ENCADRÉ 1
Max Weber et la science
Ce qui frappe chez Weber, c’est l’absence de toute doctrine préconçue, de toute
synthèse a priori. Pur analyste, il a comme unique souci de bien connaître les
données historiques et de les interpréter dans des limites contrôlables. Le but de la
science en général et de la sociologie en particulier n’est pas de reproduire le réel
mais de le reconstruire. Il est donc nécessaire d’opérer une sélection dans le réel pour
pouvoir l’expliquer.
Le réel est en effet inépuisable, infini, indéfini, complexe, chaotique. Il est donc
vain de vouloir le reproduire. Comment reproduire avec des concepts finis un réel
infini ? Si le réel est chaotique, le reproduire consisterait à reproduire le chaos.
Étudier le réel impose de l’organiser, de le clarifier, de mettre de l’ordre et de faire
une sélection parmi une multitude de faits, Le réel est infini car l’homme, capable
d’innovations, ajoute toujours quelque chose au réel et nous ne pouvons le prévoir. La
sociologie n’a donc pas de capacité prédictive car l’histoire est ouverte. Le réel est
infini car chaque époque, chaque société a sa manière différente de vivre. De manière
plus concrète, on remarque que dans les sociétés traditionnelles la religion structurait
les comportements alors que dans les sociétés modernes l’économique est mis au
premier plan.
Il faut donc opérer une sélection parmi les faits, mais elle ne repose pas sur des
critères objectifs. Le départ repose sur un moment subjectif car le chercheur pose un
certain nombre de présupposés qui sont indémontrables et les conclusions que l’on
tire ne valent que dans la mesure où valent les hypothèses de départ de la recherche.
Cette sélection est double : d’une part, elle s’opère en fonction des valeurs des
individus étudiés qui changent avec le temps, d’autre part elle est fonction des
propres valeurs du chercheur qui le conduisent à accorder de l’importance à tel
événement plutôt qu’à un autre. Weber, enfin, pose comme postulat l’antagonisme
irréductible des valeurs qui se combattent en permanence sans jamais se réconcilier,
sans jamais s’unifier, même s’il peut exister des compromis entre elles.
En revanche, il ne faut pas confondre rapport aux valeurs, éminemment
subjectif (autant de valeurs, autant de sélections de faits, autant de systèmes
d’hypothèses), avec ce que Weber appelle la « neutralité axiologique » (l’adjectif
axiologique désigne les valeurs) entendue comme la neutralité par rapport aux
valeurs. Cette neutralité doit être respectée par le chercheur. Pour le dire autrement,
cela signifie que le scientifique doit préciser que les résultats de sa recherche ne sont
vrais que dans le cadre des hypothèses de départ. Il ne doit ni porter de jugements
évaluatifs sur ce qu’il observe ni justifier des choix moraux ou des visions du monde à
partir des résultats de la science. La science ne peut donc pas nous fournir des règles
de conduite, elle ne peut donner sens à notre vie. La « neutralité axiologique » du
chercheur doit lui faire prendre conscience du rapport subjectif aux valeurs qui sous-
tend chaque recherche et limite son domaine de validité. Il lui faut également
expliciter ces limites.