La science, quel savoir pour quel pouvoir ? Par cette question, la

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La science, quel savoir pour quel pouvoir ?
Par cette question, la science est vue comme un savoir qui produit des effets, a
une efficace, exerce une influence sur la nature, la société ou même l’homme
lui-même dans son histoire et son devenir.
L’idée peut même surgir que la science, contrairement à l’art ou à la religion, serait
le seul savoir à avoir une puissance véritable sur les choses naturelles ou
humaines : si nous voulons changer les choses, n’est-ce pas à la science que
nous le demandons ?
Contrairement à l’art ou à la religion, qui n’auraient qu’un pouvoir symbolique,
c’est-à-dire un pouvoir sur les idées seulement, la science seule aurait un
pouvoir matérialisé par des machines, des techniques, des transformations
physiques ou biologiques : mais si la science est le seul savoir qui permet d’agir et
de transformer matériellement et non pas symboliquement l’homme et le monde
n’est-elle pas alors toute puissante ?
L’enjeu de cette question n’est donc pas simplement de définir la science
comme un savoir ou de voir quels effets ce savoir peut engendrer sur le monde et
sur l’homme, mais d’examiner l’idée que la science est dans son essence même
un savoir qui vise un pouvoir, qu’on ne peut donc pas la limiter à un savoir
désintéressé ou inutile, mais qu’on a voulu un savoir de ce genre, un savoir qui
soit capable de donner à l’homme un pouvoir sur la nature ou sur lui-même.
Examinons, comme préalable, 3 perspectives qui font de la science un pouvoir :
I
La science serait d’abord le modèle exclusif de toute connaissance véritable:
une connaissance qui n’est pas constituée selon la méthode expérimentale qui
donne naissance à la science moderne ne vaudrait rien : en ce sens, tout
savoir aspire comme à son achèvement à devenir une science. C’est l’idéal
scientiste affirmé pour la 1ère fois par Félix Le Dantec en 1911 :
« Je crois à l’avenir de la Science : je crois que la Science et la
Science seule résoudra toutes les questions qui ont un sens ; je
crois qu’elle pénétrera jusqu’aux arcanes de notre vie sentimentale
et qu’elle m’expliquera même l’origine et la structure du mysticisme
héréditaire anti-scientifique qui cohabite chez moi avec le
scientisme le plus absolu. Mais je suis convaincu aussi que les
hommes se posent bien des questions qui ne signifient rien. Ces
questions, la Science montrera leur absurdité en n’y répondant pas,
ce qui prouvera qu’elles ne comportent pas de réponse ».
Félix Le Dantec, dans la Grande Revue, 1911
Ce scientisme cad cette confiance absolu en une certaine manière de poser les
problèmes et de les résoudre, cette manière étant celle de la méthode
expérimentale, conduit à refuser l’idée même d’une autre forme de savoir, la
possibilité de la religion (Le Dantec publiera aussi un livre sur l’Athéisme), la fin de
la métaphysique comme somme d’énoncés absurdes et sans signification.
Mais un tel idéal est-il acceptable ? N’est-ce pas demander trop à la science et
fonder des espoirs vains sur un idéal inaccessible ? N’est-ce pas, en définitive,
méconnaître la nature de la réflexion scientifique et les limites de toute
connaissance qui se présenterait comme science ?
Car ce qui se cache derrière cette conviction c’est l’idée d’un rapport exclusif de
la science à la vérité au point que la science ne serait pas seulement la seule
forme de vraie connaissance mais elle serait la seule connaissance possible
donnant accès à la vérité.
Mais quel est ce pouvoir de vérité de la science? Et de quelle vérité est-il
question ?
On devra examiner dans cette perspective une certaine illusion ou ce qu’on
pourrait appeler plus simplement une croyance : la croyance de la science en la
vérité.
De l’idée présente dès l’antiquité d’une puissance propre à la science de
dévoiler l’essence des choses, idée présente jusqu’à l’âge classique, il faudra
reconnaître que les modernes, dès le début du XXème siècle, renonceront à
penser le savoir scientifique comme révélateur de l’essence même des
choses : ne restera alors plus qu’une confiance en un pouvoir limité mais
critique de la raison humaine.
En sera-ce pour autant fini avec cette idée de la toute-puissance de la
science ?
II
Nous retrouvons cette idée dans la conception d’un savoir qui donne un pouvoir
d’action sur le monde et sur l’homme. Francis Bacon, savant et philosophe du
17ème, pouvait proposer comme règle de la science cette courte expression :
« savoir, c’est pouvoir ». Mais ce pouvoir n’est pas simplement celui de
connaître, c’est celui de changer le monde et l’homme selon la science :
« S'il se trouve un mortel qui n'ait d'autre ambition que celle
d'étendre l'empire et la puissance du genre humain tout entier sur
l'immensité des choses, cette ambition, on conviendra qu'elle est
plus pure, plus noble et plus auguste que toutes les autres ; or
l'empire de l'homme sur les choses n'a d'autre base que les arts et
les sciences, car on ne peut commander à la nature qu'en lui
obéissant. » Novum Organum, 1620 (Nouvel Outil)
Remarquons 3 choses dans ce que dit Bacon :
1) le projet d’une maîtrise du monde par l’homme donne un sens à l’existence
humaine
2) la méthode de connaissance impose de reconnaître des lois de la nature et
d’agir en respectant ses lois
3) la technique (ce que Bacon appelle « les arts ») est l’intermédiaire entre le
savoir et l’action humaine.
Bacon trace dans cette petite citation le projet qui sera celui des savants à venir :
Mais c’est chacun de ces 3 points qu’il faudra examiner si l’on veut comprendre le
genre de pouvoir qui est attendu de la science telle qu’elle est constituée à
partir du 17ème siècle et telle qu’elle s’applique jusqu’à aujourd’hui et c’est bien aussi
cette « toute puissance » de la techno-science qu’on devra interroger : quels
sont les risques inhérents à ce projet de domination de la nature ? Ces risques
ne sont peut-être pas ceux seulement que l’écologie moderne pointe du doigt,
peut-être portent-ils aussi sur le sens même de l’existence humaine : la
science peut-elle, en définitive, donner un sens, une direction à l’existence
humaine, est-ce même de son ressort ?
On retrouvera aussi cette question dans la dernière partie.
C’est d’ailleurs à partir d’une conception des risques que peut se présenter le dernier
aspect de cette toute puissance de la science :
III
La science serait un moyen de se libérer des croyances, des superstitions, elle
serait l’unique moyen d’une émancipation des peuples.
Isabelle Stengers, philosophe contemporaines, résume ainsi l’opinion que nous
venons d’identifier, dans Sciences et Pouvoirs :
« La Science, dit-on, est précisément ce qui permet aux humains de
se libérer des préjugés, des désirs, des illusions qui les empêchent
de voir « ce qui est ». Elle a pour règle la neutralité et l’objectivité.
Ce sont bien sûr des vertus assez froides, et l’on comprendra que les
humains aient besoin d’un « supplément d’âme », que leur
apporteront les relations privées, la convivialité, les jeux, la
télévision, les arts, le football… Mais ce sont des vertus
indispensables car elles seules permettent un accord qui échappe
aux rapports de force et de passion. Qu’est-ce que la Terre ? Est-elle
sur le dos d’une tortue ou au centre du cosmos ? Flotte-t-elle sur un
océan chaotique ou est-elle prisonnière d’une voute cristalline ?
Non ! Nous savons tous qu’elle est une planète, tournant sur ellemême et autour d’une étoile, qui à son tour fait partie de… Nous le
savons tous, le doute est impossible, et il l’est parce que la Science
est entrée en scène. Et elle a pu faire régner la concorde parce que
la discorde provient des préjugés, des désirs, des illusions, qui
opposent les humains et les groupes, qui empêchent de « voir » la
réalité telle qu’elle est. La Science est ce qui peut et doit mettre les
humains d’accord, au-delà de leurs querelles politiques et
culturelles, parce qu’elle donne accès à une réalité qui est
indépendante de ces querelles. Et la preuve qu’elle a effectivement
accès à cette réalité est le fait que les scientifiques sont capables
de se mettre d’accord entre eux, de dépasser leurs divergences, de
reconnaître ce que leur impose la réalité qu’ils interrogent.
Arrêtons là. Le lecteur aura compris qu’il s’agit d’une caricature,
celle d’une conception des pratiques scientifiques à laquelle il s’agit
d’échapper. » p9/10
Le ton ironique de l’auteur à la fin de ce texte doit nous avertir qu’il y a une certaine
illusion qui persiste dans cette affirmation d’une science neutre et
indépendante des enjeux sociaux :
a) Remarquons d’abord que cette idée que la science libère de
l’obscurantisme, on la trouve déjà au siècle des Lumières : c’est même
par elle que les idées d’égalité et de liberté sont davantage que de simples
espérances : la science doit répandre ses Lumières sur le monde : mais
faut-il croire en cette harmonie du monde des savants ? Ne sont-ils pas,
eux aussi, les jouets de leurs sentiments, de leurs formations
universitaires, d’intérêts économiques, financiers, idéologiques qu’ils ne
peuvent pas maîtriser ? C’est donc le pouvoir même de faire de la
science qui serait en question : quelles doivent être les conditions
sociales et politiques pour que la science soit possible ? Il faudrait voir
comment l’ordre social et politique doit permettre une neutralité
méthodologique qui est à l’origine de l’esprit scientifique.
b) Remarquons aussi, que cette illusion d’une science dégagée des enjeux
sociaux et politiques pourrait presque faire croire en une possibilité pour la
science de juger de haut, de l’extérieur, « de façon impartiale », les
enjeux de société et les enjeux politiques : mais faut-il croire que le savoir
scientifique est l’expression de la sagesse même ? La science peut-elle
dicter la conduite des hommes en se substituant à la réflexion, et pour le
dire clairement, à la philosophie ? Il faudrait alors voir que la science,
même la science politique, laisse ouvert le champ de la réflexion sur les
fins de l’action humaine : aucune science n’aurait alors le pouvoir de
dicter quelles sont les fins (buts) que les hommes doivent se donner
pour être humain car une science est un savoir qui dit ce qui est et non
pas ce qui doit être !
c) Concluons ce troisième point en disant que cette impuissance de la science
à dire ce qui doit être choisi par les hommes pour accomplir leur existence
d’être humain, a pour conséquence l’impossibilité pour la science d’être
indifférente à sa propre puissance : le savant ne peut pas renoncer à sa
responsabilité dans la connaissance qu’il produit : il n’y a plus ici un
enjeu méthodologique mais moral : si la science, pour se constituer
comme savoir objectif, doit être indépendante dans sa méthode des
enjeux moraux et politiques, doit-on accepter tous les changements,
qu’ils soient sociaux ou moraux, que ses découvertes et ses inventions
entraînent ?
