Le modèle économique allemand en question

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Le modèle économique allemand en question
René Lasserre
Henrik Uterwedde
L’extraordinaire réussite de l’économie allemande a toujours été un topos
important dans la perception de l’Allemagne d’après-guerre et un facteur
déterminant dans l’action internationale de l’Allemagne, compte tenu du
caractère largement économique et monétaire de la construction européenne
et de l’impact de la globalisation sur les relations internationales. De manière
récurrente depuis les débuts de l’intégration européenne, l’économie la plus
forte en Europe n’a cessé de provoquer un mélange ambivalent d’admiration,
de crainte, de regard critique, voire de rejet. Dans une Europe économique
plus que jamais intégrée et interdépendante, l’économie et la politique économique allemandes interpellent les voisins, notamment en France. L’Allemagne
sert de référence (benchmark) pour mesurer ses propres forces et faiblesses1.
Elle est critiquée pour son effet de domination, voire pour son « égoïsme » au
détriment des voisins2. Et quand bien même elle montre des signes de faiblesse,
comme pendant la décennie suivant la réunification allemande marquée par une
perte de dynamisme et une grande difficulté à renouveler le modèle allemand,
ces problèmes inquiètent également les partenaires à cause des conséquences
négatives pour l’économie européenne, nourrissant de surcroît la crainte
d’un repli sur soi et d’un manque d’engagement européen3. Enfin, le décalage
économique franco-allemand ne se contente pas de susciter des craintes sur le
1.– Voir à titre d’exemple, CEO-Rexecode, Mettre un terme à la divergence de compétitivité entre
la France et l’Allemagne, Paris, 14 janvier 2001 ; Dorothée Köhler, Jean-Daniel Weisz, Pour
un nouveau regard sur le Mittelstand. Rapport au Fonds stratégique d’investissement, Paris, La
Documentation française, 2012.
2.– Rémi Lallement, « Quel rééquilibrage pour les moteurs de la croissance allemande ? », Note
de veille, n° 176, Centre d’Analyse Stratégiques, Paris, mai 2010.
3.– René Lasserre, Introduction, in : Isabelle Bourgeois (dir.), Allemagne 2001, Cergy-Pontoise,
CIRAC, p. 7.
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déséquilibre des relations franco-allemandes et sur « l’Europe allemande »,
il s’introduit aussi dans le débat économique français. Faut-il suivre le modèle
allemand afin de vaincre les faiblesses structurelles en France ? Les réformes du
gouvernement Schröder de 2003-2005 (Agenda 2010) montrent-elles la voie
pour la politique française, victime d’un blocage des réformes structurelles ?
Ou bien est-ce une voie néfaste, « néolibérale », « antisociale », « austéritaire », qu’il faudrait rejeter tant en France qu’en Europe ?4 Il est vrai que cette
controverse n’est plus vraiment un débat sur l’Allemagne mais une querelle bien
française portant sur la bonne politique pour vaincre la crise économique en
France, et que dans cette querelle, l’expérience allemande est instrumentalisée (et
souvent défigurée) afin d’appuyer la position idéologique de chacun des contradicteurs. Cela va de pair avec une grande confusion sur le terme et le contenu
même du « modèle allemand », chacun se servant à sa guise des éléments qui
peuvent appuyer sa propre position en ignorant superbement le reste.
Ces mécanismes d’une perception partiale, voire déformée, du modèle
allemand ne sont pas nouveaux5. C’est pourquoi notre contribution se propose
de décrypter ce modèle. Nous allons dans un premier temps revenir sur les
questions de base : la notion même de modèle et sa signification ; la naissance, la
nature et les caractéristiques du modèle économique allemand. On verra que la
naissance du modèle allemand (comme d’autres modèles nationaux) est le résultat
d’une configuration historique spécifique et une réponse aux faiblesses du passé
comme aux défis du moment. Il n’est donc pas immuable, même si certaines
continuités historiques sont à noter. Dans un deuxième temps, nous tenterons
de dégager la dynamique de ce modèle allemand, avec une attention particulière
portée aux défis et difficultés auxquels il a été confronté dès les années 1980,
ainsi qu’aux adaptations et transformations qu’il a connues depuis. Enfin, dans
un troisième temps nous nous demanderons si, et dans quelle mesure, le modèle
allemand peut servir de « modèle » aux pays voisins, voire à l’Europe entière.
Que désigne le modèle allemand ?
Précisons tout de suite que le terme de « modèle » tel que nous l’utilisons ici n’a
rien à voir avec une quelconque connotation normative, au sens où l’Allemagne
serait un modèle à suivre, sauf quand nous poserons la question explicite de
l’exemplarité à la fin de cet article. Il s’agit de décrire, et d’analyser, un modèle de
fonctionnement, pris au sens de « système », et ce à partir de quelques questions :
comment l’Allemagne organise-t-elle sa vie économique et sociale ? Selon quels
référentiels et quelles règles ? Par quelles spécificités se distingue-t-elle d’autres
4.– À titre d’exemple la critique très partiale et sans merci de la politique de Gerhard Schröder
par Guillaume Duval, Made in Germany. Le modale et sans merci de la politique, Paris, Seuil,
2013, et le point de vue opposé d’Alain Fabre, Allemagne : miracle d’emploi ou désastre social ?,
Paris, Institut de l’entreprise, septembre 2013.
