traitement de l`insomnie

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CHAPITRE 35
TRAITEMENT DE L’INSOMNIE
Catherine Dejean
Pharmacien attaché, Centre hospitalier Henri-Laborit, Maître de Conférences des Universités, Poitiers, France
Denis Richard
Praticien hospitalier, pharmacien, chef de service pharmacie, Centre hospitalier Henri-Laborit, Poitiers, France
Jean-Louis Senon
Professeur des universités, chef de service, service universitaire de psychiatrie et de psychologie médicale,
Centre hospitalier universitaire, Poitiers, France
GÉNÉRALITÉS
L’insomnie
La clinique des troubles du sommeil a évolué ces dernières
années. Devenue plus précise, elle permet une prise en charge
codifiée qui ménage une part moindre à la chimiothérapie,
la restreignant — du moins en théorie — à des indications
ciblées. Les nombreux centres d’hypnologie (ou centres
« veille-sommeil ») implantés dans plusieurs établissements
de soins et accessibles pour l’exploration comme le traitement
des troubles graves et invalidants du sommeil témoignent de
cette mutation.
Les troubles du sommeil ne se limitent pas, évidemment,
aux seules insomnies objet de ce chapitre. Hypersomnies et
troubles du rythme circadien ne doivent pas être méconnus
du fait de leur incidence sur la vie quotidienne (accidents de
la circulation ou accidents du travail). Ils sont d’ailleurs parfois eux-mêmes induits par un mésusage des tranquillisants
et des hypnotiques.
L’insomnie est un symptôme banal qui concerne entre
30 et 50 % de la population adulte des pays occidentaux,
toutes formes confondues, et 10 à 20 % de cette population
en ce qui concerne les formes les plus graves. Rarement isolée (insomnie chronique primaire, sans cause évidente), elle
survient volontiers dans le cadre d’une pathologie psychiatrique (dépression) ou somatique (dyspnée nocturne, maladie
rhumatismale). Dans la pratique, une insomnie isolée est à
ce point rare qu’il faut remettre en question sa réalité face à
chaque patient insomniaque qui nie avoir des problèmes psychologiques, relationnels ou existentiels.
La tendance actuelle privilégie une définition de l’insomnie
avant tout subjective. Elle caractérise un sommeil perçu par
le patient comme difficile à obtenir, insuffisant, insatisfaisant
Pharmacie clinique et thérapeutique
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ou non récupérateur. La durée objective du sommeil peut être
normale ou peu abrégée et l’endormissement peut être rapide,
mais on repère de façon récurrente une fragmentation excessive de la phase de sommeil.
Il est difficile d’établir une nosologie de l’insomnie car les
causes comme les mécanismes de cette affection sont toujours
méconnus. La classification internationale des troubles du
sommeil distingue trois formes d’insomnie intrinsèque (dont
la cause a pour origine l’organisme) et douze formes d’insomnie extrinsèque (dont la cause est extérieure à l’organisme),
sans même évoquer les insomnies d’origine neurologique,
psychiatrique ou somatique. Elle est d’une extraordinaire
complexité pour le clinicien. La classification du DSM-IV est
plus pratique. Toutefois, nous proposons ici une classification schématique, ayant avant tout une valeur pédagogique
(tableau 35.1).
Médicaments utilisés
Avant tout, il importe de souligner que la prescription d’hypnotiques ne peut constituer en toute situation une réponse
adaptée. Le recours à d’autres médicaments peut s’avérer plus
pertinent, ainsi que la mise en œuvre d’autres stratégies thérapeutiques que la chimiothérapie (psychothérapie, etc.).
Il n’y a plus lieu d’utiliser aujourd’hui des produits dont
l’index thérapeutique est aussi faible que les barbituriques
ou l’hydrate de choral, d’ailleurs retirés du commerce. Par
conséquent, nous avons pris ici le parti de n’évoquer ces
médicaments que dans la présentation générale, pour information, sans les développer par ailleurs (le lecteur trouvera
toutefois mention des barbituriques dans d’autres chapitres
car le phénobarbital est toujours prescrit comme antiépileptique).
Les principaux hypnotiques commercialisés sont présentés
dans le tableau 35.2.
PARTIE VII. PATHOLOGIE NEUROLOGIQUE ET PSYCHIATRIQUE
Tableau 35.1.
Classification simplifiée des insomnies.
Types d’insomnie
Origines et signes cliniques
Orientations générales du traitement
Insomnies occasionnelles
ou situationnelles
Accumulation d’événements stressants
Prescription d’hypnotiques (ou de tranquillisants)
pour une durée limitée (< 4 semaines)
Insomnies
chroniques
Insomnies
psychophysiologiques
État de tension musculaire
et psychologique
Conditionnement négatif au sommeil
Relaxation
Biofeedback
Thérapies comportementales
Insomnies organiques
Insuffisance cardiaque ou respiratoire
Douleurs chroniques
Traitement symptomatique
Impatience des membres inférieurs
Traitement spécialisé
Recours à un centre veille-sommeil
Myoclonies nocturnes
Recours à un centre veille-sommeil
Apnées du sommeil
Traitement spécialisé
Recours à un centre veille-sommeil
Insomnies
médicamenteuses
Consommation régulière
de tranquillisants ou d’hypnotiques
Sevrage médicamenteux très progressif
et médicalisé
Insomnies « rebond »
Arrêt brutal d’un traitement
tranquillisant ou hypnotique
Sevrage très progressif et médicalisé
Insomnies
pharmacologiques
Catégories cliniques
Tableau 35.2.
