Max Weber : Les vertus de l'objectivité et de la responsabilité « Tu dois t'opposer au mal par la force, sinon tu es responsable de son triomphe. » (Max Weber, La vocation du politique (1918/19), Paris 1963, p. 63) « Né en 1864 à Erfurt et décédé en 1920 à Munich, Max Weber est le cofondateur de la sociologie moderne. Il fut l'un des premiers à rechercher une voie explicite dans l'éthique, à une époque où font rage les grands conflits idéologiques et où règne un contexte pluraliste dans lequel s'exercent des valeurs concurrentes. Il enseigne notamment à Fribourg et à Vienne, et fait partie des membres fondateurs du parti démocrate allemand en 1918. [...] Weber ne se contente pas d'influencer le débat éthique du XXe siècle de façon durable, mais contribue à le modeler. Premier penseur à avoir introduit le concept de responsabilité dans l'éthique politique au début du XXe siècle, Max Weber réagit ce faisant à la terrible crise sociale et politique de son temps : dans le sillage de l'escalade de la lutte des idéologies du XIXe siècle, la sphère politique a vu se propager une conception éthique qui ne s'appuie que sur ce qu'elle estime être la bonne conviction et la bonne volonté, qui néglige les conséquences réelles, et ne montre aucune volonté d'assumer la responsabilité des conséquences de ses actions régies par ses bonnes intentions éthiques.1 « L'homme politique ne peut pas se contenter uniquement de vouloir le bien. Il doit également faire le bien, et lorsqu'il n'en a pas la possibilité, il doit au moins s'efforcer de s'en approcher. [...] Évidemment, selon Weber, le partisan d'une éthique de la responsabilité ne peut renoncer aux principes moraux, sans quoi l'absence de fondements moraux le guetterait. Max Weber ne veut pas supprimer la morale, mais à l'image du pragmatisme, la pure moralité, qui elle-même sombre dans l'immoralité et ouvre la voix au délitement des valeurs sociales. Le moraliste ou le défenseur d'une éthique des convictions réussit dès lors qu'il aspire réellement au bien, et au bien seulement. S'il développe une telle bonne volonté, s'il a purgé sa volonté de tout mal et de toute pensée immorale, alors c'est un homme moral. En revanche, Max Weber souhaite avec la responsabilité vis-à-vis des conséquences prévisibles, concrétiser de façon pragmatique et restreindre l'horizon éthique. Le résultat de nos actions, dont nous pouvons saisir la portée, que nous pouvons juger et mettre à notre crédit, devient la question centrale de l'éthique, et se substitue à la bonne volonté. Nous ne perdons alors pas de vue les réalités de notre quotidien et nous sommes contraints d'analyser précisément le monde. Alors 1 Hans-Martin Schönherr-Mann, Miteinander leben lernen [Apprendre à vivre ensemble], Munich 2008, p. 115 1 seulement pouvons-nous prendre la mesure de notre responsabilité, si nous ne prenons pas pour point de départ un monde ou une conception humaine qui nous convient mieux et que nous pouvons concevoir selon notre bon gré : ›Au contraire le partisan de l'éthique de responsabilité comptera justement avec les défaillances communes de l'homme (car, [...] on n'a pas le droit de présupposer la bonté et la perfection de l'homme) et il estimera ne pas pouvoir se décharger sur les autres des conséquences de sa propre action pour autant qu'il aura pu les prévoir. Il dira donc : Ces conséquences sont imputables à ma propre action.‹2 Selon Max Weber, l'éthique de la responsabilité possède une portée clairement définie, nécessaire dans des contextes pluriels, lorsque les hommes se disputent des valeurs éthiques supérieures et ne les reconnaissent pas de manière universelle [...] : les conséquences des actions deviennent alors un critère éthique essentiel de la façon dont chacun doit coopérer avec l'autre du point de vue social, politique et interculturel. Dans le contexte d'une guerre des cultures imminente, il est indispensable de rappeler aux parties prenantes la responsabilité qui est la leur visà-vis de leur tradition. Il est alors possible de se mettre plutôt d'accord sur ce qu'il reste concrètement à faire, que sur des valeurs morales communes. Selon Max Weber, l'éthique de la responsabilité n'aspire en aucun cas à être une éthique du lointain [...]. »3 « L'action responsable, et plus particulièrement l'action politique responsable, ne peut réussir que si elle s'appuie avant toute chose sur un rapport objectif au monde, en faisant abstraction de son propre idéal suprême, en d'autres termes, si elle tient suffisamment compte des conséquences de ses actes. Elle doit alors laisser la science lui porter conseil, car elle aussi aspire à l'objectivité. L'objectivité est au fond l'éthique de la science moderne. Mais l'objectivité anime également une politique responsable. L'objectivité en politique exige d'avoir le sens de la mesure et de prendre une certaine distance vis-à-vis des choses. [...] De l'objectivité dérive l'horizon de la responsabilité. »4 « Alors se pose la question de savoir dans quelle mesure cette vertu de l'objectivité est capable d'apporter sa modeste contribution à une éthique planétaire. Un jugement objectif favorise-t-il en ce monde la volonté de coopérer sur les plans social, politique et interculturel ? [...] L'objectivité [...] lance un appel pragmatique et conscient des responsabilités qui lui incombent à la recherche de solutions permettant de mettre fin à la lutte entre les idéologies et, si l'on transpose cette notion à la situation actuelle, permettant de ne plus tolérer la guerre des cultures [...] La responsabilité et l'objectivité figurent aux côtés du pragmatisme parmi 2 Max Weber, La vocation du politique, (1918/19), Paris 1963, p. 64 Schönherr-Mann, Miteinander leben lernen [Apprendre à vivre ensemble], p. 117 sq. 4 Ibidem, p. 129 3 2 les concepts fondamentaux qui contribuent à l'émergence d'un discours éthique planétaire. »5 5 Schönherr-Mann, Miteinander leben lernen [Apprendre à vivre ensemble], p. 132 3