5.– Cf. René Lasserre, Henrik Uterwedde, « Die wirtschaftliche und soziale Berichterstattung
über das Nachbarland. Vergleichende Analysen anhand zweier Fallstudien ». in : Die
Information und die deutsch-französischen Beziehungen.- Bonn, Europa Union Verlag
1979, p. 108-127.
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modèles nationaux ? Quelle est la dynamique propre de ce modèle, quelle est sa
performance ?
Dans les sciences économiques et sociales, la chute du communisme après
1990 a provoqué un regain d’intérêt pour les différentes formes que peut
prendre le capitalisme, notamment à partir du livre Capitalisme contre capitalisme de Michel Albert6. La recherche sur des « variantes de capitalisme » a
produit des classifications idéal-typiques, comme la distinction entre « l’économie de marché libérale » et « l’économie de marché coordonnée »7, mais
s’est penchée aussi sur les modes de fonctionnement des modèles nationaux
« réels »8. Cette dernière approche a dégagé trois principaux types de capitalisme en Europe, représentés par les trois grands pays de l’Union européenne :
le capitalisme libéral (dominant la Grande-Bretagne de l’après-Thatcher), le
capitalisme étatique (dont la France reste le représentant majeur) et le capitalisme coopératif à l’allemande. Cette approche, qui offre un cadre analytique
et des critères permettant de distinguer et de décrire un modèle national, nous
servira de point de départ.
L’économie sociale de marché : un mythe fondateur
Mais d’abord convient-il de s’arrêter sur la naissance du modèle allemand.
Après 1945, l’Allemagne occidentale, comme ses voisins, doit répondre non
seulement au besoin de reconstruction d’une économie dévastée par la Guerre
mondiale mais veut aussi tirer la leçon des errements du passé. À chaque pays
son défi spécifique. La France veut sortir du malthusianisme démographique et
économique et surtout rattraper la modernisation économique et sociale que
la Troisième République n’a pas su mettre en œuvre. Pour dépasser un capitalisme à dominante financière qui a trop négligé le développement industriel
du pays, elle va prendre le chemin de ce qui sera appelé plus tard « Les Trente
Glorieuses », à savoir la mutation profonde de l’économie française stimulée par
une politique de modernisation économique et sociale forcée, sous l’impulsion
d’un État-modernisateur. Quant à l’Allemagne, le désastre est total : le pays est
détruit, matériellement par la guerre et moralement suite aux crimes du régime
nazi. Tout ceci provoque la nécessité d’un renouveau profond et complet : il
s’agit de bâtir une démocratie exemplaire fondée sur la diffusion et non plus la
concentration du pouvoir (fédéralisme, pluralisme politique assuré par le scrutin
proportionnel), ainsi que sur le partage des valeurs démocratiques et le rejet des
extrémismes de gauche comme de droite qui avaient déchiré la République
de Weimar ; et au plan socio-économique de dépasser la lutte des classes et les
effets pervers du capitalisme libéral tout en rejetant l’économie administrée et
commandée du régime nazi, ou de celle qui se met en place à l’Est et donnera
naissance au régime communiste de la RDA.
6.– Michel Albert, Capitalisme contre capitalisme, Paris, Seuil, 1991.
7.– Peter Hall et David Soskice, Varieties of Capitalism. The Institutional Foundations of
Comparative Advantage, Oxford, Oxford University Press, 2002.
8.– Colin Crouch, Wolfgang Streeck (dir.), Les capitalismes en Europe, Paris, La Découverte,
1996. Vivien A. Schmidt, The Futures of Capitalism, Oxford, Oxford University Press, 2002.
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René Lasserre, Henrik Uterwedde
Sur le plan politique, la réponse est la Loi fondamentale de 1949, qui bâtit
une République fédérale fondée sur le partage et l’équilibre des pouvoirs
(fédéralisme ; rôle de la Cour constitutionnelle ; pluralisme parlementaire). S’y
ajoutent une culture politique « centriste » qui rejette les extrêmes et le renouvellement du système des partis qui dégage rapidement des partis de gouvernement, modérés, et fera preuve d’une stabilité et d’une continuité étonnantes.
Sur le plan économique et social, c’est la recherche d’une « troisième voie »
entre capitalisme et communisme : le référentiel de l’économie sociale de marché
« dont l’objectif est de combiner, sur la base d’une économie concurrentielle, la
liberté d’entreprendre avec un progrès social garanti justement par la performance
des marchés »9. Ce concept est né de plusieurs courants de pensée, tel l’ordolibéralisme de l’école de Fribourg (Walter Eucken, Franz Böhm), des courants
anthropologiques et chrétiens, que l’économiste Alfred Müller-Armack a
combinés pour une nouvelle doctrine inconnue jusqu’alors en Allemagne. Ses
éléments clés sont le néolibéralisme, l’idée d’une « réconciliation sociale »
préfigurant le partenariat social pratiqué depuis 60 ans, ainsi qu’un fondement
éthique justifiant l’intervention politique assurant la justice sociale. Cette
volonté de concilier ce que d’autres considéraient comme des antagonismes
irréductibles peut être caractérisée comme l’essence innovatrice de l’économie
sociale de marché. On la retrouve dans maintes pratiques du capitalisme coopératif à l’allemande.
Ce modèle d’un capitalisme social, popularisé par le « père » de la réforme
monétaire de 1948, Ludwig Erhard, deviendra la marque du « miracle » et
de la réussite économiques, les « Trente Glorieuses » allemandes. Il tente de
combiner la logique marchande et entrepreneuriale avec la cohésion sociale et le
partenariat social. S’il postule la primauté des marchés, il les soumet aussi à un
cadre réglementaire et à des mécanismes correcteurs (politiques sociales, partenariat social entre patronat et syndicats)10.
