvrit,en1860, la présence
de micro-organismes vivants dans l’at-
mosphère. Il faudra cependant attendre 2005
pour qu’une équipe clermontoise confirme que
des bactéries existent aussi dans les nuages.
Acejour,onne compte dans la littératurescien-
tifique que sept études consacrées àl’analyse du
contenu microbiologique de l’eau nuageuse.
Deux nouvelles publications, danoise et françai-
se, parues cette semaine, apportent un nouvel
éclairagesurlacompositionet l’activité dela flore
bactérienne des nuages, un des habitats les plus
hostiles de la planète, notamment en raisondes
radiations solaires,deladessiccation, des basses
températures et de la présence d’agents oxy-
dants. Les chercheurs du département de scien-
ce de l’environnementdel’université d’Aarhus
(Danemark) ontchoisi d’étudier des grêlons de
cumulonimbus. «C’est la première fois qu’on
analyse la composition microbienne de grêlons
et que l’on dresse un inventaire des composés de
matière organique qu’ils renferment. Les grêlons,
figés par congélation en temps réel, représentent
un matériel naturel pour une étude biogéochimi-
que détaillée»,indique Tina Santl-Temkiv du
Centre d’astrophysique stellaire.
L’analyse des grêlons amontré la présence de
prèsde3000 molécules ainsi que celle de nom-
breux composés de matière organique dissoute,
notamment des peptides, des sucres, des acides
gras saturés, autant de molécules de matière car-
bonée biodégradables, pouvant servir de subs-
trats àlacroissance des bactéries. L’analyse de la
microflore présente dans les grêlons amontré
une présence plus importante d’espèces bacté-
riennesdusol que de celles associées aux végé-
taux. Cependant, après mise en culture, la plu-
part des bactéries cultivables étaient des bacté-
ries de la phyllosphère, correspondant àcelles
retrouvées àlasurface des plantes, notamment
des Methylobacterium dont environ 90 %renfer-
ment un pigment rouge, probablement un
caroténoïde,quilesprotègede l’action des rayons
ultraviolets(UV).Cesbactéries,directementexpo-
sées aux UV, intempéries et variations de tempé-
rature, apparaissent donc mieux armées pour
survivre et croître dans l’atmosphère des nuages.
Selon les chercheurs danois qui rapportent
leurs résultats dans la revue PLoS One,les bacté-
riesqui tapissent la surface des plantes ne joue-
raientpas seulement sur la composition chimi-
queatmosphérique mais pourraient également
influencerlanature des précipitations. En effet,
les bactéries de la phyllosphère sontdites glaco-
gènes:elles contribuent àlaformation de glace
en élevantlepoint de congélation de l’eau atmo-
sphérique. Les premières bactéries glacogènes
viennent d’être identifiées par l’équipe d’Anne-
MarieDelortde l’Institut dechimie de Clermont-
Ferrand, «sept au total»,précise la chercheuse
dont le travail paraîtra prochainement publié
dans Atmospheric Environment.
Par ailleurs, dans une étude publiée dans les
PNAS lundi 21 janvier, les chercheurs clermon-
tois ont étudié, en collaboration avec le Labora-
toire de météorologie physique, l’activité micro-
bienne contenue dans l’eau liquide des nuages
d’origine continentale,marine et urbaine.Ils ont
évalué la capacité des bactéries de ces nuages à
transformer l’eau oxygénée, un agent oxydant
qui s’y trouve en abondance. Des impacteurs qui
condensent les gouttelettes, véritables «aspira-
teursànuage », ont été placés sur le toitdu chalet
se trouvant au sommet du Puy-de-Dôme
(1465 m). L’eau nuageuse aété incubée en utili-
sant quatre protocoles évaluant la part respecti-
ve et combinée des processus de biodégradation
del’eauoxygénéepar lesbactéries et de photodé-
gradation de cette molécule par les UV.
Les échantillons étaient ou non filtrés pour
se débarrasser ou conserver les bactéries, et
maintenusdans l’obscurité ou exposés àun
rayonnement ultraviolet mimant les réactions
photochimiques produites en présence de
lumière solaire. L’état énergétique bactérien et
lesconcentrations en composés organiques ont
été évalués dans les incubateurs.
