INTRODUCTION. QU'EST-CE QUE LA SLOVÉNIE ?
Rajko Mur?i?
P.U.F. | Ethnologie française
2012/2 - Vol. 42
pages 197 à 208
ISSN 0046-2616
Article disponible en ligne à l'adresse:
--------------------------------------------------------------------------------------------------------------------
http://www.cairn.info/revue-ethnologie-francaise-2012-2-page-197.htm
--------------------------------------------------------------------------------------------------------------------
Pour citer cet article :
--------------------------------------------------------------------------------------------------------------------
Mur?i? Rajko, « Introduction. Qu'est-ce que la Slovénie ? »,
Ethnologie française, 2012/2 Vol. 42, p. 197-208. DOI : 10.3917/ethn.122.0197
--------------------------------------------------------------------------------------------------------------------
Distribution électronique Cairn.info pour P.U.F..
© P.U.F.. Tous droits réservés pour tous pays.
La reproduction ou représentation de cet article, notamment par photocopie, n'est autorisée que dans les limites des
conditions générales d'utilisation du site ou, le cas échéant, des conditions générales de la licence souscrite par votre
établissement. Toute autre reproduction ou représentation, en tout ou partie, sous quelque forme et de quelque manière que
ce soit, est interdite sauf accord préalable et écrit de l'éditeur, en dehors des cas prévus par la législation en vigueur en
France. Il est précisé que son stockage dans une base de données est également interdit.
1 / 1
Document téléchargé depuis www.cairn.info - - - 84.20.243.248 - 15/01/2013 12h49. © P.U.F.
Document téléchargé depuis www.cairn.info - - - 84.20.243.248 - 15/01/2013 12h49. © P.U.F.
Dossier : Bembo puf318855\MEP\ Fichier : Ethno_2_12 Date : 30/1/2012 Heure : 16 : 27 Page : 197
Introduction. Qu’est-ce que la Slovénie ?
Rajko Muršicˇ
Université de Lubiana
Rajko Muršicˇ
Department of Ethnology and Cultural Anthropology
Faculty of Arts
University of Ljubljana
Aškercˇeva 2
1000 Ljubljana
Slovénie
rajko.mursic@ff.uni-lj.si
En 2011, la Slovénie a célébré son 20eanniversaire. Elle n’en reste pas moins un
pays d’Europe pratiquement inconnu. Le célèbre écrivain slovène, Vitomil Zupan,
décrit ainsi ses compatriotes : « Pour les Italiens nous sommes les Schiavi et pour les
Autrichiens des porcs du Windisch ; le reste de l’Europe pense que nous faisons partie
des Balkans et les peuples des Balkans croient que nous appartenons à l’Empire d’Au-
triche, tandis que, pour le reste du monde, nous somme perdus quelque part entre la
Turquie et la Tchécoslovaquie » [cité par Gow et Carmichael, 2001 : 2].
Linguistiquement et culturellement très hétérogène, la Slovénie compte deux mil-
lions d’habitants auxquels s’ajoutent les minorités de langue slovène des pays voisins.
Les Slovènes parlent environ 35 dialectes et certains ne se comprennent pas entre eux.
L’ethnologue Vilko Novak répartit le territoire en quatre « régions ethniques » ou
zones ethnographiques principales au régionalisme marqué : alpine, centrale, littorale
ou occidentale et pannonienne [Novak, 1958 : 29]. Même si la culture traditionnelle
s’est nourrie d’influences diverses venues de toute l’Europe, les ethnologues estiment
que certains traits « typiquement » slovènes se sont maintenus, au nombre desquels les
râteliers à foin, les frontons de ruche décorés, le chant 5-8 (presque disparu) et le
klopoptec1. Le « trait typique » le plus intéressant est peut-être le ski de descente pratiqué
sur le plateau de Bloke, où il est attesté dès le XVIIesiècle [Valvasor, 1689 ; Orel, 1964].
Située au carrefour de l’Europe méridionale, la Slovénie accueillit des Néandertaliens
et des hommes de Cro-Magnon au début de l’âge de pierre. Pendant toute la préhis-
toire, de nombreux peuples s’y installèrent ou bien la traversèrent. Au premier siècle
de notre ère, l’Empire romain intégra les contrées slovènes dans les provinces de
Noricum et de Pannonie. Après l’effondrement de l’Empire romain occidental, vers
la fin des VIeet VIIesiècles, des populations slaves commencèrent à s’installer dans la
région située entre la mer Adriatique, la plaine de Pannonie, les Alpes orientales et la
Moravie.
