Étude
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Nº 119 OCTOBRE 2016 Revue Lamy Droit des Affaires
thorique et ce droit essentiellement prétorien nécessite
une constante vigilance ainsi que, plus encore que le droit
des pratiques anticoncurrentielles, le regard de spécia-
listes expérimentés.
De plus, la manière dont certaines affaires sont présen-
tées au public joue un rôle important dans leur perception
par les entreprises. En effet, la presse non-spécialiste se
limite bien souvent aux affaires affectant les entreprises
fortement liées historiquement aux États, ou des entre-
prises particulièrement « en vue », sans présenter l’inté-
gralité du raisonnement ni de la procédure. L’accent est
mis sur certains aspects de l’affaire, tels la condamnation
de l’État par l’Union européenne ou le volet social impli-
quant faillites et licenciements dus à l’obligation de ré-
cupération. La plupart des affaires ne sont médiatisées
qu’au sein de l’État concerné par la procédure, alors que
les entreprises sont souvent transnationales et peuvent
être concernées par des mesures étrangères. Ce n’est que
récemment, avec les affaires liées aux rescrits fiscaux (tax
rulings) touchant des multinationales bien connues (no-
tamment les décisions de la Commission concernant Fiat,
Starbucks et Apple ainsi que les enquêtes en cours concer-
nant Amazon et Mc Donald’s) que la presse généraliste a
commencé à élargir son intérêt pour les affaires d’aides
d’État. De plus, pour une personne n’ayant jamais été au
contact de ce droit, son intitulé « aides d’État » (State
aid) pourrait laisser entendre qu’il s’agit de sujets liés à
la politique sociale, n’intéressant donc pas la partie « af-
faires » des entreprises. Interrogés sur leurs connaissances
en la matière, les acteurs de l’entreprise ont souvent pour
première réponse « nous ne sommes pas concernés par les
aides d’État ».
Enfin, ce droit est perçu comme allant à l’encontre de l’es-
sence même de certains métiers. Ainsi, une partie du rôle
du fiscaliste est de chercher à réduire l’imposition de l’en-
treprise. À cette fin, des négociations directes avec les ad-
ministrations fiscales des États peuvent faire partie d’une
stratégie d’ensemble afin d’y parvenir. De même, les ac-
teurs de la gestion des ressources humaines cherchent à
bénéficier des régimes sociaux les plus avantageux mis
en place par les États. Les acteurs de la stratégie utilisent
naturellement tous les leviers disponibles afin de faire
bénéficier l’entreprise de mesures étatiques et prendre
en compte les avantages de ce type dont bénéficient les
cibles potentielles lors de projets d’acquisitions. Il est aus-
si normal de souhaiter bénéficier des mesures générales
dont bénéficient les concurrents. Obtenir de bénéficier de
telles mesures est donc considéré par beaucoup comme
« bien faire son métier », « bien négocier », et « obte-
nir une victoire ». Il est cependant possible que de telles
situations relèvent du droit des aides d’État (ce qui n’im-
plique pas nécessairement qu’elles soient incompatibles,
mais signifie qu’une analyse plus poussée doit être effec-
tuée afin de dépister et d’évaluer les risques avec préci-
sion).
De plus, les acteurs des entreprises ont naturellement
tendance à placer leur confiance dans la position des
administrations des États en prenant pour acquis que si
celles-ci adoptent une mesure, c’est qu’elles sont en droit
de le faire. Mais c’est oublier que c’est à l’entreprise la
première qu’il incombe de faire sa propre évaluation des
mesures dont elle pourrait bénéficier au regard du droit
des aides d’État. En effet, elle ne pourra pas se prévaloir
de la position de l’Administration à ce sujet et c’est elle,
et non l’État, qui subira les conséquences de l’obligation
de récupération.
III. – Exemples de problématiques
d’aides d’État
Sans prétendre fournir une topographie exhaustive des
aides d’État, ni reprendre les cas les plus évidents des
subventions individuelles directes, les exemples exposés
ci-après devraient permettre aux décideurs de l’entreprise
et à leurs conseils de mieux cerner la notion d’aide d’État
et de prendre conscience des risques qui s’invitent plus
ou moins discrètement dans la vie courante des affaires
et dans des secteurs qui ne sont généralement pas per-
çus comme étant « à risque ». Lorsque ceux-ci penseront
être face à une mesure potentiellement problématique,
l’entreprise pourra faire appel à un spécialiste qui devrait
l’aider à lever les incertitudes sur ce risque et à agir en
conséquence.
A. – Aides liées à la fiscalité de l’entreprise
Les États membres sont libres de déterminer leur politique
économique et fiscale. Ce faisant, ils doivent respecter les
règles concernant les aides d’État, qui peuvent couvrir des
« interventions qui allègent les charges qui normalement
grèvent le budget d’une entreprise ». De nombreuses aides
d’État ont ainsi été identifiées dans le domaine fiscal, et
peuvent être classées sous deux catégories : les régimes
généraux et les mesures spécifiques.
Partant du principe que les mesures fiscales générales
émanent de l’État et s’adressent à un nombre indétermi-
né de bénéficiaires, les entreprises ont rarement le réflexe
de les étudier en profondeur pour en apprécier la légalité.
Pourtant, les régimes généraux sous forme d’impôts (di-
rects ou indirects), de taxes, ou toute forme de cotisations,
y compris sociales, peuvent potentiellement constituer
des aides « fiscales ». Toute forme de mesure négative
est potentiellement concernée : abattement, déduction,
exonération, réduction ou crédit d’impôt. Le mode de fi-
nancement de la mesure et la manière dont son produit
est affecté est aussi pris en compte, ce qui complexifie
encore davantage l’analyse de ses effets. Par exemple, une
taxe imposée à tous les opérateurs mais dont le produit
est affecté au financement de mesures ne touchant que
certaines entreprises peut faire partie intégrante d’un ré-
gime d’aide d’État.