L’utopie, par opposition à l’idéologie, se connaît elle-même comme utopie. Derrière
le projet imaginaire d’une autre société, on retrouve des modèles différents selon
les auteurs. Elle s’affirme comme genre littéraire. L’utopie privilégie alors
l’imagination individuelle sur l’imagination collective. L’autre monde de l’utopie
marque clairement sa différence avec ce monde-ci alors que l’autre monde de
l’idéologie consiste en une déformation/dissimulation de ce même mondeii.
L’utopie, situant le meilleur dans un ailleurs qui semble fort être un nulle partiii,
permet donc une remise en cause du monde et de ses modes de fonctionnement
selon l’ensemble de ses aspects!: famille, sexualité, consommation, économie,
propriété, politique, religion, etc. Ainsi, là où l’imagination idéologique donne une
identité au groupe et permet l’intégration, l’imagination utopique est
essentiellement subversive.
III) Enjeu!:
Ce n’est donc pas le pouvoir de l’imagination de tisser le lien social qui se révèle
en premier lieu dès lors que l’on parle d’idéologie et d’utopie.
Ricœur note d’ailleurs que ce sont même les fonctions pathologiques et les sens
péjoratifs que l’on donne à l’une et l’autre qui se montrent d’emblée!:
«!Ainsi, nous nous contentons volontiers de définir l’idéologie comme un processus de
distorsions et de dissimulations par lesquelles nous nous cachons à nous-mêmes par
exemple notre position de classe, et plus généralement notre mode d'appartenance aux
diverses communautés dont nous participons; l'idéologie est alors assimilée purement
et simplement à un mensonge social ou, plus gravement, à une illusion protectrice de
notre statut social, avec tous les privilèges et les injustices qu'il comporte. Mais en sens
inverse, nous accusons volontiers l'utopie de n'être qu'une fuite du réel, une sorte de
science-fiction appliquée à la politique. Nous dénonçons la raideur quasi géométrique
des projets utopiques et nous la rejetons, dès lors qu'elle ne paraît manifester aucun
souci pour les premiers pas qu'il faudrait faire en sa direction et, en général, pour tout
ce qui constitue la logique de l'action. L'utopie n'est plus alors qu'une manière de
rêver l'action en évitant de réfléchir sur les conditions de possibilité de son insertion
dans la situation actuelle.!»
Elles semblent plutôt, comme on vient de le dire, s’opposer farouchement l’une à
l’autre. Le problème devient de savoir comment faire en sorte que la relation
imaginaire qui unit les membres d’une même communauté ainsi que sa reprise
symbolique, son discours officiel, ses lois et règles n’éclatent pas devant la difficulté
de tenir ensemble utopie et idéologie.
L’enjeu, pour situer la problématique dans le champ du travail social, est le suivant!:
Comment faire pour contribuer à élaborer des représentations et des visions du
monde permettant de lutter contre les exclusions!? Comment faire pencher
Philippe KIRSCHER - PETITE INTRODUCTION AU COURS SUR L’IMAGINAIRE SOCIAL - page4