Lesmicrobes, peupledesnuages

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SCIENCE & TECHNO
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Samedi 26 janvier 2013
actualité
Les microbes,
peuple des nuages
L’analyse de grêlons révèlela présence de nombreusesbactéries, qui jouent un rôle
dans les cycles des précipitationset du carbone.Cet écosystème célestecommencetout juste à être exploré
microbiologie |
Marc Gozlan
I
l y a toujours en suspension dans l’air
ordinaire des corpuscules organisés tout
à fait semblables à des germes d’organismes inférieurs », rapporta Louis Pasteur
quand il découvrit, en 1860, la présence
de micro-organismes vivants dans l’atmosphère. Il faudra cependant attendre 2005
pour qu’une équipe clermontoise confirme que
des bactéries existent aussi dans les nuages.
Acejour,onnecomptedanslalittératurescientifique que sept études consacrées à l’analyse du
contenu microbiologique de l’eau nuageuse.
Deux nouvelles publications, danoise et française, parues cette semaine, apportent un nouvel
Les bactéries des nuages
peuvent métaboliser l’eau
oxygénée (H2O2) en donnant
de l’eau (H2O)
et de l’oxygène (O2)
éclairagesur lacompositionetl’activitédelaflore
bactérienne des nuages, un des habitats les plus
hostiles de la planète, notamment en raison des
radiations solaires, de la dessiccation, des basses
températures et de la présence d’agents oxydants. Les chercheurs du département de science de l’environnement de l’université d’Aarhus
(Danemark) ont choisi d’étudier des grêlons de
cumulonimbus. « C’est la première fois qu’on
analyse la composition microbienne de grêlons
et que l’on dresse un inventaire des composés de
matière organique qu’ils renferment. Les grêlons,
figés par congélation en temps réel, représentent
un matériel naturel pour une étude biogéochimique détaillée », indique Tina Santl-Temkiv du
Centre d’astrophysique stellaire.
L’analyse des grêlons a montré la présence de
près de 3 000 molécules ainsi que celle de nombreux composés de matière organique dissoute,
notamment des peptides, des sucres, des acides
gras saturés, autant de molécules de matière car-
C’est la première fois qu’on analyse la composition microbienne de grêlons de cumulonimbus
et que l’on dresse un inventaire des composés de matière organique qu’ils renferment.
NINA RAZEN
bonée biodégradables, pouvant servir de substrats à la croissance des bactéries. L’analyse de la
microflore présente dans les grêlons a montré
une présence plus importante d’espèces bactériennes du sol que de celles associées aux végétaux. Cependant, après mise en culture, la plupart des bactéries cultivables étaient des bactéries de la phyllosphère, correspondant à celles
retrouvées à la surface des plantes, notamment
des Methylobacterium dont environ 90% renferment un pigment rouge, probablement un
caroténoïde,quiles protègedel’actiondesrayons
ultraviolets(UV).Cesbactéries,directementexposées aux UV, intempéries et variations de température, apparaissent donc mieux armées pour
survivre et croître dans l’atmosphère des nuages.
Des bactéries à l’assaut des nuages
C
omment des micro-organismes des
océans, du sol et des plantes parviennentils à atteindre les nuages? L’aérosolisation
des bactéries marines se produit sous l’action des
vagues ou des précipitations qui frappent la surface de l’eau. Lorsque les bulles d’écume éclatent,
les cellules bactériennes sont éjectées par de
micro-gouttelettes. Celles-ci sont formées à la surface de l’eau, à l’interface avec l’air, là où les bactéries sont souvent concentrées. L’aérosolisation et
le transport des bactéries à partir du sol dépendent de la vitesse du vent. Quant aux bactéries
qui croissent à la surface des végétaux, retrouvées à des concentrations pouvant atteindre
10millions de cellules par cm2, elles sont aussi
expulsées dans l’air sous l’action du vent. Selon
le taux d’humidité et la température, la feuille
peut se dessécher et être réduite à l’état de fines
particules emportées par le vent. Par ailleurs, le
biofilm bactérien qui recouvre les feuilles peut
lui aussi sécher. Enfin, la pluie en tombant sur les
plantes peut entraîner la production d’aérosols
bactériens. Au gré des courants aériens ascendants, les bactéries peuvent gagner les nuages
pour y vivre une seconde vie très active sur le
plan métabolique pour certaines d’entre elles.
