« Aucun marxisme sociologique n`a vraiment fait école en France

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« Aucun marxisme sociologique n'a vraiment fait école en France
». Entretien avec Quentin Ravelli redaction
Quentin Ravelli est chargé de recherche au CNRS en sociologie et auteur de La Stratégie de la
bactérie. Une enquête au cœur de l’industrie pharmaceutique. Sous le titre Produire le
consentement (dont on pourra lire ici un extrait, et ici un compte-rendu), il a traduit récemment
Manufacturing Consent, de Michael Burawoy, grand classique de la sociologie marxiste. Lors de cet
entretien nous revenons sur l’héritage du marxisme dans l’ethnographie et les sciences sociales
françaises.
CT : Tu as récemment traduit et publié Produire le consentement du sociologue marxiste
britannique Michael Burawoy1. Ce n’est pas une figure encore très connue en France.
Pourrais-tu le présenter ? De quoi parle donc son livre ?
QR : Vu depuis la France, Michael Burawoy peut avoir l’air d’un animal étrange, car il est à la fois
ethnographe, marxiste et nord-américain. On peut être ethnographe marxiste, voire marxiste
américain, mais marxiste américain et ethnographe marxiste, cela fait beaucoup. Pourtant, dans un
pays où l’anticommunisme a été si virulent, le marxisme est en fait plus répandu et assumé dans les
sciences humaines qu’il ne l’est en France. Peut-être justement parce que, cantonné aux universités,
à une radicalité académique, il apparaît moins dangereux ? En tout cas, malgré la forte influence des
idées communistes en France pendant la guerre froide et la « chasse aux sorcières » du
maccarthysme aux États-Unis, les chercheurs se réclamant explicitement du matérialisme historique
sont aujourd’hui plus présents outre-Atlantique. En témoigne, entre autres, l’existence d’une section
« Marxist Sociology » au sein de l’American Sociological Association, la principale association
professionnelle en la matière. Ce type d’organisation se distingue de l’influence, en France, de
francs-tireurs – souvent des philosophes – comme Alain Badiou, Étienne Balibar ou Georges Labica.
Par ailleurs, la démarche ethnographique, dont la méthode privilégie l’observation d’interactions
entre individus, peut apparaître en contradiction avec une approche plus générale en termes de
classes sociales, d’impérialisme, de soutien de l’appareil d’État au service des classes dominantes,
etc. C’est pourtant cela qui est intéressant chez Burawoy : l’idée d’une « ethnographie globale »
capable d’expliquer des relations microsociales (racisme entre les Noirs et les Blancs dans les mines
du Sud de l’Afrique, domination entre travailleurs dans les sociétés post-communistes) par des
grandes transformations (l’effondrement de la société d’apartheid, du stalinisme). Dans le livre que
j’ai traduit, Produire le consentement (Manufaturing Consent en anglais), Michael Burawoy cherche
à comprendre le passage du capitalisme concurrentiel au capitalisme de monopole à partir d’une
usine de moteurs du Sud de Chicago où il a travaillé comme ouvrier spécialisé. Pour cela, il fait
référence à Gramsci et à la naissance d’un régime hégémonique à l’usine, qui passe par la
constitution d’un univers de travail où les ouvriers participent activement à leur propre domination
par un « jeu des travailleurs » bien particulier, qu’ils appellent le « making out »2.
CT : Pourquoi ce livre, qui date de 1979 et a eu beaucoup d’influence et de postérité, y
compris dans la sociologie du travail en France, n’a-t-il pas été traduit plus tôt ? Et
pourquoi le traduire maintenant ?
QR : Ces dernières années, plusieurs textes de Burawoy ont été traduits en français. Mais il s’agit
surtout de questions méthodologiques, qu’il s’agisse du passionnant article « L’étude de cas élargie.
