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Gestion de l’erreur médicale en Suisse
Anna Aznaour, anna@aznaour.com
Un patient hospitalisé sur mille décède des suites d’une erreur médicale dans les pays occidentaux. En Suisse, le nombre annuel
des décès dus à des erreurs est estimé entre 700 et 17001. Les conséquences pour les auteurs et les victimes sont passées en revue
à la lumière du droit suisse mais aussi des aspects psychosociaux du contexte environnant.
patient si ce dernier se trouve dans un
état de discernement amoindri.
l
la violation des règles de l’art par le soi-
gnant, qui fait, entre autres, référence
au non-respect du devoir de diligence.
Toute violation des règles de l’art n’en-
gage cependant pas la responsabilité ci-
vile du soignant. En droit suisse, on n’in-
demnise pas la réduction des chances de
guérison. Il n’y a pas non plus de dom-
mages-intérêts dans des constellations de
causalité hypothétique. «La causalité hy-
pothétique, ou la double causalité, c’est
quand le soignant plaide, et souvent avec
raison, que le résultat défavorable se se-
rait produit de toute façon même si tout
avait été fait juste. Par exemple, les tribu-
naux ont eu à traiter du cas d’une patiente
qui s’était plainte de l’ablation de son uté-
rus supposé cancéreux. Suite à cette opé-
ration et après l’analyse de parties enle-
vées, il s’est avéré que l’organe n’était pas
cancéreux. Dans ce cas il y avait absence
de responsabilité du médecin, car la tu-
meur en question était tellement grande
que même si le médecin, au départ, l’avait
sue non cancéreuse, il aurait quand même
dû pratiquer cette intervention», relate
maître Kinzer.
La typologie des erreurs
Différents types d’erreurs sont recensés
par l’American Society of Healthcare
Risk Management (ASHRM), qui fait une
nette distinction entre le dommage médi-
cal et l’erreur médicale, en ce sens que
cette dernière peut ou non causer un
dommage (Leape, 2009).
l
L’erreur grave: fait référence à un préju-
dice permanent ou à un dommage pas-
sager, mais potenziellement mortel.
l
L’erreur mineure: qui est sans consé-
quences préjudiciables.
l
L’incident évité de justesse: une erreur sans
conséquences car évitée.
l
L’événement indésirable évitable: il s’agit
En l’espace de ces 50 dernières années,
l’erreur médicale est passée du statut
d’intrus à celui d’hôte d’honneur dans la
littérature médicale. Aux États-Unis, la
médiatisation des procès contre les mé-
decins et les sommes astronomiques
payées aux victimes ont largement in-
fluencé les politiques de la santé et la ju-
risprudence y relative. Des prises de
conscience qui désormais font des
vagues de haute amplitude en Suisse éga-
lement. Effectivement, les progrès du sa-
voir médical, le caractère anonyme des
prises en charge hospitalière et la
constante évolution des primes d’assu-
rance maladie ont radicalement modifié
l’attitude des patients vis-à-vis du méde-
cin. Ce dernier n’est plus perçu comme
un sauveur à l’aura divine mais comme
un employé comme un autre susceptible
de garantir un résultat infaillible.
Qu’est-ce qu’une erreur médicale?
«C’est lorsque le soignant fait un choix,
un geste ou un diagnostic qui s’avère par
la suite inexact ou inopportun», explique
maître Daniel Kinzer, spécialiste du droit
de la santé. Or, pour pouvoir parler d’er-
reur médicale, le patient doit prouver
qu’il a subi un dommage par la faute de
son soignant. Les manquements repro-
chés à ce dernier et qui engagent sa res-
ponsabilité peuvent être de deux types, à
savoir:
l
le non-respect du consentement éclairé, qui
est le devoir d’information que chaque
soignant doit à son patient. Cela signi-
fie que toute procédure de soin doit
faire l’objet de l’accord du patient,
censé être inforde sa nature et de
ses conséquences. Par ailleurs, l’ac-
tuelle reforme de la loi redéfinissant les
mesures de protection de l’adulte et de
l’enfant entrée en vigueur en janvier
2013, autorise les patients à faire ins-
crire leurs directives de soins sur leur
carte d’assuré. Ces informations per-
mettront au corps médical et aux
proches de respecter les volontés du
Daniel Kinzer, avocat au Barreau de Genève
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d’une erreur de traitement ou d’une
défaillance technique (ex.: pompe à
perfusion qui provoque un surdosage
du médicament).
l
L’événement indésirable inévitable: cela
concerne les thérapies à haut risque
que les patients acceptent pour avoir
une chance de s’en sortir (ex.: compli-
cations de la chimiothérapie) ou en-
core les risques d’un traitement cou-
rant (ex. effets secondaires de
médicaments).
