173
Le modèle économique allemand en question
Côté politique, malgré la formule minimaliste de la doctrine de l’économie
sociale de marché («autant de marché que possible, autant d’État que néces-
saire »), l’État est bien présent dans la vie économique et sociale, à travers
le développement de l’État-providence et de pratiques interventionnistes,
savamment dosées, dans l’économie. Pourtant, suivant une philosophie et
une organisation de l’État fondée sur la subsidiarité, son intervention se veut
modeste et ne prétend pas se placer au-dessus de la sphère économique et sociale,
mais en partenaire. Elle respecte l’autonomie des partenaires sociaux dans les
conventions collectives ; en outre, les Verbände (organisations syndicales ou
professionnelles) sont souvent associés à l’élaboration des lois et peuvent parti-
ciper activement aux politiques et régulations publiques (comme c’est le cas dans
le système dual de la formation professionnelle initiale, ou dans les politiques
d’innovation11). Quant aux marchés, ils sont, selon la formule de W. Streeck,
«institués politiquement, régulés socialement et considérés comme le résultat
de politiques gouvernementales destinées à servir des intérêts publics»12. Cette
forme néo-corporatiste de la régulation politique est une des caractéristiques du
capitalisme allemand, se distinguant nettement des formes de régulation plus
étatistes en France ou strictement libérales en Grande-Bretagne.
Côté social, un capitalisme partenarial et coopératif se développe,
notamment dans l’industrie, qui organise la co-détermination des entreprises et
un partenariat entre le capital et le travail. Ce réexe coopératif, avec sa force de
négociation et de coopération qui favorise l’émergence de réponses collectives
aux problèmes, a toujours constitué un atout pour l’économie allemande et sa
capacité d’adaptation dans les périodes diciles.
Enn, les fondements économiques: il ne faut pas oublier que le modèle
allemand est essentiellement un modèle industriel. C’est aux besoins industriels
qu’il répond le mieux, c’est dans l’industrie qu’il fonctionne au mieux, alors
qu’il apparaît moins bien adapté aux services. Une bonne spécialisation «haut
de gamme», reposant sur innovation permanente et une main-d’œuvre très
qualiée, produit une excellente compétitivité qualitative des entreprises, justi-
ant des salaires élevés et les coûts d’une protection sociale généreuse. Le revers
de la médaille: l’industrie, très spécialisée, produit pour les marchés mondiaux et
dépend d’une manière signicative des exportations. Très ouverte, l’industrie, et
à travers elle, l’économie allemande a dû s’adapter en permanence aux dés de la
mondialisation. Le souci permanent de la compétitivité des entreprises et du site
de production allemand (Standort Deutschland) contribuent à une préférence
générale des pouvoirs publics pour une politique de l’ore (visant à renforcer
l’appareil productif via un cadre de développement favorable aux entreprises et
propice au renforcement de leur compétitivité) au détriment d’une politique de
la demande aux eets de croissance dius et incertains.
11.– Solène Hazouard, René Lasserre, Henrik Uterwedde (éd.), Les politiques dinnovation coopé-
rative en Allemagne et en France, Cergy-Pontoise, CIRAC, 2010.
12.– Wolfgang Streeck, «Le capitalisme allemand: Existe-t-il? A-t-il des chances de survivre?»
in: Colin Crouch et Wolfgang Streeck (dir.), Les capitalismes en Europe, Paris, La Découverte,
1996, p.47-75.