SASHA WALTZ ET LA DANSE ALLEMANDE Héritière de la danse allemande, mais fortementmarquée par les esthétiques américaines, la danse de Sasha Waltz ne se revendique pas totalement de la “danse-théâtre”. Retour sur une notion bien plus ouverte que sa définition. génération des chorégraphes du théâtre dansé l’a apprise pendant plusieurs années à New York, sa source. Les premières productions que l’on puisse qualifier de danse-théâtre voient le jour en 1967, avec les créations de Johann Kresnik et de Pina Bausch en 1974. La danse-théâtre n’est pas un style, mais un état d’esprit qui s’exprime dans une déclaration que fit cette dernière en 1973. « Du théâtre ou bien de la danse ? À vrai dire, voilà une question que je ne me pose jamais. Je cherche à parler de la vie, des êtres, de nous, de ce qui bouge. Il m’intéresse moins de savoir comment les gens bougent que ce qui les fait bouger. » L’appellation “danse-théâtre”, qui remonte aux années 20, employée pour la première fois par le chorégraphe Kurt Jooss, recouvre un phénomène qui a resurgi avec force près de quarante ans plus tard. Alors que dans les années 50-60, la danse, sur le modèle de Balanchine, se contente de transposer la musique avec le plus de perfection et de virtuosité possibles, le choc survient lorsque quelques chorégraphes décident de faire entrer la réalité sociale dans la danse. Propos que confirme trente ans plus tard Thomas Bunger, un jeune danseur du Tanztheater de Brême, « Ce qui nous soude, c’est que nous parlons de l’humain. On fait de l’art bien sûr, mais notre objectif n’est pas de mettre en scène des choses artificielles. On veut simplement laisser parler le corps et donner la priorité à l’humain. » Aussi quand le terme Tanztheater, dansethéâtre réapparaît au milieu des années 70, il sert aux critiques à qualifier des formes nouvelles, hybrides qui ne correspondent plus aux contours de la modern dance de Martha Graham et de ses contemporains, ni à ceux de la danse postmoderne depuis Merce Cunningham. Si l’image du Tanztheater allemand reste en France, principalement associée au nom de Pina Bausch, c’est d’une part parce que peu d’autres chorégraphes allemands ont sa notoriété mais aussi, parce qu’elle a inventé un genre, un corps, une façon de traiter la représentation qui demeurent uniques, et ont profondément marqué le milieu artistique français, identifiant le genre à l’artiste. Se plaçant, politiquement parlant, dans la filiation des révoltes d’étudiants dans le monde entier et des discussions sur la cogestion au théâtre, la dansethéâtre hérite tout autant, sur le plan esthétique, des retombées de la danse d’expression allemande et du travail de Kurt Jooss à l’école Folkwang d’Essen que de la modern dance américaine, puisque la première Dans le sillage de Pina Bausch, Johann Kresnik ou Gerhard Bohner, on assiste dans 1 les années 70, à la montée en puissance d’une seconde vague de chorégraphes, issue en partie de leurs ensembles, qui contribuera à asseoir davantage le théâtre dansé : Susanne Linke, Reinhild Hoffman et les Anglaises, Rosamund Gilmore et Vivienne Newport. La dansethéâtre compte de nombreuses lignées et il n’est pas facile de décrire leur souche commune hormis l’intérêt général qu’elles portent toutes à l’Homme. qui quoique délibérément théâtraux se distinguent éminemment par leur simplicité de la beauté pompeuse du ballet traditionnel. Plus de trente ans après sa naissance, le Tanztheater allemand se porte à merveille. Parmi la troisième génération de chorégraphes - issue principalement de la section danse de l’école Folkwang comme Wanda Golonka, Urs Dietrich, Joachim Schlömer, Daniel Goldin, Mark Sieczkarek, Mitsuro Sasaki et Henrietta Horn - c’est incontestablement Sasha Waltz qui se révèle aujourd’hui la plus talentueuse et la plus novatrice. On peut tenter de la définir plutôt par ce qui n’existe pas, à savoir : le style d’école. Les gestes et les poses codifiés n’existent tout au plus que sous forme de citations. Les chorégraphes recueillent les mouvements ou comportements banals du quotidien et découvrent en fait plus qu’ils ne trouvent. La danse qui prend ainsi naissance se base entièrement sur le vécu personnel des chorégraphes et varie donc énormément. De fait, dans cette dynamique, les interprètes ont acquis dans certains cas, le statut de coauteurs. La danse-théâtre se présente comme une forme artistique qui ne connaît plus de continuité ni dans l’action, ni dans la composition, une forme qui s’est émancipée dans le sillage du théâtre musical. Les danseurs parlent ou chantent, les comédiens dansent. « Le problème n’est pas celui d’être danse ou théâtre » dit la chorégraphe Catherine Diverrès, « c’est un problème de verbe, d’émotion et de scène. » L’atmosphère d’une pièce résulte de la combinaison d’éléments absolument équivalents, qu’il s’agisse de la musique, le plus souvent sous forme de collages, des séquences dansées, ou des décors 2