Ces 3 grandes directions pour penser cette idée étrange, à bien y regarder, d’une
toute puissance de la science nous demanderont donc, pour résumer, de penser 3
choses :
I Quel pouvoir de vérité le savoir de la science possède-t-il ?
II Quel pouvoir technique le savoir de la science permet-il d’exercer ?
III Quel pouvoir social, moral ou politique le savoir de la science possède-t-il?
Nous conclurons par une définition de la science, indiquant ses conditions, ses
limites et sa finalité.
I Le pouvoir de vérité de la science
Comment définir la science et que penser de sa relation à la vérité ?
La première idée est de penser que la science est le seul savoir véritable dans la
mesure même où il fait connaître les choses telles qu’elles sont, cad les
choses dans leur vérité.
Mais qu’est-ce que connaître les choses dans leur vérité ?
1) la science comme savoir absolu
Lisons un petit texte de Platon, extrait du Livre V de la République, 476b476d : Socrate s’adresse à Glaucon.
« Voici donc, repris-je, de quelle façon je fais la distinction et la
séparation entre ceux, d’une part, dont tu parlais tout à l’heure, les
amateurs de spectacles, ceux qui aiment à faire du travail de métier
et à s’occuper d’affaires, et ceux, de l’autre côté que concerne notre
propos et auxquels seuls conviendrait justement le titre de
philosophes.
Comment l’entends-tu ? dit-il.
Ceux sans doute, répliquai-je, qui aiment à entendre et qui sont
amateurs de spectacles, recherchent la beauté des voix, des
couleurs, des formes, et tout ce dans la fabrication de quoi entrent
de tels éléments, mais le beau tout seul, leur pensée est incapable,
aussi bien d’en avoir vu la nature que de l’avoir recherchée.
C’est encore ainsi qu’il en est en effet, dit-il.
Or, maintenant, ceux qui sont capables d’aller vers le beau tout seul,
de le voir en lui-même, ne seraient-ils pas rares ?
Ah ! je crois bien !
Mais celui qui admet l’existence d’objets beaux, n’admettant pas,
d’autre part, celle d’une beauté qui n’est que beauté, qui, dans ce
cas où on le guiderait à la connaissance de celle-ci, serait incapable
de suivre, penses-tu que sa vie soit un rêve, ou une vie réelle ?
Examine : rêver ne consiste-t-il point en ceci, que, soit dans le
sommeil, soit à l’état de veille, on tient ce qui ressemble à quelque
chose, non pour ressemblant à ce dont il a l’air, mais pour identique
à lui ?
Moi du moins, voilà répondit-il, le cas où je dirais qu’on rêve !
Mais quoi ? celui qui, inversement, tient pour une réalité un beau qui
n’est que cela, qui est capable d’apercevoir, et ce beau qui n’est que
beau, et les objets qui en participent ; qui ne tient, ni les objets qui
en participent pour être lui, ni lui pour être ces objets qui en
participent, celui-là aussi, à son tour, penses-tu que sa vie soit une
vie réelle, ou bien un songe ?
Une vie réelle, je crois bien ! dit-il. »
Platon, La République, livre V, 476b-476d.
Notons d’abord que les mots de vérité, d’opinion, de science sont absents de ce
texte et pourtant ils sont tout l’enjeu de cet extrait.
Notons encore que ce texte se trouve dans le Livre V de la République, au
moment où Platon expose cette fameuse idée que ce qui fait la cité
harmonieuse c’est que les philosophes deviennent rois ou que les rois
deviennent philosophes : ce n’est pas un hasard si le politique et le philosophe
doivent s’unir dans le même homme : le philosophe possède le savoir dont le
politique a besoin pour comprendre comment diriger la cité.
Notons enfin qu’il est question dans ce passage non pas de la science mais de
la philosophie et des philosophes.
Nous ne pourrons pas étudier tous les éléments de ce texte mais nous y trouvons
ceux qui concernent notre sujet : la vérité est connue par la science.
1- les amateurs de spectacle = la multitude de ceux qui considèrent que
n’existent que les choses sensibles.
2- Les philosophes : ceux qui recherchent l’essence des choses sensibles qui
n’est pas sensible
3- L’opposition entre ce qui est beau et le beau lui-même qui n’est qu’une idée
cad qui n’a de réalité qu’intelligible
4- Le beau en soi est la cause de la beauté dans les choses sensibles
5- La vraie vie est celle de l’intelligence et non pas celle des sens
Que conclure de ce texte sur l’idée de science, sur celle de vérité et sur ce
pouvoir étrange que Platon appelle l’intelligence ?
1èrement : la science n’est pas une méthode de connaissance ou une connaissance
des objets qui existent dans la nature : c’est d’abord un type de pensée qui vise à
atteindre l’absolu.
Est absolu ce qui ne peut pas être par autre chose que lui-même : c’est le cas
des formes intelligibles ici définies.
La science est donc une connaissance qui montre le pouvoir propre de
l’intelligence d’être dans la vérité et pas seulement de la connaître comme
quelque chose qui lui serait extérieur : la science est la présence de ce qui est
absolument réel dans l’âme de celui qui pense.
2èmement : l’opinion, par opposition à la science, est un type de pensée qui relève
presque de l’hallucination : on voit, on touche, on respire et on croit que le réel est
ce qui est sensible. Ce n’est qu’une apparence d’être puisqu’il change sans cesse,
pour la même personne comme pour chacun. L’opinion est une pensée qui porte
sur ce qui change, elle ne sait pas quelque chose au sens strict.
Un tel texte demanderait beaucoup plus d’analyses mais si nous voulons considérer
ce qu’il permet de penser pour notre sujet, on retiendra que la science est
essentiellement un état d’esprit qui consiste en un savoir absolu de l’absolu.
Cette redondance terminologique montre que le savoir de la science est la cause du
savoir des choses sensibles et que ce n’est pas l’inverse : la beauté n’est-elle donc
pas d’abord une idée que l’on pense quand on voit les choses du monde ?
Tout le dialogue intitulé Phèdre reprendra cette analyse.
Cela montre aussi que le savoir est en lui-même un pouvoir : celui de
l’intelligence et il consiste à pouvoir s’abstraire des connaissances sensibles
pour atteindre cette connaissance de l’absolu que sont les formes intelligibles
grâce auxquelles on pense ce qui existe dans le sensible.
Mais cette idée de la science peut-elle nous permettre de comprendre ce que
font les savants d’aujourd’hui ? S’agit-il de la même « science » ?
On pourra répondre oui et non :
OUI : Ce qui reste de cette idée platonicienne de la science dans la science
moderne, c’est précisément la nécessité d’une rupture avec le sensible tel qu’il
est immédiatement donné : la science ne pourra être un savoir que par un effort
intellectuel d’abstraction et d’universalisation qui en est le résultat. Cette idée,
on la retrouve tout au long de la réflexion sur les sciences. Descartes, par exemple,
considérera que la science n’est possible que par une méthode de pur raisonnement,
Galilée que la science de la nature repose sur les mathématiques, etc.
NON : Mais, cette idée platonicienne sera complètement transformée par la
constitution d’un savoir fondé sur l’expérience.
Il est impossible dans cet exposé de retracer l’histoire de cette constitution
progressive d’un pouvoir de connaître fondé sur un recours à l’expérience mais
notons que la science est un savoir qui se fait en rupture avec une certaine
forme d’expérience en s’appuyant justement sur une autre forme
d’expérience : on doit renoncer à l’expérience immédiate des sensations (ce
qui est déjà le cas pour Platon) pour construire une expérience par la raison.
2) la science repose sur la relation de la raison à l’expérience
Lisons un texte de Philippe fontaine in La science, édition Ellipses p 30/31
pour comprendre ce changement et la constitution d’une méthode qui sera le
principe même de ce savoir qu’on appellera scientifique :
« …Si l’on prend comme repères commodes les noms des deux
grands savants à l’origine de la science moderne, Galilée (15641642), et Newton (1643-1727), cette émancipation de la science par
rapport au monde de l’existence quotidienne est manifeste.
