Nicole Coutrelis, Thomas Gourdeau et Sandra Caussanel

Étude
38 Nº 119 OCTOBRE 2016
Revue Lamy Droit des Affaires
Fany Lalanne
Rédactrice en chef
Par Nicole
COUTRELIS
Avocat au Barreau
de Paris
COUTRELIS
& ASSOCIÉS
Paris-Bruxelles
Thomas
GOURDEAU
Avocat au Barreau
de Paris
COUTRELIS
& ASSOCIÉS
Paris-Bruxelles
Et Sandra
CAUSSANEL
Avocat au Barreau
de Paris
COUTRELIS
& ASSOCIÉS
Paris-Bruxelles
RLDA 6029
Dépister une aide d’État
Une aide étatique ne respectant pas les règles spécifiques régissant leur octroi
en droit européen devra être remboursée par l’entreprise bénéficiaire, parfois
de nombreuses années après son attribution. Les conséquences d’une telle
récupération peuvent être dévastatrices, allant parfois jusqu’à remettre en cause
la viabilité de l’entreprise. Il est donc capital qu’une entreprise bénéficiaire soit en
mesure de prévenir de telles situations.
Le présent article a pour objet de présen-
ter de manière pratique et synthétique
aux personnes de terrain des entreprises
(juristes mais aussi non-juristes), les bases
du droit européen des aides d’État. Cette
branche méconnue du droit de la concur-
rence vise à interdire aux États membres
de l’Union européenne de fausser le jeu
de la concurrence en soutenant certaines
entreprises ou certaines productions au
détriment d’autres. Ainsi, une aide étatique
ne respectant pas les règles spécifiques
présentées ci-après devra être rembour-
sée par l’entreprise bénéficiaire, parfois de
nombreuses années après son attribution.
Les conséquences d’une telle récupération
peuvent être dévastatrices, allant parfois
jusqu’à remettre en cause la viabilité de
l’entreprise (I). Ces règles pouvant avoir
d’importantes conséquences financières
sur les entreprises restent néanmoins à ce
jour une affaire de spécialistes. De multi-
ples raisons expliquent la connaissance et
l’intégration insuffisantes de cette branche
du droit par les acteurs de l’entreprise (II).
Enfin, l’application pratique de ce droit né-
cessite que les acteurs de l’entreprise aient
les connaissances nécessaires afin d’identi-
fier un problème potentiel découlant de ces
règles ainsi que de potentielles occasions
de contester des mesures bénéficiant à un
concurrent. La dernière partie de cet article
présente des exemples pratiques auxquels
une entreprise « standard » peut se retrou-
ver confrontée (les cas particuliers, comme
les situations d’État actionnaire ou de Ser-
vices d’intérêt économique général n’étant,
à dessein, pas traités) (III).
I. Principes de base du droit
européen des aides d’État
A. Notion d’aide d’État
Larticle 107 du traité sur le fonctionnement
de l’Union européenne (TFUE) pose le prin-
cipe de base en disposant que « sont incom-
patibles avec le marché intérieur, dans la
mesure où elles affectent les échanges entre
États membres, les aides accordées par les
États ou au moyen de ressources d’État sous
quelque forme que ce soit qui faussent ou
qui menacent de fausser la concurrence en
favorisant certaines entreprises ou certaines
productions ». Le TFUE ne définissant pas
plus précisément ce qui constitue une aide
d’État incompatible, il est nécessaire d’étu-
dier l’application pratique du texte faite par
la Commission européenne (systématisée
dans sa communication du 19 juillet 2016
sur la notion d’aide d’État), et la Cour de
justice de l’Union européenne (CJUE).
En premier lieu, pour constituer une aide
d’État, une mesure doit bénéficier à une
« entreprise ». Cette notion est définie très
largement comme une entité exerçant une
activité économique consistant à offrir des
biens ou des services sur un marché donné,
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indépendamment de son statut juridique et de son mode
de financement. La notion d’activité économique peut
toutefois être difficile à cerner, notamment en présence
de services d’intérêt général (par exemple, la santé, l’édu-
cation, les transports ou les télécommunications).
En deuxième lieu, pour être qualifiée d’aide d’État, une
mesure doit être financée au moyen de « ressources
d’État ». Il est présumé que toute intervention financière
d’une entité publique au profit de tiers est une aide. Il
peut s’agir de ressources octroyées directement par l’État
ou par des collectivités territoriales, ou indirectement par
des organismes liés à l’État.