Les dimensions du capitalisme rhénan
Comme en France, on peut constater que ces mythes fondateurs ont la vie dure
et continuent à influencer la pensée et le comportement des acteurs jusqu’à
nos jours. Le référentiel de l’économie sociale de marché ne cessera d’inspirer
tous les partis politiques même s’il y a débats et controverses légitimes sur
l’équilibre concret entre « marché » et « social ». Pourtant, dans la réalité,
d’autres pratiques se font jour qui, sans être en conflit direct avec la doctrine
ordolibérale, le complètent et parfois le contournent. Ainsi émerge un « capitalisme rhénan » avec de traits spécifiques, avec des fondements tant politiques et
sociaux, qu’économiques.
9.– Alfred Müller-Armack, « Soziale Marktwirtschaft », in : Alfred Müller-Armack Wirtschaftsordnung und Wirtschaftspolitik, Rombach, Freiburg, 1956, p. 245.
10.– Cf. Henrik Uterwedde, « L’économie sociale de marché : la jeunesse d’un référentiel », in :
Isabelle Bourgeois (dir.), Allemagne, les chemins de l’unité, Cergy-Pontoise, CIRAC, 2011,
p. 39-49.
Le modèle économique allemand en question
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Côté politique, malgré la formule minimaliste de la doctrine de l’économie
sociale de marché (« autant de marché que possible, autant d’État que nécessaire »), l’État est bien présent dans la vie économique et sociale, à travers
le développement de l’État-providence et de pratiques interventionnistes,
savamment dosées, dans l’économie. Pourtant, suivant une philosophie et
une organisation de l’État fondée sur la subsidiarité, son intervention se veut
modeste et ne prétend pas se placer au-dessus de la sphère économique et sociale,
mais en partenaire. Elle respecte l’autonomie des partenaires sociaux dans les
conventions collectives ; en outre, les Verbände (organisations syndicales ou
professionnelles) sont souvent associés à l’élaboration des lois et peuvent participer activement aux politiques et régulations publiques (comme c’est le cas dans
le système dual de la formation professionnelle initiale, ou dans les politiques
d’innovation11). Quant aux marchés, ils sont, selon la formule de W. Streeck,
« institués politiquement, régulés socialement et considérés comme le résultat
de politiques gouvernementales destinées à servir des intérêts publics »12. Cette
forme néo-corporatiste de la régulation politique est une des caractéristiques du
capitalisme allemand, se distinguant nettement des formes de régulation plus
étatistes en France ou strictement libérales en Grande-Bretagne.
Côté social, un capitalisme partenarial et coopératif se développe,
notamment dans l’industrie, qui organise la co-détermination des entreprises et
un partenariat entre le capital et le travail. Ce réflexe coopératif, avec sa force de
négociation et de coopération qui favorise l’émergence de réponses collectives
aux problèmes, a toujours constitué un atout pour l’économie allemande et sa
capacité d’adaptation dans les périodes difficiles.
Enfin, les fondements économiques : il ne faut pas oublier que le modèle
allemand est essentiellement un modèle industriel. C’est aux besoins industriels
qu’il répond le mieux, c’est dans l’industrie qu’il fonctionne au mieux, alors
qu’il apparaît moins bien adapté aux services. Une bonne spécialisation « haut
de gamme », reposant sur innovation permanente et une main-d’œuvre très
qualifiée, produit une excellente compétitivité qualitative des entreprises, justifiant des salaires élevés et les coûts d’une protection sociale généreuse. Le revers
de la médaille : l’industrie, très spécialisée, produit pour les marchés mondiaux et
dépend d’une manière significative des exportations. Très ouverte, l’industrie, et
à travers elle, l’économie allemande a dû s’adapter en permanence aux défis de la
mondialisation. Le souci permanent de la compétitivité des entreprises et du site
de production allemand (Standort Deutschland) contribuent à une préférence
générale des pouvoirs publics pour une politique de l’offre (visant à renforcer
l’appareil productif via un cadre de développement favorable aux entreprises et
propice au renforcement de leur compétitivité) au détriment d’une politique de
la demande aux effets de croissance diffus et incertains.
11.– Solène Hazouard, René Lasserre, Henrik Uterwedde (éd.), Les politiques d’innovation coopérative en Allemagne et en France, Cergy-Pontoise, CIRAC, 2010.
12.– Wolfgang Streeck, « Le capitalisme allemand : Existe-t-il ? A-t-il des chances de survivre ? »
in : Colin Crouch et Wolfgang Streeck (dir.), Les capitalismes en Europe, Paris, La Découverte,
1996, p. 47-75.
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Le modèle allemand peut donc se résumer en une forme négociée du capitalisme, qui est facilitée par une culture de concertation et par des institutions qui
construisent et « fabriquent » du consensus. Notons également que ce modèle a
des dimensions tout autant politiques et sociales qu’économiques. Qu’il s’agisse
de la vie politique, du monde de l’entreprise ou des relations sociales, une dialectique entre la concurrence et la coopération est toujours à l’œuvre, animée par
une philosophie du partage du pouvoir et de l’articulation entre les pouvoirs
publics et les forces de la société civile.
