Helmut Schmidt sur l'éthique de la responsabilité « Les hommes politiques ne sont pas à l'abri d'une méprise, bien entendu, ils commettent des erreurs. Ils sont tous soumis aux mêmes défaillances humaines que n'importe quel autre citoyen, ou que l'opinion publique. Les hommes politiques sont parfois contraints de prendre des décisions dans l'urgence ; bien souvent, ils ont suffisamment de temps et la possibilité de demander conseil autour d'eux, de soupeser les alternatives existantes et leurs conséquences prévisibles avant de rendre leur décision. Plus l'homme politique se laisse guider par une théorie ou une idéologie bien définie, ou par les intérêts de son parti, moins il soupèse tous les facteurs identifiables et toutes les conséquences de ses décisions dans chaque cas isolé, plus le risque de méprise, d'erreur et d'échec est important. Si la décision doit être prise dans l'urgence, ce risque est alors particulièrement élevé. L'homme politique assume systématiquement la responsabilité des conséquences, et souvent, cette responsabilité peut s'avérer particulièrement pesante. Bien souvent, les hommes politiques ne trouvent l'aide leur permettant de prendre une décision ni dans la constitution, ni dans leur religion, ni dans la philosophie ou dans la théorie. Ils sont guidés par leur seule raison, leur seul jugement, leur seule conscience. C'est pourquoi Max Weber, dans son essai de 1919 « La Vocation du politique » qui n'a rien perdu de son intérêt, a émis l'idée d'un « sens de la mesure » de l'homme politique. Il ajoute que l'homme politique doit « répondre des conséquences de ses actes ». En réalité, je pense qu'on ne peut pas tenir compte uniquement des conséquences directes, mais également des répercussions involontaires, et que les effets secondaires non envisagés doivent pouvoir être justifiés. Les objectifs gouvernant l'action doivent avoir une justification morale. Ils doivent relever d'une responsabilité. Les objectifs gouvernant ses actes doivent être justifiés, et les moyens utilisés pour parvenir à ses fins doivent avoir une justification éthique. Lorsqu'une décision doit impérativement être prise dans l'urgence, le « sens de la mesure » doit suffire. En revanche, lorsque l'on dispose du temps suffisant pour peser sa décision, une réflexion et une analyse consciencieuses sont alors de rigueur. Cette maxime ne s'applique pas uniquement aux décisions prises dans des situations extrêmes, mais également à la législation normale et quotidienne, par 1 exemple dans les domaines de la politique fiscale ou de la politique de l'emploi. Elle s'applique tout aussi bien à la décision de faire construire une nouvelle centrale électrique ou une nouvelle autoroute. Cette maxime s'applique sans aucune restriction. En d'autres termes, sans effort préalable exercé sur sa raison, l'homme politique ne peut pas répondre de ses actes et de leurs conséquences en toute conscience. Ni de bonnes intentions seules, ni des convictions nobles seules, ne peuvent le soustraire à ses responsabilités. C'est pourquoi j'ai toujours estimé que le discours de Max Weber sur la nécessité de recourir à une éthique de responsabilité par opposition à une éthique de conviction était particulièrement juste. [...] Outre la passion et le sens de la mesure, la conscience de sa propre responsabilité est la troisième qualité qui caractérise l'homme politique, selon Max Weber. Reste cette question : sa responsabilité envers qui ? Dans le mot « responsabilité » raisonne l'idée de « réponse » : à qui doit-il offrir une réponse ? Pour ma part, j'estime que cette ultime instance n'est pas le peuple investi du droit de vote. Cette ultime instance reste pour moi sa propre conscience, face à laquelle l'homme politique doit répondre de ses actes. » Helmut Schmidt dans son discours sur l'éthique planétaire « L'éthique de l'homme politique » prononcé le 8 mai 2007 à Tübingen. 2