Le financement de la mesure peut être « positif » (l’État
attribue) mais aussi « négatif » (l’État renonce à certaines
ressources en allégeant les charges qui grèvent habituel-
lement le budget d’une entreprise). Ces notions n’étant
pas définies de manière précise et étant donné les spécifi-
cités de chaque mesure, il est impossible de faire une liste
exhaustive de l’ensemble des situations potentiellement
couvertes.
En troisième lieu, pour être qualifiée d’aide d’État, une
mesure doit procurer un « avantage sélectif » à son béné-
ficiaire. La notion d’avantage implique que le bénéficiaire
soit directement ou indirectement favorisé par une me-
sure qu’il n’aurait pas obtenue dans des conditions nor-
males de marché. De plus, cet avantage doit être sélectif,
en profitant spécifiquement à une ou plusieurs entre-
prises, à l’exclusion d’autres se trouvant dans une situa-
tion comparable.
Lorsque l’avantage est le résultat d’une mesure « posi-
tive », sa sélectivité est en général aisée à établir car le
traitement favorable est la plupart du temps réservé à
un nombre restreint d’acteurs. Au contraire, l’évaluation
est plus complexe lorsque les mesures visent un secteur
dans son ensemble ou des entreprises se trouvant dans
des situations prédéfinies (par exemple, nouvellement
créées, nouvellement introduites en bourse, implantées à
certains endroits, ou en difficulté, ou encore employant
des jeunes ou personnes handicapées, exportatrices,…),
sans que les bénéficiaires ne soient visés individuellement.
C’est souvent le cas lorsque l’avantage résulte d’une me-
sure « négative » (par exemple, réductions et exonéra-
tions de charges fiscales ou sociales).
L’article 107 TFUE ne distingue pas selon les causes ou
les objectifs des interventions étatiques, mais se préoc-
cupe uniquement de leurs effets. Ainsi, pour peu qu’une
mesure ait pour effet de conférer un avantage sélectif, le
fait que l’entreprise en bénéficie automatiquement sans
avoir la possibilité de la refuser ne saurait être pris en
considération. Une entreprise peut ainsi bénéficier d’une
aide d’État sans en avoir fait la demande ou sans même
être consciente de bénéficier d’un régime particulier, par
simple application de la loi.
Enfin, pour être qualifiée d’aide d’État, une mesure doit
avoir des effets, au moins potentiels, sur les échanges au
sein de l’Union européenne et sur la concurrence. Toute
aide plaçant des barrières à l’entrée d’un marché national
ou intra-communautaire ou qui renforce la position d’une
entreprise par rapport à ses concurrents sur ce marché est
présumée affecter les échanges entre États membres.
Les mesures remplissant l’ensemble de ces conditions
sont soumises à des procédures particulières.
B. Procédures en matière d’aides d’État
L’article 107 §3 TFUE prévoit un certain nombre de cas
les aides remplissant les critères vus ci-dessus peuvent
être déclarées compatibles. Cette déclaration de compati-
bilité est de la compétence exclusive de la Commission et
suit une procédure spécifique, prévue à l’article 108 TFUE
et décrite au règlement (UE) n° 2015/1589 du Conseil du
13 juillet 2015.
«Règle générale : obligation de notifier
Sauf cas relevant d’une exemption générale, l’ar-
ticle 108 §3 TFUE impose aux États membres de notifier
à la Commission toute aide nouvelle préalablement à son
octroi, faute de quoi elle sera automatiquement qualifiée
d’illégale, quelle que soit son éventuelle compatibilité
avec le marché intérieur. L’État est tenu de suspendre l’oc-
troi de la mesure (obligation dite « de standstill ») jusqu’à
ce que la Commission se soit prononcée sur sa compati-
bilité.
En cas d’incompatibilité de l’aide, la Commission en inter-
dit l’octroi et, si l’obligation de notification ou de stands-
till n’a pas été respectée, elle ordonne à l’État membre de
procéder à sa récupération, et ce jusqu’à 10 ans à compter
du versement de l’aide.
La récupération se fait selon les procédures du droit na-
tional, c’est à dire en France par un ordre de reversement
émis par l’autorité ayant octroyé l’aide, pouvant être
contesté devant le juge administratif. Une jurisprudence
abondante s’est d’ailleurs développée en France en cette
matière.