Principaux hypnotiques utilisés dans le traitement de l’insomnie.
Familles
Benzodiazépines
DCI
Noms commerciaux
Présentations
estazolam
Nuctalon
Comprimé sécable 2 mg
flunitrazépam
Rohypnol
Comprimé sécable 1 mg
loprazolam
Havlane
Comprimé sécable 1 mg
lormétazépam
Noctamide
Comprimé sécable 1 et 2 mg
nitrazépam
Mogadon
Comprimé sécable 5 mg
témazépam
Normison
Capsule 10 et 20 mg
Imidazopyridines
zolpidem
Stilnox
Comprimé sécable 10 mg
Cyclopyrrolones
zopiclone
Imovane
Comprimé sécable 7,5 mg
Antihistaminiques
alimémazine
Théralène
Comprimé 5 mg, gouttes et sirop
doxylamine
Donormyl
Comprimé sécable 15 mg effervescent ou non
niaprazine
Nopron Enfants
Sirop
prométhazine
Phénergan
Comprimé 25 mg
mélatonine
Circadin
Comprimé LP 2 mg
Mélatoninergiques
Présentation des hypnotiques
Barbituriques
Le squelette chimique commun à tous les barbituriques est
l’acide barbiturique, synthétisé par le chimiste allemand Adolf
von Baeyer en 1864 à partir du noyau malonylurée. Dès 1882,
Conrad et Guthzeit isolèrent l’un de ses sels, le barbital, mais
ce n’est qu’en 1903 qu’Emil Fischer et J. von Mehring en
découvrirent les propriétés hypnotiques (Véronal).
688
Ce médicament constitua le chef de file d’une famille de
molécules nombreuses dont, notamment, le phénobarbital
(Gardénal) indiqué aujourd’hui dans la prévention des crises
d’épilepsie, etc.
Utilisés de façon en hypnologie, les barbituriques induisent
rapidement une dépendance et ont un index thérapeutique
extrêmement réduit (la dose potentiellement mortelle est seulement deux à trois fois supérieure à la dose thérapeutique).
Ils ne sont plus commercialisés en France depuis 1988 dans
cette indication.
CHAPITRE 35. TRAITEMENT DE L’INSOMNIE
Chloral
Synthétisé par le chimiste allemand von Liebig en 1832, le
chloral donna lieu au XIXe siècle à un usage toxicomaniaque,
proche de celui induit par les barbituriques.
Le chloral est actif comme hypnotique à des doses comprises entre 0,5 et 1 gramme chez l’adulte, mais perd rapidement son efficacité. Il a été conseillé pour traiter les insomnies
des sujets âgés déments, mais son administration expose à un
important rebond d’insomnie dès que le traitement est suspendu. Les interactions médicamenteuses sont nombreuses.
Par ailleurs, l’usage du chloral est fortement irritant pour
la muqueuse digestive. Il induit, au plan neurologique, une
ébriété accompagnée de migraine, de troubles de la marche,
parfois d’une excitation paradoxale, de confusion mentale
voire d’hallucinations chez le sujet âgé. L’intoxication aiguë
évoque celle réalisée par les barbituriques. Elle s’accompagne de signes hépatiques et digestifs aggravés allant jusqu’à
la nécrose gastrique. Des décès par arythmie cardiaque ont
été rapportés. De plus, le potentiel cancérigène du chloral
sur modèle murin (tumeurs hépatiques) a été démontré. Ce
médicament a été retiré du marché en France en 2000.
Benzodiazépines
Voir chapitre 36 « Traitement de l’anxiété ».
Analogues pharmacologiques
des benzodiazépines
Les cyclopyrrolones sont représentées par la zopiclone (Imovane) et les imidazopyridines par le zolpidem (Stilnox). Ces
deux familles sont proches de celle des benzodiazépines, du
moins quant à leur mécanisme d’action et leur profil pharmacologique. Ces médicaments plus récents respectent mieux
l’architecture physiologique du sommeil, comme l’attestent
les études hypnographiques. Elles sont également relativement mieux tolérées : moins d’effets rebond, réveil plus
agréable, etc. Pour autant, il convient de toujours demeurer
prudent, leur prescription n’étant en rien anodine.
Le rapport bénéfice/risque des associations de principes
actifs (acéprométazine + carbamate de la Mépronizine ;
acéprométazine + acépromazine + clorazépate du Noctran)
(voir chapitre 41 « Traitement de l’anxiété ») a été réévalué
par l’Afssaps en 2011. Ayant été jugé négatif, ces médicaments
ont été retirés du marché, fin 2011 (Noctran) et début 2012
(Mépronizine).
Mécanisme d’action des hypnotiques
Le mécanisme de l’action hypnotique des benzodiazépines
comme celui de leurs analogues (et comme celui des barbituriques) s’explique par une action sur la transmission GABAergique, comme évoqué au chapitre 36 sur le traitement de
l’anxiété. Les manifestations latérales de somnolence, d’apathie et de ralentissement des réflexes observées chez les usagers d’anxiolytique trouvent leur pleine expression dans l’indication spécifique des insomnies.