Toutefois, en pratique, il arrive qu’une si-
tuation présente simultanément les ca-
ractéristiques de plusieurs erreurs
comme ce cas tiré de la brochure «Com-
muniquer et agir après un incident
Lorsque les choses tournent mal». «Une
patiente de 42 ans, traitée auparavant
pour un cancer du sein et redoutant une
récidive, écourte ses vacances pour se
faire examiner par son médecin. Ses
doutes s’avèrent fondés: elle a des métas-
tases hépatiques et accepte donc immé-
diatement de commencer un traitement
qui s’inscrit dans le cadre d’une étude cli-
nique. La première séance de chimiothé-
rapie se déroule sans aucun incident.
Trois semaines plus tard, lors d’une
deuxième séance, elle signale à son onco-
logue que son état s’est légèrement ag-
gravé. Le jour même, son oncologue re-
çoit l’appel du pharmacien de l’étude qui
l’informe que la patiente n’a reçu que le
diluant sans la substance chimiothéra-
peutique active. Le médecin s’empresse
d’informer la patiente de cette erreur en
se déplaçant à son domicile. Suite à la di-
vulgation de cette erreur et à l’honnêteté
des protagonistes, des mesures aussi bien
thérapeutiques qu’organisationnelles ont
pu être mises en place. La patiente n’a ja-
mais porté plainte pour cette erreur
D’après les résultats de l’enquête menée
en 2005 par la Commission européenne
auprès de ses vingt-cinq États membres,
40% des personnes interrogées se décla-
raient inquiètes de la possibilité de subir
une erreur médicale. Quant aux statis-
tiques 2012 allemandes qui ont été pu-
bliées en mai dernier par la Commission
d’examen médical de l’association natio-
nale des fonds statutaires d’assurance
maladie, sur 12 483 plaintes déposées
pour erreur de traitement, un tiers ont été
confirmées. Les domaines les plus
concernés sont la chirurgie traumatolo-
gique et la chirurgie générale, suivis de
près par la dentisterie, la médecine in-
terne et la gynécologie.
Les causes des erreurs
Le chercheur Charles Vincent (2000) a
répertorié sept types de facteurs à l’ori-
gine de survenue des incidents médicaux,
à savoir:
l
Le patient: son état de santé, sa per-
sonnalité, ses aptitudes de communi-
cation.
l
L’environnement du travail: horaires,
charge de travail, bruit, éclairage, élé-
ments de distraction, ergonomie.
l
Le matériel: accès à la documentation,
panne, maintenance du matériel, etc.
l
L’individu: son savoir, son savoir-faire,
sa santé, sa fatigue, sa formation, etc.
l
La tâche ou l’activité: instructions de
travail (clarté, exactitude, lisibilité),
conception des soins et leur planifica-
tion.
l
L’équipe: sa taille et sa composition,
assistance ou conflit entre collègues, la
qualité de la supervision.
l
Le contexte institutionnel et managé-
rial: politique qualité, gestion des
risques, formation et recrutement.
La prise en compte de tous ces paramè-
tres est indispensable à la compréhension
du problème et à son traitement adéquat
pour éviter une chasse aux boucs émis-
saires.
Que peut faire la victime?
Tout d’abord prendre rendez-vous avec
son médecin pour lui demander des ex-
plications et se renseigner sur les suites
de l’acte médical. Dans le cas où le méde-
cin admet une erreur, son assurance res-
ponsabilité civile peut la prendre en
charge. Dans le cas contraire, le patient
lésé peut demander un deuxième avis
médical en prenant le soin de se procurer
auparavant tous les rapports médicaux et
opératoires nécessaires pour cela. Une
expertise peut également être demandée
auprès de la FMH, dont le coût, pour un
cas relativement simple est d’environ 400
CHF, et plus s’il est complexe. Les répa-
rations escomptées pourront être obte-
nues auprès du médecin ou après un pro-
cès, à condition que le lésé puisse prouver
l’erreur médicale. Il est recommandé de
demander l’aide d’un avocat, mais égale-
ment celle des institutions compétentes
en la matière, dont la Fondation pour la
sécurité des patients fait partie.
