a/ Insuffisances d`une approche concrète

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Chapitre 1 : Découverte d'une discipline scientifique
1.A2. VERS UNE DEFINITION GENERALE
a/ Insuffisances d'une approche concrète
Héritières de la conception première de l'économie comme art d'administrer son bien, les
premières définitions de l'économie en font la science de l'accumulation des richesses. Pour
ces définitions, que l'on retrouve jusqu'au début du XXème siècle, l'économie est la discipline
qui traite de la production, de la distribution et de la consommation des richesses.
Pour John Stuart Mill (1803), l'objet de la science économique est l'étude "de la manière dont se
forment, se distribuent et se consomment les richesses".
Pour Alfred Marshall (1890), "l'économie politique ou économique […] examine la partie de la vie
individuelle ou sociale qui a le plus particulièrement trait à l'acquisition et à l'usage des choses
matérielles nécessaires au bien être".
En se référant à un champ d'application privilégié, ce type de définition renvoie à une vision
concrète de l'objet de la science économique. Une telle conception demeure insuffisante pour
caractériser l'économie comme discipline scientifique. Elle suppose implicitement qu'il est
possible de décréter a priori qu'un phénomène est ou n'est pas économique par nature.
Cela a deux conséquences qui limitent la portée d'une telle de définition.
D'un côté, cette définition peut exclure du champ de l'analyse économique des phénomènes
considérés comme non économiques parce que n'appartenant pas strictement au domaine
d'application prédéfini.
Il existe pourtant des analyses économiques sur des thèmes aussi divers que l'éducation, la
famille, la criminalité, la politique, voire le mariage ou la pratique religieuse…
D'un autre côté, les phénomènes sociaux revêtent le plus souvent des dimensions tout à la fois
économiques, sociologiques, politiques. Ainsi la question du chômage peut être appréhendée
aussi bien par l'économiste que par le sociologue, le spécialiste de science politique, voire par
le psychologue ou le juriste.
Définir la science économique à partir de son champ d'application concret ne permet pas de la
différencier des autres sciences sociales.
De fait, toutes les sciences sociales ont le même domaine concret d'étude : les causes et les
conséquences individuelles ou collectives des comportements humains. Le domaine d'étude
ne peut donc être retenu pour définir la spécificité qui constitue l'économie en discipline
autonome.
Cette spécificité tient moins aux sujets concrets qu'elle traite qu'à sa façon particulière de
considérer la réalité.
Chaque discipline se donne un objet abstrait en isolant dans la réalité un phénomène
fondamental qu'elle privilégie comme point de départ de toutes les questions qu'elle va ensuite
analyser.
Pour l'analyse économique, ce phénomène essentiel est la rareté.
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Chapitre 1 : Découverte d'une discipline scientifique
b/ Rareté et choix
Les questions que l'on a posées comme étant à la base de la réflexion économique (que
produire ? comment produire ? pour qui produire ?) impliquent toutes l'idée d'un choix.
Cette nécessité de choix est directement impliquée par la rareté des ressources disponibles.
S'il n'y avait pas de rareté, on pourrait toujours produire tout, n'importe comment, jusqu'à
saturer tous les besoins de tous. Les questions de base seraient alors sans intérêt ; c'est ce qui
se produit en présence d'un "bien libre".
Les économistes parlent d'un bien libre pour désigner un bien disponible en quantité telle que tout le
monde peut en bénéficier sans limite, sans coût et sans que l'utilisation qu'en font les uns restreigne les
possibilités d'utilisation par d'autres.
Un bien libre ne présente pas d'intérêt pour l'analyse économique. Mais les cas de biens libres sont très
exceptionnels. Qui plus est, des phénomènes de saturation peuvent faire perdre à un bien son caractère
de bien libre.
Ainsi, on cite souvent l'air comme exemple de bien libre. Mais il est évident que ce caractère ne vaut
pas si l'on s'intéresse à certaines activités particulières comme l'exploration sous-marine ou la conquête
spatiale. Même dans les activités plus ordinaires, l'air peut perdre son caractère de bien purement libre
du fait des coûts engendrés par la pollution.
La rareté doit être comprise comme une notion abstraite et relative. Elle résulte de la
confrontation entre des besoins et des disponibilités ; l'économiste dira entre une demande et
une offre. Il y a rareté dès que les besoins sont supérieurs aux ressources disponibles.
C'est parce que l'on considère que les besoins sont potentiellement illimités tandis que les
ressources sont limitées que l'on peut faire de la rareté la notion centrale de l'analyse
économique.
La limitation des ressources est inhérente au monde réel inscrit dans l'espace et le temps. La
localisation des activités ne peut faire abstraction de la contrainte spatiale et de l'inégale
répartition des ressources naturelles dans le monde. Plus généralement encore, nul ne peut
échapper à la rareté du temps. Même si certaines ressources naturelles sont renouvelables, ce
renouvellement prend du temps (au point même que parfois certaines peuvent être considérées
comme non renouvelables à l'échelle humaine). Quant aux ressources qui résultent de
l'activité même des individus (le travail ou le capital) elle subissent la contrainte du temps
puisqu'on ne peut faire en même temps une chose et son contraire (passer tout son temps à
travailler et le passer à prendre des loisirs, consommer tout son revenu et en épargner une
partie).
Sur cette base, les définitions modernes de l'analyse économique (initiées par Lionel Robbins
en 1932) résument l'objet de la discipline en disant que l'analyse économique étudie la façon
dont les individus ou la société emploient les ressources rares à des usages alternatifs, en vue
de satisfaire leurs besoins.
En abrégé, on peut dire la science économique est la science des choix. Avec une telle
définition, l'objet de la science économique n'est plus défini de façon limitative par référence
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Chapitre 1 : Découverte d'une discipline scientifique
à tel ou tel type de problèmes concrets. Tout phénomène qui implique des choix imposés par
la rareté peut relever d'une analyse économique.
Cela ne signifie pas que la science économique a une volonté d'hégémonie pour analyser
l'ensemble des phénomènes sociaux. Elle propose simplement une manière spécifique
d'aborder les questions sans chercher à évincer les approches alternatives d'autres sciences
sociales qui privilégient un autre phénomène fondamental comme point de départ de leur
réflexion.
Ce faisant, la science économique se différencie des autres sciences humaines et sociales par
sa méthode d'analyse plus que par ses champs d'application.
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