Les composés les plus récents (zopiclone, zolpidem) ont
toutefois une action plus spécifique sur certains récepteurs
aux benzodiazépines (récepteurs de type I), ce qui expliquerait la moindre incidence de leurs effets indésirables et leur
meilleure maniabilité.
Hormone sécrétée par l’épiphyse (ou glande pinéale, une
glande endocrine située sous le plancher du 3e ventricule qui
traite l’information photopériodique et joue un rôle capital
dans la photosynchronisation circadienne et saisonnière), la
mélatonine est impliquée dans la régulation du rythme circadien. Sa structure est voisine de celle de la sérotonine. Augmentant dès la tombée de la nuit, la sécrétion de mélatonine
connaît un pic entre 2 et 4 heures du matin puis diminue
jusqu’au lever du jour : elle est corrélée à une action hypnotique induite par sa liaison aux récepteurs mélatoninergiques
centraux MT1, MT2 (plus secondairement MT3). Le tonus
mélatoninergique diminue avec l’âge, ce qui explique que les
sujets âgés dorment moins que plus jeunes : l’administration
de mélatonine exogène (Circadin) tend alors à régulariser
le sommeil chez les patients souffrant d’insomnie primaire
(c’est-à-dire d’une insomnie sans cause somatique, psychique,
toxique ou environnementale évidente).
Mélatoninergiques
Commercialisée comme médicament, la mélatonine (Circadin) n’a pas d’action myorelaxante, anxiolytique ou proamnésiante. Elle est indiquée dans l’insomnie idiopathique
avec sommeil de mauvaise qualité chez le patient de plus de
55 ans, sans que des données précises soient actuellement
disponibles quant à son usage chez l’insuffisant rénal et/ou
hépatique.
Divers
D’autres composés sont indiqués dans le traitement des
troubles du sommeil, notamment des antihistaminiques H1.
On peut citer la niaprazine (Nopron), actuellement indiquée
dans le traitement des insomnies occasionnelles de l’enfant
(noyau pipérazine), la doxylamine (Donormyl, Méréprine), la
prométhazine (Phénergan) ou l’alimémazine (Théralène).
Pharmacocinétique des hypnotiques
Benzodiazépines
Voir chapitre 36 « Traitement de l’anxiété ».
Analogues des benzodiazépines
Les cyclopyrrolones (zopiclone, Imovane) et les imidazopyridines (zolpidem, Stilnox) s’administrent per os, avec une
résorption satisfaisante, non influencée par les aliments. Ces
hypnotiques doivent être administrés immédiatement avant le
coucher car leur délai d’action n’est que de 10 à 15 min. Le pic
plasmatique est atteint en environ 1 heure pour la zopiclone
et 1,8 heure pour le zolpidem. Les deux groupes de médicaments subissent oxydation, desméthylation et hydroxylation.
689
PARTIE VII. PATHOLOGIE NEUROLOGIQUE ET PSYCHIATRIQUE
Leur métabolisation est importante (le zolpidem est totalement résorbé, mais un effet de premier passage hépatique
limite sa biodisponibilité à 70 % environ). Quatre à cinq pour
cent seulement de la dose de zopiclone sont éliminés sous
forme inchangée, la molécule mère étant, contrairement au
zolpidem, transformée en un catabolite partiellement actif,
son N-oxyde.
La zopiclone, comme son métabolite actif, a une demivie d’élimination variable, oscillant entre 3 et 6 heures,
allant jusqu’à 8 heures chez l’insuffisant hépatique ou le
sujet âgé. Le zolpidem a une demi-vie constamment plus
brève, de l’ordre de 2,4 heures. Ces deux composés franchissent également la barrière fœto-placentaire et passent
dans le lait.
Le tableau 35.3 présente les caractéristiques pharmacocinétiques des principaux hypnotiques benzodiazépiniques et
apparentés.
Mélatonine
La mélatonine (Circadin) bénéficie d’une absorption complète, mais qui peut être réduite de 50 % chez le sujet âgé.
Un important effet de premier passage hépatique (85 %)
explique que la biodisponibilité ne soit que de 15 % environ. Le pic plasmatique s’observe 3 heures après la prise.
La liaison plasmatique de la mélatonine est de 60 % (albumine, alpha-1 glycoprotéine, lipoprotéines). L’hormone
subit un important métabolisme hépatique par certains isoformes du cytochrome P450 : CYP1A1, CYP1A2, CYP2C19
puisque seulement 2 % de la mélatonine est excrétée
sous forme inchangée. Son métabolite principal est la
6-sulfatoxy-mélatonine (6-S-MT), inactive. La demi-vie terminale d’élimination est d’environ 4 heures. 90 % de la dose
est excrétée par voie rénale, sous forme de métabolites. Il
existe une importante variabilité interindividuelle dans le
métabolisme. De même, le métabolisme de l’hormone est
plus réduit chez le sujet âgé.
CRITÈRES DE CHOIX
THÉRAPEUTIQUE
Les hypnotiques prescrits en France aujourd’hui ont de nombreux points communs (exception faite de la mélatonine, dont
l’usage reste limité et l’efficacité modeste). Ils agissent comme
les anxiolytiques sur le récepteur au GABA. Leur résorption
après administration orale est rapide et ils sont rapidement
éliminés. La différence essentielle avec les benzodiazépines
évoquées au chapitre « Traitement de l’anxiété » réside dans
la cinétique de leur effet, permettant une action précoce (utile
pour l’endormissement), intense (suffisante pour assurer le
sommeil et non une simple anxiolyse) et brève (pour prévenir
les effets indésirables diurnes).