Ainsi, Galilée voulut fonder la physique sur l’expérience et non sur la
spéculation, parce que c’est de la Nature seule que nous pouvons
apprendre les lois qui la régissent. Ses expériences lui apprirent par
exemple qu’un corps abandonné à lui-même, qui n’est soumis à
aucune force, n’est pas animé d’un mouvement circulaire : ou bien il
demeure au repos, ou bien, il parcourt à une vitesse uniforme, une
trajectoire rectiligne. L’action sur un corps n’a donc pas pour
résultat une vitesse, mais un changement de vitesse, désigné par
Galilée en mécanique par le terme d’accélération. Or, une force est
nécessaire pour provoquer une accélération : cette notion de force
implique une abstraction de plus en plus grande dans le
développement de la physique. Car la notion de force est moins
évidente qu’il n’y paraît de prime abord, et sa définition présente les
plus grandes difficultés. Le fait que nous nous référions
constamment, dans la vie quotidienne, à une notion de ce type, ne
signifie pas que nous soyons capables de la définir avec rigueur. Or,
il apparaît que cette notion de « force » n’a précisément aucun
rapport avec un concept susceptible d’être dérivé de l’expérience
sensorielle, au point que la question se pose alors de savoir
comment la mesurer. En fait, la force comme telle n’est pas
mesurable : seuls le sont ses effets , en ce que le mouvement d’un
corps est accéléré par l’action d’une force, l’accélération étant
d’autant plus grande que la masse du corps est petite. Par
conséquent, la seule définition possible pour le physicien est celle-
ci : la force est le produit de la masse par l’accélération… On voit
bien, sur cet exemple, l’intérêt de cette procédure, qui permet
d’éliminer l’expérience sensorielle directe, les sensations physiques,
et de leur substituer des notions fondées sur des résultats
mesurables. C’est ainsi que la physique se vit contrainte
d’accentuer sans cesse le degré d’abstraction de ses notions. Une
telle abstraction n’est pas accidentelle, ou contingente, mais
constitue une nécessité d’essence pour une physique désireuse de
se constituer en science véritable. Cette abstraction consiste
d’abord dans la mise à l’écart des sensations (de couleur, d’odeur, de
goût, etc.), par définition subjectives et incommunicables. Aucun
homme ne peut décrire une autre sensation que celle qu’il éprouve
lorsqu’il voit un objet rouge, ou qu’il sent l’odeur d’une fleur, et aucun
homme ne peut la comparer à celle qu’aura une autre personne
regardant le même objet rouge, ou reniflant la même fleur. L’univers
phénoménal
des
sensations
n’est
pas
susceptible
d’une
compréhension intersubjective, et ne peut donc se prêter tel quel à
l’émission de lois naturelles. »
Que retenir de ce texte ?
1- les concepts utilisés en physique n’ont pas de fondement dans la
perception commune : ce sont des constructions de l’esprit humain. La
force n’est pas identifié au sentiment de l’effort qu’on éprouve pour
pousser un objet, c’est un concept qui n’a de sens qu’à partir de la relation
qu’il entretient avec d’autres concepts, qui sont eux-mêmes le produit d’une
relation avec d’autres concepts. Il n’y a pas d’expérience première sensible
qui servirait de base à ces concepts et à partir de laquelle on pourrait les
dériver : voir qu’un corps est en mouvement ne permet pas de faire de la
physique. Les expériences que voit Galilée sont celles qu’il construit : un
plan incliné sur lequel il fait rouler des billes, par exemple, lui permet de
conclure que la vitesse de ces billes resteraient constantes si les surfaces sur
lesquelles ils faisait rouler ces billes étaient absolument lisses cad sans
frottements. (notons que ce que la science ne connaît pas c’est le vécu
subjectif lui-même : il faudra s’en souvenir…)
2- Les lois de la physique ne sont pas des lois naturelles au sens de lois qui
sont reconnues directement dans la nature. Il faut se plier ici à ce que Pierre
Duhem proposait de penser de ces lois, dans son livre La théorie physique,
sa structure et son objet, 1906 : ce sont des lois qui dépendent des
expériences constituées par le physicien.
« De même que les lois de sens commun sont fondées sur
l’observation des faits par les moyens naturels à l’homme, les lois de
la physique sont fondées sur des expériences de physique » p 134
3- Remarquons aussi que l’expérience n’est pas possible autrement que par
l’application d’une théorie et un certain nombre de présupposés propres à
cette théorie :
Lisons le texte suivant de Alan Chalmers, extrait de son livre : Qu’est-ce que la
science ? p 60 et 61, extrait qui ne manque pas d’humour :
« En science, l'observation ne précède pas la théorie. On ne peut
décrire une observation que dans un langage théorique. Les énoncés
d'observation doivent être formulés dans le langage d'une théorie,
aussi vague soit-elle. Considérons la phrase du langage commun:
«Prenez garde, le vent pousse le landau du bébé vers le bord de la
falaise! ». Une grande quantité de théorie de niveau élémentaire est
présupposée ici. Il est sous-entendu que le vent est une chose qui
existe et qui a la capacité de provoquer le mouvement d'objets se
trouvant sur son chemin, tels que des landaus. La situation
d'urgence perceptible dans le « prenez garde» indique que l'on
s'attend à ce que le landau, dans lequel se trouve un bébé, tombe de
la falaise et aille se fracasser sur les rochers en contrebas, une
chose qui, suppose-t-on encore, risque d'être nuisible au bébé. De
même, quand une personne matinale qui éprouve un besoin urgent
de café constate amèrement: «le gaz ne veut pas s'allumer », elle
suppose qu'il existe dans l'univers des substances qui peuvent être
regroupées sous la dénomination «gaz», et que, parmi elles, il y en a
qui brûlent. On notera ici que l'on n'a pas toujours disposé du
concept de «gaz». Il n'existe que depuis le milieu du XVII siècle,
lorsque Joseph Black obtint pour la première fois du dioxyde de
carbone. Auparavant, on considérait tous les «gaz» comme des
échantillons d'air plus ou moins pur. Si nous en venons maintenant
au même genre d'énoncés dans la science, les présupposés
théoriques sont à la fois moins triviaux et plus évidemment
présents. Ainsi le fait que l'énoncé: «Le faisceau d'électrons est
repoussé par le pôle magnétique de l'aimant», ou le discours d'un
psychiatre parlant des symptômes de repli d'un patient,
présupposent une théorie considérable, ne devrait pas nécessiter de
grands développements. Ainsi, les énoncés d'observation seront
toujours formulés dans le langage d'une théorie et seront aussi
précis que le cadre théorique ou conceptuel qu'ils utilisent. Le
concept de «force» utilisé en physique est précis parce qu'il
acquiert sa signification de par le rôle qu'il joue dans une théorie
précise, relativement autonome, la mécanique newtonienne.
L'utilisation du même mot dans la langue de tous les jours (la force
des circonstances, les vents de force 8, la force d'une
argumentation, etc.) est imprécise seulement parce que les théories
correspondantes sont fort variées et imprécises. Des théories
précises, clairement formulées, sont une condition préalable pour
que des énoncés d'observation soient précis. En ce sens, la théorie
précède l'observation. Ce qui vient d'être dit sur la priorité de la
théorie sur l'observation s'oppose à la thèse inductiviste selon
laquelle c'est l'observation qui donne leur signification à de
nombreux concepts de base »
Alan Chalmers, Qu’est-ce que la science ? (1976) p 60 et 61
Ce qu’on retient de ce texte de Chalmers :
1) La théorie est de l’ordre d’une idée : c’est une idée qui guide la réflexion et
l’observation : en science, l’observation est toujours guidée par des
présupposés (et non pas des préjugés : ils relèvent du sens commun et
reposent sur de simples opinions) : pour reprendre une formule à Gaston
Bachelard, philosophe du XXième siècle : « Que la Terre tourne
est une idée avant d’être un fait » : c’est la théorie qui précède
l’observation.
2) D’où, la nécessité de différencier les expériences scientifiques des
expériences vécues d’abord par la nature des théories qui rendent
possible ces expériences : un non-scientifique qui entre dans un
laboratoire de physique ou de biologie ne voit que des objets usuels ou
qu’il utiliserait de façon naïve : pipette, microscope, etc… L’observation d’un
événement quelconque (comme dans l’exemple du bébé pris par Chalmers)
ne devient objet d’une connaissance scientifique que si l’on dépasse les idées
naïves du sens commun ou les sentiments immédiats qu’on éprouve. C’est la
théorie et sa rigueur, sa valeur explicative ou représentative par rapport
à ce qui est observable qui fait de l’observation une observation
scientifique ou non.
« Le résultat des opérations auxquelles se livre un
physicien expérimentateur n’est point du tout la
constatation d’un groupe de faits concrets, c’est l’énoncé
d’un jugement reliant entre elles certaines notions
abstraites, symboliques, dont les théories seules
établissent la correspondance avec les faits réellement
observés » Duhem, La Théorie physique, p49.
Pour reprendre l’exemple de la force, on voit bien que cette notion est
le produit d’une relation entre des notions abstraites de vitesse, de
frottement, de masse, etc. et cette abstraction est exprimée et
produite par des rapports mathématiques qui permettent de penser
des rapports quantitatifs de grandeurs et non pas des sensations
qualitatives d’effort.
Mais allons jusqu’au bout : que signifie cette idée que les notions en
physique, par exemple, sont abstraites et symboliques comme le dit
Duhem?
3) l’abstraction et le symbolisme de ces notions physiques (force,
vitesse, etc.) ne signifie pas que ces notions sont mauvaises,
incertaines, ni non plus qu’elles sont totalement arbitraires : lisons
encore Duhem :
« … Un symbole n’est, à proprement parler ni vrai ni faux;
il est plus ou moins bien choisi pour signifier la réalité qu’il
représente, il la figure d’une manière plus ou moins
précise, plus ou moins détaillée... » TP 254
Il faut alors entendre que les notions en physique sont des inventions
qui ont pour fonction de représenter le mieux possible les
phénomènes observés : quand Galilée invente la notion de force, il
l’invente en référence à d’autres notions, par exemple, celle de vitesse,
d’accélération, etc. (elles-mêmes inventées à partir d’autres notions), et
la valeur de son invention tient non seulement au fait qu’elle est
cohérente (ne contredit pas les autres notions du domaine de la
physique) mais surtout au fait qu’elle permet de décrire les phénomènes
qui occupe Galilée : les mouvements d’un corps dans l’espace.