Les conséquences juridiques de
l’erreur médicale pour son auteur
«La secrétaire d’un médecin généraliste
reçoit au cabinet l’appel téléphonique
d’un patient de 62 ans suivi régulièrement
pour une hypertension artérielle et un
diabète de type II. Ce dernier se plaint
d’une douleur thoracique gauche qui per-
siste depuis quelques heures. Après avoir
consulté le médecin, la secrétaire propose
au patient de reprendre contact en fin de
journée s’il n’y a pas d’amélioration de
symptomatologie. Mais en fin d’après-
midi, c’est l’hôpital qui contacte le cabi-
net. Le patient avait été admis aux ur-
gences, puis transféré dans l’unité des
soins intensifs pour un infarctus myocar-
dique avec choc cardiogène. Il décédera
quelques heures plus tard des suites de
l’infarctus.» (Bertrand & coll., 2009)
Les conséquences juridiques d’une erreur
médicale avérée se répartissent en trois
catégories, à savoir:
l
La sanction disciplinaire (procédure
administrative)
l
La condamnation pécuniaire (procé-
dure civile)
l
La condamnation pénale (procédure
pénale)
Du point de vue légal, la responsabilité
civile d’un soignant peut être engagée si
les trois conditions suivantes sont réu-
nies: il a commis un acte illicite fautif, le
patient a subi un dommage, et le lien de
causalité entre faute et dommage est
avéré (Werro, 1996). Dans le cas rappor
ci-haut, la responsabilité du médecin est
évidente puisque, compte tenu des symp-
tômes invoqués par le malade et ses anté-
cédents médicaux, le soignant aurait
l’envoyer sans tarder à l’hôpital. Dans le
cas concernant la patiente de 42 ans at-
teinte de métastases hépatiques, il semble
bien, heureusement, que l’erreur n’a pas
entraîné de dommage. Le soignant qui
s’est trompé dans la remise de produits
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ne risque donc guère une condamnation
pécuniaire sur le plan civil, mais pourrait
être sujet à des sanctions disciplinaires.
En conclusion
Mis à part les ennuis administratifs, juri-
diques et relationnels dans lesquels les
conséquences d’une erreur médicale peu-
vent plonger leur auteur, un stress psy-
chologique et physique très important
peut aboutir chez le soignant en question
à des troubles de l’adaptation, à la dé-
pression, à l’état de stress post-trauma-
tique ou au burnout (Schwappach et coll.,
2011). D’autres encore peuvent, la mort
dans l’âme, abandonner l’exercice de leur
profession. Une chose est certaine: au-
cun soignant sain d’esprit ne commettrait
une erreur engageant le pronostic vital du
malade de son plein g et en toute
connaissance de cause. Dès lors, un sou-
tien organisationnel et collégial se des-
sine comme étant le garde-fou fonda-
mental de ceux qui tiennent notre santé
et notre vie entre leurs mains.
Bibliographie
Bertrand D., Dumoulin J.–F., La Harpe R. &
Ummel M. (2009). Médecin et droit médicale.
Éditions Médecine et hygiène.
Leape L. (2009). Communiquer et agir après un
incident – Lorsque les choses tournent mal.
Traduit et publié par la Fondation pour la sécurité
des patients.
Schwappach D., Hochreutener M.–A., Von Laue
N. & Frank O. (2011). À la fois auteur et victime.
Recommandations pour les cadres, les collègues
et les personnes concernées. Éditeur: Fondation
pour la sécurité des patients
Vincent C., Taylor-Adams S., Chapman E.J.,
Hewett D., Prior S., Strange P., & Tizzard A.
(2000). How to investigate and analyse clinical
incidents: Clinical risk unit and association of
litigation and risk management protocol. British
Medical Journal, 320 (7237), 777-781.
Werro F. (1996). La responsabilité civile médicale:
vers une dérive à l’américaine? Institut de droit de
la santé, Université de Neuchâtel.
Liens utiles
1–www.aktionsbuendnis-patientensicher -
heit.de/apsside/Agenda_2007_mit_Titelblatt.pdf
Bureau d’expertises extra-judiciaires
www.fmh.ch/fr/services/bureau_expertises.html
Commissions cantonales de surveillance des
professionnels de la santé
http://events2.rsr.ch/faq/map/suisse3.html
Organisation suisse des patients (SPO)
www.spo.ch
Sécurité des patients suisses www.patientensi-
cher heit.ch
Étude «Les erreurs médicales» de la Commission
européenne
http://ec.europa.eu/public_opinion/archives/eb
s/ebs_241_fr.pdf
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