Une approche réflexive, historique et comparée de l’enquête de terrain », traduit par Marie Buscatto
dans L’enquête de terrain de Daniel Céfaï (2003), ou encore de « Revisiter les terrains. Esquisse
d’une théorie de l’ethnographie réflexive », traduit par Erwan Le Méner dans L’engagement
ethnographique (2010). Certes, il y a la traduction d’un chapitre de Manufacturing Consent dans
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Tracés en 2008, par José Calderon. Ou bien la traduction récente de Donald Roy, par Jean-Michel
Chapoulie, Un sociologue à l’usine, ou encore l’article de Pierre Fournier sur Roy et Burawoy dans
Actes de la recherche en sciences sociales, qui témoignent elles aussi d’un intérêt certain pour
Michael Burawoy et ses influences. Mais ce sont plus ses théories et sa réflexion méthodologique qui
ont attiré l’attention jusque-là. L’idée de cette traduction, dont j’ai discuté longtemps avec Marianne
Zuzula, de La Ville Brûle, était justement de combler ce retard, de revenir au Burawoy ethnographe
sans se contenter du Burawoy théoricien. Quant à savoir pourquoi il a fallu attendre si longtemps, je
pense que le déclin de la critique sociale et des idées marxistes en particulier, dans les années 1980
et 1990, sont un facteur d’explication important ; il se trouve aujourd’hui, après plusieurs années de
crise et de durcissement profond des relations sociales, plus ou moins explicitement remis en cause.
CT : Une des thèses principales du livre de Burawoy est que, sous le capitalisme
monopoliste, la mise au travail des ouvriers ne se fait plus par la contrainte physique du
despotisme du marché ou la discipline d’usine, mais par un système d’obtention du
consentement au travers de « jeux » au travail, entre autres. Le thème de la
méconnaissance des structures de domination est très bourdieusien, mais on a
l’impression que Burawoy ne l’aborde jamais dans ces termes. Il ne connaissait pas à
l’époque les travaux de Bourdieu ?
QR : Avant 1979, année de la publication du livre de Burawoy, peu de textes de Bourdieu sont
disponibles en anglais, à part l’Esquisse d’une théorie de la pratique, en 1977. Les auteurs français
avec lesquels il dialogue dans Produire le consentement sont surtout un groupe de philosophes
marxistes français : Althusser, Balibar, Castoriadis, etc. Ce n’est que bien plus tard, une fois que
Bourdieu sera devenu un poids lourd des sciences sociales, que Burawoy s’y intéressera pleinement,
avec ses Conversations with Pierre Bourdieu, publiées en anglais en 2012. Il s’agit d’une série de
dialogues imaginaires entre Bourdieu et Marx, Bourdieu et Beauvoir, Bourdieu et Gramsci, Franz
Fanon, Charles W. Mills, et même Bourdieu et lui-même ! Même si l’angle de ces Conversations est
plutôt celui d’une critique de l’héritage bourdieusien, on y sent une reconnaissance profonde de
l’importance de certains thèmes bourdieusiens, comme ceux des mécanismes de reproduction des
inégalités de classe. De fait, dès 1979, les raisons de la domination de classe sont au cœur de la
réflexion de Burawoy. Ce qui, soit dit en passant, peut justifier certaines critiques récentes, comme
celle de José Caldéron, qui souligne que l’approche burawoyienne de la reproduction de la
domination de classes en termes de jeu peut conduire à se représenter les travailleurs comme étant
si aliénés qu’ils ne sont plus maîtres de leurs actes.
CT : Tu considères que Burawoy « s’intéresse de manière ethnographique aux sociétés de
transition ». Peux-tu préciser le sens de cette expression ?
QR : Depuis l’effondrement du mur de Berlin et la décomposition du bloc dit « soviétique », les
rapports sociaux en Russie et dans les pays qui étaient ses satellites se sont profondément modifiés.
