Sécurité du travail et promotion de la santé Gestion de l’erreur médicale en Suisse Anna Aznaour, [email protected] Un patient hospitalisé sur mille décède des suites d’une erreur médicale dans les pays occidentaux. En Suisse, le nombre annuel des décès dus à des erreurs est estimé entre 700 et 17001. Les conséquences pour les auteurs et les victimes sont passées en revue à la lumière du droit suisse mais aussi des aspects psychosociaux du contexte environnant. En l’espace de ces 50 dernières années, l’erreur médicale est passée du statut d’intrus à celui d’hôte d’honneur dans la littérature médicale. Aux États-Unis, la médiatisation des procès contre les médecins et les sommes astronomiques payées aux victimes ont largement influencé les politiques de la santé et la jurisprudence y relative. Des prises de conscience qui désormais font des vagues de haute amplitude en Suisse également. Effectivement, les progrès du savoir médical, le caractère anonyme des prises en charge hospitalière et la constante évolution des primes d’assurance maladie ont radicalement modifié l’attitude des patients vis-à-vis du médecin. Ce dernier n’est plus perçu comme un sauveur à l’aura divine mais comme un employé comme un autre susceptible de garantir un résultat infaillible. Qu’est-ce qu’une erreur médicale? «C’est lorsque le soignant fait un choix, un geste ou un diagnostic qui s’avère par la suite inexact ou inopportun», explique maître Daniel Kinzer, spécialiste du droit de la santé. Or, pour pouvoir parler d’erreur médicale, le patient doit prouver qu’il a subi un dommage par la faute de son soignant. Les manquements reprochés à ce dernier et qui engagent sa responsabilité peuvent être de deux types, à savoir: l le non-respect du consentement éclairé, qui est le devoir d’information que chaque soignant doit à son patient. Cela signifie que toute procédure de soin doit faire l’objet de l’accord du patient, censé être informé de sa nature et de ses conséquences. Par ailleurs, l’actuelle reforme de la loi redéfinissant les mesures de protection de l’adulte et de l’enfant entrée en vigueur en janvier 2013, autorise les patients à faire inscrire leurs directives de soins sur leur carte d’assuré. Ces informations permettront au corps médical et aux proches de respecter les volontés du www.iza.ch Daniel Kinzer, avocat au Barreau de Genève l patient si ce dernier se trouve dans un état de discernement amoindri. la violation des règles de l’art par le soignant, qui fait, entre autres, référence au non-respect du devoir de diligence. Toute violation des règles de l’art n’engage cependant pas la responsabilité civile du soignant. En droit suisse, on n’indemnise pas la réduction des chances de guérison. Il n’y a pas non plus de dommages-intérêts dans des constellations de causalité hypothétique. «La causalité hypothétique, ou la double causalité, c’est quand le soignant plaide, et souvent avec raison, que le résultat défavorable se serait produit de toute façon même si tout avait été fait juste. Par exemple, les tribunaux ont eu à traiter du cas d’une patiente qui s’était plainte de l’ablation de son utérus supposé cancéreux. Suite à cette opération et après l’analyse de parties enlevées, il s’est avéré que l’organe n’était pas cancéreux. Dans ce cas il y avait absence de responsabilité du médecin, car la tumeur en question était tellement grande que même si le médecin, au départ, l’avait sue non cancéreuse, il aurait quand même dû pratiquer cette intervention», relate maître Kinzer. La typologie des erreurs Différents types d’erreurs sont recensés par l’American Society of Healthcare Risk Management (ASHRM), qui fait une nette distinction entre le dommage médical et l’erreur médicale, en ce sens que cette dernière peut ou non causer un dommage (Leape, 2009). l l l l L’erreur grave: fait référence à un préjudice permanent ou à un dommage passager, mais potenziellement mortel. L’erreur mineure: qui est sans conséquences préjudiciables. L’incident évité de justesse: une erreur sans conséquences car évitée. L’événement indésirable évitable: il s’agit 4/13 Sécurité du travail et promotion de la santé l d’une erreur de traitement ou d’une