Défis socio-économiques et transformations du modèle
Comme tout modèle économique, le modèle allemand a évolué constamment
depuis sa constitution au début des années 1950. Basé sur une économie ouverte,
tournée vers les exportations, il s’est bien adapté à la construction européenne
depuis 1958 qui a intensifié l’intégration économique (union douanière,
marché unique, système monétaire européen), ainsi qu’à l’internationalisation
des marchés, et il a bien résisté aux chocs pétroliers des années 1970. C’est au
cours des années 1980 qu’il a commencé à montrer des signes de faiblesse et
s’est trouvé en perte de vitesse. Face à un monde transformé par la globalisation,
le capitalisme allemand a éprouvé des difficultés à réagir et à s’adapter afin de
surmonter les rigidités et les lourdeurs qui s’étaient installées dans un système
bien rôdé. Cette contrainte a été doublée par le choc économique de l’unification allemande de 1990, qui a constitué un formidable défi et a demandé un
effort financier sans précédent afin d’intégrer le territoire de l’ex-RDA dans le
système économique et social allemand.
Sous l’effet d’une montée générale des coûts de production dans un contexte
de concurrence mondiale accrue s’est amorcée, à partir de 1995, une perte de
dynamisme qui s’est prolongée sur une décennie. Conjuguée à l’incapacité
collective des pouvoirs publics et des acteurs sociaux à reconstruire un nouveau
consensus pour promouvoir des réformes, le modèle allemand a été l’objet de
critiques nombreuses et, pour la première fois, fondamentales. C’est surtout une
critique libérale qui s’est fait entendre, prônant soit le retour « aux sources »
de l’économie sociale de marché et préconisant un recul de l’interventionnisme
public afin de renforcer le jeu des marchés, soit carrément une rupture libérale.
Cette option était portée par la frange dure du patronat incarnée par Heinz-Olaf
Henkel, l’ancien président de la Confédération de l’industrie allemande, qui
proclamait un rejet général du modèle (Die Zeit, 9 mai 1997), tandis que les voix
des partisans du modèle anglo-saxon se relayaient dans le quotidien Financial
Times Deutschland pour affirmer que « l’économie n’a pas l’obligation d’être
sociale », ou préconiser que l’Allemagne revienne à « une phase de vrai capitalisme » ou procède à un « tournant thatchérien » (21 janvier 2002). À ces débats
de nature normative, s’est ajouté le doute des scientifiques que le capitalisme
allemand puisse survivre à la montée en puissance du modèle libéral. Un des
meilleurs spécialistes, Wolfgang Streeck, faisait notamment valoir la complexité
des régulations en Allemagne, reposant sur un grand nombre d’acteurs publics
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et privés, et la bonne volonté de tous les acteurs de « jouer le jeu », face à un
système de régulation par le marché plus simple et plus rapide. Il a estimé que,
« si, dans des circonstances normales, le “modèle allemand” pouvait éventuellement renaître, ses difficultés sont devenues telles, du fait de la réunification,
qu’il pourrait bien ne pas les surmonter »13. Quant à Michel Albert, qui avait
annoncé dès 1991 la compétition des différents modèles de capitalisme, il jugeait
certes le modèle rhénan plus performant sur le plan à la fois économique et
social mais en recul face à l’offensive du capitalisme libéral anglo-saxon : « Le
modèle rhénan subit de plein fouet les influences médiatiques, politiques,
culturelles de son concurrent américain. Et dans les faits, il ne cesse de reculer
politiquement »14.
Il n’en demeure pas moins que dès le milieu de la décennie 1990, la régulation
globale de l’économie de marché allemande s’est très sensiblement infléchie dans
ses grandes orientations. Dépassant l’alternance qui, d’une décennie à l’autre,
avait vu se succéder un pilotage conjoncturel global (Globalsteuerung) d’inspiration néo-keynésienne des années 1970 axé sur le soutien à la demande et une
politique économique néo-libérale des années 1980 soucieuse de faire prévaloir
la promotion de l’offre et la profitabilité de l’entreprise, la politique économique
allemande s’est engagée à l’aube des années 1990 sur un nouveau paradigme, axé
sur la sauvegarde du « site industriel allemand », celui de la Standortpolitik. C’est
en effet en 1993, au moment où l’Allemagne se trouvait confrontée au triple défi
des coûts et charges de l’unification, de l’ouverture du marché unique européen,
ainsi que de l’émergence de nouveaux pays industriels et de la globalisation,
que le troisième gouvernement Kohl a défini les grands axes d’une politique
économique d’ensemble. Bien que soucieuse de poursuivre une politique
conjoncturelle favorable à l’investissement, celle-ci devait également comporter
des éléments forts de politique structurelle visant à promouvoir l’attractivité
du « site de production Allemagne ». Parmi ceux-ci figuraient, notamment,
outre la mise en œuvre effective de la libéralisation des services d’intérêt général
initiée par les directives de l’UE, un ensemble de mesures structurelles telles que
la modernisation des infrastructures, une politique active de soutien à l’innovation et à la création d’entreprise qui ont finalement donné corps, à travers un
débat nourri et controversé entre instances publiques et partenaires sociaux, à
une politique de compétitivité assez fortement conceptualisée15.
Celle-ci ne s’est cependant traduite dans les faits que par touches successives, à la fois sous la contrainte d’un marasme économique persistant et sous
l’effet d’une période d’expectative politique prolongée à l’issue de l’alternance
politique de 1998. Il a fallu une certaine dramatisation de la situation économique
et politique pour que le second gouvernement Schröder sorte de l’attentisme et
13.– Wolfgang Streeck, op. cit., p. 59.
14.– Michel Albert, Capitalisme contre capitalisme, op. cit.