Ainsi, le principe d’inertie, qui est la loi qui permet de décrire, en partie
mais pas entièrement (il faudrait d’autres lois : la loi de la chute des
corps, etc) les mouvements qu’on observe dans l’espace, est-il une
création de l’esprit humain, qu’on peut rectifier, améliorer, changer
si les expériences que l’on fait, si les autres lois que l’on conçoit
nous y obligent, si bien qu’on peut conclure avec Duhem encore :
« ... toute autre loi qui représente les mêmes expériences
avec la même approximation peut prétendre, aussi
justement que la première, au titre de loi véritable ou, pour
parler plus exactement, de loi acceptable » TP, p256
Si toute loi est provisoire ou se présente comme susceptible de
l’être (le principe d’inertie est encore utilisé pour comprendre les
mouvements), c’est justement parce qu’elle est approchée.
Quelle conclusion devons-nous alors tirer de ce rapport de la
science à la vérité ? Quelle réalité la science nous fait-elle donc
connaître ?
3) la science est une représentation de la réalité qui en elle-même reste
inconnaissable
Nous pouvons nous référer à la thèse d’Einstein et y voir des accents kantiens :
“Les concepts physiques sont des créations libres de l’esprit humain
et ne sont pas, comme on pourrait le croire, uniquement déterminés
par le monde extérieur. Dans l’effort que nous faisons pour
comprendre le monde, nous ressemblons quelque peu à l’homme qui
essaie de comprendre le mécanisme d’une montre fermée. Il voit le
cadran et les aiguilles en mouvement, il entend le tic-tac, mais il n’a
aucun moyen d’ouvrir le boîtier. S’il est ingénieux, il pourra se former
quelque image du mécanisme, qu’il rendra responsable de tout ce
qu’il observe, mais il ne sera jamais sûr que son image soit la seule
capable d’expliquer ses observations. Il ne sera jamais en état de
comparer son image avec le mécanisme réel, et il ne peut même pas
se représenter la possibilité ou la signification d’une telle
comparaison. Mais le chercheur croit certainement qu’à mesure que
ses connaissances s’accroîtront, son image de la réalité deviendra
de plus en plus simple et expliquera des domaines de plus en plus
étendus de ses impressions sensibles. Il pourra aussi croire à
l’existence d’une limite idéale de la connaissance que l’esprit
humain peut atteindre. Il pourra appeler cette limite idéale la vérité
objective”.
Einstein et Infeld, L’Évolution des idées en physique (1936), trad. M.
Solovine, Flammarion, coll. «Champs», 1983, pp.34-35.
1) que les concepts physiques soient des créations libres, cela ne signifie pas
qu’elles sont arbitraires : ils sont inventés en rapport à des théories, à des
expériences, à des connaissances antérieures ! L’invention est limitée par
la science déjà constituée : cette création n’est donc pas une création
esthétique
2) l’image de la montre fermée indique que la connaissance scientifique
n’est pas et ne peut pas être une connaissance directe de la réalité : le
réel est pris dans des filets conceptuels, il est attrapé : la réalité est posée
comme un horizon à connaître, comme indéfiniment connaissable : il n’est pas
possible à la science de prétendre dire en quoi consiste la réalité en soi cad
indépendamment du sujet qui la connaît.
3) C’est par sa méthode et à cause d’elle, par cette méthode qui est une
construction théorique de l’expérience et de l’observation, que la science ne
donne qu’une représentation cad une image, + ou – cohérente, du réel
qui reste en soi inconnaissable
4) Cette représentation dépend de l’état de nos connaissances cad du type
de questions qu’on pose, et des réponses qu’on obtient : la vérité objective
n’est donc qu’un simple idéal de la connaissance scientifique : c’est une limite
et c’est peut-être en cela que la science moderne reste platonicienne :
l’idée d’une coïncidence entre ce qu’on sait et ce qui est est l’horizon de
la pensée scientifique, son impensé, son principe secret.
Quel bilan pouvons-nous tirer de cette première partie ?
Le pouvoir de vérité propre à ce savoir qu’on appelle la science tient
fondamentalement à ce qu’on peut nommer avec Bachelard, l’esprit scientifique et
dont on pourrait avec lui résumer les présupposés avec Bernard Dantier, sociologue :
« L’esprit qui cherche doit lutter contre ses tendances à des faux
savoirs d’autant plus captivants et séduisants qu’ils conviennent aux
besoins de l’être humain, dans une épaisse couche entre le corps et
l’inconscient. C’est ainsi contre lui-même que l’esprit scientifique
doit lutter pour atteindre un objet d’étude qui ne lui est jamais donné
mais qu’il doit toujours en quelque sorte construire par une remise
en question permanente, au-delà de l’expérience première, au-delà
de ses affects et de ses motivations simplement humaines, au-delà
de la propension à imaginer le monde tel que nous voulons le vivre
au lieu de le découvrir tel qu’il est malgré nous et indépendamment
de nous, au-delà finalement d’un savoir qui existe toujours avant le
nouveau savoir scientifique. Pour le chercheur, l’abstraction
nécessaire à la science est d’abord alors une abstraction hors de
soi-même et du monde immédiat. »
Bernard Dantier, Textes de méthodologie en sciences sociales,
Gaston Bachelard, les obstacles épistémologiques, Les classiques
des sciences sociales, 2004.
Cet effort d’abstraction n’est donc pas seulement intellectuel mais il est aussi
moral et le pouvoir de vérité donné par ce savoir est bien conquis, comme
l’avait vu Platon, sur une ignorance initiale qui se fait passer pour un véritable
savoir. En ce sens, c’est en étant capable de surmonter les obstacles qui se
présentent à lui que l’esprit scientifique peut se constituer. Il faudrait aller voir
toute l’analyse de Bachelard sur les obstacles épistémologiques, dans son texte
La formation de l’esprit scientifique, pour tirer les conséquences de cette idée.
Notre 2ème partie s’appuiera donc sur ce résultat en cherchant à voir, comment ce
savoir permet d’agir sur la nature et de transformer cette nature en un monde
humain.
II La science comme pouvoir technique
1) le lien entre science et technique est-il sophistique ?
Question qui peut paraître surprenante mais lisons un texte de Platon, extrait de
Protagoras, le mythe de Prométhée et Epiméthée.
« C'était le temps où les dieux existaient déjà, mais où les races
mortelles n'existaient pas encore. Quand vint le moment marqué par
le destin pour la naissance de celles-ci, voici que les dieux les
façonnent à l'intérieur de la terre avec un mélange de terre et de feu
et de toutes les substances qui se peuvent combiner avec le feu et
la terre. Au moment de les produire à la lumière, les dieux
ordonnèrent à Prométhée et à Epiméthée de distribuer
convenablement entre elles toutes les qualités dont elles avaient à
être pourvues. Epiméthée demanda à Prométhée de lui laisser le
soin de faire lui-même la distribution: " Quand elle sera faite, dit-il,
tu inspecteras mon œuvre." La permission accordée, il se met au
travail.
Dans cette distribution, ils donnent aux uns la force sans la vitesse ;
aux plus faibles, il attribue le privilège de la rapidité; à certains il
accorde des armes; pour ceux dont la nature est désarmée, il
invente quelque autre qualité qui puisse assurer leur salut. A ceux
qu'il revêt de petitesse, il attribue la fuite ailée ou l'habitation
souterraine. Ceux qu'il grandit en taille, il les sauve par là même.
Bref, entre toutes les qualités, il maintient un équilibre. En ces
diverses inventions, il se préoccupait d'empêcher aucune race de
disparaître.
Après qu'il les eut prémunis suffisamment contre les destructions
réciproques, il s'occupa de les défendre contre les intempéries qui
viennent de Zeus, les revêtant de poils touffus et de peaux épaisses,
abris contre le froid, abris aussi contre la chaleur, et en outre, quand
ils iraient dormir, couvertures naturelles et propres à chacun. Il
chaussa les uns de sabots, les autres de cuirs massifs et vides de
sang. Ensuite, il s'occupa de procurer à chacun une nourriture
distincte, aux uns les herbes de la terre, aux autres les fruits des
arbres, aux autres leurs racines; à quelques-uns il attribua pour
aliment la chair des autres. A ceux-là, il donna une postérité peu
nombreuse; leurs victimes eurent en partage la fécondité, salut de
leur espèce.
Or Epiméthée, dont la sagesse était imparfaite, avait déjà dépensé,
sans y prendre garde, toutes les facultés en faveur des animaux, et
il lui restait encore à pourvoir l'espèce humaine, pour laquelle, faute
d'équipement, il ne savait que faire. Dans cet embarras, survient
Prométhée pour inspecter le travail. Celui-ci voit toutes les autres
races harmonieusement équipées, et l'homme nu, sans chaussures,
sans couvertures, sans armes. Et le jour marqué par le destin était
venu, où il fallait que l'homme sortît de la terre pour paraître à la
lumière.
Prométhée, devant dette difficulté, ne sachant quel moyen de salut
trouver pour l'homme, se décide à dérober l'habileté artiste
d'Héphaïstos et d'Athéna, et en même temps le feu, - car, sans le feu
il était impossible que cette habileté fût acquise par personne ou
rendît aucun service, - puis, cela fait, il en fit présent à l'homme.
C'est ainsi que l'homme fut mis en possession des arts utiles à la
vie, mais la politique lui échappa: celle-ci en effet était auprès de
Zeus; or Prométhée n'avait plus le temps de pénétrer dans l'acropole
qui est la demeure de Zeus: en outre il y avait aux portes de Zeus
des sentinelles redoutables. Mais il put pénétrer sans être vu dans
l'atelier où Héphaïstos et Athéna pratiquaient ensemble les arts
qu'ils aiment, si bien qu'ayant volé à la fois les arts du feu qui
appartiennent à Héphaïstos et les autres qui appartiennent à
Athéna, il put les donner à l'homme. C'est ainsi que l'homme se
trouve avoir en sa possession toutes les ressources nécessaires à la
vie, et que Prométhée, par la suite, fut, dit-on, accusé de vol ».