Le traitement de l’insomnie doit intégrer des mesures d’hygiène de vie. Par exemple, nombre d’insomniaques sont de gros
consommateurs de café : il importe avant tout traitement de
réduire ou de cesser cette consommation, et de ne pas consommer de café même si l’on a recours à des médicaments. Le traitement doit aussi intégrer une prise en compte étiologique des
troubles : agir sur le bruit, la température, les conditions de travail (travail posté imposant des rythmes en contradiction avec
les rythmes biologiques), le stress psychique.
Selon le type d’insomnie
Un traitement spécifique de l’affection primaire est nécessaire
le plus souvent dans les insomnies accompagnant un trouble
psychiatrique (dépression, psychose, etc.). Dans ce cas, des
antipsychotiques ou des antidépresseurs, surtout s’ils ont une
composante sédative importante peuvent agir à la fois sur
l’affection psychiatrique et sur l’insomnie. Pour autant, certains antidépresseurs, connus comme stimulants, peuvent en
revanche favoriser les insomnies (ex. : moclobémide = Moclamine et autres inhibiteurs des mono-amines oxydases). Il en
va de même pour l’anxiété : des benzodiazépines administrées
Tableau 35.3.
Caractéristiques pharmacocinétiques des principales BZD et apparentés hypnotiques.
DCI
Noms
commerciaux
Affinités
T max (h)
Demi-vies
d’élimination (h)
Principaux
métabolites actifs
Demi-vies d’élimination
des métabolites actifs (h)
Benzodiazépines hypnotiques ayant une demi-vie moyenne et prolongée
Estazolam
Nuctalon
1 à 1,5
10 à 30
nombreux
Flunitrazépam
Rohypnol
Loprazolam
Havlane
++++
1 à 1,5
15 à 30
norflunitrazépam
+++
1à4
8 à 10
0
Lormétazépam
Noctamide
++++
1 à 1,5
10 à 12
0
Nitrazépam
Mogadon
+++
1à2
18 à 30
0
Témazépam
Normison
++++
0,75 à 4
5à8
oxazépam (5 %)
20 à 40
4 à 15
Hypnotiques non benzodiazépiniques
Zolpidem
Stilnox
0,5 à 3,5
2 à 10
0
Zopiclone
Imovane
1 à 3,5
5à8
N-oxyde
690
4,5
CHAPITRE 35. TRAITEMENT DE L’INSOMNIE
à très faible dose, dans une perspective simplement anxiolytique, peuvent suffire à réguler le sommeil.
Le traitement médicamenteux est privilégié, à court
terme, dans les insomnies occasionnelles (sur 2 à 5 jours
par exemple) ou dans les insomnies d’origine somatique, dès
lors que le traitement de la cause est impossible ou insuffisant (sans excéder 4 semaines en général). Si la majorité des
insomnies relèvent de l’hygiène de vie, un traitement médicamenteux peut toutefois s’avérer nécessaire. Il faut alors prévenir le risque de survenue d’une dépendance (voir infra), en
prescrivant un traitement discontinu. Les insomnies sévères
ou organiques peuvent, elles, imposer un traitement quotidien sur une période aussi limitée que possible.
Les hypnotiques ayant une demi-vie courte (zopiclone,
zolpidem) sont recommandés dans le traitement des insomnies d’endormissement mais il faut proscrire leur utilisation à
posologie plus élevée dans les insomnies de maintien (survenant en milieu ou en fin de nuit), qui nécessitent le recours
à un composé de demi-vie moyenne ou prolongée (lormétazépam, nitrazépam, estazolam) (tableau 35.3). La mélatonine
(Circadin) est indiquée de façon assez sélective dans l’insomnie du sujet âgé de plus de 55 ans, sur une période qui est,
comme tous les hypnotiques, limitée (ici à 3 semaines).
Selon le terrain
Pathologies associées
Insuffisance respiratoire
Les benzodiazépines doivent être administrées avec prudence
ou, souvent, totalement évitées, chez les patients atteints
d’une insuffisance respiratoire sévère en raison du risque
d’apnées. On privilégie alors le recours à des antihistaminiques à des produits type zolpidem (Stilnox) ou zopiclone
(Imovane), mieux tolérés, voire à la mélatonine, dont l’usage
reste cependant assez marginal. Pour autant, un syndrome
d’apnée du sommeil installé constitue une contre-indication
absolue à l’utilisation des hypnotiques benzodiazépiniques et
des composés apparentés.
Insuffisance hépatique
La demi-vie de la zopiclone (Imovane) sera augmentée, allant
jusqu’à 9 heures ; le temps requis pour obtenir le pic plasmatique sera aussi allongé. En conséquence, une posologie limitée à 3,75 mg/j (demi-dose) sera alors préconisée. (Voir chapitre 36 « Traitement de l’anxiété » pour les benzodiazépines.)
Il en va de même pour le zolpidem (Stilnox), pour lequel la
demi-vie pourra atteindre alors près de 10 heures. Il est donc
souvent suffisant de limiter l’administration à 5 mg/j en ce cas.
