Annales Médico-Psychologiques 166 (2008) 324–326 FORMATION CONTINUE Manifestations psychopathologiques dans la maladie de Gilles de la Tourette Associated psychopathology in the Gilles de la Tourette’s syndrome F. Galland a,*,b, P. Derost c, G. Legrand a, F. Noton-Durand d, M. Mermillod e, C. Auxiette e, P. Chambres e, F. Durif b,c, I. Jalenques a a Pôle de psychiatrie, service de psychiatrie de l’adulte A et psychologie médicale, CHU de Clermont-Ferrand, B.P. 69, 63003 Clermont-Ferrand cedex 1, France b Équipe d’accueil EA 3845, faculté de médecine, université Clermont-1, 28, place Henri-Dunant, B.P. 38, 63001 Clermont-Ferrand cedex 1, France c Service de neurologie A, CHU de Clermont-Ferrand, B.P. 69, 63003 Clermont-Ferrand cedex 1, France d Pôle de psychiatrie, service de psychiatrie de l’enfant et de l’adolescent, CHU de Clermont-Ferrand, 58, rue Montalembert, 63003 Clermont-Ferrand, France e LAPSCO (CNRS UMR 6024), université Clermont, 34, avenue Carnot, 63037 Clermont-Ferrand cedex, France Disponible sur Internet le 22 avril 2008 Résumé Les comorbidités psychopathologiques et psychiatriques sont fréquentes dans la maladie de Gilles de la Tourette (MGT), et seraient ainsi retrouvées chez environ 90 % des patients. Les troubles obsessionnels compulsifs, le trouble déficit de l’attention hyperactivité et la dépression font partie des manifestations les plus habituelles. Les troubles du contrôle des impulsions et les comportements d’automutilation constituent également une cause de handicap majeur, pouvant conduire à l’isolement social des patients. ß 2008 Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés. Abstract Psychopathological and psychiatric comorbidities occur in approximatively 90% of patients suffering from Gilles de la Tourette’s syndrome. Attention-deficit/hyperactivity disorders and obsessive-compulsive disorders are the most common syndromes. Troubles in controlling impulses and self-mutilation behaviors also constitute major handicaps that may lead to the social isolation of patients. ß 2008 Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés. Mots clés : Dépression ; Hyperactivité ; Maladie de Gilles de la Tourette ; Morbidités ; Trouble déficit de l’attention ; Troubles du contrôle des impulsions ; Troubles obsessionnels compulsifs Keywords: Attention-deficit/hyperactivity disorder; Conduct disorders; Depression; Gilles de la Tourette’s syndrome; Obsessivecompulsive disorder Les troubles psychopathologiques et comportementaux sont fréquents dans la maladie de Gilles de la Tourette (MGT), * Auteur correspondant. Adresse e-mail : [email protected] (F. Galland). les types d’association étant multiples, complexes, et encore discutés (Tableau 1). La synthèse des données de la littérature suggère que certains troubles seraient propres à la maladie, liés à elle, comme les troubles obsessionnels compulsifs (TOC), le trouble déficit de l’attention-hyperactivité (TDAH) et 0003-4487/$ – see front matter ß 2008 Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés. doi:10.1016/j.amp.2008.03.013 F. Galland et al. / Annales Médico-Psychologiques 166 (2008) 324–326 Tableau 1 Types d’association entre troubles psychiatriques et MGT Troubles propres à la maladie du fait d’une origine génétique commune : TOC, surtout TDA/H Troubles propres à la maladie et liés aux TOC : comportements autoagressifs Troubles secondaires à une forme sévère de MGT, c’est-à-dire secondaires à d’autres comorbidités psychiatriques : troubles de l’humeur, anxiété, troubles du comportement, trouble de la personnalité Lien multifactoriel (expérience d’une maladie chronique socialement stigmatisante, iatrogénie, secondaires à d’autres comorbidités psychiatriques, génétique) : dépression, troubles bipolaires Encore méconnu : impulsivité les comportements d’automutilation. D’autres lui seraient simplement associés, comme les troubles de l’humeur, les troubles anxieux et les troubles de la personnalité [13]. Les comorbidités psychiatriques concerneraient 90 % des patients MGT. Elles sont graves au niveau pronostique, pourvoyeuses de troubles des apprentissages et d’échec scolaire chez l’enfant, et de désinsertion socioprofessionnelle chez l’adulte [10]. Nous proposons ici un exposé clinique de ces comorbidités, les aspects du traitement pharmacologique de la maladie étant abordés plus loin dans le cahier de FMC. La psychopathologie de la MGT est importante à caractériser en raison de ses implications thérapeutiques. 