Les taux d’intérêt applicables à la récupération des aides
d’État, fixés par la Commission, sont plus élevés que les
taux d’intérêts légaux, et sont composés mensuellement
ce qui, couplé à la durée parfois très longue sur laquelle ils
sont calculés, peut avoir pour conséquence un montant
global d’intérêts considérable, parfois supérieur au prin-
cipal.
Lorsque l’aide, tout en ayant été versée illégalement, a été
déclarée compatible par la Commission, sa récupération
n’est pas exigée. L’État doit néanmoins réclamer au bé-
néficiaire le remboursement d’un montant correspondant
à l’équivalent des intérêts qu’il aurait acquitter sur le
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Revue Lamy Droit des Affaires
marché bancaire entre le versement de l’aide et la déci-
sion de la Commission la déclarant compatible.
Les montants à récupérer peuvent donc être considé-
rables, et de ce fait remettre en cause la viabilité écono-
mique de l’entreprise qui subit ainsi une double pénalisa-
tion : l’arrêt de la perception de l’aide, et le rembourse-
ment des sommes perçues assorties d’intérêts. De plus,
l’obligation de récupération n’est pas affectée par le fait
que des entreprises bénéficiaires pourraient se retrouver
en difficulté, l’État étant alors tenu de provoquer, si né-
cessaire, leur mise en liquidation, même si cela peut par-
fois paraître choquant.
Dès lors, la qualification d’une mesure en aide d’État peut
s’avérer être une véritable bombe à retardement pour son
bénéficiaire, d’autant plus que celui-ci peut ignorer en
avoir bénéficié. Ce n’est parfois que lorsqu’une mesure
de récupération est prise à son encontre que l’entreprise
prend conscience des effets dévastateurs de ne pas avoir
procédé à sa propre évaluation de la mesure dont elle bé-
néficiait et de ne pas avoir très vite dépisté une aide d’État.
En théorie, après récupération, l’entreprise bénéficiaire
pourrait se retourner contre l’État pour engager sa res-
ponsabilité en cas de violation de l’obligation de notifi-
cation. En pratique toutefois, la difficulté d’établir avec
certitude un préjudice indemnisable distinct de la simple
obligation de reverser l’aide n’a toujours pas permis d’ob-
tenir une telle réparation.
La qualification d’une mesure en
aide d’État peut s’avérer être une
véritable bombe à retardement
pour son bénéficiaire, d’autant
plus que celui-ci peut ignorer en
avoir bénéficié.
«Exceptions à l’obligation de notifier
En pratique, toutes les mesures ne sont pas concernées
par les notifications individuelles. Certains régimes natio-
naux sont notifiés à la Commission et font l’objet d’une
décision favorable, si bien que chaque cas individuel rele-
vant de ce régime national bénéficie de l’exemption. Par
ailleurs, de nombreuses catégories d’aides sont réputées
compatibles et sont exemptées de notification en ver-
tu d’un règlement général d’exemption (Règl. Comm. UE
651/2014, 17 juin 2014, dit « RGEC »). Les acteurs de l’entre-
prise bénéficiaire d’une mesure tombant potentiellement
dans le champ d’application du droit des aides d’État
doivent donc systématiquement vérifier si cette mesure
relève d’un régime d’exemption.
De plus, les aides accordées à des entreprises fournissant
un « service d’intérêt économique général » (SIEG) sont
soumises à des règles spécifiques qu’il convient de vérifier
tout particulièrement.
En outre, si le montant total des aides octroyées par un
État membre à une entreprise n’excède pas 200 000 eu-
ros sur une période de trois exercices fiscaux, cette aide
dite de minimis ne relève pas de l’article 107 TFUE car elle
est considérée comme n’affectant pas la concurrence de
manière sensible.
Mais en l’absence d’assurances tirées de ces textes, l’État
doit notifier la mesure individuellement à la Commission.
L’entreprise n’est pas partie à cette procédure, mais il lui
est fortement conseillé de s’enquérir du statut de l’aide
dont elle bénéficie, et de redoubler de prudence si le sta-
tut de cette aide lui paraît suspect.
II. Un droit trop souvent méconnu
Lors d’une première confrontation au droit des aides
d’État, les acteurs de l’entreprise ont souvent pour réac-
tion le rejet de ce droit qui peut sembler aller à l’encontre
de la recherche des intérêts immédiats de l’entreprise.