Au VIIesiècle (de 623 à 658), le roi Samuel forma l’union des tribus slaves moraves
et alpines. À cette époque, sous le prince Valuk, fut créée la principauté connue par
la suite sous le nom de Carinthie (ou Karantanija en slovène). S’il est difficile de savoir
si la principauté possédait toutes les caractéristiques d’un État souverain, on sait
1. Un objet en bois munis de
pales que le vent fait tourner et
qui, perché au sommet d’un
poteau, sert à effrayer les oiseaux
notamment dans les vignes
[NdT].
Ethnologie française, XLII, 2012, 2, p. 197-208
Document téléchargé depuis www.cairn.info - - - 84.20.243.248 - 15/01/2013 12h49. © P.U.F.
Document téléchargé depuis www.cairn.info - - - 84.20.243.248 - 15/01/2013 12h49. © P.U.F.
Dossier : Bembo puf318855\MEP\ Fichier : Ethno_2_12 Date : 30/1/2012 Heure : 16 : 27 Page : 198
néanmoins qu’elle fut en conflit avec sa voisine, la Bavière, jusqu’en 745, quand toutes
deux furent soumises par Charlemagne. Au sein de l’Empire carolingien, la Slovénie
devint un comté frontalier sous autorité bavaroise [Zgodovina Slovencev, 1979]. Vers
la fin du Xesiècle, les manuscrits de Freising (Brižinski spomeniki en slovène), qui
contiennent trois textes liturgiques, furent rédigés dans la langue dont est issu le slovène
actuel. Ces manuscrits sont conservés à Freising, en Allemagne, où ils ont été découverts
en 1803.
L’inauguration des ducs de Carinthie est une tradition qui s’est maintenue pendant
des siècles. Le rituel qui se déroulait pour l’essentiel en langue slave se perpétua du
VIIIeau XVesiècle. Les premiers souverains des Habsbourg furent ainsi couronnés à
Gosposvetsko polje (situé actuellement en Autriche près de Celovec/Klagenfurt),
jusqu’à Ernest de Fer, dernier duc de Carinthie.
La Réforme protestante représente également un moment important de l’histoire
du pays. En 1550-1551, les premiers livres furent imprimés en langue slovène. Le
pasteur Primož Trubar publia Abecedarium et Cathecismus. Le premier ouvrage présente
l’auteur anonymement comme un Peryatil vseh Slouenzou, littéralement l’« Ami de tous
les Slovènes », et un Rodoljub Ilirski ou « Patriote illyrien »2. La Réforme entraîna
également à l’initiative d’un autre écrivain protestant, Jurij Dalmatin, la parution en
1584 d’une édition slovène complète de la sainte Bible.
En 1689 paraît un ouvrage de référence particulièrement intéressant pour l’histoire
du pays et de sa population, rédigé en allemand par Johann Weichard Valvasor. Sous
le titre de Die Ehre des Herzogtums Crain [La gloire du duché de Carniole]3, cette œuvre
monumentale en 15 volumes décrit une région qui, pour l’essentiel, correspond à la
Slovénie d’aujourd’hui.
Quand l’Église catholique entama la Contre-Réforme, les écrivains protestants furent
expulsés du pays ; puis, la période des Lumières apporta une prise de conscience
nouvelle de la singularité du peuple slovène. L’occupation française de 1809 à 1813
s’avéra décisive pour le pays en tant que nation. Le slovène devint alors, pour la première
fois, la langue officielle utilisée à l’École et dans l’administration, tandis que Lubiana
s’imposait comme la capitale des provinces illyriennes (Ilirske province en slovène)4. Cela
explique pourquoi Lubiana est peut-être la seule ville européenne qui possède un
monument à la gloire de Napoléon. Signalons au passage que, depuis cette annexion
à l’Empire, le folklore porte les traces d’une influence française, notamment certaines
chansons [Kumer, 1990]. Ces années aboutirent à un réveil national, les traditions
slovènes – en particulier les chants, les récits et les coutumes populaires – suscitant un
intérêt croissant. Tout ceci pesa sur le courant romantique qui se développait alors dans
l’ethnologie slovène.
En 1848, lors de la révolution du Printemps des peuples, fut publié le premier
programme pour une Slovénie unie. Les Slovènes continuèrent néanmoins d’être répar-
tis entre quatre territoires de l’Empire des Habsbourg et seule la population de la
Carniole était en majorité de langue slovène. Finalement, le 29 octobre 1918, l’État
des Slovènes, des Croates et des Serbes fut proclamé, et le 1er décembre de la même
année, intégré dans le nouveau Royaume des Serbes, des Croates et des Slovènes, qui
plus tard en 1929 fut rebaptisé royaume de Yougoslavie. Le partage d’une langue
commune, malgré leur diversité régionale, est peut-être la principale caractéristique
des Slovènes. Le début du XIXesiècle voit la normalisation de la langue, les premiers
journaux étant apparus à la fin du siècle précédent.