Des chercheurs clermontois prévoient d’identifier par métagénomique la totalité des génomes
bactériens et viraux présents dans vingt litres
d’eau de nuages (pollués ou non) afin d’établir
un inventaire complet des micro-organismes,
déterminer un possible impact sur certaines
fonctions métaboliques bactériennes, voire la
présence de bactéries pathogènes dans l’eau de
nuages urbains et industriels. p
M. Gn
Selon les chercheurs danois qui rapportent
leurs résultats dans la revue PLoS One, les bactéries qui tapissent la surface des plantes ne joueraient pas seulement sur la composition chimique atmosphérique mais pourraient également
influencer la nature des précipitations. En effet,
les bactéries de la phyllosphère sont dites glacogènes : elles contribuent à la formation de glace
en élevant le point de congélation de l’eau atmosphérique. Les premières bactéries glacogènes
viennent d’être identifiées par l’équipe d’AnneMarie Delort de l’Institut de chimie de ClermontFerrand, « sept au total », précise la chercheuse
dont le travail paraîtra prochainement publié
dans Atmospheric Environment.
Par ailleurs, dans une étude publiée dans les
PNAS lundi 21 janvier, les chercheurs clermontois ont étudié, en collaboration avec le Laboratoire de météorologie physique, l’activité microbienne contenue dans l’eau liquide des nuages
d’origine continentale,marine et urbaine. Ils ont
évalué la capacité des bactéries de ces nuages à
transformer l’eau oxygénée, un agent oxydant
qui s’y trouve en abondance. Des impacteurs qui
condensent les gouttelettes, véritables « aspirateurs à nuage », ont été placés sur le toit du chalet
se trouvant au sommet du Puy-de-Dôme
(1 465 m). L’eau nuageuse a été incubée en utilisant quatre protocoles évaluant la part respective et combinée des processus de biodégradation
del’eau oxygénéepar les bactérieset de photodégradation de cette molécule par les UV.
Les échantillons étaient ou non filtrés pour
se débarrasser ou conserver les bactéries, et
maintenus dans l’obscurité ou exposés à un
rayonnement ultraviolet mimant les réactions
photochimiques produites en présence de
lumière solaire. L’état énergétique bactérien et
les concentrations en composés organiques ont
été évalués dans les incubateurs.
Il ressort que les bactéries des nuages peuvent
métaboliser l’eau oxygénée (H2O2) en donnant
de l’eau (H2O) et de l’oxygène (O2). De plus, la présence de radicaux libres n’affecte pas le métabolisme énergétique des bactéries qui apparaissent pleinementactives. Surtout, aucune inhibition de l’activité métabolique bactérienne
vis-à-vis de composés organiques biodégradables n’a été détectée. Il apparaît donc que les
micro-organismes peuvent avoir un impact sur
le bilan carbone dans les nuages. Les bactéries
parviennent à se protéger des agents oxydants
en se servant des enzymes de leur métabolisme
oxydatif, ce qui leur permet non seulement
d’utiliser des composés carbonés en présence de
puissants agents oxydants censés les détruire,
mais également de dégrader l’eau oxygénée
génératrice de radicaux libres.
« C’est la première fois que l’on montre que
l’eau oxygénée est dégradée par les bactéries de
l’eaunuageuse,cequi contribueà réduire laquantité de radicaux libres disponibles pour attaquer
la matière organique carbonée. Les micro-organismes ont donc un impact sur la chimie atmosphérique, à savoir la capacité oxydante des nuages. Ces bactéries influent aussi sur le bilan carbone dans le nuage car elles parviennent, malgré
desconditionsde stress oxydatifintense,à directement métaboliserdes composés carbonésorganiques », souligne Anne-Marie Delort, dont l’équipe estime que la libération de CO2 par le métabolisme bactérien se situerait entre 51 et 215 millions de tonnes par an – l’équivalent de 0,16 à
0,7 % des émissions de CO2 d’origine humaine.