Platon, Protagoras, 320c-321d
Résumé du Mythe :
Epiméthée, l’étourdi, voulant se charger de fabriquer les êtres vivants qui vont vivre
sur Terre, dans sa précipitation, oublie l’homme et celui-ci se trouve « nu en et sans
chaussures ». C’est Prométhée, le prévoyant, qui ira prendre aux dieux les attributs
divins pour les donner aux hommes, le feu et le savoir technique. Parés de ces
artifices, les hommes pourront survivre et exercer leur puissance sur la nature.
Puissants comme des dieux mais incapables de vivre ensemble, c’est Hermès qui
répandra la Justice et l’honneur dans la conscience des hommes, des vertus morales
nécessaires à la vie collective et à l’organisation de la Cité.
Les leçons du mythe :
1) Ce mythe incarne, en un sens, le projet d’une domination de la nature par les
hommes et la démesure que cette puissance peut avoir en rapport à l’existence
humaine : si les hommes sont comme des dieux par la force de leur savoir
technique, le risque de destruction qui s’en suit, dans l’usage qu’ils en font, les
concerne d’abord eux-mêmes. Pour Protagoras, le sophiste, la solution à cette
démesure doit être morale et politique.
Cette leçon, qui fait encore sens pour notre technique et notre science, est pourtant
donnée par un sophiste : ne faudrait-il pas y regarder à 2 fois avant de l’accepter
comme telle ?
2) Ce n’est, en effet, pas un hasard si Platon, opposant systématiquement le
sophiste et le philosophe pour mieux dire ce qu’est un philosophe et qu’il n’est pas
un sophiste, fait dire à Protagoras que le « savoir technique » est bon et utile et
que la politique n’a d’autre finalité que de permettre une vie heureuse. Cette
leçon n’est-elle pas encore d’actualité ? Protagoras, tout sophiste qu’il est, ne
propose-t-il pas une vie humaine faite d’égalité et de liberté, égalité des hommes
entre eux, puisque tout homme est doué des sentiments de justice et d’honneur, et
de liberté, puisque l’humanité, d’abord la plus faible des espèces animales, est
capable de supprimer sa dépendance naturelle à la nature en la transformant selon
ses désirs et en fabriquant un monde pleins d’artifices et d’objets dans lesquels
l’homme reconnaît son génie?
3) Mais ce mythe est une histoire imaginaire, une histoire qui n’a pas plus de
valeur que celle qu’on raconte aux enfants ! Si l’on écarte sa référence à la religion
grecque, il raconte une histoire qui représente le projet à l’œuvre dans la science
moderne, idée que ne pouvait pas avoir Platon mais qu’il considère comme
sophistique. Pourquoi ? la science est un savoir qui n’a pas d’autre fin que luimême et qui ne peut donc pas être évalué par ses effets pratiques ou
techniques : ce savoir est celui des artisans, des artistes, ce n’est pas un savoir qui
change celui qui le possède. L’erreur de Protagoras, qui est volontaire et c’est en
cela que Platon le voit comme un sophiste, est d’évaluer le savoir par le
pouvoir qu’il donne sur autre chose que sur celui qui le possède. Le vrai
savoir, celui qui pour Platon est atteint par l’exercice de la philosophie même, n’est
pas dans l’âme de celui qui le possède comme « des pierres dans un sac », ne
changeant en rien la nature de celui qui le possède, le laissant indifférent à sa
possession ou non, c’est, au contraire, un savoir qui fait être ce que l’homme est
dans son essence, une âme douée d’intelligence et qui pense ce qui est, au
point que son mode d’être est celui d’une intelligence plutôt que celui d’un
corps.
4) Ce qu’on peut remarquer dans l’accusation de Platon, ce n’est donc pas le style
de Protagoras, bien que ce dernier croit pouvoir « raconter des histoires » à Socrate
pour le convaincre, mais c’est le choix qui est fait par Protagoras de privilégier
l’existence du corps sur l’existence de l’âme : si la « science », telle qu’elle est
pensée par Protagoras, qui vise à transformer la nature par la puissance technique
qu’elle recèle, est condamnable, c’est parce qu’elle tend à faire de l’existence
humaine une existence sensible, vouée au bien-être du corps, permettant de
constituer une société humaine séparée du reste de la nature et la dominant
par des outils qui la réduise à ce qui est utile à la vie matérielle de l’homme.
En résumé, le mythe de Protagoras, faisant du savoir technique un mode de
pensée, impose un mode d’être à l’homme : l’homme doit choisir l’existence
matérielle de son corps comme la seule forme d’existence possible. On voit en
quoi cette thèse est sophistique puisqu’elle « oublie » de dire que c’est l’âme
qui choisit ! Or, si c’est l’âme qui choisit, n’est-ce pas elle qui donne de la valeur ou
la refuse à cette forme d’existence ? Et si elle est source de cette valorisation, n’estce pas elle, et non le corps lui-même, qui vaut davantage, même mieux qui fait qu’il y
a de la valeur à chercher dans ce monde et pour l’homme ? Car, reconnaissons-le
avec Platon, la valeur n’est pas une chose, c’est l’appréciation qu’on porte sur une
chose, et, en ce sens, c’est d’abord une idée et c’est bien ce qu’on appelle une âme
et non un corps qui a des idées, c’est-à-dire qui pense quelque chose !
A l’issue de cette analyse, que conclure ? Ne faudrait-il pas disjoindre, dans l’idée
de science ce qui relève du savoir et ce qui relève du pouvoir ? La vraie science
n’est-elle pas une connaissance totalement inutile au sens de Protagoras,
c’est-à-dire ne servant aucunement les besoins du corps ou les désirs de l’âme
qui en découlent ? N’est-elle pas un savoir totalement désintéressé, ne visant ni
l’action collective, ni les intérêts de la communauté, ni même des intérêts humains ?
La vraie science ne serait-elle pas tout simplement un savoir sans aucun pouvoir ?
Car, si exercer son intelligence, c’est bien avoir la science, cette activité n’est ni un
faire ni une technique ni même un mouvement, c’est une activité qui a sa fin en
soi : s’exercer à penser intelligemment n’a pas d’autre but que d’être
intelligent !
Pourquoi la thèse de Platon nous semble-t-elle moins
acceptable que celle de Protagoras alors même qu’on a pu
voir dans cette dernière une contradiction ? Pourquoi une science
sans pouvoir, sinon celui de nous rendre intelligent, nous semble être une science
inutile et sans intérêt ?
Comme nous l’avons remarqué, la thèse de Protagoras qui associe essentiellement
savoir et technique, indique davantage une idée moderne de la science que l’idée
développée dans l’antiquité par Platon, ou même Aristote.
Si nous voulons comprendre la raison d’être de ce lien entre savoir et pouvoir
technique dans l’idée moderne de science, il faut en chercher la raison dans une
conception de l’homme qui tente de le comprendre comme l’union d’une âme
et d’un corps, au point que le savoir qui se fait par l’âme doit s’appliquer à la
nature qui est bien le monde dans lequel notre corps évolue. Il sera même
impossible de vouloir une vie spirituelle accomplie sans tenir compte de
l’existence matérielle de l’homme.
Que serait donc la valeur d’un savoir qui ne prendrait en considération qu’une
partie de l’homme lui-même ? Quelle valeur aurait un savoir qui ne permettrait pas
à l’homme d’agir avec toute la puissance qui peut être la sienne ? Si l’homme est
une âme indissolublement liée à son corps, la science, ce savoir qui cherche à
connaître le réel avec une entière certitude, se doit d’être applicable dans une
technique qui est à sa mesure.
2) la science à la source du bonheur humain
Cette conception, on la trouve développée dans un texte célèbre de Descartes, le
Discours de la méthode, et principalement dans sa 6ème partie.
Lisons ce texte très connu pour mieux en comprendre les enjeux
métaphysiques.
“Sitôt que j’ai eu acquis quelques notions générales touchant la
physique, et que commençant à les éprouver en diverses difficultés
particulières, j’ai remarqué jusques où elles peuvent conduire, et
combien elles diffèrent des principes dont on s’est servi jusqu’à
présent, j’ai cru que je ne pouvais les tenir cachées sans pécher
grandement contre la loi qui nous oblige à procurer, autant qu’il est
en nous, le bien général de tous les hommes. Car elles m’ont fait voir
qu’il est possible de parvenir à des connaissances qui soient fort
utiles à la vie, et qu’au lieu de cette philosophie spéculative, qu’on
enseigne dans les écoles, on peut en trouver une pratique, par
laquelle connaissant la force et les actions du feu, de l’eau, de l’air,
des astres, des cieux et de tous les autres corps qui nous
environnent, aussi distinctement que nous connaissons les divers
métiers de nos artisans, nous les pourrions employer en même façon
à tous les usages auxquels ils sont propres et ainsi nous rendre
comme maîtres et possesseurs de la nature. Ce qui n’est pas
seulement à désirer pour l’invention d’une infinité d’artifices, qui
feraient qu’on jouirait, sans aucune peine, des fruits de la terre et de
toutes les commodités qui s’y trouvent, mais principalement aussi
pour la conservation de la santé, laquelle est sans doute le premier
bien et le fondement de tous les autres biens de cette vie”.
Descartes, Discours de la méthode (1637), 6e partie, Bibliothèque de
la Pléiade, Éd. Gallimard, 1966, p. 168
Remarquons :
1) que la finalité de la science n’est pas strictement le savoir mais le bien-être
et plus particulièrement la santé considéré comme le 1 er bien : mais attention la
médecine n’est qu’une des branches de la sagesse, la dernière mais qui repose
sur d’autres connaissances qu’elle : cf « Toute la philosophie est comme
un arbre, dont les racines font la métaphysique, le tronc est la
physique, et les branches qui sortent de ce tronc sont toutes
les autres sciences qui se réduisent à trois principales, à
savoir la médecine, la mécanique et la morale, j'entends la
plus haute et la plus parfaite morale, qui, présupposant une
entière connaissance des autres sciences, est el dernier degré
de la sagesse.