15.– Bericht der Bundesregierung zur Zukunftssicherung des Standortes Deutschland, Deutscher
Bundestag, BT_Drucksache12/560, 3. Sept 1993 ; Sachverständigenrat zur Begutachtung
der gesamtwirtschaftlichen Entwicklung, Wachstum, Beschäftigung, Währungsunion –
Orientierung für die Zukunft, Jahreswirtschaftsbericht 1997/98.
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René Lasserre, Henrik Uterwedde
introduise un certain nombre de réformes structurelles à partir de 2003 dans le
cadre de l’Agenda 2010 : baisse fiscale (entamée déjà en 2000), allègement du
poids des prélèvements sociaux pour les entreprises, reformes dans la Sécurité
sociale, notamment du système des retraites (timidement amorcée en 2002 avec
la retraite Riester), dérégulations dans certains secteurs, nouvelles initiatives
dans le domaine de l’éducation et de la recherche, et notamment des réformes
de l’assurance-chômage et du marché du travail16.
Une adaptation du modèle, sans rupture
Dans la mesure où elles se sont focalisées, par nécessité, sur la refonte d’un
État social dont le financement n’était désormais plus soutenable, ces réformes
ont été très controversées. Elles furent notamment accusées de rompre avec le
modèle du capitalisme social pour s’orienter dans une voie ouvertement « néolibérale ». Pourtant, si l’ensemble des réformes Schröder est certainement d’inspiration libérale, ce n’est pas pour rompre avec l’économie sociale de marché ou
avec le système de sécurité sociale au profit d’un capitalisme libéral. Il s’est agi
de réajuster l’équilibre entre règles « sociales » et « libérales », par exemple en
donnant une plus grande place à la prévoyance et la responsabilité individuelle
dans la prise en charge collective des risques sociaux. Le bilan de cette politique
est également controversé. Il n’est pas aisé de déterminer exactement l’impact
des différentes mesures. Néanmoins, avec le recul, la plupart des chercheurs
soutiennent que les réformes Hartz ont contribué au recul du chômage et à la
nouvelle dynamique économique. En termes d’emploi par exemple, elles ont
rendu le pays moins vulnérable face à des chocs économiques comme celui de la
crise mondiale 2008-2009. Le fonctionnement du marché du travail a été rendu
plus fluide, donc plus efficace17. En résumé, Marcel Fratzscher, directeur de l’institut de recherche économique DIW, conclut que « l’Agenda 2010 a été un
tournant important pour l’Allemagne » car il a déclenché un changement d’état
d’esprit dans la société, admettant que des réajustements étaient nécessaires pour
assurer la soutenabilité du modèle allemand18. Il est vrai que certains problèmes
sociaux, qui sont apparus depuis l’unité allemande, ont pu être renforcés par les
réformes du gouvernement Schröder : notamment, la multiplication d’emplois
précaires et non qualifiés très mal rémunérés. Ces problèmes ont amené le
gouvernement de la grande coalition en place depuis fin 2013 à corriger le tir
en garantissant un niveau de pension minimale pour les retraités les moins bien
16.– Gerhard Schröder, « Mut zum Frieden und zur Veränderung », discours de politique générale prononcé le 14 mars 2003 devant le Bundestag, Bundestag, Plenarprotokoll 15/32. Sur
les réformes de l’Agenda 2010 et les lois Hartz, voir notamment Isabelle Bourgeois : « Les
lois Hartz : remise en cause de l’État social ? », Regards sur l’économie allemande, n° 108,
printemps 2013, p. 15-35.
17.– Cf. Ulf Rinne et Klaus F. Zimmermann, « Is Germany the North Star of Labor Market
Policy? » Bonn, Institut zur Zukunft der Arbeit, Discussion Paper n° 7260, mars 2013
(http://ftp.iza.org/dp7260.pdf ).
18.– Marcel Fratzscher, Die Deutschland-Illusion. Warum wir uns überschätzen und Europa
brauchen, Munich, éd. Hanser, 2014, p. 21.
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couverts et en instaurant un salaire minimum pour les salariés travaillant dans les
secteurs dépourvus de conventions collectives.
Avec les réformes Schröder, l’Allemagne a d’autant moins tourné le dos au
capitalisme « coopératif » que, parallèlement à la politique des réformes, un autre
facteur a joué, qui pourrait même être considéré comme plus déterminant pour
la sortie de crise : la capacité du patronat et des syndicats de répondre conjointement aux défis de la concurrence mondiale, par des flexibilités négociées. De
nombreux pactes d’entreprise ont favorisé la flexibilité interne concernant l’organisation et le temps du travail. De même les syndicats ont admis une modération
salariale contre le maintien des sites de production et de l’emploi19. Citons enfin
la riposte concertée du gouvernement et des partenaires à la crise de 2008-2009,
en misant massivement sur l’instrument du chômage partiel (Kurzarbeit) pour
réagir à la baisse du PIB (-5,4 % en un an) et des commandes sévissant à l’époque.
On peut donc conclure que, moyennant une adaptation difficile du modèle
allemand, ses vertus coopératives ont pu jouer pleinement leur rôle afin de sortir
de la crise et renforcer l’économie allemande. Finalement, l’évolution récente a
démenti les prédictions pessimistes quant à la survie ou la capacité d’adaptation
du modèle allemand : le processus de réforme mis en œuvre depuis le tournant
des années 2000 a été un indéniable succès à la fois en termes de performances
économiques (compétitivité, dynamique de croissance et d’innovation) et en
termes de cohésion et de protection sociales (retour au plein-emploi, maintien
et soutenabilité d’un socle pérenne de protection sociale).