Ilressort que les bactéries desnuages peuvent
métaboliser l’eau oxygénée (H2O2)endonnant
de l’eau (H2O) et de l’oxygène (O2). De plus, la pré-
sence de radicaux libres n’affecte pas le métabo-
lisme énergétique des bactéries qui apparais-
sentpleinementactives. Surtout, aucune inhibi-
tion de l’activité métabolique bactérienne
vis-à-vis de composés organiques biodégrada-
bles n’a été détectée. Il apparaît donc que les
micro-organismes peuvent avoir un impact sur
le bilan carbone dans les nuages. Les bactéries
parviennent àseprotéger des agents oxydants
en se servant des enzymes de leur métabolisme
oxydatif, ce qui leur permet non seulement
d’utiliser des composéscarbonés en présence de
puissants agents oxydants censés les détruire,
mais également de dégrader l’eau oxygénée
génératrice de radicaux libres.
«C’est la première fois que l’on montre que
l’eau oxygénée est dégradée par les bactéries de
l’eaunuageuse,cequi contribueàréduire la quan-
tité de radicaux libres disponibles pour attaquer
la matière organique carbonée. Les micro-orga-
nismes ont donc un impact sur la chimie atmo-
sphérique, àsavoir la capacité oxydante des nua-
ges. Ces bactéries influent aussi surle bilan carbo-
ne dans le nuage car elles parviennent, malgré
desconditionsde stress oxydatifintense,àdirecte-
mentmétaboliserdescomposés carbonés organi-
ques»,souligne Anne-Marie Delort, dont l’équi-
pe estime quelalibération de CO2par le métabo-
lisme bactérien se situerait entre 51 et 215 mil-
lions de tonnes par an –l’équivalent de 0,16 à
0,7%des émissions de CO2d’origine humaine.
«Jusqu’à présent, l’impact potentiel de la compo-
sante microbiologique sur le pouvoir oxydant
des nuages avait été complètement ignoré. Or les
modèles de prévision climatique dépendent
d’une connaissance exacte et précise de la chimie
atmosphérique»,conclut-elle.
p
Les bactéries des nuages
peuvent métaboliser l’eau
oxygénée (H2O2)endonnant
de l’eau (H2O)
et de l’oxygène (O2)
Des bactéries àl’assaut des nuages
C’est la première fois qu’on analyse la composition microbienne de grêlons de cumulonimbus
et que l’on dresse un inventaire des composés de matière organique qu’ils renferment.
NINA RAZEN
C
omment des micro-organismes des
océans, du sol et des plantes parviennent-
ils àatteindre les nuages?L’aérosolisation
des bactéries marines se produit sous l’action des
vagues ou des précipitations qui frappent la sur-
face de l’eau. Lorsque les bulles d’écume éclatent,
les cellules bactériennes sont éjectées par de
micro-gouttelettes. Celles-ci sont formées àlasur-
face de l’eau, àl’interface avec l’air, là où les bacté-
ries sont souvent concentrées. L’aérosolisation et
le transport des bactéries àpartir du sol dépen-
dent de la vitesse du vent. Quant aux bactéries
qui croissent àlasurface des végétaux, retrou-
vées àdes concentrations pouvant atteindre
10millions de cellules par cm2,elles sont aussi
expulsées dans l’air sous l’action du vent. Selon
le taux d’humidité et la température, la feuille
peut se dessécher et être réduite àl’état de fines
particules emportées par le vent. Par ailleurs, le
biofilm bactérien qui recouvre les feuilles peut
lui aussi sécher. Enfin, la pluie en tombant sur les
plantes peut entraîner la production d’aérosols
bactériens. Au gré des courants aériens ascen-
dants, les bactéries peuvent gagner les nuages
pour yvivre une seconde vie très active sur le
plan métabolique pour certaines d’entre elles.
Des chercheurs clermontois prévoient d’identi-
fier par métagénomique la totalité des génomes
bactériens et viraux présents dans vingt litres
d’eau de nuages (pollués ou non) afin d’établir
un inventaire complet des micro-organismes,
déterminer un possible impact sur certaines
fonctions métaboliques bactériennes, voire la
présence de bactéries pathogènes dans l’eau de
nuages urbains et industriels.
p
M.Gn
20123
Samedi 26 janvier 2013