Avant la Première Guerre mondiale, la Slovénie austro-hongroise était plutôt
provinciale et agricole. La plupart des centres urbains étaient germanisés ou italia-
nisés ; mais, en même temps, se développait un puissant mouvement nationaliste. Au
2. L’Illyrieestunancienroyaume
qui occupait l’ouest de la Croatie,
de la Slovénie et de l’Albanie
actuelles,lesIllyriensapparaissant
dans l’histoire vers le XXesiècle
avant notre ère [NdT].
3. Kranjska en slovène, devient
Crain ou Krain en allemand,
Carniola en anglais [NdT].
4. Annexées en 1809, ces pro-
vinces regroupaient des régions
aujourd’hui slovènes et croates,
mais aussi autrichiennes, italien-
nes et monténégrines. Elles
furent reconquises par l’Empire
d’Autriche en 1813 [NdT].
198 Rajko Muršicˇ
Ethnologie française, XLII, 2012, 2
Document téléchargé depuis www.cairn.info - - - 84.20.243.248 - 15/01/2013 12h49. © P.U.F.
Document téléchargé depuis www.cairn.info - - - 84.20.243.248 - 15/01/2013 12h49. © P.U.F.
Dossier : Bembo puf318855\MEP\ Fichier : Ethno_2_12 Date : 30/1/2012 Heure : 16 : 27 Page : 199
XIXesiècle, l’avènement d’un nationalisme libéral semblait inévitable : « L’image que
le nationalisme donne de lui-même présente un élément de vérité quand le narod ou
le Volk est dirigé par les fonctionnaires d’une autre culture, à la fois étrangère et haute,
et qu’il faut combattre son oppression tout d’abord par une renaissance et une réaffir-
mation culturelles, puis finalement par une guerre de libération nationale » [Gellner,
1983 : 57]. Ainsi, au cours du XIXesiècle, des parties de l’Empire des Habsbourg
habitées par des populations de langue slovène finirent-elles par recevoir le nom de
Slovénie. Cela correspond à une période d’expansion économique et de création
d’institutions « nationales » comme l’université de Ljubljana.
En avril 1941, le territoire slovène fut occupé par l’Italie, l’Allemagne et la Hongrie.
Très vite, les Partisans5organisèrent la résistance, qui mena à la libération en 1945,
puis à la création de la République fédérative populaire (puis socialiste) de Yougoslavie,
placée sous le contrôle de Tito et du parti communiste. La Slovénie en faisait partie,
ainsi que la Croatie, la Bosnie-Herzégovine, la Macédoine, le Monténégro et la Serbie.
En 1991 et 1992, quatre des républiques fédérales devinrent indépendantes : la Slovénie,
la Croatie, la Bosnie-Herzégovine et la Macédoine.
En 1991 le pays devint un État indépendant, la République de Slovénie ; puis, en
2004, elle rejoignit l’Union européenne. En 2011 le nombre d’habitants passa la barre
des 2 millions. À majorité slovène, la population compte également des minorités
italienne et hongroise bénéficiant d’un statut particulier, des Roms et des migrants en
provenance de l’ex-Yougoslavie, qui représentent tous ensemble 12 % de la population.
5. Les Partisans sont un groupe
de résistants qui se forma après
l’occupation du royaume de
Yougoslavie en 1941. En Slové-
nie, la résistance organisée par le
Front de libération fut menée
par le parti communiste. Josip
Broz Tito (1892-1980) était le
commandant en chef de ces
troupes de combattants yougo-
slaves qui ont libéré le pays. Il
est ensuite devenu le président
de la République socialiste (puis
fédérative) de Yougoslavie.
Introduction. Qu’est-ce que la Slovénie ? 199
Ethnologie française, XLII, 2012, 2
Document téléchargé depuis www.cairn.info - - - 84.20.243.248 - 15/01/2013 12h49. © P.U.F.
Document téléchargé depuis www.cairn.info - - - 84.20.243.248 - 15/01/2013 12h49. © P.U.F.
Dossier : Bembo puf318855\MEP\ Fichier : Ethno_2_12 Date : 30/1/2012 Heure : 16 : 27 Page : 200
Modes de vie : les sources
Nous devons l’une des premières descriptions de la vie quotidienne dans les régions
slovènes à un émissaire du pape, Paolo Santonino, dont les carnets de voyage intitulés
Itinerarium, portent sur la Carinthie (Kärnten), la Carniole (Krain) et la Styrie (Steier-
mark) de 1485 à 1487 [Santonino, 1992].