L’enseignement principal de cette séquence de renouveau du modèle économique et social allemand face aux défis de la mondialisation et de la crise est
que le maintien de l’emploi, du niveau de vie et des acquis sociaux ne peut
être assuré que par la capacité des acteurs politiques, économiques et sociaux
à gérer collectivement les adaptations qu’impose la compétition économique
et technologique mondiale sur le site de production domestique. Mais l’expérience allemande montre également que cette gouvernance adaptative n’est
pas donnée d’emblée et implique une compétence partagée à faire évoluer
l’héritage des règles communes en fonction des enjeux et à les mettre en œuvre
en fonction de l’évolution des niveaux les plus significatifs de régulation : local,
national et européen.
Au regard de ce prisme spatio-temporel, l’analyse qui précède, centrée pour
l’essentiel sur le mode de fonctionnement du système de régulation économique
mis en place et développé au niveau national, initialement dans le provisoiredurable de la première RFA, puis étendu – sans blocage et ni dénaturation
tangible – à l’Allemagne unifiée, montre que le modèle allemand de l’économie
sociale de marché a non seulement mieux résisté par l’adaptation de ses principes
de régulation que celui de ses congénères européens et notamment de celui de
l’économie mixte de son principal voisin. Mais si l’on s’arrête également à la
question de la dimension territoriale de la régulation, on mesure en même temps
19.– Christian Dustmann et al., « From Sick Man of Europe to Economic Superstar: Germany’s
Resurgent Economy », Journal of Economic Perspectives 28 (1) Winter 2014, p. 167-188.
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combien le processus de globalisation a changé la donne, par le processus de
réaménagement et de distension des espaces de régulation auquel il a conduit. Et
il apparaît alors d’emblée, à la lumière des politiques de compétitivité engagées
en Europe ces vingt dernières années, combien les performances du « modèle
allemand » ne sauraient être analysées en se limitant à la seule sphère de la
régulation économique et sociale « nationale ». Elle devrait également inclure
la dimension territoriale et régionale pour laquelle le fédéralisme allemand,
dans la répartition des compétences et les logiques de coopération qu’il induit
au niveau local et régional entre les acteurs politiques, économiques et sociaux
présente des atouts déterminants. À défaut de pouvoir l’analyser plus en détail
ici, on se contentera d’évoquer la capacité de gestion adaptative et différenciée
du polycentrisme régional allemand sur des enjeux de compétitivité aussi essentiels que, pour ne citer que quelques exemples significatifs, celui de la modernisation des infrastructures logistiques, l’optimisation du système d’enseignement
supérieur et de recherche ou la promotion des politiques d’innovation20.
Les nouveaux défis du monde du travail
Si le modèle de l’économie sociale de marché s’est révélé efficace pour faire face
aux défis de compétitivité que le processus de globalisation a induit à la fois dans
le pilotage économique d’ensemble et le réajustement des équilibres sociaux, il
n’est pas moins confronté à des mutations plus profondes qui touchent directement à la structure de la sphère productive.
Du fait même qu’il a été, jusqu’au tournant des années 1990, largement
centré et articulé, y compris dans le développement de ses activités tertiaires
commerciales et financières, autour du secteur industriel manufacturier, le
modèle économique allemand est confronté depuis un quart de siècle, sous
l’effet de l’accélération de l’innovation technologique et de son exposition à la
concurrence internationale, à des changements structurels de grande ampleur.
Ceux-ci touchent à la fois à la relocalisation géographique et la restructuration
intra-sectorielle de la chaîne de production de biens et services et à l’émergence
de nouvelles activités induites par le développement rapide de la numérisation
et de la digitalisation, et ce aussi bien au cœur même de l’économie établie qu’à
sa périphérie. Ces mutations induisent une transformation des rapports sociaux
de travail qui se traduisent sur la période par l’hétérogénéité croissante, entre les
différents secteurs d’activité, à la fois des conditions d’emploi et de travail, de la
structure des qualifications et du niveau des rémunérations.
Cette évolution va de pair avec celle des structures et des mécanismes de
représentation socio-professionnelle qui président au partage de la création de
valeur et à la garantie des droits sociaux dans les différentes branches d’activité.
À ce niveau on constate même des disparités flagrantes avec l’apparition d’une
douzaine de secteurs dépourvus de toute couverture conventionnelle du fait de
20.– Isabelle Bourgeois, (dir.), Allemagne : compétitivité et dynamiques territoriales, CergyPontoise, CIRAC, 2007, notamment : « La gouvernance territoriale allemande à l’épreuve
de la globalisation et de l’intégration européenne », p. 7-30.
