Eclairages Eclairages Direction des Études Économiques Mensuel - N°119 Février 2008 La première grande crise financière du XXIe siècle Crise financière, six mois après l’éclatement 1 Déroulé de la crise 3 Gestion de la crise par le gouvernement américain 5 Gestion de la liquidité par les banques centrales 7 Encadré - Credit crunch : les raisons du danger Gestion de la crise par les banques 10 11 Crise financière, six mois après l’éclatement 2007 va entrer dans l’histoire avec le mot subprime, que l’on pourra facilement coller au mot surprise. Quelques mois seulement avant la crise, les marchés pariaient encore sur une croissance mondiale forte. Le prix du risque, excessivement bas à l’époque, était censé remonter un peu, sans que toutefois il soit possible d’en préciser l’origine. L’histoire en a décidé autrement, puisque le retournement de la conjoncture financière a été précoce et surtout plus brutal que prévu. L es articles qui suivent offrent un éclairage sur le déroulé de cette crise atypique, sur ses effets de contagion avérés ou potentiels et sur les tentatives de réponses qui ont été apportées. À l’origine, une base déséquilibrée et donc fragile La crise des subprime a un effet d’amplification, à proportion de la situation de fragilité qu’avait développée l’économie mondiale, une fragilité masquée par ses succès : libéralisation des marchés financiers et intégration globale des économies, y compris des nations émergentes asiatiques, le tout sur fond de croissance forte et de désinflation. Mais, toute médaille a son revers et croissance mondiale forte a rimé avec déséquilibres financiers croissants, déficits jumeaux américains, gonflement de l’endettement des ménages et des prix immobiliers, recherche de rendement des investisseurs alimentant effets de levier et comportements spéculatifs. Un vecteur commun à l’ensemble de ces déséquilibres semble identifié, sous la forme de taux d’intérêt excessivement bas, synonyme de crédit bon marché et carburant d’une liquidité mondiale abondante. Les banques centrales sont ainsi incriminées pour avoir suivi scrupuleusement leur mandat d’ancrage nominal dans un régime d’inflation basse et stable. Elles ont ainsi maintenu des conditions monétaires trop souples, pendant trop longtemps, surtout après l’éclatement de la bulle internet. Cette profusion de liquidités (née aussi de l’excès d’épargne de pays émergents en plein essor comme la Chine), associée à une crédibilité renforcée des banques centrales, est également responsable du niveau anormalement bas des taux longs. C’est ce qu’Alan Greenspan a en son temps qualifié d’énigme (le célèbre conundrum). Cette situation a stimulé, en retour, l’endettement et la prise de risque pour nourrir toujours plus de rentabilité. La liquidité s’est aussi déversée sur les autres marchés d’actifs en en faisant grimper les prix : hausse des bourses et compression historique des primes de risque sur les obligations privées et émergentes. Une marchéisation à grande échelle de crédits risqués En parallèle à cette logique d’ensemble, et sans doute en relation avec elle, s’est développée une série d’innovations financières. Le modèle de base est celui du triplet origination-structurationN°119 – Février 2008 1 Eclairages distribution. Un opérateur bancaire ou financier origine le crédit puis le cède, ce qui lui permet de poursuivre ses opérations, avec une base en fonds propres faible. En théorie, cette marchéisation des crédits est censée améliorer l’efficience du système financier dans son ensemble, en permettant une meilleure dissémination du risque. En pratique, ce découplage entre l’originateur du crédit et le porteur final du risque réduit l’incitation à l’évaluation et au suivi (monitoring) des risques. La quantité de crédits distribués augmente, et leur qualité moyenne se dégrade, tandis que les fonds propres bancaires censés les garantir sont réduits. La crise du subprime est l’illustration exemplaire de cette marchéisation à grande échelle de crédits risqués. Au moment du boom immobilier, la croyance communément partagée que les prix ne pouvaient que monter a poussé les acteurs financiers à faire la course aux parts de marchés, en étendant l’offre de crédits à des ménages de plus en plus fragiles. Pour solvabiliser ces clientèles risquées, les critères d’octroi de prêts ont été excessivement relâchés, avec le développement de crédits dits « exotiques »1. Ensuite et très schématiquement, ces pools de crédits constitués à partir de sous-jacents précaires, ont été coupés en tranches et logés, parfois au côté d’actifs de meilleure facture, dans des structures hors bilan des banques, l’ensemble étant financé par l’émission de papiers courts. L’accélération de ce processus a été considérable, puisqu’on a vu très rapidement naître un marché, celui des ABCP2, de plus de 1 200 milliards USD. Des canaux de transmission nouveaux, une contagion à multiples facettes… 1. Taux d’appel hors conditions de marchés, révisables après une période de grâce, différés de paiement du principal et/ou un mix des deux. 2. Asset backed Commercial Paper, soit des émissions de billets de trésorerie garantis par des actifs de toutes natures (créances commerciales, crédits immobiliers résidentiels…). 2 Lorsque le marché immobilier américain a fini par se retourner, les défauts sur ces cohortes de crédits risqués se sont envolés, notamment pour les derniers prêts accordés. Ils ont contaminé les différentes tranches de titrisation, avec en corollaire un effondrement de leur prix. Les structures n’ont pu alors refinancer le papier arrivant à échéance. Les lignes de crédit contingentes des banques ont dû être activées, concourant à une explosion soudaine de la demande de liquidité, alors même que le marché monétaire entrait en phase de paralysie. C’est le point de départ de la crise de liquidité qui s’est enclenchée le 9 août. Les banques centrales n’ont alors eu d’autres choix que d’assurer, coûte que coûte, cette liquidité, en menant des interventions de prêteurs en dernier ressort exceptionnelles par leur montant, leur ma- N°119 – Février 2008 turité et l’étendue des collatéraux acceptés. Mais, rapidement, le mouvement de défiance à l’égard de la finance titrisée s’est généralisé. Le doute s’est installé quant à la capacité des banques à faire face à des pertes encore inconnues. Pour faire renaître la confiance, on a alors appelé à davantage de transparence. De ce point de vue, les banques ont déjà fait un gros travail, en dépréciant un large montant de leurs actifs non performants (près de 100 mds USD), en même temps qu’elles « réintermédiaient » à marche forcée une part de leurs actifs, logés hors bilan. Et pourtant la confiance n’est pas encore revenue du fait notamment de la dynamique destructrice qu’implique la valorisation des actifs au prix de marché (mark to market). Il s’ensuit un effet de procyclicité et de volatilité que l’arrivée en force des fonds souverains est censée calmer. Aujourd’hui, la crise déborde le cadre pur et simple du subprime. A mesure que le temps passe, la question de la transmission du choc financier à l’économie réelle se pose avec plus d’acuité, faisant resurgir le spectre du credit crunch et de la récession mondiale. Les marchés se demandent si d’autres segments de crédits, déjà fragilisés (le consumer finance en général) ne risquent pas à leur tour de déraper. L’inquiétude porte également sur les stratégies de couvertures, via les CDS et les assureurs monoline, ces assureurs qui garantissaient la qualité des actifs et des montages. De quoi se faire très peur et nourrir les scénarios les plus noirs… Les réponses (baisses de taux, injections massives de liquidité, interventions supplémentaires de fonds souverains) ou tentatives de réponses (Mlec ou le Superfonds européen) n’ont pas suffisamment convaincu pour ancrer les anticipations autour de l’idée que la sortie de crise était