À l’époque des Lumières, deux auteurs se détachent, Anton Tomaž Linhart et Balthasar
Hacquet. Le premier, un historien slovène, publie en 1788 et 1791 une histoire complète
en deux volumes de la Carniole slovène, ainsi que de plusieurs régions d’Autriche peu-
plées par des Slaves méridionaux. Le second, un médecin et naturaliste d’origine bre-
tonne, consacre aux Slovènes et autres Slaves du Sud, un ouvrage monumental en quatre
volumes, paru entre 1801 et 1808. Les deux ouvrages sont rédigés en allemand.
En 1824 Josef Košicˇ publie un ouvrage en slovène consacré à la vie quotidienne dans
la région de Slovenska Krajina, située sous la partie hongroise de l’Empire habsbourgeois
et dont il est lui-même originaire. Les premières descriptions économiques et topogra-
phiques de la Carniole ont été réalisées à la fin du XVIIIesiècle par Franc Anton Brecker-
feld. Mais les données ethnographiques les plus précieuses pour l’étude de la vie en
Slovénie durant la première moitié du XIXesiècle proviennent des enquêtes statistiques
menées par l’État. Dans les provinces de l’Empire on appela d’abord « statistiques » cer-
taines parties de ce qui allait devenir l’ethnologie actuelle. Aussi, l’introduction en 1813
du mot Volkskunde ethnographie ») par un fonctionnaire de l’archiduc Charles d’Autri-
che, J. F. Knaffl, ne doit-elle rien au hasard [Novak, 1968 : 119]. Quant à la plus grande
enquête « statistique », elle se déroula entre les années 1810 et 1840. Un questionnaire
topographique détaillé fit le tour de la Styrie et permit de recueillir des données inesti-
mables dans plus de 500 villes et villages de l’est du pays [Kuret, 1985-1993].
Influencés par les idées de Herder sur l’esprit du peuple, les principaux poètes
slovènes de la première moitié du XIXesiècle cherchèrent leur inspiration dans la
littérature populaire. Les principaux sujets étudiés au cours de la période romantique
(et aujourd’hui encore par le courant romantique de l’ethnologie) sont les suivants :
les trésors populaires (narodno blago), l’esprit du peuple (narodni duh), les chansons
populaires (ljudske pesmi), les croyances populaires (ljudska verovanja), les us et coutumes
(šege in navade), les mythes (miti) ou encore les récits (pripovedi). Il s’agit pour résumer
d’antiquités datant du bon vieux temps6.
Les premiers recueils de chansons populaires parurent à la fin des années 1830. En
1839, Stanko Vraz publia un recueil intitulé Narodne pjesni ilirske (les chansons popu-
laires illyriennes). Certains nationalistes, principalement des intellectuels slovènes et
croates surnommés les « Illyristes », utilisaient alors le mot « illyrien »7pour signifier
que les Slovènes et les autres Slaves méridionaux devraient s’unir – que cette union se
réalise au sein de l’Empire ou en dehors de lui. La même année, un émigré polonais,
Emil Korytko, publia le premier volume d’un recueil important de chansons du « peuple
de Carnolie » [1839-1844]. Un grand nombre d’autres recueils suivirent, si bien que,
vers la fin du siècle, la première édition critique complète et érudite de chansons
populaires slovènes put voir le jour.
Les traditions populaires ou la culture traditionnelle slaves furent abordées pour la
première fois dans l’ouvrage de Gregor Krek [1874] qui se veut une introduction à
l’histoire de la littérature slave. L’ouvrage que Josip Pajek [1884] consacra à la vie spiri-
tuelle et quotidienne dans l’est de la Slovénie (en Styrie méridionale) mérite également
d’être cité, même s’il ne s’agit pas d’un ouvrage scientifique. Quelques auteurs échappent
l’influence que le romantisme exerce à l’époque sur les idées et les programmes de
6. En slovène, deux mots signi-
fient « populaire » : narodno et
ljudski. Le premier est un terme
archaïque, narod désignant le
peuple jusqu’au milieu du
XXesiècle [NdT].
7. Voir note 2 [NdT].
200 Rajko Muršicˇ
Ethnologie française, XLII, 2012, 2
Document téléchargé depuis www.cairn.info - - - 84.20.243.248 - 15/01/2013 12h49. © P.U.F.
Document téléchargé depuis www.cairn.info - - - 84.20.243.248 - 15/01/2013 12h49. © P.U.F.
1 / 13 100%
La catégorie de ce document est-elle correcte?
Merci pour votre participation!

Faire une suggestion

Avez-vous trouvé des erreurs dans linterface ou les textes ? Ou savez-vous comment améliorer linterface utilisateur de StudyLib ? Nhésitez pas à envoyer vos suggestions. Cest très important pour nous !