Au-delà du fait que les entreprises ont la plupart du temps
une mauvaise connaissance des conséquences pouvant
découler d’une aide d’État perçue illégalement, elles
n’ont souvent pas même conscience qu’elles bénéficient
d’avantages relevant potentiellement de ces règles. Cette
incompréhension découle d’une méconnaissance de ce
droit, qui peut s’interpréter de plusieurs manières.
Tout d’abord, l’origine purement européenne de ce droit,
sa complexité et son imprévisibilité en font une branche
habituellement traitée uniquement par des spécialistes.
Contrairement aux règles concernant les pratiques anti-
concurrentielles qui figurent, en général, de manière simi-
laire dans la législation interne des États membres, contri-
buant ainsi à une meilleure diffusion de leur connaissance,
les règles de fond régissant les aides d’État sont en effet
purement européennes. De plus, si le principe de base de
ce droit tient en quelques phrases et paraît relativement
simple, son application pratique ne l’est pas. De par la di-
versité et la complexité grandissante des schémas d’aides
adoptés par les États, chaque cas est particulier, nécessi-
tant une étude approfondie. De même, la manière dont
les conditions de l’article 107 TFUE sont appliquées par les
experts de la Commission et la CJUE est en constante évo-
lution. En outre, les procédures liées aux aides d’État sont
la plupart du temps extrêmement longues et complexes,
voyant interagir instances de l’Union et juridictions natio-
nales, et aboutissent à des décisions et arrêts qui sont, eux
aussi, de plus en plus longs et complexes. Il n’est ainsi pas
rare que la Commission soit amenée à adopter plusieurs
décisions dans une même affaire suite à des annulations
successives de la CJUE. De ce fait, la jurisprudence est plé-
Étude
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Nº 119 OCTOBRE 2016 Revue Lamy Droit des Affaires
thorique et ce droit essentiellement prétorien nécessite
une constante vigilance ainsi que, plus encore que le droit
des pratiques anticoncurrentielles, le regard de spécia-
listes expérimentés.
De plus, la manière dont certaines affaires sont présen-
tées au public joue un rôle important dans leur perception
par les entreprises. En effet, la presse non-spécialiste se
limite bien souvent aux affaires affectant les entreprises
fortement liées historiquement aux États, ou des entre-
prises particulièrement « en vue », sans présenter l’inté-
gralité du raisonnement ni de la procédure. Laccent est
mis sur certains aspects de l’affaire, tels la condamnation
de l’État par l’Union européenne ou le volet social impli-
quant faillites et licenciements dus à l’obligation de ré-
cupération. La plupart des affaires ne sont médiatisées
qu’au sein de l’État concerné par la procédure, alors que
les entreprises sont souvent transnationales et peuvent
être concernées par des mesures étrangères. Ce n’est que
récemment, avec les affaires liées aux rescrits fiscaux (tax
rulings) touchant des multinationales bien connues (no-
tamment les décisions de la Commission concernant Fiat,
Starbucks et Apple ainsi que les enquêtes en cours concer-
nant Amazon et Mc Donald’s) que la presse généraliste a
commencé à élargir son intérêt pour les affaires d’aides
d’État. De plus, pour une personne n’ayant jamais été au
contact de ce droit, son intitulé « aides d’État » (State
aid) pourrait laisser entendre qu’il s’agit de sujets liés à
la politique sociale, n’intéressant donc pas la partie « af-
faires » des entreprises. Interrogés sur leurs connaissances
en la matière, les acteurs de l’entreprise ont souvent pour
première réponse « nous ne sommes pas concernés par les
aides d’État ».
Enfin, ce droit est perçu comme allant à l’encontre de l’es-
sence même de certains métiers. Ainsi, une partie du rôle
du fiscaliste est de chercher à réduire l’imposition de l’en-
treprise. À cette fin, des négociations directes avec les ad-
ministrations fiscales des États peuvent faire partie d’une
stratégie d’ensemble afin d’y parvenir. De même, les ac-
teurs de la gestion des ressources humaines cherchent à
bénéficier des régimes sociaux les plus avantageux mis
en place par les États. Les acteurs de la stratégie utilisent
naturellement tous les leviers disponibles afin de faire
bénéficier l’entreprise de mesures étatiques et prendre
en compte les avantages de ce type dont bénéficient les
cibles potentielles lors de projets d’acquisitions. Il est aus-
si normal de souhaiter bénéficier des mesures générales
dont bénéficient les concurrents. Obtenir de bénéficier de
telles mesures est donc considéré par beaucoup comme
« bien faire son métier », « bien négocier », et « obte-
nir une victoire ». Il est cependant possible que de telles
situations relèvent du droit des aides d’État (ce qui n’im-
plique pas nécessairement qu’elles soient incompatibles,
mais signifie qu’une analyse plus poussée doit être effec-
tuée afin de dépister et d’évaluer les risques avec préci-
sion).