proche. Il faudra donc compter sur la prise de conscience et la réactivité des banques centrales et des gouvernements, pour éviter de nouvelles dégradations. L’idée d’une structure de defeasance à large échelle fait progressivement son chemin, à l’image de la RTC (Resolution Trust Corporation) qui en son temps avait réglé, dans la durée, une phase de surinvestissement immobilier… aux Etats-Unis… En son temps : il y a moins de vingt ans, au siècle passé. Jean-Paul BETBÈZE 01 43 23 45 12 [email protected] Isabelle JOB 01 43 23 69 32 [email protected] Eclairages Déroulé de la crise D ès 2005, les signes d’un ralentissement voire d’un retournement de l’activité sont perceptibles dans le secteur immobilier. La détérioration de la situation devient patente à partir de février 2007 : accentuation des défauts sur les prêts hypothécaires subprime, craintes des marchés résultant de la dégradation de la qualité du crédit et de la potentielle sous-estimation du risque. Baisse des prix et remontée des taux d’intérêt font plonger dans l’insolvabilité nombres d’emprunteurs, une proportion élevée de ces ménages à risques ayant opté pour des emprunts à taux variables. Or, une part non négligeable de ces prêts hypothécaires risqués (les célèbres « subprime ») a été cédée sur le marché. La titrisation et les techniques de rehaussement de crédit, via la structuration des produits et l’émission de titres adossés aux actifs sous-jacents, ont normalement vocation à transférer le risque à des investisseurs tiers. En juillet, le taux de défaut sur ces prêts subprime atteint des niveaux élevés, les tranches les moins risquées et les mieux notées de ces actifs sont contaminées. La valorisation de certains fonds s’en trouve affectée, l’absence de contreparties acheteuses empêche le calcul des valeurs liquidatives. Cet épisode constitue le point de départ de la vague de défiance, de rétention de liquidité et de difficultés des « bancaires » qui caractérise cette crise d’un genre nouveau. Phase 1 : Vague de déclassements d’actifs, premières difficultés de fonds et d’établissements financiers Juin 2007 • Deux fonds spéculatifs gérés par Bear Stearns ayant investi dans des titres adossés à des prêts subprime seraient sur le point d’être fermés. • L’un de ces fonds est renfloué par une injection de 3,2 milliards USD de prêts. • Les agences de notations Moody’s et Standards & Poor’s mettent sous surveillance et déclassent Juillet 2007 nombre de titres adossés à des crédits hypothécaires. • La valeur des deux fonds de Bear Sterns massivement investis dans les prêts immobiliers à risque s’effondre. • Démission du directeur général d’UBS suite aux récentes déconvenues (fermeture en mai d’un hedge fund spécialisé dans les créances hypothécaires à risque). • Aux États-Unis, l’organisme de prêts au logement Countrywide Financial Corp. et le premier constructeur de logements DR Horton annoncent respectivement une chute des bénéfices et une perte au 2e trimestre 2007. • La banque allemande IKB lance un avertissement sur ses résultats en raison de craintes sur l’impact potentiel de la crise des crédits immobiliers. • L’American Home Mortgage Investment Corp. annonce son incapacité à financer ses obligations de prêt. Phase 2 : Aggravation des difficultés, premières mesures et premier soutien • La mise en évidence de nouvelles pertes par IKB entraîne la constitution d’un fonds de secours de Août 2007 3,5 milliards € par son principal actionnaire, KfW, et un groupe de banques publiques et privées. La première banque australienne d’investissement Macquarie, indique que de lourdes pertes pourraient être enregistrées sur deux de ses fonds. • Oddo ferme trois de ses fonds affectés par la crise du subprime. • BNP Paribas gèle trois fonds de placement adossés à des créances immobilières (impossibilité de procéder à une évaluation appropriée). • L’American Home Mortgage Investment Corp. demande à bénéficier du chapitre 11 de la loi sur les faillites, l’une de ses structures d’émission est amenée à rallonger l’échéance sur l’encours de papier commercial adossé à des actifs. • Les fonds gelés de BNP Paribas sont réouverts. • Les principales banques centrales injectent massivement des fonds sur les marchés monétaires : 94,8 puis 61 et 48 milliards d’euros pour la BCE, 24, puis 35 et 2 milliards de dollars pour la Fed, participation aussi de la BoE. • La Fed abaisse son taux d’escompte de 50 pb à 5,75%, annonce que le financement à terme sera fourni jusqu’à trente jours et injecte 6 milliards de dollars supplémentaires. • Les banques centrales poursuivent leurs injections dans le circuit. • La Banque d’Angleterre fournit un soutien financier d’urgence à la banque spécialisée dans le crédit Septembre 2007 hypothécaire, Northern Rock, ce qui accentue les inquiétudes des déposants qui retirent 3 milliards £ au cours du week-end. • HSBC ferme sa filiale de crédits immobiliers à risque. • La BCE maintient inchangé son taux directeur mais procède à des opérations de fine tuning à 1 jour et de refinancement à 3 mois. La Fed abaisse de 50 pb le taux des Federal funds, le portant à 4,75%, et assortit ce geste d’une même diminution du taux d’escompte (désormais à 5,25%). N°119 – Février 2008 3 Eclairages Phase 3 : Des stress plus sévères, des pertes en hausse, des démissions et des actions volontaristes des banques centrales Octobre 2007 • Avalanche de mauvais résultats pour le troisième trimestre : ceux de Deutsche Bank sont affectés par la crise, Merrill Lynch affiche une perte et son PDG démissionne. • Aux Etats-Unis, un projet de super fonds de sauvetage constitué par les banques sur demande du gouvernement est proposé, parallèlement à l’élaboration du plan « Hope Now » consistant essentiellement à geler les renégociations des taux des prêts subprime émis au cours des deux dernières années. • Poursuite des mauvaises nouvelles : Merrill Lynch aurait eu recours à des fonds spéculatifs pour Novembre 2007 masquer des pertes, Citigroup enregistre de lourdes dépréciations d’actifs (8 milliards de dollars), son patron démissionne à son tour. • La BCE maintient son taux directeur à 4%, la Fed assouplit les règles pour les teneurs de marché (ils peuvent davantage emprunter auprès de son guichet). Décembre 2007 • Bear Stearns enregistre la première perte nette de son histoire, les profits de Morgan Stanley reculent de 57% en 2007 et le fonds souverain chinois CIC entre pour 9,9% dans le capital du groupe. Citigroup intègre dans son bilan un montant substantiel d’actifs dépréciés. Après UBS, un fonds de Singapour qui entre dans Merrill Lynch. • En début de mois, les grandes banques centrales mènent une action concertée et injectent 64 milliards de dollars sur le marché. Devant le succès relatif de l’opération, la BCE ne modifie pas son taux mais injecte des liquidités de manière illimitée afin de contenir les tensions sur le marché monétaire (348,6 milliards d’euros au taux de 4,21%). La Banque du Canada diminue son taux directeur de 25 pb à 4,25% (fin d’un cycle de resserrement monétaire initié trois ans plus tôt), la Banque d’Angleterre fait de même et porte son taux à 5,5%, la Fed baisse ses taux de 25pb à 4,25% afin de contrer les risques sur la croissance. Elle procède à deux adjudications à 1 mois de 20 milliards de dollars chacune, accepte une palette élargie de collatéraux en garantie et un allongement des maturités offertes. • Abandon du projet de super fonds qui devait permettre aux banques de racheter leurs titres placés dans des SIV. • Au total, les fonds souverains (organismes d’État, généralement véhicules publics d’investissement des excédents de pays émergents) ont injecté 35 milliards de dollars dans la finance mondiale. Phase 4 : Des banques centrales bienveillantes face au risque de contagion à d’autres secteurs d’activité et à l’économie Janvier 2008 • Après UBS, Merrill Lynch et Citigroup, démission du PDG de Bear