Une insuffisance hépatique sévère constitue une contreindication absolue à l’administration de ces deux produits
comme à celle des benzodiazépines. L’usage de la mélatonine
est déconseillé chez l’insuffisant hépatique.
Insuffisance rénale
Elle impose d’adapter la posologie de la zopiclone (Imovane),
sans excéder un comprimé par jour (voir chapitre 36, « Traitement de l’anxiété » pour les benzodiazépines). La prudence
s’impose lors de l’usage de la mélatonine.
Myasthénie
Cette affection représente une contre-indication relative à
l’emploi de benzodiazépines apparentées comme des benzodiazépines elles-mêmes. Dans ce cadre, ces produits ne seront
administrés qu’exceptionnellement et sous surveillance médicale accrue.
Glaucome par fermeture de l’angle,
rétention urinaire
Ce type de pathologie constitue bien sûr une contre-indication
à l’emploi d’antihistaminiques en raison de leur composante
anticholinergique.
Chez la personne âgée
La posologie d’un traitement hypnotique doit être systématiquement réduite chez la personne âgée, pour prévenir tout
risque de confusion mentale, d’effets sédatifs résiduels (risque
de chute avec fracture du col) ou d’hypotension artérielle
(voir le chapitre 36, « Traitement de l’anxiété » sur les benzodiazépines).
D’une façon plus spécifique, la biodisponibilité de la zopiclone (Imovane) est augmentée, passant d’environ 80 % chez
le sujet jeune à plus de 90 % chez celui de plus de 75 ans. Son
catabolisme est, en revanche, fortement réduit et l’élimination
sous forme inchangée domine. La demi-vie augmente aussi
sensiblement, passant de 3- 6 heures à 8 heures ou plus. Mais
le produit ne semble pas pour autant s’accumuler après administration réitérée.
Le volume de distribution du zolpidem (Stilnox) est réduit
avec, en corollaire, augmentation des concentrations sériques
maximales et de la demi-vie.
Rappelons que la mélatonine (Circadin) n’a d’indication,
précisément, que chez le sujet de plus de 55 ans, où elle est
prescrite dans le traitement de l’insomnie idiopathique avec
sommeil de mauvaise qualité. Son absorption est réduite de
50 % chez le sujet âgé.
Chez l’enfant
Le recours à des hypnotiques doit être absolument proscrit
chez l’enfant, en dehors des troubles du sommeil s’intégrant
dans un tableau psychopathologique avéré et en dehors du
cas particulier que représentent les parasomnies. La médication familiale est pourtant fréquente dans ce domaine (benzodiazépines et niaprazine, Nopron) et n’améliore guère la
symptomatologie, en étant pour autant responsable d’une
somnolence diurne et d’une fatigue chronique. La prise en
charge des insomnies du nourrisson et de l’enfant passe avant
691
PARTIE VII. PATHOLOGIE NEUROLOGIQUE ET PSYCHIATRIQUE
tout par le respect de règles élémentaires d’hygiène (environnement serein, respect de la typologie veille-sommeil, prise
en charge psychologique de l’enfant mais souvent aussi de la
famille).
Dans le cas où la prescription est jugée incontournable, elle
doit recourir à des médicaments dont l’AMM autorise l’administration à l’enfant de moins de 15 ans (Nopron, Théralène,
Nuctalon, Mogadon).
Chez la femme enceinte
À côté de la problématique propre aux benzodiazépines (voir
le chapitre 36, « Traitement de l’anxiété ») — qui concerne
bien sûr aussi les composés apparentés —, il faut souligner
l’incidence possible sur la grossesse des médicaments ayant
une composante anticholinergique, même si les incidents
demeurent rares : distension abdominale, iléus méconial,
retard à l’émission du méconium, tachycardie, troubles neurologiques. La grossesse constitue donc une contre-indication
relative (premier trimestre, notamment) à l’utilisation des
antihistaminiques dans le traitement des troubles du sommeil. La mélatonine, quant à elle, doit être évitée pendant la
grossesse et passe dans le lait maternel : son périmètre d’indication rend toutefois improbable un usage chez la femme
enceinte !
Chez la femme allaitante
L’administration d’hypnotiques, tous éliminés partiellement
dans le lait, peut entraîner une sédation importante du nourrisson, mettant en jeu la qualité des relations précoces dans
la dyade mère-enfant ou, au contraire, une excitation paradoxale. Plus encore, elle détermine un risque important d’apnée du sommeil, y compris avec les antihistaminiques.
Application de la réglementation
La référence médicale opposable (RMO) du 14 novembre
1998 constitue, en France, un encadrement de la prescription
des hypnotiques et des anxiolytiques. Concernant les hypnotiques :
– « La prescription des hypnotiques et anxiolytiques doit reposer sur une analyse soigneuse de la situation clinique, en cherchant à séparer ce qui relève des difficultés transitoires et des
réactions à une pathologie somatique, de la pathologie psychiatrique confirmée. Elle doit être régulièrement réévaluée et
tenir compte des indications de l’AMM, de la fiche de transparence et de l’arrêté du 7 octobre 1991. Un traitement datant de
plusieurs semaines ne doit pas être arrêté brutalement.
– Il n’y a pas lieu d’associer deux hypnotiques.
