Prévention des troubles émotionnels chez l`enfant et l - iPubli

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Prévention des troubles
émotionnels chez lenfant
et ladolescent
Depuis une vingtaine dannées, les conséquences délétères des troubles
anxieux et dépressifs de lenfant et de ladolescent sont mieux connues. Ces
pathologies ont une comorbiditéélevéeetsaccompagnent dun retentisse-
ment sur le fonctionnement psychosocial, individuel et familial. Parmi les
troubles anxieux, lanxiétéde séparation (crainte excessive d’être séparédes
gures dattachement), le trouble hyperanxiété(anxiétéchronique avec
plaintes somatiques), les troubles phobiques (peur excessive dun objet ou
dune situation donnée), et le trouble obsessionnel compulsif (idées obsé-
dantes et actes compulsifs) sont susceptibles de débuter précocement. Le
trouble dépressif majeur (association de symptômes dépressifs pendant une
duréedau moins deux semaines) et le trouble dysthymique (humeur dépres-
sive pendant un an au moins) peuvent se voir chez lenfant ; la prévalence des
troubles dépressifs augmente fortement àladolescence. Certains troubles
émotionnels du sujet jeune peuvent persister ou sassocier àdautres formes de
troubles mentaux ou àdivers dysfonctionnements sociaux et affectifs.
Lapproche développementale et épidémiologique des pathologies anxieuses
et dépressives a conduit àla mise en évidence de nombreux facteurs de risque,
individuels ou environnementaux. Dès lors que certains aspects de la vulnéra-
bilitésont connus, la question des possibilitésdeprévention doit se poser,
surtout pour des pathologies telles que les troubles anxieux et dépressifs des
sujets jeunes qui représentent un problème de santépublique (Conférence de
consensus, Fédération française de psychiatrie, 1995). Des programmes de
prévention des troubles anxieux et dépressifs àdestination des enfants et
adolescents commencent àêtre développés, principalement dans les pays
anglo-saxons, oùils sont devenus un objectif prioritaire pour la santémentale
de lenfant (Greenberg, 2001). Ces programmes sont aujourdhui pour la
plupart en cours d’évaluation pour juger de leur impact àcourt, moyen et long
termes et pour mieux définir les jeunes les plus àmême de tirer parti de ces
interventions. Après un aperçu des facteurs de risque des troubles anxieux et
dépressifs du sujet jeune, nous détaillerons les programmes évalués dans la
littérature scientique en mettant laccent sur la prévention primaire (avant
la survenue du premier épisode dépressif). Nous naborderons pas ici la
prévention du suicide, question récemment traitée dans une conférence de 29
consensus consacréeàla «crise suicidaire », qui a mis laccent sur la formation
des médecins généralistes et des personnels paramédicaux (Fédération fran-
çaise de psychiatrie, 2000).
Facteurs de risque des troubles anxieux
La vulnérabilitéaux troubles anxieux résulte toujours de linteraction de
plusieurs facteurs de risque, les uns individuels, les autres environnementaux.
Ces facteurs de risque peuvent avoir un effet cumulatif, mais leur valeur
prédictive nest pas identique. Par ailleurs, limpact de ces facteurs de risque
sur la survenue ultérieure de troubles anxieux peut aussi varier en fonction de
leur moment de survenue au cours du développement. La connaissance de ces
facteurs de risque revêt une importance majeure dans une perspective de
prévention.
Attachement insécure
A la suite des travaux de Bowlby (1969, 1973), la qualitéde lattachement
entre le nourrisson et sa mère (ou son substitut) est classiquement considérée
comme un aspect important dans le développement des troubles anxieux chez
lenfant. Les différents styles dattachement ont étéobservésgrâce àla «situa-
tion étrange », le paradigme expérimental développépar Ainsworth (1978),
qui privilégie l’évaluation de la sensibilitéde la réponse maternelle dans
linterprétation des patterns dattachement. Cette situation standardisée
évalue les réactions dun enfant de 12 à18 mois confrontéàune absence brève
de sa mère, àlaquelle il est demandéde quitter la pièce, et les réactions de
lenfant au retour de celle-ci. Les différentes réactions des enfants permettent
de les classer en trois catégories :
les enfants sécures manifestent une réaction de détresse fugace et retour-
nent àleurs jeux ; ils accueillent leur mère sans hostilitéàson retour ;
les enfants insécures-évitants manifestent peu d’émotions àla séparation et
ignorent leur mère àson retour ;
les enfants insécures-résistants expriment beaucoup de détresse au moment
de la séparation et ne sont pas facilement apaisés au retour de leur mère.
La plupart des données supportant ce modèle sont indirectes, ce qui en limite
la validité.Uneétude portant sur 172 enfants évaluésà12 mois et à17 ans et
demi, suggère toutefois quun attachement insécure-résistant à12 mois serait
prédictif de la survenue de troubles anxieux, même lorsque leffet liéàlanxiété
maternelle et au tempérament de lenfant est contrôlé(Warren et coll., 1997).