Stearns. • En raison du ralentissement de la croissance et de la dégradation de la qualité du crédit, American Express annonce une charge exceptionnelle. • La première banque de détail américaine, Bank of America, rachète l’émetteur de crédit immobilier, Countrywide Financial, lourdement victime de la crise. • Pertes substantielles pour Merrill Lynch et Citigroup, d’environ 10 milliards de dollars chacune, au 4e trimestre 2007 (au cours duquel les deux groupes enregistrent des dépréciations respectives de 18,1 et 14,3 milliards de dollars). Si Citigroup parvient à rester excédentaire sur l’exercice, Merrill Lynch perd 7,8 milliards de dollars sur l’année. • Inquiétude sur les assureurs Monoline. Mini krach boursier du 21 janvier. • La BCE régule les montants de liquidité mis sur le marché. • Lancement d’une opération allouant 10 milliards de dollars sur 28 jours aux banques européennes, dans le cadre d’un accord de swap avec la Fed. • La première réunion de la BCE pour 2008 s’est soldée par un nouveau statu quo. • Le gouvernement Bush annonce un plan de relance budgétaire, dont le montant devrait se situer aux alentours de 150 milliards de dollars. • 75 pb de baisse des taux de la Fed, le 22 janvier, en inter-meeting pour stopper la panique boursière. 4 N°119 – Février 2008 Olivier BIZIMANA 01 43 23 24 13 Florence TOUYA 01 57 72 41 45 [email protected] [email protected] Eclairages Gestion de la crise par le gouvernement américain L’interventionnisme du gouvernement américain, couplé à celui de la Réserve fédérale, évitera-t-il la récession à l’économie américaine ? Difficile à dire. Ce ne sera pas faute d’avoir essayé, d’abord en ciblant le marché immobilier et une réduction du nombre de saisies, ensuite en visant plus large, avec une relance budgétaire pour doper à court terme la croissance. F ace à la crise immobilière, financière et au risque élevé de récession, le gouvernement américain ne peut rester sans rien faire pour des raisons politiques évidentes : les élections présidentielles sont en novembre. Or, sur le plan économique, il frôle l’impuissance : la faisabilité de certaines des mesures ciblant le marché immobilier pose question, ainsi que l’efficacité d’une relance keynésienne face à une crise financière. Chaque mesure, prise isolément, ne suffira pas à sortir l’économie américaine de l’ornière. C’est leur addition qui pourrait faire la différence, en liaison avec l’action monétaire. Cible n°1 : le marché immobilier Pourquoi ? Selon les estimations de la Mortgage Bankers Association, jusqu’à 1,4 million de logements pourraient être saisis en 2008 suite au défaut du propriétaire sur son prêt immobilier. Réduire ce nombre répond à un impératif social et économique. Il s’agit de briser le cercle vicieux selon lequel l’accroissement induit de l’offre de logements renforce les pressions baissières sur les prix, exacerbant en retour le risque de défaut et de saisie. L’ampleur des pertes essuyées par le système financier pourrait ainsi être limitée et l’impact de la récession immobilière sur l’ensemble de l’économie amorti. Comment : en facilitant la révision des prêts subprime (Hope Now) Une approche au cas par cas devenant impossible, l’administration Bush propose de rationaliser, systématiser et accélérer l’identification des bons candidats subprime éligibles à une modification de leur contrat de prêt. Il s’agit d’éviter leur défaut au moment du reset (c’est-à-dire du passage à taux variable au bout de 2 ou 3 ans)1. L’alliance Hope Now a été formée dans ce but en octobre 2007. Elle rassemble des acteurs du marché hypothécaire, des associations d’aide aux familles et des investisseurs. Les critères d’éligibilité, dévoilés début décembre, sont stricts. Ceux qui peuvent honorer leurs mensualités après le reset aux conditions existantes sont exclus, ainsi que ceux qui ne peuvent pas honorer leurs mensualités, même au taux initial (teaser rate). Les bénéficiaires potentiels sont donc ceux qui ne peuvent honorer leurs mensualités après le reset mais le pourraient sous des conditions plus favorables. La solution pour cette catégorie intermédiaire est donc un refinancement ou un gel des taux au niveau du teaser rate pendant cinq ans. Les modifications de contrat sont faites sur la base du volontariat. Il est en effet moins coûteux de revoir les termes du prêt, afin d’éviter le défaut et donc la perte, que de procéder à la saisie du bien. Selon les estimations, entre 10 et 20 % seulement des Américains avec un prêt subprime à taux variable pourraient bénéficier du plan. Ceci représente entre 200 et 400 000 emprunteurs sur 1,8 million d’Américains exposés à un reset de leur prêt subprime en 2008 et 2009. Comment : en facilitant le refinancement des prêts subprime et en accroissant l’offre de crédit L’administration Bush soutient depuis août 2007 un projet de modernisation de la Federal Housing Administration (FHA)2 pour accroître son offre de prêts, grâce à une baisse de l’apport personnel et une hausse des montants prêtés3. Environ 200 000 familles pourraient être ainsi aidées. Le programme FHASecure, lancé à l’automne 2007, donne à la FHA plus de flexibilité pour prêter à des ménages actuellement en défaut de paiement lorsqu’il s’agit pour eux d’une première fois. 240 000 familles supplémentaires pourraient ainsi éviter la saisie. Plusieurs projets de lois circulent aussi en faveur d’un rôle accru de Fannie Mae et Freddie Mac dans le financement de la clientèle subprime et d’une augmentation du montant maximal des prêts qu’elles achètent et titrisent (417 000 dollars actuellement). Mais il y a une grande résistance du régulateur à accorder plus de poids encore à ces deux institutions, avec en toile de fond un risque systémique. Comment : réouvrir la piste RTC ? La création d’un équivalent à la Resolution Trust Corporation (RTC) pourrait être une solution efficace à la crise financière actuelle. En 1989, à l’époque de la crise des Savings and Loans, la RTC avait été chargée de vendre les actifs des caisses d’épargne en faillite. Aujourd’hui, via l’agence, l’Etat se porterait acquéreur des prêts 1. Par ailleurs, en cas d’abandon de créances sur la résidence principale, le montant ainsi économisé n’est plus considéré comme un revenu imposable : ce qui est donné d’une main n’est plus repris de l’autre (Mortgage Forgiveness Debt Relief Act of 2007, ratifié en décembre). 2. La Chambre des Représentants et le Sénat ont chacun voté leur propre projet de loi ; reste à se mettre d’accord sur une version commune. 3. La FHA fournit des garanties gouvernementales sur des prêts immobiliers accordés à une clientèle à bas revenus. La garantie permet à l’emprunteur de payer moins cher l’assurance et donc de contracter un prêt à un taux d’intérêt proche de celui d’un prêt prime. Par rapport à un prêt subprime, cela peut abaisser le taux d’intérêt de 2 points de pourcentage ou plus. N°119 – Février 2008 5 Eclairages subprime « en détresse », avec de fortes décotes. À sa charge d’en déterminer la valeur. Les institutions financières disposeraient d’une option de vente, à exercer ou non selon le prix proposé par l’agence. Si la formation des prix s’en trouve facilitée, un prix plancher pourrait se dégager. Il stabiliserait ainsi toute la chaîne financière, en mettant un terme aux dépréciations d’actifs en cascade. Cependant, c’est exposer l’Etat, et donc le contribuable, à une facture élevée en cas d’erreur d’appréciation sur le « juste » prix. Cible n°2 : l’économie américaine 4. En fait, les interventions tardives et déstabilisantes sont plutôt la règle et les baisses d’impôts de 2001 font figure d’exception. 5. « The economic outlook », testimony before the Committee on Budget, US House of Representatives, 17 janvier 2008. 6. Les 3 T : timely, temporary, targeted. 7. En anglais, l’expression consacrée est « a big bang for the buck ». 