défaillance technique (ex.: pompe à perfusion qui provoque un surdosage du médicament). L’événement indésirable inévitable: cela concerne les thérapies à haut risque que les patients acceptent pour avoir une chance de s’en sortir (ex.: complications de la chimiothérapie) ou encore les risques d’un traitement courant (ex. effets secondaires de médicaments). Toutefois, en pratique, il arrive qu’une situation présente simultanément les caractéristiques de plusieurs erreurs comme ce cas tiré de la brochure «Communiquer et agir après un incident – Lorsque les choses tournent mal». «Une patiente de 42 ans, traitée auparavant pour un cancer du sein et redoutant une récidive, écourte ses vacances pour se faire examiner par son médecin. Ses doutes s’avèrent fondés: elle a des métastases hépatiques et accepte donc immédiatement de commencer un traitement qui s’inscrit dans le cadre d’une étude clinique. La première séance de chimiothérapie se déroule sans aucun incident. Trois semaines plus tard, lors d’une deuxième séance, elle signale à son oncologue que son état s’est légèrement aggravé. Le jour même, son oncologue reçoit l’appel du pharmacien de l’étude qui l’informe que la patiente n’a reçu que le diluant sans la substance chimiothérapeutique active. Le médecin s’empresse d’informer la patiente de cette erreur en se déplaçant à son domicile. Suite à la divulgation de cette erreur et à l’honnêteté des protagonistes, des mesures aussi bien thérapeutiques qu’organisationnelles ont pu être mises en place. La patiente n’a jamais porté plainte pour cette erreur.» D’après les résultats de l’enquête menée en 2005 par la Commission européenne auprès de ses vingt-cinq États membres, 40% des personnes interrogées se déclaraient inquiètes de la possibilité de subir une erreur médicale. Quant aux statistiques 2012 allemandes qui ont été publiées en mai dernier par la Commission d’examen médical de l’association nationale des fonds statutaires d’assurance maladie, sur 12 483 plaintes déposées 4/13 pour erreur de traitement, un tiers ont été confirmées. Les domaines les plus concernés sont la chirurgie traumatologique et la chirurgie générale, suivis de près par la dentisterie, la médecine interne et la gynécologie. nues auprès du médecin ou après un procès, à condition que le lésé puisse prouver l’erreur médicale. Il est recommandé de demander l’aide d’un avocat, mais également celle des institutions compétentes en la matière, dont la Fondation pour la sécurité des patients fait partie. Les causes des erreurs Le chercheur Charles Vincent (2000) a répertorié sept types de facteurs à l’origine de survenue des incidents médicaux, à savoir: l Le patient: son état de santé, sa personnalité, ses aptitudes de communication. l L’environnement du travail: horaires, charge de travail, bruit, éclairage, éléments de distraction, ergonomie. l Le matériel: accès à la documentation, panne, maintenance du matériel, etc. l L’individu: son savoir, son savoir-faire, sa santé, sa fatigue, sa formation, etc. l La tâche ou l’activité: instructions de travail (clarté, exactitude, lisibilité), conception des soins et leur planification. l L’équipe: sa taille et sa composition, assistance ou conflit entre collègues, la qualité de la supervision. l Le contexte institutionnel et managérial: politique qualité, gestion des risques, formation et recrutement. La prise en compte de tous ces paramètres est indispensable à la compréhension du problème et à son traitement adéquat pour éviter une chasse aux boucs émissaires. Que peut faire la victime? Tout d’abord prendre rendez-vous avec son médecin pour lui demander des explications et se renseigner sur les suites de l’acte médical. Dans le cas où le médecin admet une erreur, son assurance responsabilité civile peut la prendre en charge. Dans le cas contraire, le patient lésé peut demander un deuxième avis médical en prenant le soin de se procurer auparavant tous les rapports médicaux et opératoires nécessaires pour cela. Une expertise peut également être demandée auprès de la FMH, dont le coût, pour un cas relativement simple est d’environ 400 CHF, et plus s’il est complexe. Les réparations escomptées pourront