De plus, les acteurs des entreprises ont naturellement
tendance à placer leur confiance dans la position des
administrations des États en prenant pour acquis que si
celles-ci adoptent une mesure, c’est qu’elles sont en droit
de le faire. Mais c’est oublier que c’est à l’entreprise la
première qu’il incombe de faire sa propre évaluation des
mesures dont elle pourrait bénéficier au regard du droit
des aides d’État. En effet, elle ne pourra pas se prévaloir
de la position de l’Administration à ce sujet et c’est elle,
et non l’État, qui subira les conséquences de l’obligation
de récupération.
III. Exemples de problématiques
d’aides d’État
Sans prétendre fournir une topographie exhaustive des
aides d’État, ni reprendre les cas les plus évidents des
subventions individuelles directes, les exemples exposés
ci-après devraient permettre aux décideurs de l’entreprise
et à leurs conseils de mieux cerner la notion d’aide d’État
et de prendre conscience des risques qui s’invitent plus
ou moins discrètement dans la vie courante des affaires
et dans des secteurs qui ne sont généralement pas per-
çus comme étant « à risque ». Lorsque ceux-ci penseront
être face à une mesure potentiellement problématique,
l’entreprise pourra faire appel à un spécialiste qui devrait
l’aider à lever les incertitudes sur ce risque et à agir en
conséquence.
A. – Aides liées à la fiscalité de l’entreprise
Les États membres sont libres de déterminer leur politique
économique et fiscale. Ce faisant, ils doivent respecter les
règles concernant les aides d’État, qui peuvent couvrir des
« interventions qui allègent les charges qui normalement
grèvent le budget d’une entreprise ». De nombreuses aides
d’État ont ainsi été identifiées dans le domaine fiscal, et
peuvent être classées sous deux catégories : les régimes
généraux et les mesures spécifiques.
Partant du principe que les mesures fiscales générales
émanent de l’État et s’adressent à un nombre indétermi-
de bénéficiaires, les entreprises ont rarement le réflexe
de les étudier en profondeur pour en apprécier la légalité.
Pourtant, les régimes généraux sous forme d’impôts (di-
rects ou indirects), de taxes, ou toute forme de cotisations,
y compris sociales, peuvent potentiellement constituer
des aides « fiscales ». Toute forme de mesure négative
est potentiellement concernée : abattement, déduction,
exonération, réduction ou crédit d’impôt. Le mode de fi-
nancement de la mesure et la manière dont son produit
est affecté est aussi pris en compte, ce qui complexifie
encore davantage l’analyse de ses effets. Par exemple, une
taxe imposée à tous les opérateurs mais dont le produit
est affecté au financement de mesures ne touchant que
certaines entreprises peut faire partie intégrante d’un ré-
gime d’aide d’État.
42 Nº 119 OCTOBRE 2016
Revue Lamy Droit des Affaires
En matière fiscale, c’est le critère de « sélectivité » de
l’article 107 TFUE qui est bien souvent le plus difficile à
évaluer. Il faut identifier si la mesure contient des critères
susceptibles de favoriser certaines entreprises, certains
secteurs de l’économie ou la production de certains biens
par rapport à d’autres se trouvant dans une situation fac-
tuelle et juridique comparable. La mesure pourrait ainsi
s’appliquer, par exemple, uniquement à certaines entre-
prises en fonction de leur implantation géographique,
secteur d’activité, statut juridique ou forme sociale. Les
mesures cherchant à inciter des agissements spécifiques
peuvent aussi être sélectives : par exemple, une exoné-
ration d’impôt pour les sociétés créées spécifiquement
dans le but de reprendre une entreprise en difficulté, ou
des allégements accordés aux personnes physiques afin
de les inciter à investir dans des OPCVM spécialisés dans
la détention d’actions de sociétés à capitalisation faible
ou moyenne.