8. Les partisans d’une politique de l’offre défendent au contraire l’idée de la permanence pour une plus grande efficacité, sinon cela ne modifie pas durablement l’incitation de l’individu ou l’entreprise à travailler, investir, prendre des risques. 9. Ou encore 1,4% du revenu des ménages. A titre de comparaison, la hausse des prix de l’énergie a ponctionné en 2007 l’équivalent de 1% du revenu des ménages. 10. Certaines critiques s’élèvent à propos de l’utilité d’aides fiscales à l’investissement dans la mesure où, ce dont les entreprises ont besoin, ce sont de clients et donc il devrait y avoir une cible unique : le consommateur. 11. Le 24 janvier, un accord a déjà été trouvé entre la Chambre des Représentants et l’administration. 6 En annonçant, le 18 janvier, les grandes lignes d’un plan de relance d’environ 150 mds de dollars, G.W. Bush a tranché le débat sur l’utilité d’un stimulus budgétaire. « Une action supplémentaire est nécessaire » a-t-il déclaré. Il ne suffit plus de cibler le seul marché immobilier résidentiel : l’économie dans son ensemble devient la priorité. Il faut au mieux prévenir la récession, au pire atténuer son ampleur. Certes, les expériences précédentes de relance ne sont pas toutes couronnées de succès, mais l’inaction aurait un coût bien supérieur4. Pourquoi une relance budgétaire ? Une relance budgétaire s’ajouterait alors au jeu des stabilisateurs automatiques et épaulerait la politique monétaire (ce qu’a validé B. Bernanke5). Les ménages et les entreprises, sous contrainte de liquidités, devraient être plus sensibles à des baisses d’impôts que de taux d’intérêt. Un soutien budgétaire permettrait de réduire l’ampleur du relâchement monétaire, et ce faisant, les pressions baissières sur le dollar. L’usage de l’outil budgétaire limite le risque de formation de nouvelles bulles liée à des taux d’intérêt trop bas. Comment : TTC, en Temps, Temporaire, Ciblée6 Aujourd’hui, il faut que la relance soit effective au plus tôt au deuxième trimestre, avec des mesures à effets immédiats. Le rapport efficacitécoût doit être maximisé (le plus grand impact économique pour le plus petit coût budgétaire)7. Les mesures doivent être explicitement temporaires et de manière crédible, afin de ne pas mettre plus en péril les finances publiques à long terme8. Surtout, pour qu’il y ait relance, il faut qu’il y ait dépense. Le stimulus budgétaire doit être ciblé en direction de ceux qui sont susceptibles de dépenser le plus rapidement tout surplus de ressources. Côté consommation, cela concerne plus particu- N°119 – Février 2008 lièrement les bas revenus. Côté investissement, les aides fiscales qui abaissent le coût du capital sont réputées plus efficaces que celles qui augmentent le cash flow. Comment : vite fait, bien fait ? Compte tenu de la taille de l’économie américaine, 150 mds de dollars de relance, c’est le minimum pour être significatif : c’est environ 1 % du PIB9. Sous l’hypothèse d’un multiplicateur de 1 (1 $ de stimulus budgétaire se traduit par 1 $ de PIB en plus), ces 150 mds de dollars pourraient ajouter 1 point de croissance en 2008. Allègements fiscaux pour les ménages et aides fiscales pour les entreprises seraient au menu10. Du côté des ménages, le taux d’imposition marginal inférieur de 10 % serait supprimé pour un an, permettant à une personne seule d’économiser 800 dollars et 1 600 dollars pour un couple. L’argent serait directement envoyé sous forme de chèques. La mesure est « politiquement correcte » et rapide à mettre en œuvre. Certains travaux empiriques ont cependant montré que le plus gros des chèques envoyés en 2001 aurait été épargné et non dépensé. C’est vertueux, mais pas ce que l’on entend par stimulus ! Les entreprises bénéficieraient d’une mesure d’amortissement accéléré leur permettant de déduire 50 % du prix d’un nouvel équipement acheté en 2008. Les petites entreprises pourraient déduire jusqu’à 250 000 dollars d’investissement (contre 125 000 aujourd’hui). La prochaine étape est d’aboutir rapidement à un consensus entre les desiderata de l’administration et ceux du Congrès11. Une extension des indemnités chômage fait partie des exigences des démocrates. C’est la seule mesure, avec une augmentation des bons d’achat alimentaires, qui bénéficie d’un rapport efficacité/coût élevé, d’un délai court de mise en œuvre et d’un impact à court terme quasi-certain. Les républicains défendent une baisse du taux de l’IS, d’importantes aides fiscales à l’investissement et plus de possibilités de report des pertes, aux retombées plus incertaines. En conclusion, une intervention du gouvernement est nécessaire. Quelle forme doit-elle prendre ? Plusieurs pistes sont actuellement explorées. D’autres émergeront peut-être demain. Serontelles efficaces ? Gageons que les États-Unis feront tout pour, tout en laissant au maximum jouer les lois du marché... quand elles marchent ! Hélène BAUDCHON 01 43 23 27 61 [email protected] Eclairages Gestion de la liquidité par les banques centrales La stabilité des marchés financiers relève de la responsabilité des banques centrales, au même titre que les objectifs de politique monétaire. Or la crise financière qui s’est déclenchée au mois d’août 2007 a entraîné un blocage sans précédent des marchés monétaires, les banques refusant de se prêter entre elles. Les banques centrales se sont alors substituées aux prêteurs en injectant massivement des liquidités dans le système. La durée et l’ampleur de la crise de liquidité les ont obligées à faire preuve d’inventivité pour en limiter les effets, en agissant en prêteurs, mais aussi en véritables « coordinateurs en dernier ressort ». A u cours des dernières décennies, les principales banques centrales se sont vues assigner des objectifs macroéconomiques explicites. Le traité de Maastricht désigne la stabilité des prix comme l’objectif principal de la BCE. La Banque d’Angleterre (BoE), depuis son indépendance en 1998, se voit confier chaque année la responsabilité de maintenir l’inflation autour de 2% par le gouvernement. L’amendement du Federal Reserve Act par le Congrès en 1977 rend la Fed responsable du niveau de l’inflation, mais aussi de l’emploi, aux Etats-Unis. Si les principales préoccupations des banques centrales sont désormais macroéconomiques, la financiarisation de l’économie les oblige à se préoccuper de la stabilité des marchés. Ainsi, la BCE a le devoir de « veiller au bon fonctionnement des marchés monétaires »1, la Fed se doit de « maintenir la stabilité du système financier et de contenir le risque systémique pouvant émaner de la sphère financière »2, alors que la BoE a pour objectif d’assurer « un cadre efficace, sûr et flexible pour la gestion de la liquidité bancaire (...) sur des marchés monétaires concurrentiels »3. Néanmoins, comme le précisait F. Mishkin dans un discours récent4, le bon fonctionnement des marchés financiers ne représente pas un objectif en soi (les banques centrales n’ayant pas pour vocation de protéger les investisseurs qui subissent des pertes lors des retournements financiers). Il constitue plutôt un préalable à la croissance et à la stabilité des prix. Un rôle essentiel depuis leurs origines : la « monnaie élastique » L’histoire de la Fed est de ce point de vue éclairante. A l’origine, c’est le besoin de mettre en place un prêteur en dernier ressort à l’échelle fédérale qui a conduit à la création de la Fed, lors du Federal Reserve Act de 1913. En effet, c’est à la suite des paniques bancaires survenues durant la National Bank Era (de 1863 à 1914) que les autorités américaines ont décidé de se doter d’une banque centrale capable d’assurer ce rôle. Pendant cette période, les Etats-Unis ont connu de graves perturbations de leur système de paiement. Souvent causées par l’insolvabilité d’un acteur majeur du secteur bancaire, elles dégénéraient rapidement en panique bancaire. Lorsque ce type de problème survenait, le caractère inélastique de la règle d’émission de la monnaie, liée