1. LES TROUBLES OBSESSIONNELS COMPULSIFS ET COMPORTEMENTS RÉPÉTITIFS Les TOC ou des symptômes obsessifs et compulsifs sont fréquents dans la MGT : 28 à 66 % des cas [2]. L’analyse phénoménologique des TOC dans la MGT montre des phénotypes particuliers [13]. Les symptômes obsessifs et compulsifs de la MGT comportent plus fréquemment des tendances répétitives au toucher, à la recherche de symétrie, à l’hétéro ou autoagressivité. Les comportements de comptage et de vérification sont fréquents. Les patients présentant des TOC et des tics expriment plus souvent des pensées à caractère violent ou sexuel, la crainte de dire des choses non appropriées. Dans les TOC purs (sans tics), ce sont les préoccupations de contamination et les comportements de lavage qui dominent. Également, à l’inverse des TOC purs, la dimension affective et cognitive d’un comportement qui soulage une anxiété est rarement retrouvée dans les TOC associés aux tics : la dimension sensorimotrice reste au premier plan, l’anxiété est absente des comportements répétitifs qui semblent alors relever de l’impulsion. Ces considérations phénoménologiques amènent certains auteurs à proposer l’existence d’un spectre de comportements répétitifs [1]. Ils évoquent un continuum en fonction des expériences subjectives associées aux comportements répétitifs, avec d’un côté du spectre une dimension cognitive et affective (l’anxiété du TOC pur), et de l’autre une dimension sensorimotrice correspondant aux phénomènes prémonitoi- 325 res des tics complexes (décrits dans la partie du cahier FMC consacrée à la clinique de la MGT). Ainsi, si les manifestations obsessives et compulsives dans la MGT sont parfois difficiles à distinguer d’un TOC classique, la majorité des auteurs s’accordent à dire qu’il s’agit plutôt d’un trouble du contrôle des impulsions [1,4,5]. 2. LES TROUBLES DU CONTRÔLE DES IMPULSIONS ET COMPORTEMENTS D’AUTOMUTILATION Les explosions de colère sont retrouvées jusque dans 72 % des cas, avec parfois hétéroagressivité associée. Il est décrit des troubles du contrôle des impulsions plus spécifiques tels que kleptomanie, pyromanie, trichotillomanie, jeu pathologique, achats compulsifs, grattage compulsif, onychophagie. Les comportements d’automutilation sont présents dans 4 à 43 % des cas de MGT [2,8,9,13]. Ces derniers constituent le stade ultime de l’impulsion et du trouble du contrôle présent dans la maladie [3]. Ils sont plus fréquents en cas de tics sévères, de désinsertion sociale, d’antécédent d’hétéroagressivité ou de TDAH, de traits de personnalité hostiles et obsessionnels (Tableau 2). La sémiologie des comportements d’automutilation la plus souvent décrite concerne le cou, le visage, et plus particulièrement la bouche et les yeux, fréquemment objets d’autodestructions répétées [8,9]. Il s’agit de brûlures, de coupure, de morsure. Des comportements violents tels que se scier les dents sont possibles. L’œil est très fréquemment atteint avec un risque réel de cécité. Les hématomes sousduraux (en se secouant la tête ou en se la cognant contre les murs) sont décrits. 3. LE TROUBLE DÉFICIT DE L’ATTENTION HYPERACTIVITÉ La description de ce trouble dans la MGT de l’enfant est abordée dans un autre chapitre du cahier FMC. Ce trouble reste encore méconnu et probablement sousévalué chez l’adulte en population générale : la prévalence du TDAH sans tic y serait de 2,9 à 4,4 % [12]. Il s’agirait du trouble psychiatrique le plus fréquemment associé à la MGT, avec une prévalence dans cette maladie de 33 à 91 % [2]. Les symptômes cardinaux du trouble TDAH précéderaient souvent l’apparition de la MGT. Il semble pourvoyeur de désinsertion sociale et d’autres troubles psychopathologiques (Tableau 3). Chez l’adulte en général, le tableau complet de TDAH est rarement retrouvé. Il s’agit le plus souvent de troubles de l’attention avec une gestion du temps difficile et des Tableau 2 Facteurs associés aux comportements d’automutilation dans la MGT Sévérité des tics Antécédents de comportement d’hétéroagressivité Existence d’une désinsertion sociale Traits d’hostilité et d’obsessionnalité sur les échelles psychopathologiques Antécédent de TDAH 326 F. Galland et al. / Annales Médico-Psychologiques 166 (2008) 324–326 Tableau 3 Comorbidités psychiatriques associées au TDAH dans la MGT Tableau 5 