être obte- Les conséquences juridiques de l’erreur médicale pour son auteur «La secrétaire d’un médecin généraliste reçoit au cabinet l’appel téléphonique d’un patient de 62 ans suivi régulièrement pour une hypertension artérielle et un diabète de type II. Ce dernier se plaint d’une douleur thoracique gauche qui persiste depuis quelques heures. Après avoir consulté le médecin, la secrétaire propose au patient de reprendre contact en fin de journée s’il n’y a pas d’amélioration de symptomatologie. Mais en fin d’aprèsmidi, c’est l’hôpital qui contacte le cabinet. Le patient avait été admis aux urgences, puis transféré dans l’unité des soins intensifs pour un infarctus myocardique avec choc cardiogène. Il décédera quelques heures plus tard des suites de l’infarctus.» (Bertrand & coll., 2009) Les conséquences juridiques d’une erreur médicale avérée se répartissent en trois catégories, à savoir: l La sanction disciplinaire (procédure administrative) l La condamnation pécuniaire (procédure civile) l La condamnation pénale (procédure pénale) Du point de vue légal, la responsabilité civile d’un soignant peut être engagée si les trois conditions suivantes sont réunies: il a commis un acte illicite fautif, le patient a subi un dommage, et le lien de causalité entre faute et dommage est avéré (Werro, 1996). Dans le cas rapporté ci-haut, la responsabilité du médecin est évidente puisque, compte tenu des symptômes invoqués par le malade et ses antécédents médicaux, le soignant aurait dû l’envoyer sans tarder à l’hôpital. Dans le cas concernant la patiente de 42 ans atteinte de métastases hépatiques, il semble bien, heureusement, que l’erreur n’a pas entraîné de dommage. Le soignant qui s’est trompé dans la remise de produits www.iza.ch Sécurité du travail et promotion de la santé ne risque donc guère une condamnation pécuniaire sur le plan civil, mais pourrait être sujet à des sanctions disciplinaires. En conclusion Mis à part les ennuis administratifs, juridiques et relationnels dans lesquels les conséquences d’une erreur médicale peuvent plonger leur auteur, un stress psychologique et physique très important peut aboutir chez le soignant en question à des troubles de l’adaptation, à la dépression, à l’état de stress post-traumatique ou au burnout (Schwappach et coll., 2011). D’autres encore peuvent, la mort dans l’âme, abandonner l’exercice de leur profession. Une chose est certaine: aucun soignant sain d’esprit ne commettrait une erreur engageant le pronostic vital du www.iza.ch malade de son plein gré et en toute connaissance de cause. Dès lors, un soutien organisationnel et collégial se dessine comme étant le garde-fou fondamental de ceux qui tiennent notre santé et notre vie entre leurs mains. Bibliographie Bertrand D., Dumoulin J.–F., La Harpe R. & Ummel M. (2009). Médecin et droit médicale. Éditions Médecine et hygiène. Leape L. (2009). Communiquer et agir après un incident – Lorsque les choses tournent mal. Traduit et publié par la Fondation pour la sécurité des patients. Schwappach D., Hochreutener M.–A., Von Laue N. & Frank O. (2011). À la fois auteur et victime. Recommandations pour les cadres, les collègues et les personnes concernées. Éditeur: Fondation pour la sécurité des patients Vincent C., Taylor-Adams S., Chapman E.J., Hewett D., Prior S., Strange P., & Tizzard A. (2000). How to investigate and analyse clinical incidents: Clinical risk unit and association of litigation and risk management protocol. British Medical Journal, 320 (7237), 777-781. Werro F. (1996). La responsabilité civile médicale: vers une dérive à l’américaine? Institut de droit de la santé, Université de Neuchâtel. Liens utiles 1–www.aktionsbuendnis-patientensicherheit.de/apsside/Agenda_2007_mit_Titelblatt.pdf Bureau d’expertises extra-judiciaires www.fmh.ch/fr/services/bureau_expertises.html Commissions cantonales de surveillance des professionnels de la santé http://events2.rsr.ch/faq/map/suisse3.html Organisation suisse des patients (SPO) www.spo.ch Sécurité des patients suisses www.patientensicherheit.ch Étude «Les erreurs médicales» de la Commission européenne http://ec.europa.eu/public_opinion/archives/eb s/ebs_241_fr.pdf 4/13