Le modèle économique allemand en question
179
l’inexistence ou de la carence de partenaires sociaux organisés, ce qui a justifié la
nécessité, longuement débattue, de l’instauration en 2014 d’un salaire minimum
légal qui leur est désormais applicable. Plus globalement, on constate que le degré
de couverture conventionnelle des salariés allemands tend à diminuer. Alors
qu’en 1996 70 % des salariés ouest-allemands bénéficiaient d’une convention
collective de branche, ils n’étaient plus que 53 % en 201421. Le phénomène est
lié pour l’essentiel au fait que le nombre d’entreprises, principalement petites et
moyennes, affiliées aux fédérations professionnelles de branche, tend à se réduire,
notamment dans le secteur secondaire de la sous-traitance ou dans le secteur
tertiaire des prestations de services aux entreprises, en particulier dans le secteur
informatique et numérique. On assiste ainsi à une différenciation croissante des
activités entre les secteurs économiques fortement établis de l’industrie de transformation (construction automobile, construction mécanique, électrotechnique
et électronique, chimie-pharmacie, transformation des métaux, mécanique de
précision) ou des grands services marchands (commerce, banques, assurances)
où continue de prévaloir une logique de représentation héritée du modèle
industriel organisée autour du capital de qualification et des intérêts communs
de la branche, et les branches d’activité plus hétérogènes tels que l’hôtellerie, la
restauration, le petit commerce, l’artisanat et les services de proximité. Ce à quoi
viennent s’ajouter les services d’intérêt général, anciennement publics, mais
dérégulés au tournant des années 2000, à l’instar des transports et des services
logistiques, où se sont maintenus et tentent désormais de s’affirmer, à côté des
structures de représentation syndicales traditionnelles, des intérêts catégoriels
fortement organisés. Cette différenciation croissante – pour ne pas dire cette
polarisation progressive de la régulation sociale – rend désormais beaucoup plus
difficile la gestation et le maintien de pactes sociaux organisés et relativement
équilibrés, comme ce fut le cas pendant les quatre décennies de l’après-guerre,
dans un vaste périmètre de l’économie allemande. Alors que sous la pression de
la globalisation et de la crise, le partenariat social allemand n’a cessé de s’adapter
et de se renforcer au cœur du capitalisme rhénan sous la forme d’un bouquet
serré de pactes sociaux de compétitivité sectoriels, il s’est progressivement étiolé
à la périphérie du socle industrialo-mercantile de l’économie allemande. En cela,
si le modèle de l’économie sociale de marché a réussi à maintenir son niveau
élevé de performance économique et de protection sociale et à assurer ainsi sa
légitimité politique, il n’a pas complètement réussi à promouvoir le nouveau
modèle de « société intégrée » auquel avaient aspiré ses fondateurs à l’aube de
la reconstruction22.
21.– Institut für Arbeitsmarkt und Berufsforschung, « Tarifbindung der Beschäftigten ».
Presseinformation du 01/06/2015 Les chiffres pour les nouveaux Länder s’établissent
respectivement à 56 et 36 %.
22.– Cf. Ludwig Erhard, Wohlstand für Alle, Econ-Verlag Düsseldorf, 1957.
180
René Lasserre, Henrik Uterwedde
Un modèle pour l’Europe ?
Le modèle économique allemand est le fruit d’une histoire longue et complexe,
d’expériences collectives et de choix fondamentaux faits après 1945, tout comme
le modèle français né après la Libération. Il forme un tout, avec des forces
indéniables mais aussi des faiblesses et vulnérabilités intrinsèques. Autant dire
qu’il ne s’exporte pas, et qu’il ne peut (ni ne veut) prétendre à être un « modèle
à suivre », même si d’aucuns soupçonnent les dirigeants allemands de vouloir
imposer leur modèle à toute l’Europe. L’idée qu’on pourrait copier un « modèle
qui marche » est illusoire. Face aux défis actuels et futurs (mondialisation,
changement climatique, démographie, cohésion sociale), chaque pays doit
trouver sa propre réponse pour faire évoluer ou transformer son modèle national
– ce qui n’empêche nullement de s’inspirer des stratégies de modernisation
mises en œuvre dans le pays voisin en les adaptant au contexte domestique23.
Cela étant, le modèle allemand a certainement eu une influence sur la
construction européenne dans le domaine économique et financier. L’intégration
marchande depuis 1957 (union douanière, politique de libre-échange, marché
intérieur éloignant les entraves nationales à la libre circulation des travailleurs,
des entreprises, des capitaux et des biens et services) est fortement inspirée
par l’approche allemande d’une économie ouverte, partagée par les autres
partenaires dans le contexte d’une dynamique des échanges internationaux.
L’élaboration de règles encadrant ce marché intérieur européen s’apparente à
l’approche ordolibérale allemande cherchant à garantir le fonctionnement du
marché par une régulation organisée de celui-ci (Marktordnung).
A fortiori, l’intégration monétaire (Système monétaire européen de 1979 à
1999, Union économique et monétaire depuis 1999) porte la marque de l’ordolibéralisme allemand24. De par la force de son économie et du poids du Deutsche
Mark comme « ancre » du SME, celui-ci a été largement dominé par l’Allemagne. Ceci a amené la France et d’autres partenaires à prôner une monnaie
unique, tout en refusant une union politique qui aurait dû logiquement aller de
pair. Le gouvernement allemand, sceptique sur l’idée d’une monnaie unique sans
structures fédérales, réunissant des pays à structures et comportements hétérogènes, a mis des conditions sine qua non avant d’accepter la création de l’UEM.
Par conséquent, les structures et la gouvernance de celle-ci ont été calquées
sur le modèle allemand : primat de la stabilité, indépendance de la Banque
Centrale Européenne érigée en garante de la stabilité de la monnaie, principe
de no bail out (responsabilité strictement nationale pour les dettes souveraines ;
interdiction pour la BCE ou les pays partenaires de rembourser la dette d’un
23.– Voir dans cette perspective, les pistes de réflexion esquissées par René Lasserre, « La réforme
du dialogue social en France : les enseignements de l’expérience allemande », Regards sur
l’économie allemande, n° 116-117, printemps-été 2015, p. 29-42.