Facteurs associés (corrélation) aux troubles de l’humeur dans la MGT Comportements antisociaux (12 à 27 %) Troubles de l’humeur et anxieux Troubles de l’apprentissage Formes persistantes de trouble oppositionnel chez l’adulte Troubles additifs (27 à 47 %) Association maladie de Gilles de la Tourette/troubles de l’humeur Tableau 4 Association maladie de Gilles de la Tourette et troubles de l’humeur Prévalence : Dépression : 13 à 76 % Manie : 19 % « Variations importantes de l’humeur » : 53 % Spectre des troubles bipolaires (TB I, TB II, troubles schizoaffectifs, cyclothymie) : 30 % comportements impulsifs isolés, avec forte intolérance aux frustrations [11]. Facteurs associés (corrélation) : Sévérité et ancienneté des tics ++ Écho et coprophénomènes Sensations prémonitoires Troubles du sommeil Comportements autoagressifs ++ Troubles d’agressivité Troubles des conduites dans l’enfance TOC ++ (TDA/H) La MGT se situe ainsi à la limite entre nosologie neurologique et psychiatrique. Seule une meilleure compréhension des mécanismes de cette maladie, grâce aux progrès des neurosciences entre autres, permettra d’en améliorer la prise en charge au quotidien pour les patients. RÉFÉRENCES 4. LES TROUBLES DE L’HUMEUR ET DE L’ANXIÉTÉ Les données de la littérature indiquent une prévalence importante des troubles de l’humeur et des troubles anxieux (en dehors des TOCS) au sein de la population atteinte de la MGT (Tableau 4). Ils sont eux-mêmes corrélés à d’autres facteurs cliniques et pronostiques (Tableau 5). Ils sont pourvoyeurs d’une plus grande sévérité évolutive. Ces troubles ont probablement une origine multifactorielle, résultant d’une maladie chronique, sévère, à l’origine d’un isolement socioaffectif, avec des traitements responsables d’effets secondaires [10]. 5. AUTRES TROUBLES PSYCHOPATHOLOGIQUES ASSOCIÉS Peu d’études contrôlées existent sur les troubles de la personnalité dans la MGT. Parmi les patients MGT, 64 % auraient au moins un ou plusieurs troubles de la personnalité de l’axe DSM : schizoı̈de, schizotypique, borderline, dépendante, histrionique, antisociale [3,6,7]. Les troubles addictifs sont décrits, ils seraient fréquents, mais à notre connaissance il n’existe aucune étude à ce sujet [10]. La prise en charge de ces troubles dans le cadre de la MGT est relativement superposable à celle en population générale. Notons hélas, pour l’instant, un effet moyen des traitements psychotropes, voire un effet paradoxal sur les tics. [1] Cath DC, Spinhoven P, Hoogduin CAL, Landman AD, van Woerkom TCAM, van de Wetering BJM, et al. Repetitive behaviors in Tourette’s syndrome and OCD with and without tics: what are the differences. Psychiatry Res 2001;171–85. [2] Eapen V, Lees AJ, Lakke JP, et al. Adult-onset tic disorders. Mov Disord 2002;17:735–40. [3] Houeto JL. Maladie de Gilles de la Tourette : une affection neuropsychiatrique hétérogène. Neurology 2002;5:322–7. [4] Leckman JF, Walker D, Goodman WK, et al. Just right perception associated with compulsive behavior in Tourette’s syndrome. Am J Psychiatry 1994;151:675–80. [5] Miguel EC, Coffey B, Baer L, et al. Phenomenology of intentional repetitive behaviors in obsessive-compulsive disorder and Tourette’s disorder. J Clin Psychiatry 1995;56:246–55. [6] Robertson MM, Barnerjee S, Hiley JF, et al. Personality disorder and psychopathology in Tourette’s syndrome: a controlled study. Br J Psychiatry 1997;171:283–6. [7] Robertson MM, Channon S, Baker J, et al. The psychopathology of Gilles de la Tourette syndrome: a controlled study. Br J Psychiatry 1993;162:114–7. [8] Robertson MM, Trimble MR, Lees AJ. Self-injurious behavior and the Gilles de la Tourette syndrome: a clinical study and review of the litterature. Psychol Med 1989;19:611–25. [9] Robertson MM. Tourette syndrome, associated conditions and the complexities of treatment. Brain 2000;123:425–62. [10] Robertson MM. Mood disorders and Gilles de la Tourette’s syndrome: an update on prevalence, etiology, comorbidity, clinical associations, and implications. J Psychosom Res 2006;349–58. [11] Sentiss O, Baylé FJ. L’hyperactivité avec déficit de l’attention chez le sujet adulte. Abstr Psychiatr 2007;24:8–11. [12] Spencer TJ. ADHD treatment across the life cycle. J Clin Psychiatry 2004;65(Suppl. 3):22–6. [13] Stern JS, Burza S, Robertson MM. Gilles de la Tourette’s syndrome and its impact in the UK. Postgrad Med 2005;81:12–9.