Or comme ce n'est pas des racines, ni du tronc des arbres,
qu'on cueille les fruits, mais seulement des extrémités de leurs
branches, ainsi la principale utilité de la philosophie dépend de
celles de ses parties qu'on ne peut apprendre que les
dernières » .
Descartes, Principes de la philosophie, Ed. Vrin, p.42.
2) ce n’est pas le choix d’un strict matérialisme mais la décision de considérer
l’homme comme le composé d’une âme et d’un corps dont le corps agit sur
la science est donc ce qui libère l’âme de la
tyrannie du corps non pas en le niant mais en le
faisant oublier par les soins qu’on lui accorde et le
bien-être qu’on lui assure : le Traité des passions de l’âme que
l’âme :
Descartes publie à la fin de sa vie expose la mécanique des passions et le moyen de
les gouverner pour être heureux.
3) le projet d’une maîtrise de la nature n’est pas celui d’une domination sans
partage de la nature mais celui d’un monde créé à l’image de
l’homme : il y a un sens théologique à cette maîtrise : l’homme est un comme
un dieu sur Terre sans être Dieu lui-même mais il lui ressemble, par sa volonté, son
intelligence, sa science, sa technique : l’homme est cet esprit qui par sa science est
doué d’une puissance d’action et de transformation sur la matière qui compose la
nature et sa nature d’être vivant
Mais en quoi la science permet-elle à la technique d’agir sur la matière ?
Comment une telle efficace est-elle possible ?
3) Savoir pour agir sur la matière
« Sans doute, quand on envisage l’ensemble complet des travaux de
tout genre de l’espèce humaine, on doit concevoir l’étude de la
nature comme destinée à fournir la véritable base rationnelle de
l’action de l’homme sur la nature, puisque la connaissance des lois
des phénomènes, dont le résultat constant est de nous les faire
prévoir, peut seule évidemment nous conduire, dans la vie active, à
les modifier à notre avantage les uns par les autres. Nos moyens
naturels et directs pour agir sur les corps qui nous entourent sont
extrêmement faibles, et tout à fait disproportionnés à nos besoins.
Toutes les fois que nous parvenons à exercer une grande action,
c’est seulement parce que la connaissance des lois naturelles nous
permet d’introduire, parmi les circonstances déterminées sous
l’influence desquelles s’accomplissent les divers phénomènes,
quelques éléments modificateurs, qui, quelque faibles qu’ils soient
en eux-mêmes, suffisent, dans certains cas, pour faire tourner à
notre satisfaction les résultats définitifs de l’ensemble des causes
extérieures. En résumé, science, d’où prévoyance; prévoyance, d’où
action: telle est la formule très simple qui exprime, d’une manière
exacte, la relation générale de la science et de l‘art, en prenant ces
deux expressions dans leur acception totale. »
Auguste Comte, Cours de philosophie positive, Leçon II.
Remarquons :
1) l’action sur la nature suppose une connaissance des lois naturelles car par
cette connaissance il est possible de prévoir l’état futur d’un système
donné : ce qui ne signifie pas que partout où nous pouvons prévoir, nous pouvons
agir, cf l’astronomie : on ne peut rien changer à la course de astres. Mais
partout où notre action est possible, c’est parce que nous
pouvons anticiper l’état futur d’un système donné. Ce qui veut
dire que la rationalité à l’œuvre dans la technique est celle qui
est à l’œuvre dans la science ou autrement dit, la technique n’est
qu’un savoir-faire cad un faire à partir d’un savoir qu’elle trouve
ailleurs qu’en elle cad dans la science.
2) cette thèse prométhéenne fait remarquer la faiblesse naturelle des
hommes : comme l’avait dit le mythe, les « hommes sont nus et sans chaussures »
cad que leur corps est sans commune mesure avec le savoir dont leur esprit est
capable : ce qui fait le lien entre le savoir quasi infini de la science et la
faiblesse du corps humain, c’est justement la technique et les objets qu’elle est
capable de produire :
la technique est donc bien un substitut du
corps humain :
ainsi naissent 2 professions supplémentaires à celle des
scientifiques et qui est aussi nécessaire qu’elle : les techniciens et les ingénieurs
La thèse de Comte reprend en la précisant la thèse de Francis Bacon : on ne
commande à la nature qu’en lui obéissant.
3) la relation entre technique et science n’est pas toujours cette relation
idéale d’un savoir qui précède son application technique et qui commande la
réalisation des instruments :
a) la science peut être sans application : à quelle technique et à quelle
application correspond la théorie du Big Bang, faisant remonter la naissance
de l’univers visible à environ 15 M d’années ? C ‘est plutôt un savoir qui
répond à la curiosité fondamentale de l’être humain, à ce désir naturel de
savoir qui est à l’origine des mythes et de la philosophie, comme le dit
Aristote dans Métaphysique, A2,
b) la technique peut avoir été élaborée sans un fondement scientifique, par
simple essais empiriques : toute l’histoire des techniques antérieures à la
science expérimentales est le produit davantage d’un tâtonnement
empirique que d’une conception et d’une application des lois de la
nature : on construit les pyramides sans savoir la théorie de la gravitation
inventée par Newton,
c) son application repose souvent sur des conditions qui ne sont pas
seulement techniques mais qui peuvent être sociales ou politiques :
« Le génie de Pasteur a été de lier la question des micro-organismes
à des questions qui intéressaient les industriels, les fermiers, les
médecins. Pourquoi la bière se gâte-t-elle ? Pourquoi nos troupeaux
crèvent-ils de la maladie du charbon ? Comment lutter contre les
épidémies ? »
Isabelle Stengers, extrait de Sciences et Pouvoirs, 36-37 sur la
découverte par Pasteur des micro-organismes à l’origine des
épidémies
Conclusion :
On pourrait dire que, excepté pour le 1er cas qui laisse à la science sa noblesse
fondamentale en l’écartant de l’application technique, une technique qui ne serait
pas commandée par la science serait tout au plus du bricolage, incapable
de se comprendre elle-même, laissé au hasard des réussites et des échecs : on
pourrait alors dire que l’absence de science comme commandant la technique,
manifeste davantage un défaut qu’une qualité et que seule la technique
commandée par la science réalise le projet prométhéen d’une domination du
monde par l’homme.
Mais faut-il croire pour autant en une toute puissance de la technique
commandée par la science ? Faut-il croire en l’existence d’un savoir qui donnerait
tout pouvoir ?
Ce que la science ne connaît pas,
c’est le sujet lui-même et ses
tourments
non pas psychologiques, sociaux, politiques ou économiques mais
ceux qui sont liés au fait d’être tout simplement et d’avoir à choisir ce qui compte ou
ce qui ne compte pas dans l’existence d’un homme:
Lisons le texte de Husserl :
« De simples sciences de faits forment une simple humanité de
fait... Dans la détresse de notre vie... cette science n'a rien à nous
dire. Les questions qu'elle exclut par principe sont précisément les
questions qui sont les plus brûlantes à notre époque malheureuse
pour une humanité abandonnée aux bouleversements du destin : ce
sont les questions qui portent sur le sens ou l'absence de sens de
toute cette existence humaine... Ces questions atteignent
finalement l'homme en tant que dans son comportement à l'égard de
son environnement humain et extra-humain il se décide librement,
en tant qu'il est libre... de donner à soi-même et de donner au monde
ambiant une forme de raison. Or, sur la raison et la non-raison, sur
nous-mêmes les hommes en tant que sujets de cette liberté, qu'estce donc que la science a à nous dire ? La simple science des corps
manifestement n'a rien à nous dire, puisqu'elle fait abstraction de
tout ce qui est subjectif. En ce qui concerne d'autre part les
sciences de l'esprit, qui pourtant dans toutes leurs disciplines,
particulières ou générales, traitent de l'homme dans son existence
spirituelle, il se trouve, dit-on, que leur scientificité rigoureuse exige
du chercheur qu'il mette scrupuleusement hors-circuit toute prise de
position axiologique (1). Mais est-il possible que le Monde et l'être
humain en lui aient véritablement un sens si les sciences ne laissent
valoir comme vrai que ce qui est constatable dans une objectivité de
ce type ? »
(1) Axiologie : qui concerne les valeurs, particulièrement les valeurs éthiques
Husserl, La crise des sciences européennes et la phénoménologie
transcendantale, 1936.
Remarquons :
1) être un sujet n’est absolument pas réductible à être comme un objet :
que l’on prenne son esprit ou son corps, si on le pose comme un objet d’étude
connu par des méthodes expérimentales, il deviendra un ensemble de faits,
cad un ensemble de données d’expérience : mais qu’en est-il de cette
expérience fondamentale d’être un sujet ? On a déjà eu un aperçu avec le
texte de Philippe Fontaine, qui montre bien que le vécu subjectif renvoie à
un mode d’existence qui ne peut être connu par une expérience objective :
d’ailleurs n’y-a-t-il pas une contradiction manifeste à chercher une
connaissance objective de la subjectivité ?
2) c’est par le sens que l’on donne à son existence que se fait la
subjectivité humaine : se donner des fins cad des buts ne consiste pas et
ne peut pas consister à simplement savoir quelles sont les fins que les
hommes se donnent : il faut de la volonté, des sentiments d’espoirs et de
craintes, une conscience de soi et des autres, autant d’éléments qui ne
sont que vécus : N’est-ce pas alors la limite même du savoir scientifique y
compris pour ces sciences qu’on appelle science de l’homme et du pouvoir
admissible qu’il peut exercer sur la nature de l’homme, que d’admettre
qu’être un sujet n’est pas connaissable objectivement ? On retrouverait
encore Descartes avec le fait du cogito comme fondement de l’existence
humaine et l’impossibilité de l’appréhender autrement que pour et par celui qui
fait l’ascèse de la méditation.