Par ailleurs, les entreprises doivent porter une attention
particulière aux pratiques administratives les concer-
nant spécifiquement. En principe, toute décision prise par
l’Administration s’écartant des règles fiscales générales
en favorisant certaines entreprises donne lieu à une pré-
somption d’aide d’État. Il peut s’agir, par exemple, d’une
réduction totale ou partielle de l’assiette imposable, du
montant de l’impôt (exonération, crédit d’impôt), ou
même d’une transaction préférentielle avec l’administra-
tion fiscale, concernant l’ajournement, l’annulation ou le
rééchelonnement exceptionnel de la dette fiscale dans
laquelle l’Administration fait des concessions considérées
comme disproportionnées.
Ainsi, les traitements fiscaux préférentiels que les États
acceptent d’accorder à des entreprises de manière sélec-
tive, appelés rescrits fiscaux (tax rulings), peuvent fausser
la concurrence dans le marché unique, entrainant une in-
fraction aux règles en matière d’aides d’État.
Il doit être noté que ces mesures fiscales ne sont pas tou-
jours mises en place individuellement. Un même schéma
d’aides peut ainsi viser plusieurs entreprises simultané-
ment et constituer une aide d’État s’il n’accorde pas le
même avantage à d’autres en situation comparable.
B. Aides liées à la gestion des ressources
humaines de l’entreprise
Le simple fait qu’une mesure étatique poursuive un but
social ne suffit pas à la faire échapper à une potentielle
qualification en aide d’État. Comme en ce qui concerne
la fiscalité, le caractère général des mesures sociales dont
une entreprise peut bénéficier a cependant naturellement
tendance à endormir sa vigilance.
Les mesures peuvent être « négatives » lorsque l’État
prend en charge certains coûts, par exemple en réduisant
les cotisations de certaines entreprises, en prenant en
charge une partie des coûts liés aux syndicats, ou en co-
finançant des mesures d’accompagnement à la restructu-
ration dans le cadre de plans sociaux. Elles peuvent aussi
être « positives » lorsque l’État incite les entreprises à agir
d’une manière prédéterminée, en proposant par exemple
des aides en faveur des travailleurs défavorisés ou handi-
capés ou des aides à la formation du personnel.
Il faut identifier si la mesure contient des critères sélectifs
susceptibles de favoriser certaines entreprises. Il peut ainsi
s’agir de mesures favorisant certains secteurs de l’écono-
mie ou certains objectifs spécifiques, visant par exemple
uniquement les entreprises en difficulté faisant face à
des plans sociaux, ou bien aidant certaines entreprises à
prendre en charge les indemnités de retraite anticipée ou
de chômage de leur personnel.
En outre, si l’État dispose d’un pouvoir discrétionnaire lui
permettant de moduler son intervention en fonction de
l’entreprise concernée, la mesure risque fort d’être consi-
dérée comme une aide d’État.
C. Aides portant sur les contrats liant une
entreprise à l’État
Bien que l’État soit libre d’entreprendre, directement ou
indirectement, des activités économiques au même titre
que les entreprises privées, il ne doit pas favoriser cer-
taines entreprises au détriment de leurs concurrentes. Tel
pourrait être le cas si, par exemple, les autorités publiques
ne facturent pas un prix normal au titre de leur système
général d’accès au domaine public ou aux ressources na-
turelles ou pour l’octroi de certains droits spéciaux ou ex-
clusifs.
Ainsi, un prêt octroyé par une personne publique qui ne se
conforme pas aux conditions du marché, ou une fourniture
par l’État de biens ou de services à des conditions préfé-
rentielles, peut constituer une aide d’État. Les entreprises
doivent aussi se montrer particulièrement vigilantes sur le
bon déroulement de la procédure d’attribution d’un mar-
ché public. Un concurrent n’ayant pas remporté le marché
pourrait en effet soulever que l’entreprise se l’étant vue
attribuer bénéficie d’une aide d’État s’il arrive à prouver
que sa propre offre était meilleure. De même, les projets
de partenariat public-privé devront être analysés sans
se fier à la position de l’État au sujet des aides d’État. Le
critère central est ici celui de savoir si l’État se comporte
comme un acteur économique normalement avisé dans
une économie de marché, ce qui n’est pas toujours aisé à
déterminer et donne lieu à de nombreux contentieux
l’analyse économique tient une large place aux côtés de
l’analyse juridique.
Par ailleurs, certaines mesures concernant la recherche,
le développement et l’innovation peuvent aussi consti-
tuer des aides d’État. Les entreprises doivent alors vérifier
que les mesures dont elles entendent bénéficier sont bien
exemptées par le RGEC, ou qu’elles font partie d’un ré-
gime d’aide déclaré compatible.
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