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INTRODUCTION
À la base de toute civilisation il y a des mythes. « Ces choses n'eurent jamais lieu, mais
elles demeurent...», dit Sallustius dans Des dieux et du monde. C'est ainsi que, par
l'intermédiaire du Christianisme qui l'a profondément marquée, la civilisation occidentale,
tout au moins celle des temps historiques, repose sur deux piliers mythologiques
fondamentaux : le pilier grec et le pilier juif.
Selon les apparences, les dieux de l'Olympe semblent dormir dans leur linceul de pourpre.
Pourtant, une certaine présence du paganisme gréco-romain plane toujours sur l’Occident. En
opposition radicale à la pensée eschatologique chrétienne, pensée dédaigneuse du monde
d'ici-bas et tournée vers l'au-delà, la pensée païenne qui tend à établir le bonheur sur la terre
n'a cessé de cheminer dans notre univers. Malgré les obstacles, cette pensée, à la manière
d'une rivière souterraine, a réussi discrètement à se frayer un chemin. Prométhée, Œdipe,
Antigone, Narcisse, Orphée, Sisyphe... ont inspiré et inspirent toujours les écrivains. Renan
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dans ses Souvenirs d'enfance et de jeunesse écrit : « Quand je vis l'Acropole j'eus la
révélation du divin », Nietzsche communie avec les mythes de la Grèce et de Rome. Plus près
de nous, Montherlant exalte les vertus de la païennie. Et de nos jours encore l'attirance pour
cette pensée reste vive dans les pays latins. Pauwels
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ne déclare-t-il pas : « Je crois au retour
d'un paganisme spirituel ».
Mais le Christianisme, en héritant avant tout des grands mythes cosmogoniques du
Judaïsme, en créant ses propres mythes et en les diffusant sur tous les continents avec une
énergie et une efficacité remarquables, a manifestement éclipsé depuis deux mille ans la
mythologie païenne gréco-latine. Or voici qu'il subit depuis quelques dizaines d'années un
déclin spectaculaire. Pourquoi cet effondrement brutal alors qu'il avait su résister
victorieusement depuis ses origines à de multiples oppositions ou dissidences et, depuis
plusieurs siècles, aux données de la science ?
Des mythes en général
Si les mots mythique et mythologie (du grec muthos - fable) apparaissent dès le XV
e
siècle
dans les textes français, le mot mythe est relativement récent. C'est seulement dans son édition
de 1803 que le Dictionnaire de l’Académie précise que le mythe représente un trait de
l'histoire des temps héroïques. La mythologie, quant à elle, ne se rapporte qu'aux récits
fabuleux de l'Antiquité païenne.
Pour Littré, en 1873, la mythologie n’est encore que l'histoire des personnages divins du
polythéisme.
Il faut attendre la fin du XIX
e
siècle pour que certains dictionnaires prennent en compte un
fait essentiel : les mythes ne s'appliquent pas seulement à l'Antiquité méditerranéenne mais à
tous les peuples, à toutes les civilisations, à toutes les religions. Le Larousse précise ainsi que
le mythe est un récit légendaire mettant en scène des dieux et comportant une signification
symbolique. Pour Mircea Éliade
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le mythe constitue une histoire sacrée, histoire concernant
les actes des Etres surnaturels, et considérée comme vraie par une communauté de croyants.
De plus, le mythe peut représenter le fondement d'une existence, d'un comportement, d'une
conception du monde, d'une certaine philosophie. Il exprime et enseigne indirectement des
règles de vie, des interdits, des sentiments. Il fait en outre l'objet de rites cérémoniels qui
l’actualisent et le réactivent.
1
Souvenirs d’enfance et de jeunesse, Calmann-Lévy, 1953.
2
Entretiens avec J. Biès, Retz, 1979.
3
Dictionnaire des religions, Plon, 1990.