Cette impuissance de la science ne la condamne pourtant pas et n’exclut pas
que l’homme prenne conscience de sa valeur, de sa complexité et de ses
droits.
Nous pouvons alors poser notre dernière question et poser notre dernière
partie :
Quelle influence la science peut-elle avoir sur la société, la conscience des
hommes et même sur leur liberté ?
III La science comme pouvoir social, moral et politique
On peut cerner cette idée par :
1) l’idéal des Lumières et la fonction politique d’émancipation des sciences
Lisons le texte de Kant, extrait de l’opuscule intitulé : Réponse à la question :
« Qu’est-ce que les lumières ? » :
« Les lumières, c’est pour l’homme sortir d’une minorité qui n’est
imputable qu’à lui. La minorité, c’est l’incapacité de se servir de son
entendement sans la tutelle d’un autre. C’est à lui seul qu’est
imputable cette minorité dès lors qu’elle ne procède pas du manque
d’entendement, mais du manque de résolution et de courage
nécessaires pour se servir de son entendement sans la tutelle
d’autrui. Sapere aude ! Aie le courage de te servir de ton propre
entendement : telle est donc la devise des Lumières.
La paresse et la lâcheté sont causes qu’une si grande partie des
hommes affranchis depuis longtemps par la nature de toute tutelle
étrangère, se plaisent cependant à rester leur vie durant des
mineurs ; et c’est pour cette raison qu’il est si aisé à d’autre de
s’instituer leurs tuteurs. Il est si commode d’être mineur. Si j’ai un
livre qui a de l’entendement pour moi , un directeur spirituel qui a de
la conscience pour moi, un médecin qui pour moi décide de mon
régime etc., je n’ai pas besoin de faire des efforts moi-même. Je ne
suis point obligé de réfléchir, si payer suffit ; et d’autres se
chargeront pour moi l’ennuyeuse besogne. […]
Il est donc difficile pour tout homme pris individuellement de se
dégager de cette minorité devenue comme une seconde nature. Il s’y
est même attaché et il est alors réellement incapable de se servir
de son entendement parce qu’on ne le laissa jamais en faire l’essai.
Préceptes et formules, ces instruments mécaniques destinés à
l’usage raisonnable ou plutôt au mauvais usage de ses dons
naturels, sont les entraves de cet état de minorité qui se perpétue.
Mais qui les rejetterait ne ferait cependant qu’un saut mal assuré
au-dessus du fossé même plus étroit, car il n’a pas l’habitude d’une
telle liberté de mouvement. Aussi sont-ils peu nombreux ceux qui
ont réussi, en exerçant eux-mêmes leur esprit, à se dégager de cette
minorité tout en ayant cependant une démarche assurée.
Qu’un public en revanche s’éclaire lui-même est davantage
possible ; c’est même, si seulement on lui en laisse la liberté,
pratiquement inévitable. Car, alors, il se trouvera toujours quelques
hommes pensant par eux-mêmes, y compris parmi les tuteurs
officiels du plus grand nombre, qui, après voir rejeté eux-mêmes le
joug de la minorité, rependront l’esprit d’une estimation raisonnable
de sa propre valeur et de la vocation de chaque homme à penser par
lui-même. […]
Mais ces Lumières n’exigent rien d’autre que la liberté ; et même
la plus inoffensive de toutes les libertés, c’est-à-dire celle de faire
un usage public de sa raison dans tous les domaines. »
Emmanuel Kant, Qu’est ce que les lumières ? , 1784, Trad. J.
Mondot, université de Saint-Étienne, 199
Remarquons :
1) les lumières sont l’autonomie de la raison : il faut penser l’opposition
entre la minorité et la majorité non pas en termes d’âge mais en terme de
volonté d’exercer par soi-même sa raison : la minorité est donc ici
davantage l’expression de la lâcheté cad du manque de volonté que d’un
manque d’intelligence ou de raison
2) se reposer sur un autre que l’on considère comme détenteur de
l’autorité, qu’elle soit religieuse, politique , morale ou même médicale,
c’est refuser de penser par soi-même : la soumission à l’autorité est ici
soumission à l’argument d’autorité
3) cet argument d’autorité est le fruit de l’habitude de se référer à ce qui est
pensé par d’autres sans se demander ni la valeur ni la raison de cette
pensée étrangère : le risque de se servir de sa propre raison existe mais il
faut le prendre
4) il faut prendre exemple sur les savants et les philosophes, qui peuvent
aussi faire autorité : c’est par leur intermédiaire que la
science se fait libératrice et c’est donc en ce sens
qu’ils font autorité car il ne s’agit pas d’apprendre la science par la
simple mémorisation, il faut l’apprendre de telle sorte à exercer son libre
jugement et c’est l’exercice de la libre parole qui permet l’exercice de la libre
pensée : la communication des savants garantie la liberté de la pensée.
5) Il y a donc une condition politique à ce pouvoir libérateur de la science :
c’est que ceux-là mêmes qui la font soient suffisamment libres pour
échanger et permettre l’examen libre et entier du savoir : seule la
liberté d’expression garantie par le droit fait naître et
répandre les Lumières : c’est donc en définitive dans l’organisation
politique que l’on peut trouver le fondement d’une émancipation des
hommes
Se produirait donc ici un retournement de la question puisqu’il ne suffirait plus
de penser la science comme un savoir qui vise à produire un pouvoir mais il
faudrait penser la science comme un savoir qu’un certain
pouvoir, le pouvoir politique, favorise et encadre, en le
limitant ou en le dirigeant !
2) La liberté de la science.
« Les hommes de science sont de simples citoyens et ont ceci de
commun avec les autres hommes qu’ils aiment leurs droits et leurs
libertés. Le savant dans son laboratoire désire être libre dans le
choix des sujets sur lesquels il dirigera ses recherches, il désire que
les instructions qu’on lui donne soient réduites au minimum, et il
doit être autorisé à parler librement de ses travaux de recherches. Il
doit avoir libre accès aux publications des autres chercheurs qui
travaillent dans le même domaine et doit se voir reconnaître le droit
de publier librement les résultats de ses expériences. Si les
conditions du moment imposent la nécessité de certaines
restrictions à sa liberté de communication, il désire savoir d’avance
quelle sera l’étendue de ces restrictions et doit être libre de rejeter
les recherches qui ne lui garantissent pas la satisfaction du
minimum de liberté qu’il se juge en droit d’exiger pour l’intérêt
essentiel de son œuvre. L’homme de science aime avoir le droit de
communiquer librement avec ses collègues, dans son pays et à
l’étranger et désire qu’on n’impose aucune restriction à sa liberté de
voyage et de correspondance.
En un mot, les hommes de science sont des citoyens qui désirent
exercer leurs droits de libres citoyens. Ils doivent pouvoir librement
participer à la vie culturelle et intellectuelle de la communauté. Ils
doivent être autorisés à participer au gouvernement de leur pays, et
à le critiquer s’ils le jugent nécessaire. En tant que citoyens, les
hommes de science sont disposés à accepter les devoirs et les
responsabilités civiques. Ils sont parfaitement conscients du fait
qu’ils doivent conquérir le droit d’être des hommes et des femmes
libres. Ils demandent une dispense spéciale parce que la science
pure et appliquée présente une importance exceptionnelle pour le
bien-être du monde et parce que les progrès qu’elle réalise
dépendent à un degré critique de la liberté qu’on lui concède.
La communauté qui restreint la liberté civique de ses hommes de
science finira par perdre à cette politique. Dans la société moderne,
l’organisme gouvernemental, à tous ses échelons, doit constamment
faire face à des décisions d’ordre politique qui mettent en jeu des
problèmes
scientifiques
et
technologiques
d’une
extrême
complexité. Les sages décisions qui s’imposent doivent s’appuyer en
partie sur l’avis d’hommes de science conscients de leurs
responsabilités et il est bien difficile d’en attendre des conseils
utiles s’ils ne sont pas libres d’exercer leurs responsabilités
civiques.
(…) La Déclaration universelle des Droits de l’Homme apparaît à une
époque où il est tout à fait nécessaire que tous les citoyens
procèdent à un nouvel examen des bases de nos droits et de nos
libertés traditionnelles, parmi lesquels figure la liberté de la
Science. Les savants doivent étudier cette Déclaration, non
seulement parce que c’est leur devoir de citoyen, mais aussi pour
une simple raison de salut personnel. Tous les êtres intelligents qui
ne sont pas des hommes de science doivent l’étudier également car
la science libre ne peut s’épanouir que dans une communauté qui
éprouve de la sympathie à son égard. On doit faire de cette
Déclaration une base d’étude et de discussion, car la liberté doit
être une flamme profondément vivante dans l’esprit des hommes.
(…)
La liberté de la science ne saurait être séparée de la liberté
politique et économique; en dernière analyse, elle ne constitue
qu’une partie du domaine, beaucoup plus vaste, de la liberté
intellectuelle.
Qu’il soit homme d’affaires, industriel, technicien, travailleur
manuel, paysan, fonctionnaire ou simple citoyen, quiconque lit
aujourd’hui le récit d’une attaque contre le droit d’un homme de
science à parler comme il veut ou à voyager librement peut, d’un
jour à l’autre se trouver critiqué et maltraité de la même façon.