L’objectif d’une ethnographie globale consiste à décrire, concrètement, comment les interactions
individuelles se transforment, mais sans en rester à une perspective purement descriptive. De telles
transformations ne peuvent se comprendre de façon seulement empirique : il faut faire entrer en
ligne de compte l’ensemble du processus de décomposition économique, sociale et politique. Il faut
s’appuyer sur une théorie explicative, des concepts macrosociologiques, une certaine conception de
l’Histoire. L’opposition parfois supposée et enseignée entre une démarche qualitative et « donc »
compréhensive, d’un côté, et de l’autre une démarche quantitative et « donc » explicative, est ainsi
remise en question. Évidemment, le problème de cette approche est celui de la généralisation des
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observations – problème auquel s’attelle Burawoy en parlant des multiples formes d’
« élargissement »3 possibles des données ethnographiques.
CT : Ceci a l’air effectivement étrange pour la France, où il semblerait que l’ethnographie
contemporaine, qui défend la précision et la finesse des descriptions des observations et
l’analyse approfondie des entretiens, s’est construite contre les généralisations d’un
certain marxisme… Burawoy lui-même dit qu’il a tiré inspiration des théories « abstraites »
de Gramsci, Poulantzas et Althusser.
Pour Burawoy, il n’y a pas de contradiction entre la finesse des descriptions et la généralité de la
théorie, bien au contraire : les descriptions sont d’autant plus fines qu’elles sont orientées par un
appareil conceptuel solide qui affirme une vision d’ensemble de la société et refuse d’en rester à
l’empirisme descriptif. Les théories de Gramsci et Poulantzas – qui par ailleurs ne sont par
seulement des théoriciens mais mettent aussi les mains dans le cambouis, il suffit de lire Les Cahiers
de prison de Gramsci pour s’en convaincre – permettent de se représenter une relation entre l’État,
les entreprises, les classes sociales et leurs différentes fractions, les syndicats ; autant d’ancres
sociologiques qui évitent la dérive de l’observation. Évidement, même si la pratique descriptive
d’anthropologues comme Clifford Geertz a sans doute autant d’influence sur lui que les grands
concepts du matérialisme historique, on peut lui reprocher d’avoir plus conceptualisé que mis en
pratique cette approche – ce qui est sans doute vrai pour ses derniers travaux. Mais Produire le
consentement est là pour rappeler que cette réflexion s’enracine, avant tout, dans un terrain
concret.
CT : Cet ouvrage a été écrit il y a une quarantaine d’années. Est-ce qu’il y a des thèmes ou
analyses qui seraient caducs ? Je pense à un des concepts centraux de Produire le
consentement, celui d’ « État interne », comme institution qui régule l’ordre hégémonique
au sein de l’entreprise, qui a été abandonné dans des travaux ultérieurs au profit de
« production politics ».
QR : Je ne pense pas que la notion d’« État interne » s’oppose à celle d’une « politique de la
production », même si elle la suit et la remplace dans ses textes. Je crois plutôt que la seconde étend
et enrichit les intuitions de la précédente, en lui donnant plus d’amplitude. De fait, l’idée que les
grandes entreprises sont dotées d’appareils politiques propres, comparables aux fonctions juridiques
et répressives de l’appareil d’État, est certainement encore plus vraie aujourd’hui qu’à la fin des
années 1970. La récente « loi Travail », qui vise à casser les cadres nationaux du droit du travail – en
particulier les accords de branches au profit des accords d’entreprise – est là pour rappeler que
cette politique interne aux entreprises a le vent en poupe. Cela étant, tous les thèmes du livre ne
sont pas aussi actuels : le débat avec les défenseurs d’une sociologie vue du point de vue des
managers, celle d’Elton Mayo qui a fortement influencé la première sociologie du travail américaine,
est aujourd’hui plus difficile à cerner. C’est dommage, d’ailleurs, car la naissance de la sociologie du
travail en France s’est elle aussi construite comme une réaction au taylorisme.
CT : Une question sur la postérité de Produire le consentement. Burawoy s’intéresse ici aux
fondements de la domination au travail dans les sociétés capitalistes avancées, à
l’obtention du consentement à l’exploitation, mais (ce qui est extrêmement rare pour un
sociologue de langue anglaise !) il a également fait du terrain dans les pays soviétiques.
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Ceci peut donner une tout autre profondeur aux travaux sur la domination au travail.