au système d’étalon-or, empêchait les autorités de fournir des liquidités aux banques (pourtant solvables), mais fragilisées par le défaut d’un établissement en faillite. Ceci aboutissait à un phénomène d’illiquidité généralisée et provoquait des faillites en chaîne dans le secteur bancaire. La National Monetary Commission, réunie de 1907 à 1913 dans le but de résoudre un problème qui avait trouvé son apogée dans la crise de 1907, décide alors d’inscrire dans les statuts de la future banque centrale le devoir d’offrir « une monnaie élastique » pour répondre aux besoins de l’économie. Depuis lors, la Fed, rapidement imitée par les autres banques centrales, joue ce rôle de prêteur en dernier ressort, à chaque fois qu’une crise de liquidité touche le système financier et menace de s’étendre à la sphère réelle. Le prêteur en dernier ressort, dans une économie désintermédiée À l’origine, le rôle de prêteur en dernier ressort des banques centrales consistait à permettre aux banques solvables (sélectionnées à l’aide de prêts à taux pénalisants et adossés à de bons collatéraux, comme le préconisaient Thornton5 et Bagehot6 afin d’éviter tout phénomène d’aléas moral) de survivre aux perturbations du système financier. Ce rôle a évolué avec la financiarisation de l’économie. En effet, alors que la doctrine classique du prêteur en dernier ressort est née à une époque marquée par les ruées bancaires, celles-ci ont en grande partie disparu grâce à la création de fonds d’assurance dépôts et à la mise en place de politiques prudentielles. Aujourd’hui, la pratique du prêteur en dernier ressort s’oriente de plus en plus vers une action macroéconomique, tandis qu’elle tend à aban- 1. BCE (2004) : « La politique monétaire de la BCE », 2e édition. 2. Federal Reserve (2005) : « Purposes & Functions », 9e edition. 3. Bank of England (2007) : « The Framework of the BoE’s Operations in the Sterling Money Markets » . 4. Mishkin F. (2007) : « Financial Instability and the Federal Reserve as a Liquidity Provider », Speech at the Museum of American Finance Commemoration of the Panic of 1907, NY. 5. Thornton H. (1802) : « An Enquiry Into the Nature and Effects of the Paper Credit of Great Britain », Rinehart & Co. 6 . B a g e h o t W . (1873) : « Lombard Street, a Description of the Money Market », Richard Irwin Inc., réedition de 1962. N°119 – Février 2008 7 Eclairages 7. Les banques centrales continuent toutefois d’intervenir exceptionnellement pour aider les banques considérées comme « too big to fail », comme on a pu le voir lors du sauvetage de la Continental Illinois par la Fed en 1984 ou de Northern Rock par la BoE cette année. 8. Aglietta M. (2005) : « Macroéconomie Financière », Tome 2, Quatrième Edition, Collection Repères, La Découverte. 9. L’exemple de Northern Rock, quoique extrême, illustre bien ce phénomène : pour une livre de dépôt récoltée, elle en prêtait trois, restaient donc deux livres à trouver sur les marchés monétaires. Si les autres banques ne poussent pas ce mode de financement à un tel niveau, le ratio crédit sur dépôt est tout de même de l’ordre 1,25 en moyenne dans les banques du Royaume-Uni. 10. Aux Etats-Unis tout du moins, comme le montrent les épisodes du krash d’octobre 1987, de la faillite de LTCM à l’automne 1998 et des attentats du 11 septembre 2001. 11. Cf. encadré page 10. 12. Le niveau des réserves obligatoires est calculé en proportion du passif des banques, ce ratio n’étant que rarement modifié. Il est de 10% aux Etats-Unis, où les réserves ne sont pas rémunérées, et de 2% en zone euro. 13. Il existe d’autres catégories d’opérations d’openmarket, en particulier des cessions permanentes d’actifs permettant à la banque centrale d’ajuster structurellement le niveau des réserves excédentaires. 8 donner l’aspect microéconomique au superviseur du système bancaire7. En d’autres termes, le prêteur en dernier ressort doit désormais gérer les situations de détérioration de la liquidité sur les marchés et « préserver le système de paiement en tant que bien public »8. En période de fonctionnement normal, des marchés dits « efficients » conduisent à une formation des prix rationnelle basée, entre autres, sur les modèles de valorisation d’actifs (pour déterminer leur « juste prix ») et les agences de notation (pour prendre en compte les risques de contreparties). Mais des dysfonctionnements peuvent survenir en cas de crise de confiance. Dans un climat d’incertitude qui s’autoalimente, la qualité des actifs échangés est remise en doute, tout comme la solvabilité des acteurs du marché potentiellement détenteurs de ces actifs. Les participants refusant alors de se prêter des ressources entre eux, la liquidité se tarit soudainement, entraînant alors un gel des transactions et des chutes de prix. C’est typiquement cette situation d’assèchement de liquidité qui a contribué au blocage du marché monétaire au mois d’août 2007. La probabilité d’un dérèglement de ce type est plus élevée dans une économie désintermédiée, et ses conséquences sont plus visibles. Étant donné le recours accru des banques aux financements de court terme sur les marchés monétaires9, la raréfaction soudaine de cette ressource provoque immédiatement de fortes tensions sur les taux interbancaires. Dans le pire des cas, ce phénomène d’illiquidité peut aboutir à un accroissement du risque systémique tel qu’un phénomène de contagion se mette en place. Il rend insolvables de nombreux porteurs de titres et provoque un nouveau cycle de défauts dans l’économie réelle. Si ce type de scénario est rendu peu probable depuis la mise en place de réglementations prudentielles, les dysfonctionnements des marchés monétaires peuvent néanmoins s’avérer dommageables pour l’économie réelle. D’une part, ils rendent inopérant le mécanisme de transmission de la politique monétaire. La disparition des échanges sur les marchés interbancaires fait en effet perdre de leur effet aux baisses de taux souvent consenties par les banques centrales lors des périodes d’assèchement de la liquidité10. D’autre part, étant donné le rôle de référence des taux interbancaires, leur hausse peut aussi aboutir à un resserrement des conditions d’accès au crédit pour les particuliers et les entreprises, pouvant aller jusqu’à un phénomène de credit crunch11. La banque centrale a alors un rôle crucial à jouer. Elle doit alimenter le marché en liquidité, N°119 – Février 2008 en attendant le retour de la confiance et la normalisation des échanges. Les injections de liquidité, comment ça marche ? Les injections de liquidité à proprement parler font appel à un panel d’outils et de notions techniques qui varient sensiblement d’un pays à l’autre. Le principe général reste toutefois le même. On peut ainsi définir la liquidité interbancaire par le montant total de réserves détenues par les intermédiaires financiers au bilan de la banque centrale, au-delà du niveau minimum fixé par le régulateur12 (d’où le terme de « réserves excédentaires »). D’une manière générale, la banque centrale peut contrôler le niveau de liquidité en circulation dans le système bancaire en modifiant à la fois la taille et la composition de son bilan. En pratique, pour permettre aux banques d’assurer la gestion fine de leurs réserves au sein d’une période de maintenance (deux semaines aux Etats-Unis, un mois en Europe), les banques centrales utilisent principalement les opérations d’open-market. Celles-ci consistent pour l’essentiel en une cession temporaire d’actifs sans risque détenus par les banques, le plus souvent des titres publics, en échange de fonds devant être remboursés dans un délai compris entre un jour et quelques semaines13. Il faut garder à l’esprit qu’après avoir injecté des liquidités excédentaires, via des opérations d’open-market, les banques centrales sont théoriquement amenées à les retirer progressivement du système, par des opérations inverses (rachats de