– Il n’y a pas lieu de prescrire des hypnotiques sans tenir compte
des durées de prescription maximales réglementaires (incluant
la période de sevrage) et sans réévaluation régulière. Les
durées de prescription doivent être courtes et ne pas excéder 2
à 4 semaines (2 semaines pour le triazolam ; 3 semaines pour
la mélatonine).
692
– Il n’y a pas lieu de prescrire un hypnotique sans débuter par
la posologie la plus faible, sans rechercher la posologie minimale efficace pour chaque patient, ni de dépasser les posologies
maximales recommandées. »
Depuis la publication de l’arrêté du 1er février 2001, la prescription des spécialités à base de flunitrazépam (Rohypnol)
est limitée à deux semaines (comme l’était celle du triazolam, Halcion retiré du marché en 2005) mais avec obligation
de fractionner en périodes de 7 jours. De plus, cette prescription est soumise aux mêmes dispositions réglementaires
que celle des stupéfiants, de façon à éviter le détournement
de ce produit par les toxicomanes et les conséquences graves
d’une consommation abusive : perte de contrôle, excitation,
désinhibition, amnésie, dépression respiratoire notamment
lors d’une association à des morphiniques (héroïne) ou à de
la buprénorphine (Subutex, Buprénorphine Arrow, Suboxone).
Il est utile de rappeler ici que le rapport bénéfice/risque
des associations de principes actifs (acéprométazine + carbamate de la Mépronizine ; acéprométazine + acépromazine
+ clorazépate du Noctran) (voir chapitre 36 « Traitement de
l’anxiété ») ayant été jugé négatif par l’Afssaps en 2011, ces
médicaments ont été retirés du marché, fin 2011 (Noctran) et
début 2012 (Mépronizine) (tableau 35.4).
OPTIMISATION THÉRAPEUTIQUE
Le médicament représente le traitement le plus banalement utilisé
contre les diverses formes d’insomnie. S’il possède de nombreux
avantages, il n’en a pas moins également des inconvénients.
Optimisation posologique
La durée de l’action hypnotique est proportionnelle à la dose :
la demi-vie ne peut seule être prise en compte. La variabilité
interindividuelle explique qu’il faille adapter de façon rigoureuse la posologie à chaque situation en commençant systématiquement par la dose la plus faible et en n’augmentant que
selon les paliers les plus restreints.
Il faut absolument n’administrer que la posologie minimum
efficace et réduire systématiquement la dose par deux chez
le sujet âgé. Les posologies moyennes des hypnotiques sont
présentées dans le tableau 35.4.
Optimisation de l’administration
Les hypnotiques doivent s’administrer juste avant le coucher
pour prévenir tout risque de chute (personnes âgées, notamment).
L’injection IV (lente ou perfusion) ou IM représente la
modalité d’utilisation en urgence des anxiolytiques (Tranxène, Valium) — ou des benzodiazépines prescrites en anesthésiologie (Hypnovel, Narcozep) —, car l’action se développe
en quelques minutes. Ce mode d’administration n’a aucun
intérêt dans le traitement de l’insomnie.
CHAPITRE 35. TRAITEMENT DE L’INSOMNIE
NB : L’injection constitue un mode d’administration fréquent chez les personnes toxicomanes qui peuvent écraser
des comprimés (Rohypnol, notamment) et s’injecter le filtrat
(risque important d’embolie par « poussières », reliquats d’excipient et micro-agglomérats, ainsi que risque de dépression
respiratoire également important si elles associent héroïne,
méthadone, buprénorphine ou autres opioïdes à des benzodiazépines).
Prévention de l’iatropathologie
Prévention des risques majeurs
Contre-indications
Voir le tableau 35.5.
Tableau 35.4.
Posologies moyennes et nombre de prises des hypnotiques.
Familles
Benzodiazépines
DCI
Noms commerciaux
Posologies moyennes adulte (mg/j)
estazolam
Nuctalon
1à2
flunitrazépam
Rohypnol
0,5 à 1
loprazolam
Havlane
0,5 à 1
lormétazépam
Noctamide
0,5 à 2
nitrazépam
Mogadon
2,5 à 10
témazépam
Normison
10 à 20
Imidazopyridines
zolpidem
Stilnox
10 à 20
Cyclopyrrolones
zopiclone
Imovane
7,5
Antihistaminiques
Mélatoninergiques
alimémazine
Théralène
5 à 20
doxylamine
Donormyl
7,5 à 15
niaprazine
Nopron Enfants
1 à 2 mg/kg
prométhazine
Phénergan
25 à 50
mélatonine
Circadin
2 (soit 1 cp 1 à 2 h avant le coucher et après le dîner)
Tableau 35.5.
Contre-indications des hypnotiques.
CI absolues
CI relatives
Benzodiazépines
Hypersensibilité à l’un des composants
Insuffisance hépatique sévère
Insuffisance respiratoire sévère
Syndrome d’apnée du sommeil
Enfants < 15 ans (flunitrazépam)
Myasthénie
Allaitement
Enfants < 15 ans (témazépam,
lormétazépam)
Benzodiazépines apparentées :
zopiclone, zolpidem
Hypersensibilité à l’un des composants
Insuffisance hépatique sévère
Insuffisance respiratoire sévère
Syndrome d’apnée du sommeil
Myasthénie
Enfants de moins de 15 ans
Allaitement
Mélatonine (Circadin)
–
–
Prométhazine (Phénergan)
alimémazine (Théralène)
Hypersensibilité
Enfant de moins de 6 ans
Grossesse et allaitement
Doxylamine (Donormyl)
Enfant de moins de 6 ans
Troubles urétro-prostatiques
Risque de glaucome par fermeture de l’angle
Niaprazine (Nopron)
Hypersensibilité
693
PARTIE VII. PATHOLOGIE NEUROLOGIQUE ET PSYCHIATRIQUE
Interactions médicamenteuses à proscrire
Les interactions médicamenteuses présentées dans le tableau 35.6
se limitent à un niveau « association déconseillée ». Aucune
interaction de niveau « contre-indication » n’est décrite pour les
hypnotiques.