Lexistence dun lien prédictif direct entre qualitéde lattachement et dévelop-
pement ultérieur de lenfant (y compris pour la survenue de troubles émotion-
nels) reste cependant lobjet de controverses. Pour certains auteurs, la qualité
de lattachement traduirait plutôt un style dinteractions entre lenfant et sa
gure dattachement, et dépendrait donc essentiellement des circonstances de
Santédes enfants et des adolescents, propositions pour la préserver
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vie du moment. La qualitéde lattachement serait ainsi liée, pour une large
part, àlorigine socio-économique des familles : les enfants présentant un
attachement insécure seraient surreprésentés dans les couches sociales défavo-
risées, en raison probablement dun environnement trop peu stimulant,
manquant de stabilitéet proposant des gures dattachement peu disponibles
(Van Ijzendoorn et Kroonenberg, 1988). Dans ces conditions, il est difficile de
savoir dans quelle mesure le devenir de lenfant est inuencépar la nature des
expériences relationnelles précoces avec la gure dattachement, ou sil
témoigne simplement de la qualitéde lenvironnement (Lamb et coll., 1984 ;
Bretherton et Waters, 1985). Dautres auteurs ont soulignéle rôle des caracté-
ristiques individuelles de lenfant (Kagan, 1982 ; Buss et Plomin, 1984) dans le
style dattachement décrit au cours de la situation étrange. Des évaluations
longitudinales confrontant plusieurs méthodes dobservation sont indiquées
pour préciser les liens entre style dattachement et vulnérabilitéanxieuse.
Inhibition comportementale
Linhibition comportementale est une caractéristique individuelle étudiée par
Kagan et coll. (1987) àpartir d’études longitudinales sur le tempérament et sa
stabilitéau cours de la vie. Cette dimension se manifeste par une timidité, une
réserve, des réactions de retrait face aux personnes, lieux ou situations non
familiers. Elle saccompagne dune hyperréactivitédu système nerveux sympa-
thique et possède une forte composante génétique (Kagan, 1999). Une forte
inhibition comportementale est préférentiellement retrouvée chez les enfants
issus de parents ayant un trouble panique et, àun moindre degré, chez les
enfants issus de parents déprimés majeurs (Rosenbaum et coll., 1988).
Plusieurs études ont montréque linhibition comportementale était prédictive
de la survenue de troubles anxieux durant lenfance (anxiétéde séparation,
hyperanxiétéet troubles phobiques principalement) (Biederman et coll.,
1993 ; Rosenbaum et coll., 1993). Le mécanisme par lequel linhibition
comportementale favorise la survenue de troubles anxieux implique sans
doute la présence dautres facteurs de risque : les parents des enfants inhibéset
présentant des troubles anxieux ont eux-mêmes des taux signicativement
plus élevés de troubles anxieux, comparativement aux parents des enfants ne
présentant quune inhibition comportementale et aux parents des enfants ne
présentant ni inhibition comportementale ni troubles anxieux (Biederman et
coll., 1990 ; Rosenbaum et coll., 1992). Les travaux de Hirshfeld et coll.
(1997) suggèrent que les attitudes de surprotection et dhypercontrôle asso-
ciées àcertains troubles anxieux chez les parents pourraient favoriser la
stabilitéde linhibition comportementale chez les enfants.
Antécédents familiaux de troubles anxieux
Plusieurs études mettent en évidence une agrégation familiale des troubles
anxieux. Cependant, si ces études mettent laccent sur limportance transgé-
nérationnelle des troubles anxieux, leur analyse montre quexception faite du
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trouble panique, il est difficile d’établir une continuitécatégorielle stricte
entre les troubles anxieux observés chez les enfants et ceux retrouvés chez les
parents (Weissman et coll., 1984 ; Last et coll., 1987 ; Turner et coll., 1987 ;
Last et coll., 1991). Dautres études mettent aussi en évidence lassociation
entre troubles anxieux de lenfant et troubles dépressifs chez les parents, en
particulier pour le trouble anxiétéde séparation (Livingston et coll., 1985 ;
Turner et coll., 1987). Si les études familiales suggèrent fortement lexistence
dune relation entre troubles anxieux de lenfant et troubles affectifs chez les
parents, elles ne résolvent en rien la question du mode de transmission,
environnementale et/ou génétique. La peur «normale »et lanxiété, sous la
forme de symptômes ou de syndromes, répondent àun certain degréde
contrôle génétique (ceci apparaissant particulièrement net pour le trouble
panique et les troubles phobiques) (Marks, 1986). Le poids de lhéritabilité
dans les symptômes anxieux de lenfant ne serait cependant que denviron
40-50 % (Thapar et Mc Guffin, 1995). Cest dire que des variables environne-
mentales (événements de vie, attitudes parentales...) interviennent aussi, en
interaction avec les facteurs de vulnérabilitégénétiques, dans le déterminisme
et lexpression clinique des troubles anxieux chez lenfant (Leboyer et Lépine,
1988). Par exemple, lintensitéet la fréquence des comportements d’évite-
ment associésàcertains troubles anxieux chez les parents auraient plus de
valeur prédictive sur les troubles psychopathologiques rencontrés chez les
enfants que le diagnostic clinique lui-même (Silverman et Nelles, 1988).
