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de "cadre théorique"). Ce cadre théorique - le paradigme - détermine une tradition de
recherche en fournissant aux scientifiques les hypothèses de travail et les méthodes
nécessaires pour procéder à l'exploration systématique du domaine que couvre, au moins
présomptivement, ce cadre. L'attachement obstiné à celui-ci permet, en période
"normale", la résolution systématique des énigmes (puzzles) qui s'y présentent, ainsi que
l'accumulation d'un savoir cumulatif considérable, au moins dans une direction
déterminée. Paradoxalement, c'est aussi cette fidélité au paradigme qui prépare la voie à
son dépassement (SRS, p. 86). En effet, seul l'attachement à un corps fixe d'hypothèses et
de méthodes permettra de faire surgir, un jour ou l'autre, des "anomalies", qui, si elles
viennent à se répéter sans trouver de solution, ouvriront une période de "crise"
caractéristique de la science "extraordinaire" au cours de laquelle la communauté
procède à la recherche, dispersée et fiévreuse, d'un paradigme plus satisfaisant. On peut
donc dire que le paradigme ancien, fécond dans un premier temps, devient - dans le
langage de G. Bachelard - un "obstacle épistémologique"5 qu'il s'agira de surmonter et de
dépasser dans un deuxième temps.
Le contexte général de la démonstration étant maintenant fixé, nous pouvons revenir
aux sens qui s'attachent au concept de paradigme. Kuhn, disions-nous, croit pouvoir les
ramener à deux (SRS, p. 207)6.
Le premier sens viserait : "tout ce à quoi adhère un groupe scientifique" (TE,
p. 392), ou encore : "l'ensemble des croyances, de valeurs reconnues et de techniques qui
sont communes aux membres d'un groupe donné" (SRS, p. 207). A cet ensemble, Kuhn
donne le nom de "matrice disciplinaire" (SRS, p. 215 ; TE, p. 396).
Quant au second sens, il viserait : "un sous-ensemble du premier" (TE, p. 392), "les
solutions d'énigmes concrètes qui, employées comme modèles ou exemples, peuvent
remplacer les règles explicites en tant que bases de solutions pour les énigmes qui
subsistent dans la science normale" (SRS, p. 207). A ce sous-ensemble, Kuhn donne le
nom d'"exemple commun" (SRS, p. 221) ou d'"exemplaire" (TE, p. 397).
On peut penser néanmoins que cette distinction entre "matrice disciplinaire" et
"exemplaire" ne fait pas suffisamment justice à la richesse des analyses de Kuhn, et qu'il
convient d'en élaborer une seconde qui n'apparaît pas très explicitement sous sa plume,
5. G. BACHELARD, La formation de l'esprit scientifique, Paris, 1977, chap. 1 : "La notion d'obstacle
épistémologique".
6. Voyez aussi Th. KUHN, La tension essentielle. Tradition et changement dans les sciences, trad. de
l'anglais par M. Biezunski, P. Jacobs, A. Lyotard-May et G. Voyat, Paris, 1990 (l'édition anglaise
remonte à 1977),p. 392. Dans la suite, nous citerons cet ouvrage directement dans le cours du texte à
l'aide de la mention : TE, p.