L’usage d’alcool majore les effets sédatifs et amnésiants de
tous les hypnotiques, y compris des antihistaminiques. Il faut
donc proscrire l’usage de boissons alcoolisées dans le contexte
de leur administration. Il semble cependant que les réactions
soient variables selon les produits, plus sensibles avec des
produits d’action rapide comme le triazolam (Halcion retiré
du marché en 2005), et limitées avec le zolpidem (Stilnox) ou
la zopiclone (Imovane).
Prévention des effets indésirables
La marge thérapeutique des benzodiazépines hypnotiques est
faible : cette notion demeure vivace à l’esprit. Il est en effet
difficile de revendiquer une action à la fois rapide et intense
par effet de pic et d’espérer simultanément l’absence de toute
action non hypnotique lors du pic (amnésie, confusion mentale, troubles du comportement, modifications de l’hypnogramme, etc.). Ces effets ne sont toutefois observables que
si le patient est réveillé à un moment coïncidant ou presque
avec le pic plasmatique. Le tableau 35.7 présente la comparaison des principaux effets indésirables par classe d’hypnotiques.
Les effets indésirables des benzodiazépines hypnotiques
sont qualitativement analogues à ceux envisagés pour
les benzodiazépines anxiolytiques. On a aussi décrit, de
façon identique au plan qualitatif, des effets similaires
pour les cyclopyrrolones ou les imidazopyridines (mieux
tolérées cependant au niveau de la fonction ventilatoire)
et quelques-unes plus spécifiques d’un composé précis
(par exemple, amertume matinale, avec sensation de goût
« métallique » et sécheresse buccale avec la zopiclone). Des
comportements paradoxaux ont été observés, associant,
une demi-heure environ après la prise du produit, hallucinations et troubles visuels, précédant une phase de sommeil
profond avec amnésie au réveil. Si les structures chimiques
sont différentes, les paramètres cinétiques sont proches.
Ces effets pourraient être corrélés à la rapidité de l’élévation
des concentrations sériques. Il en va de même des effets sur
la mémoire.
La mélatonine bénéficie d’une tolérance satisfaisante : les
effets indésirables se traduisent par de la nervosité, des céphalalgies, des sensations vertigineuses.
Il faut cependant souligner ici certains aspects plus spécifiques relatifs à l’usage des hypnotiques benzodiazépiniques
et apparentés : effets résiduels, risque de dépendance, interactions avec l’alcool, insomnie de rebond.
Effets résiduels
Voir chapitre 36, « Traitement de l’anxiété ».
Insomnie de rebond
Rapportée dans 3 à 7 % des cas, elle survient davantage avec
les produits hypnotiques qu’avec ceux simplement utilisés
comme anxiolytiques. L’insomnie de rebond est conditionnée par la puissance du produit, une posologie élevée, un
terrain favorable. Une demi-vie prolongée (supérieure à une
Tableau 35.6.
Interactions médicamenteuses de niveau « association déconseillée » des hypnotiques.
– Benzodiazépines hypnotiques et apparentés
(zopiclone, zolpidem)
– Antihistaminiques H1 sédatifs (acéprométazine,
alimémazine, doxylamine, prométhazine)
– Mélatonine
Médicaments Niveaux
autres
Mécanismes
Remarques et conseils
Alcool
Majoration par l’alcool de l’effet sédatif des benzodiazépines
Éviter la prise de boissons alcoolisées et de médicaments
contenant de l’alcool lors d’un traitement
par benzodiazépines, apparentés ou antihistaminiques
L’alcool diminue l’efficacité de la mélatonine sur le sommeil
AD
Tableau 35.7.
Comparaison des effets indésirables des principales classes d’hypnotiques.
Benzodiazépines Benzodiazépines apparentées Antihistaminiques
(zolpidem, zopiclone)
Efficacité
+++
+++
+ à ++
+++
Effets indésirables de pic
(mémoire, troubles du comportement)
++ à +++
+ à ++
+
+++
Effets résiduels (à posologie adaptée)
±
±
++
±
Dépendance
+à ++
±
0
+++
Toxicité
±
±
±
+++
Index thérapeutique
+à ++
++
+
694
CHAPITRE 35. TRAITEMENT DE L’INSOMNIE
journée) et une hypersensibilisation des récepteurs expliqueraient qu’elle s’observe volontiers chez le sujet âgé (risque de
chute avec fracture du col du fémur) ou l’enfant jeune. Ce
phénomène ne semble pas décrit avec la mélatonine.