titres par les banques). En effet, en déterminant les montants alloués, ainsi que les maturités proposées pour ces prêts à court terme, les banques centrales procèdent également au pilotage des taux d’intérêt à court terme puisque ces taux (le prix) sont une fonction décroissante de l’offre de monnaie centrale (la quantité). Autrement dit, elles peuvent augmenter temporairement la liquidité en circulation pour faire baisser les taux d’intérêt au jour le jour, mais pas le faire durablement, sauf à changer la cible de politique monétaire. Les opérations d’open-market sont toujours cohérentes avec les orientations de politique monétaire. C’est le pilotage fin. En zone euro, les opérations principales de refinancement (à une semaine) et les opérations de refinancement de long terme (à trois mois) ont lieu à intervalles réguliers d’une semaine ou un mois. Mais la BCE peut procéder à des interventions exceptionnelles pour une gestion plus fine Eclairages encore. Aux Etats-Unis, la Fed peut intervenir quotidiennement sur les marchés interbancaires, via des opérations de refinancement temporaires classiques. Ceci lui donne a priori une plus grande souplesse dans la gestion de la liquidité. Elle le fait en traitant avec des « primary dealers », constitués d’une vingtaine de brokers et grandes banques commerciales, qui réinjectent ensuite ces liquidités dans le système bancaire. Toutes ces opérations prennent la forme d’appel d’offre à taux fixe ou variable, d’enchères ou de procédures bilatérales. Les banques centrales peuvent également jouer sur la composition des actifs détenus à leur bilan, en modifiant les règles qui définissent les collatéraux acceptés lors des opérations d’open-market. Enfin, d’autres outils peuvent être utilisés afin de prêter directement et individuellement aux banques. Ainsi, l’utilisation de la fenêtre d’escompte (de la Fed) ou de la facilité de prêt marginal (à la BCE ou à la BoE) doit permettre non seulement d’injecter des liquidités supplémentaires dans le système, mais aussi de les répartir au mieux dans le système financier. L’objectif est alors de cibler les banques qui n’ont plus accès aux marchés monétaires, en leur prêtant à un taux pénalisant, selon le principe même du prêteur en dernier ressort. De l’exceptionnel, pour gérer une crise de liquidité inédite La crise financière de l’été 2007 a remis sur le devant de la scène ce rôle de prêteur en dernier ressort des banques centrales. Non seulement ces dernières ont procédé à des injections massives et répétées de liquidité, mais elles ont également fait preuve d’une réelle inventivité en termes de communication, de coordination et d’outils utilisés. Les premières turbulences, au début du mois d’août 2007, déclenchées par la perte de confiance vis-à-vis de tous les actifs liés de près ou de loin au subprime américain, ont entraîné un assèchement aussi brutal que rapide de la liquidité bancaire. Son aspect le plus visible est l’envolée des taux à court terme sur les marchés interbancaires, au-delà de tout ce qu’on avait pu observer lors de crises financières passées (plus de cinq mois de tensions, cf. graphique 1). Malgré les injections de liquidité qui ont suivi, comparables par leurs montants aux interventions consécutives au 11 septembre 200114, le blocage des marchés interbancaires est resté patent pendant plusieurs semaines. Les craintes d’un véritable « liquidity crunch » ont même grandi. Les taux Graphique 1 courts sont remontés Etats-Unis : spread de taux à 3 mois à l’approche de la (écart taux interbancaires - taux bons du trésor, fin d’année, en lien T=0 à la date du pic du spread) bp avec les besoins de Subprime (août 07) LTCM (oct. 98) S&L (déc. 90) Millenium Bug (oct. 99) financement des 250 acteurs financiers 200 lors de la clôture des 150 comptes. Les banques centra- 100 les ont alors utilisé 50 tous les outils à leur 0 dispositio n. O n -1 0 1 2 3 4 5 retiendra notam- Source : Bloomberg, Crédit Agricole durée en mois à partir du pic ment l’annonce, le 12 décembre 2007, d’une intervention coordonnée des principales banques centrales qui a débouché sur des enchères exceptionnelles par la Fed (Term Facility Auction), ainsi que l’utilisation de lignes de swaps entre les banques centrales, de façon à offrir des dollars aux banques non américaines, notamment à la BCE. Par ailleurs, les banques centrales ont élargi l’éventail des collatéraux acceptés lors des opérations d’openmarket, allant même jusqu’à accepter certains actifs titrisés adossés à des prêts immobiliers. Elles ont allongé les maturités proposées et multiplié les interventions fin 2007, afin d’assurer le passage à l’année 2008. Les banques centrales ne peuvent toutefois pas se substituer aux marchés monétaires, ce qui fait dire à Mc Andrews et P o t t e r q u ’ e ll e s s o n t d a v a n t a g e d e s « coordinatrices en dernier ressort »15. Conclusion : des interventions sans risque ? Ces interventions sur les marchés interbancaires ne sont pas totalement neutres pour l’économie réelle. Le principal risque qu’elles représentent, en théorie, est celui de l’aléa moral, en renflouant des acteurs qui auraient pris des risques inconsidérés. En pratique, ce risque ne doit pas peser lourd, face à la menace de faillite d’un acteur bancaire de premier plan. Enfin, les injections de liquidité par les banques centrales restent des opérations temporaires. Elles ne doivent pas être confondues avec la création monétaire au sens strict, qui débouche elle sur une variation des actifs monétaires disponibles dans l’économie, et qui peut générer des tensions inflationnistes à moyen terme. Gregory CLAEYS 01 57 72 03 29 14. L’équivalent, en deux jours, de plus de 60 milliards de dollars aux Etats-Unis et 150 milliards d’euros en Europe. 15. Mc Andrews J. et Potter S. (2002) : « Liquidity Effects of the events of September 11, 2001 », FRBNY Economic Policy Review, Novembre 2002, Federal Reserve Bank of New York. [email protected] Frederik DUCROZET 01 43 23 18 89 [email protected] N°119 – Février 2008 9 Eclairages Encadré 1 Credit crunch : les raisons du danger Tandis que l’expression est aujourd’hui largement utilisée, la définition en tant que telle du credit crunch n’est pas très précise. Crunch n’est pas squeeze On sait que ce dernier s’exprime au travers du repli de l’offre de crédit. Mais qu’est-ce qui le dissocie de ce que l’on nomme un simple credit squeeze (resserrement du crédit) ? L’origine et l’ampleur de la réduction de l’offre de crédit paraissent ici discriminantes. L’expression credit crunch a été inventée en 1966, lorsque la politique monétaire de la Réserve fédérale (Fed) est devenue trop restrictive. La Fed voulait ralentir la croissance de la demande afin de lutter contre l’inflation. Son action pour ralentir la croissance de la monnaie et du crédit a été renforcée par la possibilité donnée aux autorités d’augmenter les taux d’intérêt du marché à court terme, au-dessus des taux plafonds de rémunération des dépôts à vue. Ne pouvant plus bénéficier de taux créditeurs avantageux auprès des banques, les déposants américains se sont tournés vers les titres du Trésor, rémunérés au taux du marché. La réduction des dépôts bancaires a ainsi limité la capacité des banques à prêter, les obligeant à réduire drastiquement leur offre de crédit. De là est apparue l’expression de credit crunch qui traduit une restriction plus sévère du crédit que l’expression simple de credit squeeze où le rationnement vient d’une plus grande discrimination des risques et du prix à faire payer (les taux). La difficulté est de savoir quand on passe d’une situation de resserrement de crédit à celle de credit crunch. Les données financières ne manquent pas, toute une variété de chiffres sur le crédit étant disponible. Mais de nombreux éléments peuvent influencer l’évolution du crédit, tant du côté de l’offre que de la demande. L’offre de crédit peut ainsi