Les silences de la danse
Je cours sur un runner. Il est très souple. C’est très bon pour mon dos. Pas de voitures, pas
d’arbres, pas de pierres. Je n’écoute pas de musique, je me concentre sur mes sons. Je ne
regarde que la vitesse et la durée sur le tableau de bord, aucun autre paramètre ne m’intéresse.
Je suis dans le temps et la durée, ma variation d’espace est nulle. Je remarque presque toujours
que tant que je marche, même vite, ma pensée vagabonde. Comme lorsque je fume un cigare.
Dès que je commence à courir, le “temps en l’air” des deux pieds et la perte de l’appui du sol
me ramènent à être conscient de ma course : je peux réfléchir mais je ne peux plus penser.
J’en ai parlé autour de moi à des amis coureurs : ils ont douté dans un premier temps pensant
que j’avais de l’imagination. Puis ils m’ont rappelé : “c’est vrai”. Faites-le test!
Les silences de la danse ce sont les bruits propres du corps en mouvement dans l’air et sur le
sol. Les silences de la danse ne sont pas silencieux. Ils expriment une tension dans le vide. Cette
tension est une suspension dans l’espace et le temps : elle devient le lieu d’actualisation entre
différents éléments par des brisures de symétrie ou par ce que l’on peut qualifier comme telles.
Les musiques et les danses s’associent et se différencient dans des fenêtres de connexion qui
référent à une structure topologique du temps. A travers l’exemple de trois danseurs et
chorégraphes : Pina Bausch, Merce Cunningham et Mickael Jackson, on essaiera de voir
comment opère cette transformation.
Pina Bausch a appelé sa compagnie le Wuppertal Tanztheater. Ce qu’on traduirait par théâtre
de la danse de Wuppertal. Bon nombre d’analyses ont requalifié ça comme danse-théatre.
Or chez elle , les interprètes dansent tout le temps, même quand “ils ne dansent pas”.
Et, quand, sur scène, “ils ne dansent pas”, ce n'est pas pour autant qu'ils font du théâtre. Ou
même font théâtre.
Théâtre de la danse s'entend comme théâtre des opérations.
L'art de Pina Baush est fondé sur l'apparition d'images fortes. Les gestes des danseurs en
choeur ou en soli sont marqués par les personnalités de chacun.
En fait Pina B. fait du cinéma sur scène, elle ne fait pas du théâtre.
Par exemple, dans Palermo, Palermo, on se souvient de la force visuelle du mur de parpaings qui
s'effondre vers le public peu après le début du spectacle et qui reste imprimée jusqu'à la fin.
Des images cinématographiques naissent devant nos yeux en trois dimensions comme un
feuilletage de l’espace relié par l’hors-champ de la musique.
Avant même la parution du film de W.Wenders, ses chorégraphies se voyaient déjà comme un
film en relief, sans la présence d'une caméra.
L'effet de nostalgie, plus qu'une nostalgie véritable, est donné par un rapport particulier à la
musique, ou pourrait-on dire, à l'environnement musical. Sauf dans un cas particulier, comme la
chorégraphie sur le Sacre de Stravinsky, où la musique "ordonne" le geste.