Tout citoyen qui n’est pas un homme de science peut avoir des
difficultés à concevoir l’extrême préoccupation qu’éprouve l’homme
de science pour la sauvegarde de sa liberté tant qu’il n’aura pas bien
compris les méthodes et les motifs qui sont à la base même du
travail de ce savant et la nature des contributions que la science
apporte à la Société. »
Bart Bok (Professeur
à l'université et Directeur adjoint de l'Observatoire de Harvard, U.S.A.,
Président du Comité pour l'Unesco du Conseil national de la Recherche scientifique des Etats-Unis ),
La liberté de la science (1949), Collection « Droits de l’Homme »,
N°3, publiée par L’Organisation des Nations Unies Pour l’Education,
la
Science
et
la
Culture,
(UNESCO)
http://unesdoc.unesco.org/images/0012/001284/128457fo.pdf
Remarquons :
1) Bok rappelle les conditions méthodologiques de l’exercice de la
science : liberté de communication et d’expression : cette liberté est
garantie par le droit : elle repose sur une constitution politique qui fait de la
liberté d’expression un de ses principes fondamentaux et qui tolère donc la
diversité des opinions, la contradiction, les oppositions : c’est la forme
sociale que doit prendre la démocratie politique : les scientifiques ne sont
que des citoyens et la dispense spéciale n’est rien d’autre que d’exiger
encore plus que les autres cette liberté de communication (ce qui peut ne
pas être le cas par exemple, des fonctionnaires de la justice ou de l’armée :
un devoir de silence, pas le cas pour les scientifiques)
2) Pour l’auteur, il y a une autre raison à cette dispense spéciale : les
connaissances des scientifiques ont une utilité pour la vie collective et
aident à la prise de décision des politiques : le rôle des experts, des
conseils, des comités scientifiques, etc. Le savoir de la science est
donc fondement de l’exercice éclairé du pouvoir. Mais le
scientifique n’est pas le politique et n’a pas à prendre sa place.
3) La Déclaration des droits de l’homme (ceux de 1948, après le conflit de la
seconde guerre mondiale qui tiennent compte d’une multitude de points par
rapport à ceux de 1789 : plus seulement des droits libertés : liberté
d’expression, etc. mais aussi des droits créances : le droit au travail, à
l’éducation, à la santé, etc.) est le fondement politique de la liberté de la
science : ils ne sont pas eux-mêmes des faits mais des droits cad des
idées voulues et posées par des sujets libres : cette décision subjective
fonde la valeur même qu’on accorde à ces droits que l’on veut objectifs, c’est
en ce sens que les droits de l’homme ne font pas l’objet d’une science
On l’aura compris :
la science s’arrête là où commence la
subjectivité, c’est là que la réflexion se fait
philosophie, c’est là où le savoir de la science
devient sans pouvoir !
mais bien d’une réflexion philosophique.
4) Il y a non seulement une éducation à donner aux hommes concernant la
valeur de la science mais elle doit être défendue contre la barbarie, le
totalitarisme, la violence : on peut même vérifier la nature
démocratique
d’une société par le respect que les citoyens ont à
l’égard des connaissances scientifiques.
Mais remarquons que le droit politique ne donne pas tout pouvoir aux
scientifiques : les scientifiques sont des citoyens comme les autres, non
supérieurs aux autres : ils ont donc aussi des devoirs et doivent assumer leur
responsabilité de citoyen et cette responsabilité doit être assumée eu même
point et au même degré que représente l’importance du savoir qu’il donne à la
société :
Il faut donc se demander si le pouvoir social que donne le savoir scientifique n‘exige
pas de penser une responsabilité éthique et politique qui soit à sa mesure.
3) l’éthique et la politique comme limite du pouvoir de la science. (simple
esquisse)
En quel sens la morale et la politique impose-t-il des limites ?
a) Lisons un texte d’Aristote qui peut très bien s’appliquer à notre réflexion :
« Si donc il y a, de nos activités, quelque fin que nous souhaitons
par elle-même, et les autres seulement à cause d’elle, et si nous ne
choisissons pas indéfiniment une chose en vue d’une autre (car on
procéderait ainsi à l’infini, de sorte que le désir serait futile et vain),
il est clair que cette fin-là ne saurait être que le bien, le Souverain
Bien. N’est-il pas vrai dès lors que, pour la conduite de la vie, la
connaissance de ce bien est d’un grand poids et que, semblables à
des archers qui ont une cible sous les yeux, nous pourrons plus
aisément atteindre le but qui convient ? S’il en est ainsi, nous
devons essayer d’embrasser, tout au moins dans ses grandes lignes,
la nature du Souverain Bien, et de dire de quelle science particulière
ou de quelle potentialité il relève. On sera d’avis qu’il dépend de la
science suprême et architectonique par excellence. Or une telle
science est manifestement la Politique car c’est elle qui dispose
quelles sont parmi les sciences celles qui sont nécessaires dans les
cités, et quelles sortes de sciences chaque classe de citoyens doit
apprendre, et jusqu’à quel point l’étude en sera poussée ; et nous
voyons encore que même les potentialités les plus appréciées sont
subordonnées à la Politique par exemple la stratégie, l’économique,
la rhétorique. Et puisque la Politique se sert des autres sciences
pratiques et qu’en outre elle légifère sur ce qu’il faut faire et sur ce
dont il faut s’abstenir, la fin de cette science englobera les fins des
autres sciences ; d’où il résulte que la fin de la Politique sera le bien
proprement humain. Même si, en effet, il y a identité entre le bien
de l’individu et celui de la cité, de toute façon c’est une tâche
manifestement plus importante et plus parfaite d’appréhender et de
sauvegarder le bien de la cité : car le bien est assurément aimable
même pour un individu isolé, mais il est plus beau et plus divin
appliqué à une nation ou à des cités. »
Aristote, Ethique à Nicomaque, Livre I, chap I.
Remarquons :
1) la conscience humaine est commandée par la recherche des fins : et il y
a un système des fins alliant les fins particulières à une fin dernière : le
Souverain Bien cad pour Aristote, le Bonheur.
2) La science du Souverain Bien est celle qui tient compte de tous les biens
particuliers et constitue la fin de ces différents biens : la Politique définit ce
qu’il faut chercher pour l’ensemble des hommes que cela soit pour les
individus ou la communauté : ne pas oublier que l’homme est un animal
politique cad un être dont il est dans l’essence même de vivre en
communauté : sans la Cité, l’individu ne peut développer l’ensemble des
caractères propres à l’homme.
3) La science des fins est à entendre dans le sens antique : c’est la philosophie
politique qui sait ce qu’il faut poursuivre car c’est la philosophie qui sait
ce qu’est un homme et quel genre de bonheur lui est accessible.
Nous pouvons conclure que la politique gouverne l’ensemble des hommes y compris
aux savants car c’est en vue du Bien commun à tous les hommes que le savoir
de la science peut avoir une justification.
La morale elle-même doit donc être instituée par la politique et répondre au Bien
commun : c’est ce qu’on peut voir avec cette application de l’éthique à la
biologie et à la médecine : la bioéthique
b) Lisons quelques lignes d’un texte de Pierre-André Taguieff :
« Le présupposé culturel fondamental de la bioéthique est la perte
de confiance à l'égard du progrès scientifique et technique, dont
l'ambivalence est de plus en plus reconnue dans l'espace public.
L'objectif le plus modeste de la bioéthique institutionnalisée est
d'éclairer les citoyens sur les questions que pose l'accroissement du
pouvoir techno-scientifique et, ainsi, d'élever le niveau du débat
public. L'Institut européen de bioéthique (European institute of
bioethics), dans son court texte d'auto-présentation, s'en fait l'écho:
Face aux "progrès" de plus en plus rapides de la médecine et des
bio-technologies, des choix s'imposent. Vont-ils rendre nos sociétés
plus humaines? Personne ne peut être indifférent. L'Institut
européen de bioéthique s'est fixé comme objectif de permettre à
chacun de prendre position de la façon la plus éclairée possible".
La bioéthique s'inscrit ainsi dans le grand projet normatif des
Modernes, celui de la formation des citoyens, et de leur formation
continue, sous la condition que ces citoyens reconnaissent comme
leurs les idéaux pluralistes des démocraties libérales et
constitutionnelles. Et cette reconnaissance trouve son plein
accomplissement dans l'exercice de la libre discussion publique. Tel
est l'horizon de ce qu'on appelle, depuis le début des années 1970,
la bioéthique. »
Pierre-André Taguieff, La Bioéthique ou le juste milieu. Une quête de
sens à l'âge du nihilisme technicien, Paris, Fayard, 2007, pp.361.
Remarquons :
1) La bioéthique naît dans les années 1970 : elle répond à une exigence
morale qui consiste à évaluer les conséquences à la fois sociales,
morales, et existentielles que les progrès scientifiques peuvent avoir sur
l’homme : cf le clonage.
2) C’est une réflexion philosophique exigée des citoyens par l’Etat pour
juger des limites des effets de la science : une exigence posée par l’Etat
dans le projet d’une autonomie de la raison des citoyens, dans le
prolongement des principes des Lumières.
3) La science ne possède pas le savoir qui juge de sa valeur puisque les
valeurs dépendent de la volonté des hommes et des fins qu’ils
poursuivent.
Conclusion
1)
2)
3)
Qu’est-ce
qu’une
science ?
pas
seulement
un
domaine
de
connaissance mais une méthode qui
allie la raison et l’expérience et dont
l’idéal
est
d’atteindre
une
connaissance de la vérité.
Quel pouvoir donne un tel savoir ? non
seulement un pouvoir de faire un
monde à l’image de l’homme et qui
réponde à ses désirs et aussi un
pouvoir d’agir sur l’homme lui-même
pour qu’il atteigne son idéal de
bonheur.
Quelles limites faut-il donner à ce
pouvoir ? les limites reposent sur le
fait que la science des moyens de faire
et d’agir mais ne peut décider des fins
et de la valeur qu’il faut accorder à ses
fins.
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