se réduire sans qu’il soit possible de parler de credit crunch, par exemple en phase de ralentissement économique. Deux définitions Pour Bernanke et Lown (1991), un credit crunch est « un changement significatif dans l’offre de prêt bancaire, à taux d’intérêt réel et qualité des emprunteurs potentiels constants ». À titre d’exemple, ils ont comparé l’évolution du crédit pendant la récession de 1990-91 à celle des cinq précédentes. Alors que les prêts totaux n’ont augmenté que 1,7% entre 1990 et 1991, la progression moyenne lors des épisodes précédents de récession atteignait 7,1%. Ce seraient alors les pertes sévères enregistrées sur les stocks de prêts accumulés qui auraient obligé les banques, via une contrainte en capital, à réduire la distribution de nouveaux crédits. Les auteurs concluent à un credit crunch, même s’ils reconnaissent par ailleurs que le facteur demande a également joué, ménages et entreprises étant moins enclins à emprunter en ces périodes tourmentées. Si le credit crunch se définit comme une contraction anormalement élevé de l’offre de fonds prêtables, encore faut-il savoir ce qu’est « la normale ». La période faste du crédit pas cher que nous avons connu ces dernières années a poussé les limites de l’endettement bien au-delà de ce que l’on a pu connaître par le passé. Faut-il prendre en compte cette rupture de dynamique ? La seconde définition d’un credit crunch repose sur la notion d’insuffisance. Si, pour un prix donné, la demande pour un bien excède l’offre, alors il y a insuffi- 10 N°119 – Février 2008 sance. Normalement, le prix devrait monter pour rééquilibrer le marché. Si ce n’est pas le cas, alors l’offre disponible apparaît délibérément rationnée et ce par d’autres moyens que les prix. Owens et Schreft (1992) ont défini le credit crunch comme une période de rationnements non tarifaires, la pénurie de crédit résultant d’une réticence des banques à prêter pour des raisons qualitatives et/ou réglementaires. Selon eux, et contrairement à ce qu’ont estimé Bernanke et Lown, il n’y a pas eu de credit crunch généralisé en 1990-91, mais seulement une forme de rationnement sur certains prêts, ceux du secteur immobilier. Deux origines Pour certains, la raréfaction brutale de l’offre de crédit résulte de changements réglementaires (besoin en capital croissant des banques, conditions réglementaires plus strictes d’octroi de crédit). Les études de Bernanke et Lown (1991), Clair et Tucker (1993), Berger et Udell (1994), Peek et Rosengren (1995) et Brinkman et Horvitz (1995) vont en ce sens. La deuxième source de credit crunch viendrait du repli de la valeur nette des entreprise, cette dernière étant en quelque sorte la garantie (le collatéral) des prêts accordés. Selon Bernanke et Gertler (1989), si cette valeur nette de l’entreprise se dégrade, le stock de dette est alors « garanti » par un collatéral qui se déprécie, ce qui peut induire des comportements d’extrême prudence des prêteurs pouvant aller jusqu’au credit crunch. C’est un peu ce qui s’est produit au moment de la bulle internet, les excès d’endettement des entreprises de nouvelles technologies paraissaient soutenables dans un contexte de progression exponentielle de leurs valorisations boursières mais ne l’étaient plus après le krach… Des problèmes de liquidités, peuvent également contraindre l’offre de crédit, comme l’ont modélisé Diamond and Dybvig (1983). En cas de perte de confiance dans le système bancaire, les ménages peuvent se ruer aux guichets des banques pour récupérer leur épargne. Les banques sont alors contraintes de liquider à n’importe quel prix des actifs illiquides et de réduire en conséquence leurs activités de prêt. Quelle définition retenir ? Nous considérons qu’un credit crunch se produit lorsque, pour un prix de crédit donné, les prêteurs réduisent substantiellement le volume de crédit octroyé à des emprunteurs dont le risque est essentiellement inchangé. Le changement de comportement des prêteurs se ferait sur une base indiscriminée (quelque soit la qualité de l’emprunteur) avec un ajustement en volume significatif. Cette définition rejoint celle de Bernanke et Lown (1991). Sommes-nous aujourd’hui en credit crunch ? Difficile de répondre par l’affirmative. Nul doute qu’avec la crise financière actuelle, la capacité des banques à distribuer de nouveaux crédits va se réduire. Mais à ce stade, l’ampleur de ce rationnement reste une inconnue, tout comme son caractère discriminé ou non. On comprend alors que l’action des politiques monétaires est de permettre un certain squeeze pour améliorer la qualité du crédit, mais de tout faire pour empêcher le crunch. Sandrine BOYADJIAN 01 43 23 65 42 [email protected] Eclairages Gestion de la crise par les banques Les banques restent sous le feu des projecteurs. Elles ont déjà déprécié plus de 100 milliards de $ d’actifs liés au subprime et fait appel en urgence aux fonds souverains pour près de 70 Mds $. Les marchés financiers restent fébriles, broyant du noir à chaque mauvaise nouvelle. Toute la question reste de savoir comment court-circuiter les cercles vicieux qui exacerbent les difficultés des banques. Dans un tel contexte, gérer la crise n’a rien de facile pour les banques, qui doivent continuer à être accompagnées par un policy mix pragmatique. Risques disséminés, effet boomerang Retour mi-août 2007. Les observateurs ne s’étaient pas trompés, pointant du doigt comme source de la crise de liquidité le manque de transparence sur l’exposition des valeurs financières à l’immobilier américain. Progressivement, l’étendue du problème a été révélée. L’exposition au subprime de la multitude des acteurs qui composent le système financier mondial continue à être dévoilée au fil de l’eau. Les marchés découvrent ainsi la contrepartie de l’augmentation trop rapide de l’endettement des ménages américains, passé de 93 % de leur revenu disponible brut fin 1999 à plus de 130% aujourd’hui, soit une variation d’encours de 7 000 Mds $, dont plus d’un tiers à des emprunteurs subprime ou Alt-A ! Un modèle origination-structuration-distribution efficace aurait dû disséminer les risques très largement. Mais ce que montre le jeu de transparence des bilans, c’est que la contrepartie de l’endettement des ménages se retrouve in fine majoritairement dans les bilans des banques, en particulier dans les BFI et dans les banques américaines. Ces dernières sont exposées directement au niveau de leur portefeuille de crédit, indirectement via leurs activités de titrisation et de trading, et aujourd’hui également en raison du risque de défaut de vendeurs de credit default swaps1 et autres protections aux portefeuilles peu diversifiés (dont les monolines). Pour faire face au risque de réputation, les banques ont également été obligées de reprendre dans leurs bilans les conduits et SIV les plus exposés au subprime. L’évaluation des pertes potentielles et des dépréciations diverses sur les résultats et sur les fonds propres des banques est ainsi au cœur de la défiance des marchés financiers. Or, avec le temps, la crise s’étend audelà du subprime immobilier, ce qui exacerbe ces problèmes d’évaluation et la suspicion du marché à l’égard du système bancaire, et donc les risques de poursuite de la crise de liquidité sur le marché interbancaire. Initialement estimées autour de 100 Mds $, les pertes sur le segment subprime du marché immobilier américain sont aujourd’hui évaluées en moyenne entre 200 et 400 Mds $, parfois bien au-delà. Une approche économique fondée sur des estimations conservatrices de taux de défaut et de pertes en cas de défaut appliquées aux mortgage émis sur la période 20002007 donne une indication dans le bas de cette fourchette. Les valorisations en mark to market basées sur les indices ABX conduisent quant à elles à des pertes très supérieures2. Le jeu du mark to market et d’un mark to model tâtonnant lorsqu’il n’existe plus de prix implique