QR : Le marxisme dont se réclame Burawoy est un marxisme critique et souple, qui se nourrit de
différentes traditions sociologiques ou philosophiques et cherche à s’appliquer à des réalités sociales
qui s’en revendiquent, voire en font une doctrine étatique officielle. Dans Radiant Past (1992), même
si l’ouvrage n’est pas aussi construit que Manufacturing Consent, l’objectif est de dissocier
l’idéologie de la réalité, puis de comprendre comment l’idéologie devient une réalité à part entière, à
partir de deux expériences comme ouvrier dans des usines de Hongrie. Au lieu de se contenter de
souligner toutes les différences qu’il peut y avoir entre le capitalisme et le stalinisme, il insiste au
contraire sur ce qui rapproche dans leurs organisations du travail aux pièces, leurs rapports à la
hiérarchie, les cadences, les quotas de production, les relations entre les opérateurs, les cadres et
les magasiniers, etc. Il y a parfois cette impression qu’il renvoie dos à dos deux monstruosités, et les
comparaisons peuvent être superficielles ou du registre de l’impression, mais dans le fond ce qui
compte est la mise en perspective historique : le passage de la concurrence au monopole, de la
bureaucratie « soviétique » au capitalisme. C’est ce qui fait l’intérêt de ses analyses du travail : leur
inscription dans un processus de transformation sociale.
CT : Encore une question pour préciser ton rapport à l’embryon de sociologie marxiste
française dans les années 1970. Un projet « althussérien » de sociologie marxiste a existé,
notamment autour de C. Baudelot et R. Establet. On peut penser à leurs ouvrages La petite
bourgeoisie en France, L’École capitaliste en France et Qui travaille pour qui ? Quelle
influence ont-ils eu sur la sociologie ? Est-ce qu’ils ont eu une influence sur tes travaux ?
QR : Oui, notamment leurs premiers livres, comme L’École capitaliste en France, qui montre
statistiquement que l’idéologie d’une école démocratique et homogène n’existe que pour un quart de
la population, les enfants de la bourgeoisie. Je crois que leur façon de faire est un apport précieux à
la sociologie, qui combine différentes échelles d’analyse, parfois très fines, sans perdre de vue les
processus d’ensemble. L’intérêt des travaux de Baudelot et Establet réside, à mon sens, dans un
raisonnement statistique incarné, mis au service d’une compréhension générale de la société. Dans
la suite de leurs travaux, sur les inégalités de genre ou le suicide, l’ombre du marxisme est toujours
présente mais moins nette. De fait, chez eux, Marx semble s’être progressivement mis en retrait au
profit de Durkheim, même si c’est peut-être un peu rapide de dire ça. Et d’une manière générale,
aucun « marxisme sociologique » n’a vraiment fait école en France. C’est Bourdieu qui reste
incontournable. Du coup, ce pôle théoriquement radical, qu’on l’appelle « marxiste » ou « marxien »,
et quel qu’en soient les faiblesses, semble être plus assumé dans d’autres discipline comme la
philosophie, par ailleurs plus conservatrice.
CT : Ceci a de quoi étonner, surtout qu’en sociologie du travail il y a eu des travaux, sur
l’automatisation du processus de production, sur le taylorisme, etc., fortement influencés
par le marxisme. Je pense à G. Friedmann, P. Naville ou autres. Que s’est-il passé avec leur
héritage ?