24.– Henrik Uterwedde, « La politique économique : quelle(s) vision(s) franco-allemande(s) ? »,
Allemagne d’aujourd’hui, n° 201, juillet-septembre 2012, p. 102-111. Sur les aspects comparatifs des fondements des politiques économiques françaises et allemandes, cf. Solène
Hazouard, René Lasserre, Henrik Uterwedde (dir.), France-Allemagne : Cultures monétaires
et budgétaires. Vers une nouvelle gouvernance européenne ?, Cergy-Pontoise, CIRAC, 2015.
Le modèle économique allemand en question
181
pays défaillant) ; normes de stabilité chiffrées et contraignantes, assorties de
sanctions possibles. Cela étant, la construction de Maastricht, incomplète et
mal observée dans la pratique, a connu des modifications importantes depuis la
crise de l’UEM, que l’Allemagne a acceptées non sans réticences, notamment
avec la création d’un Fonds d’aide européen (FESM puis FES) et la création de
l’Union bancaire ; elle s’est également résignée à une application plus souple
des règles budgétaires (souplesse dont la France bénéficie actuellement), et
elle a dû tolérer la politique « non conventionnelle » de quantitative easing
de la BCE qui va jusqu’aux limites de son mandat. En échange, elle a réussi
à imposer une meilleure surveillance macroéconomique des pays membres,
une évaluation critique des projets de budget nationaux par la Commission,
et l’adoption d’un pacte fiscal obligeant chaque pays à introduire, sinon une
« règle d’or », du moins des règles strictes visant à faire respecter la discipline
budgétaire. L’Allemagne a donc accepté des compromis tout en tenant au cœur
de sa conception de l’UEM : stabilité, respect des règles budgétaires, solidarité
et responsabilité nationale. Accusés de toutes parts de vouloir « imposer par
la force de (leur) économie un modèle économique unique fait d’austérité
idéologique et de pointillisme budgétaire »25, les responsables allemands sont
au contraire hantés par le danger d’un glissement des fondements de l’UEM
vers des principes plus « laxistes » qui pourraient rapidement mettre l’Euro en
péril et mener à une crise monétaire majeure. La crise grecque a illustré en toute
clarté ce bras de fer entre les conceptions allemande et française du fonctionnement de la zone euro et sera à cet égard, quelle que soit son issue, riche
d’enseignements. Elle n’en a pas moins mis crûment en évidence la nécessité de
la mise en place, au-delà de la seule gouvernance monétaire, d’un gouvernement
économique de la zone Euro, lequel devrait permettre de dépasser le dilemme
doctrinal simpliste entre croissance et rigueur, et s’attacher principalement,
par des mesures structurelles, à promouvoir concrètement les conditions d’une
compétitivité mieux équilibrée.
25.– Ainsi le Premier secrétaire du PS, Jean-Christophe Cambadélis du PS, « Lettre ouverte de
Christophe Cambadélis », www.lemonde.fr, 16 juillet 2015.
Dominique Herbet,
Hélène Miard-Delacroix,
Hans Stark
(dir.)
L’Allemagne
entre rayonnement et retenue
Publié avec le soutien de l’Université Paris-Sorbonne, de l’UMR SIRICE,
et du Centre d’Études en Civilisations, Langues et Lettres Étrangères (CECILLE - EA 4074)
de l’Université de Lille 3 Sciences Humaines et Sociales
Presses Universitaires du Septentrion
www.septentrion.com
2016
histoire
civilisations
et
histoire
L’Allemagne
entre rayonnement
et retenue
Si, depuis 1949, l’Allemagne a réussi sa
« transformation » démocratique, son
retour sur le devant de la scène mondiale
s’avère plus hésitant. Unifié, le pays est
accusé tour à tour d’être hégémonique
ou bien de pratiquer une forme de retenue, en particulier dans l’exercice des
responsabilités incombant à une grande
puissance. Des spécialistes reconnus
de son histoire, de son économie, de sa
culture, mais aussi de ses choix politiques
interrogent ici l’évolution singulière de
la politique étrangère de l’Allemagne,
entre rayonnement et retenue.
Sous la direction de
Dominique Herbet,
professeur de civilisation de
l’Allemagne contemporaine à
l’Université de Lille.
Hélène Miard-Delacroix,
professeur d’histoire et civilisation
de l’Allemagne contemporaine à
l’Université Paris-Sorbonne.
Hans Stark,
professeur de civilisation et
de politique de l’Allemagne
contemporaine à l’Université
Paris-Sorbonne.
ISBN : 978-2-7574-1481-1
ISSN : en cours 18 €
Maquette Nicolas Delargillière.
Contributeurs
Anne-Lise Barrière
Hans Brodersen
Jean-Paul Cahn
Anne-Marie Corbin
Jean-Louis Georget
Alfred Grosser
Dominique Herbet
Françoise Knopper
Élise Lanoë
René Lasserre
Alain Lattard
Brigitte Lestrade
Reiner Marcowitz
Stephan Martens
Gilbert Merlio
Hélène Miard-Delacroix
Jean Mortier
Jacques Poumet
Anne-Marie Saint-Gille
Hans Stark
Marcel Tambarin
Henrik Uterwedde
Jérôme Vaillant
Michèle Weinachter
Illustration de couverture : Un soldat de l’armée fédérale allemande rencontre un enfant lors d’une patrouille
à Masar-e Sharif en Afghanistan. Photo reproduite dans le journal BZ, 24.11.2015, © imago stock&people.
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