d’ailleurs, très probablement, des décotes excessives. Plus les banques annoncent des dépréciations, plus le marché financier se montre défiant, plus les agences de notation dégradent les contreparties, plus les indices ABX chutent, entraînant de nouvelles dépréciations… et ainsi de suite. La transparence : de la haute voltige C’est dans ce contexte qu’évoluent les grandes banques. Le travail de transparence que le marché attend est rendu extrêmement difficile par l’incertitude sur les pertes définitives à échéance de l’ensemble des prêts immobiliers, incertitude qui engendre des écarts importants d’estimation selon les hypothèses retenues. Il en découle des jeux stratégiques entre acteurs. Certains préfèrent déprécier rapidement leurs encours d’actifs non performants, quitte à reprendre plus tard une partie des provisions et à mieux rebondir. D’autres choisissent d’attendre, considérant que la crise et les décotes seront ponctuelles. Pour d’autres encore, des contraintes financières qui se durcissent ne leur permettent sans doute pas de déprécier en temps réel l’ensemble des actifs non performants. Il n’existe pas de règle commune qui aurait pu être imposée par les régulateurs en matière de transparence des produits titrisés, essentiellement du fait de leur complexité et de leur caractère OTC, ainsi que du nombre trop élevé d’acteurs en présence et de l’hétérogénéité des normes comptables entre pays. Il en résulte un processus lent de révélation des expositions et des pertes, même si peu à peu semble émerger, sous la pression du marché, un consensus pour utiliser certains critères de valorisation3. À impacts significatifs, mesures radicales Les banques sont affectées par la crise à plusieurs niveaux. La crise de liquidité renchérit le coût des ressources et conduit parfois à reprendre au bilan des SPV ne pouvant plus se refinancer sur les marchés. La montée du coût du risque, les dépréciations, le ralen- 1. Les credit default swaps (CDS) sont des produits financiers qui permettent aux banques de gérer de façon dynamique le risque de contrepartie de leurs portefeuilles de prêts. 2. Ces indices sur CDS liés aux subprime sont un des benchmarks utilisés pour enregistrer les décotes. La perte totale est calculée en mettant en regard une structure type des prêts subprime titrisés, avec les décotes par tranche (AAA, AA, etc.) telles que fournies par les prix de marché. 3. En particulier les indices ABX ou les prix de certains portefeuilles de CDO d’ABS qui ont pu être cédés ces derniers mois. N°119 – Février 2008 11 Eclairages tissement, voire l’effondrement de certaines activités et des pertes en trading peuvent avoir de forts impacts sur les résultats et sur les fonds propres. Dans le même temps, la consolidation de structures hors bilan, l’activation massive de lignes de crédit contingentes par les gestionnaires de conduits et la montée de la volatilité dans les portefeuilles de trading ont pour effet d’accroître significativement les emplois pondérés, donc les exigences en fonds propres réglementaires. Le risque de rationnement du crédit est alors croissant. Les banques doivent réduire la voilure pour satisfaire aux exigences prudentielles. Un tel contexte d’incertitude rend, de son côté, plus délicate la sélection des emprunteurs. À court terme, pour faire face au besoin de liquidité et de capital, les banques n’ont d’autres moyens que de recourir à des mesures exceptionnelles. Un premier réflexe a été de conserver les actifs les plus liquides et de réduire leur exposition au marché interbancaire, en particulier face à certaines contreparties jugées insuffisamment transparentes. D’où l’engagement indéfectible et massif des banques centrales à jouer leur rôle de prêteur en dernier ressort pour atténuer les tensions au cœur du système financier. Quant aux fonds propres, les dépréciations les plus importantes ont coïncidé avec des annonces simultanées d’entrée au capital de fonds souverains pour des montants parfois substantiels4. Les nouveaux acheteurs 4. Prenons l’exemple emblématique de Citigroup. Pour restaurer ses ratios prudentiels et faire face à de possibles nouvelles dépréciations dans les trimestres à venir, le géant de la finance américaine a dû faire appel aux fonds souverains et autres créanciers pour plus de 20 Mds $, réduisant également son dividende de 41% et réaménageant son portefeuille d’activités… le tout libérant au total 30 Mds $ capital depuis le début de la crise. Le système financier a ainsi ses « anges gardiens », les fonds souverains constituant une aubaine, au moment où les banques ont tant besoin d’un capital devenu plus coûteux. En d’autres termes, au travers de ces fonds, le système monétaire et financier international fait vraiment système. Les grands déséquilibres de balance des paiements qui sont en partie à l’origine du conundrum et de la bulle immobilière mondiale ont permis l’accumulation des réserves de change qui servent aujourd’hui à recapitaliser les banques occidentales. Depuis le début de la crise, 70 Mds $ ont ainsi bénéficié aux grands noms de la finance, à commencer par Citigroup, UBS, Merrill Lynch et Morgan Stanley. Pour les plus sceptiques, il suffit d’imaginer le coût en termes de rationnement du crédit et d’approfondissement supplémentaire de la crise en l’absence de ces recapitalisations. Au-delà de ces mesures d’urgence indispensables, à plus long terme, pour les acteurs les plus fragilisés, on peut s’attendre à des ajustements plus classiques de rationalisation des coûts et des activités, de cession de pans d’activités jugés non stratégiques, et également à la poursuite de la consolidation. Après une période 2003-2006 de convergence des performances entre les différents acteurs qui composent le système financier, s’ouvre donc une période de forte différenciation, avec des enjeux stratégiques majeurs pour un grand nombre d’entre eux. Analyser et raison garder Dans cette crise, les banques ont réalisé un énorme travail de transparence. Certaines d’entre elles vont continuer à le faire au fil des résultats annuels, tout comme le feront d’autres acteurs non bancaires. Tout cela va dans le bon sens, mais continue à générer de la volatilité. L’accompagnement d’un policy mix pragmatique, conscient des risques liés au désendettement d’acteurs à fort levier, reste indispensable, d’abord au niveau de la politique monétaire et du prêteur en dernier ressort, ensuite pour agir à la source des problèmes. Il s’agit, en particulier, de limiter le nombre de défauts des ménages, ce qui est l’objet du plan Paulson-Bush et du récent package fiscal. Dans l’immédiat, il faut à tout prix éviter que de nouvelles difficultés se surajoutent à une situation actuelle critique. Certaines menaces sont ainsi bien identifiées : risque monolines aujourd’hui, retour du risque LBO demain. Sachons en même temps que les policy mix ont leurs effets et que, peu à peu, les banques se consolident, tandis que les liquidités demeurent, notamment dans les fonds souverains. Ce n’est donc pas 1929, mais une phase de changement des droits de propriété. Rémy CONTAMIN 01 43 23 03 57 [email protected] Julien GEFFROY 01 43 23 13 55 [email protected] Directeur de la publication : Jean-Paul Betbèze Rédaction en chef : Jean-Paul Betbèze — Isabelle Job Réalisation et secrétariat d’édition : Véronique Champion-Faure Crédit Agricole S.A.– Direction des Études Économiques 75710 PARIS cedex 15 — Fax : +33 1 43 23 24 68 Copyright Crédit Agricole S.A. — ISSN 1248 - 2188 Gestion des abonnements : [email protected] Internet : http://kiosque-eco.credit-agricole.fr/ « Cette publication reflète l’opinion du Crédit Agricole à la date de sa publication, sauf mention contraire (contributeurs extérieurs). Cette opinion est susceptible d’être modifiée à tout moment sans notification. Elle est réalisée à titre purement informatif. 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