QR : C’est intéressant de mentionner Georges Friedmann et Pierre Naville, car ils étaient tous les
deux sociologues et militants – le premier proche du Parti Communiste, le second trotskiste puis au
PSU. Burawoy, lui, n’a aucune affiliation explicite à un parti politique, ce qui en fait un penseur
marxiste mais pas un auteur activement engagé dans la transformation de la société. Il l’a en tout
cas moins été que Bourdieu, qu’il critique pourtant, ou que Charles Wright Mills, qui considérait la
sociologie comme un outil de changement social aux antipodes de l’« empirisme abstrait » de Talcott
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Parsons. Burawoy, avec son projet de « sociologie publique », reste sociologue même quand il
aborde le monde extérieur, ce qui n’était pas le cas de Friedman et Naville. En tout cas, pour
comprendre pourquoi la sociologie marxiste d’après-guerre n’a pas pris racine comme aux États-
Unis, on peut avancer plusieurs hypothèses – les livres de François Cusset French Theory et La
Décennie permettent d’éclairer cette question. D’abord, un certain déclin de la radicalité de la
critique sociale accompagné par un déplacement des rapports de force politiques a dû conduire à
une critique sociale free lance – Foucault, Bourdieu – et engagée dans des luttes spécifiques, au
détriment de l’image de l’intellectuel organique du parti et de pensées jugées trop systématiques.
Bien entendu, la réalité est plus compliquée, puisque lesdits électrons libres sont souvent de grands
lecteurs de Marx. Ensuite, l’isolement relatif du milieu académique américain permet sans doute,
paradoxalement, d’y être plus critique car on y est moins écouté par le monde extérieur. Enfin,
l’attrait pour une forme de pensée scientifique qui confond l’objectivité et la neutralité – voire le
relativisme des derniers livres de Bruno Latour – et se méfie donc d’une approche qui cherche à
construire une objectivité incarnée et engagée.
CT : Tu dis qu’aucun marxisme sociologique n’a fait école en France. Qu’est-ce que peut
alors vouloir dire pour toi aujourd’hui de faire une ethnographie marxiste ? Est-ce que ça
implique une méthode différente de l’ethnographie des « milieux d’interconnaissance »
telle qu’on l’enseigne aujourd’hui ? Un rapport différent aux enquêtés et au terrain ? Ou
est-ce que c’est simplement a posteriori, dans l’interprétation des matériaux, qu’on
introduit des concepts et des théories marxistes ?
Non, je ne crois pas que la théorie vienne après l’expérience, au seul moment de l’interprétation des
matériaux – si jamais la recherche d’un ordre entre deux activités en constante interaction a
vraiment un sens… Les concepts et idées de critique sociale qu’on peut puiser chez Marx permettent
en fait de mieux ordonner ses perceptions sur le terrain, dans le choix des enquêtés, et cela peut
être un antidote à la naïveté. L’intérêt pour les questions économiques, l’histoire comme moteur ou
l’organisation macrosociale sont aussi des éléments importants, car ils permettent non seulement de
ne pas psychologiser à outrance les comportements et de voir les forces qui meuvent les groupes
sociaux souvent à leur insu, mais aussi d’être attentif à des questions qui pourraient paraître non
observables ou non sociologiques, comme la lutte des classes, la valeur économique, etc.
CT : Enfin, tu as publié récemment La Stratégie de la bactérie. Est-ce que tu peux
présenter ton livre ? Quelles en sont les influences théoriques (Marx ? Gramsci ?
Burawoy ?)
QR : Ce livre raconte la vie d’une marchandise de sa conception à sa commercialisation, en passant
par sa production, à l’intérieur d’un grand groupe multinational pharmaceutique. En observant le
travail du marketing, des chercheurs, des ouvriers et des dirigeants pour un seul et même
médicament – apparemment sans histoire – j’ai cherché à comprendre comment le travail et le
discours des salariés forgent un objet hautement polémique, à la fois salvateur et dangereux, dont
les représentations influencent la pensée médicale. Chemin faisant, je cherchais à cerner les
mutations d’un secteur d’avant-garde du capitalisme contemporain, très profitable, fondé sur la
fusion de la science et du commerce. Il n’y avait, hélas, pas beaucoup d’exemples sur lesquels
s’appuyer pour dessiner une telle « biographie sociale ». Malgré le cinéma et la littérature qui
foisonnent d’exemples plus ou moins fictionnels, il y a en anthropologie culturelle (Appadurai,
Kopytoff, Van der Geest…) et chez certains sociologues (Callon, Latour…), certains éléments
importants. Mais ils sont rarement au service d’une compréhension de la valeur marchande comme
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