« Jusqu’à présent, l’impact potentiel de la composante microbiologique sur le pouvoir oxydant
des nuages avait été complètement ignoré. Or les
modèles de prévision climatique dépendent
d’une connaissance exacte et précise de la chimie
atmosphérique», conclut-elle. p
Shakespeare et Martin Luther King archivés en ADN
Lamolécule de l’hérédité peut être utiliséepour stocker à long terme des documentsnumérisés
Denis Delbecq
L
es sonnets de Shakespeare,
un extrait sonore d’un discours de Martin Luther
King, une photo, une copie
del’articlede1953décrivantlastructurede l’ADN, et du code informatique. C’est le contenu d’une archive
informatique concoctée à l’European Bioinformatics Institute (EBI)
à Hinxton, en Grande-Bretagne,
dont les cinq fichiers sont conservés sous forme de brins d’ADN artificiel dans… une éprouvette!
« Tant qu’il y aura des humains
sur Terre, il y aura quelqu’un pour
liredel’ADN.»PourChristopheDessimoz, un Suisse installé à l’EBI,
notre curiosité est la meilleure justification des efforts entrepris afin
de stocker des informations sous
forme d’ADN. Il cosigne aujourd’hui des travaux publiés dans la
revue Nature qui confirment que
la molécule du vivant pourrait
devenir le Graal de l’archivage d’informations à long terme. Car c’est
une molécule étonnamment stable : en dépit de mauvaises conditions de conservation, nous pou-
vons décoder l’ADN de Néandertaliens et celui de mammouths
retrouvés dans les glaces sibériennes. Stocké à l’abri de l’humidité et
delalumière,l’ADNseraitdoncsusceptiblederésisterdurantdesdizaines de milliers d’années.
Dans les ordinateurs, les informations sont représentées par
des 0 et des 1. L’ADN, lui, code
notre génome avec un alphabet
de quatre lettres, quatre molécules organiques: A pour adénine, C
pour cytosine, G pour guanine et T
pour thymine. Des molécules
qu’on peut assembler une à une,
pour créer de l’ADN artificiel, lisible à volonté.
En août 2012, une équipe de Harvard avait proposé dans Science
une méthode pour traduire le
contenu d’un livre numérique en
fragments d’ADN. Dans Nature cette semaine, l’équipe de l’EBI propose une autre technique, conçue à la
même époque, qui permet de stocker 2 200 téra-octets de données
dans un gramme d’ADN. «L’équipe
de George Church à Harvard avait
obtenu une densité de stockage
beaucoup plus élevée, analyse Jérôme Bonnet, bio-ingénieur à l’uni-
versité Stanford (Californie). Mais
sa technique de codage était moins
sophistiquée et sujette à des erreurs
de lecture.» L’équipe britannique a
presque obtenu un sans-faute.
«Notre codage est encore rudimentaire, bien en deçà de ce qui se fait
pour éviter les erreurs de lecture
dans les CD, souligne Christophe
Dessimoz.Ilfautvoircetteexpérience comme une preuve de concept.»
Un avis partagé par Sriram Kosuri,
collaborateur de George Church :
« Nos techniques sont là pour
démontrer l’intérêt d’un archivage
sous forme d’ADN.»
Pasquestion,biensûr,deremplacer les disques durs par des éprouvettes.Carlesopérationsdesynthèse et de lecture de l’ADN sont bien
troplentes.«L’idées’appliqueseulement à l’archivage à long terme de
données auxquelles on n’accède
pas souvent, précise Christophe
Dessimoz. Par exemple pour stocker des photos qui seront regardées
par vos arrière-petits-enfants. Nous
allons tenter l’expérience à l’échelle
d’une bibliothèque. Vous imaginez
si on pouvait préserver les trésors de
la Bibliothèque d’Alexandrie pour
les dix mille prochaines années? » p
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