Événements de vie
Àla suite dun événement traumatisant, de nombreux enfants développent
des peurs et des manifestations anxieuses : comportements d’évitement,
plaintes somatiques, dépression, troubles du sommeil et expériences intrusives
de reviviscence (Dollinger et coll., 1984 ; Dollinger, 1986). Si dans la plupart
des cas ces symptômes saméliorent relativement rapidement, certaines études
témoignent dune augmentation de la fréquence des troubles anxieux chez les
enfants ayant subi de tels événements (Terr, 1981 ; Dollinger et coll., 1984 ;
Yule et Williams, 1990). Les événements de vie dits négatifs ou stressants sont
plus fréquents que les événements traumatiques cités auparavant ; il peut sagir
de la séparation ou du divorce des parents, de la maladie ou du décèsdun
membre de la famille, de conits intrafamiliaux, dune hospitalisation, dun
déménagement ou dun changement d’école. Le nombre de ces événements
observéchez les enfants anxieux est signicativement plus important que
celui retrouvéchez les enfants non anxieux, suggérant que dans deux tiers des
cas environ ces événements de vie pourraient être considérés comme des
facteurs étiologiques possibles (Goodyer et coll., 1985). Cependant, comme le
soulignent Sandler et Ramsay (1980), les évènements de vie en eux-mêmes ne
peuvent en aucun cas résumer toute l’étiologie des troubles mentaux de
lenfant : le mécanisme par lequel un événement de vie affecte un enfant fait
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intervenir plusieurs facteurs, tels que la fréquence des récidives des événe-
ments de vie, l’état psychologique de lenfant, la structure sociale et les
ressources de la famille, et les capacités des parents àsoutenir lenfant, chacun
de ces facteurs concourant àcréer chez lenfant une vulnérabilitéparticulière
au stress provoquépar ces événements de vie. Dans ce contexte, plusieurs
études suggèrent que limpact des événements de vie sur le développement
ultérieur de troubles anxieux chez lenfant pourrait être inuencépar les
attitudes parentales. Mc Farlane (1987), par exemple, retrouve des taux de
symptômes post-traumatiques plus élevés chez les enfants ayant des mères
présentant elles-mêmes un haut degrédanxiétéet ayant tendance àsurpro-
téger leur enfant. De même, les attitudes parentales semblent jouer un rôle
important dans les troubles anxieux engendrés chez lenfant par un stress
médical (hospitalisation, intervention douloureuse) (Bailly et coll., 1993).
Attitudes parentales
Les attitudes parentales sont susceptibles dinteragir avec de nombreux autres
facteurs de risque dans le développement des troubles anxieux chez lenfant.
Les travaux de Barrett et coll. (1996) montrent que les parents des enfants
anxieux se différencient des autres parents dans la manière dapprendre àleurs
enfants àinterpréter et àrépondre aux signaux ambigus de menace. Les
enfants anxieux et leurs parents perçoivent de nombreuses situations comme
menaçantes. Confrontésàdes problèmes sociaux ambigus, ils adoptent, plus
que les autres, des stratégies d’évitement. Lanalyse des interactions familiales
montre que les stratégies d’évitement adoptées par les enfants sont inuencées
par lattitude des parents (interprétation, réponses envisagées) face aux
diverses situations qui leur sont proposées (Dadds et coll., 1996). Dans le
même ordre didée, des attitudes parentales de surprotection, dhypercontrôle
et de critique exagérée pourraient, directement ou en interaction avec
dautres facteurs de risque, favoriser le développement de troubles anxieux
chez lenfant (Krohne, 1992). Ainsi, les attitudes parentales de surprotection
et dhypercontrôle pourraient interférer avec les processus dacquisition par
lenfant de compétences sociales et de stratégies de résolution de problèmes
efficaces, entraînant chez lenfant des difficultésàfaire face aux événements de
vie stressants. De plus, les attitudes parentales de surprotection et dhypercon-
trôle pourraient aussi entraîner chez lenfant des doutes sur sa valeur person-
nelle et un manque de conance dans ses capacitésderéussite.
Facteurs de risque des troubles dépressifs
Lapparition dun trouble dépressif majeur est attribuéeàla conjonction dune
vulnérabilitéindividuelle et/ou familiale et de facteurs précipitants tels que
des événements de vie adverses.
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