Dépendance
La dépendance aux hypnotiques fut décrite dès le
XIXe siècle, avec les barbituriques et le chloral. Les barbituriques d’action rapide (pentobarbital, sécobarbital)
peuvent donner lieu à une forte dépendance, qu’ils soient
utilisés par voie orale ou IV (barbiturisme ou barbituromanie). Cette toxicomanie est caractérisée par une importante réduction de l’activité intellectuelle, une irritabilité,
une agressivité et des troubles de la personnalité proches
de ceux décrits dans l’alcoolisme. Les réactions du sujet
sont liées au contexte de l’usage. Le sevrage brutal expose
à des risques psychiques (anxiété, attaques de panique, état
confusionnel, bouffées délirantes) mais surtout somatiques
graves. Des décès ont été décrits. La prudence impose, dans
tous les cas, de réaliser un sevrage progressif. L’arrêté du
2 septembre 1988 a largement limité l’usage abusif de barbituriques en restreignant de façon drastique les possibilités de prescription.
Les risques et signes de dépendance aux benzodiazépines
hypnotiques ont été évoqués dans le chapitre « Traitement
de l’anxiété ».
Les tests prédictifs de dépendance, sur modèle animal, se
sont révélés négatifs pour le zolpidem (Stilnox) ou la zopiclone (Imovane). Néanmoins, une grande prudence s’impose
lors de leur prescription car des dépendances ont été depuis
décrites.
Les antihistaminiques et la mélatonine, quant à eux, ne
donnent pas lieu à des phénomènes de dépendance.
L’arrêté du 7 octobre 1991 limite la prescription de tous
les hypnotiques à quatre semaines. La réglementation de certaines molécules est, de plus, soumise à des dispositions spécifiques : la prescription du flunitrazépam est ainsi limitée à
deux semaines. De plus, il ne peut être délivré que pour une
durée maximale de sept jours, dans les mêmes conditions que
s’il s’agissait d’un stupéfiant (arrêté du 1er février 2001). Les
antihistaminiques ne sont pas visés par ces deux arrêtés. Dans
tous les cas, le prescripteur est tenu de revoir le patient afin
d’évaluer l’efficacité du traitement et peut, s’il le juge indispensable, reconduire la prescription.
L’index thérapeutique défavorable des associations à visée
hypnotique contenant un ou deux antipsychotiques et un
anxiolytique (carbamate ou BZD), comme le Noctran et la
Mépronizine, explique leur retrait du marché en 2011-2012.
CONSEILS AU PATIENT
Ce sont avant tout des conseils simples d’hygiène de vie afin
de limiter au maximum le recours aux hypnotiques :
– proscrire tout excitant ou tout stimulant (veiller notamment
à ne pas consommer de thé ou de café après 16 heures) ;
– limiter ou, mieux, proscrire, l’usage de boissons alcoolisées
et, particulièrement, proscrire toute consommation d’alcool
en soirée ;
– faire un repas très léger le soir ;
– mener une vie régulière, prendre les repas à heures stables,
respecter un moment de détente en soirée ;
– reprendre une activité physique et sportive de préférence
le matin ou en début d’après-midi, mais pas le soir avant
l’heure du coucher ;
– respecter l’heure d’endormissement physiologique repérable par la sensation de fatigue, les bâillements, une attention en baisse, correspondant à une mise au repos des systèmes d’éveil, à une baisse des sécrétions hormonales et de
la température centrale ;
– éviter de visionner des films violents ou stressants avant le
coucher, ne pas prendre l’habitude de regarder la télévision
au lit ;
– respecter un rituel d’endormissement : lecture, musique
douce, câlins ;
– dormir dans une pièce fraîche ;
– dormir à l’abri du bruit.
En cas d’utilisation d’hypnotique :
– éviter de conduire et d’utiliser des machines ;
– leur arrêt doit toujours être progressif si la durée du traitement a dépassé une dizaine de jours.
Ce qu’il faut retenir
Insomnie
La marge de sécurité des hypnotiques modernes est satisfaisante :
elle ne doit cependant pas constituer un encouragement à utiliser
une solution médicamenteuse durable à tout problème insomniaque.
Stratégie thérapeutique
Hygiène de vie, benzodiazépines, apparentés (zopiclone, zolpidem),
mélatonine ou antihistaminiques doivent être rigoureusement adaptés à chaque patient :
• selon le type d’insomnie :
– traitement spécifique de l’affection primaire dans les insomnies
psychiatriques (dépression, psychose, etc.) : antipsychotiques ou
antidépresseurs ;
– traitement médicamenteux hypnotique dans les insomnies
transitoires ou dans les insomnies d’origine somatique, dès
que le traitement étiologique est impossible ou insuffisant. Les
diverses formes d’insomnies intrinsèques relèvent de l’hygiène
de vie, mais un traitement médicamenteux peut s’avérer nécessaire. Il faut alors prévenir le risque de survenue d’une dépendance, en prescrivant un traitement discontinu. Les insomnies
sévères ou organiques peuvent, quant à elles, faire imposer un
traitement quotidien ;
• selon le terrain :
– insuffisance respiratoire : éviter les benzodiazépines et privilégier les antihistaminiques, le zolpidem, la zopiclone ou, dans le
cadre de son AMM, la mélatonine ;
– insuffisances hépatique et rénale : adapter la posologie, si
nécessaire ;
695
PARTIE VII. PATHOLOGIE NEUROLOGIQUE ET PSYCHIATRIQUE
– myasthénie : contre-indication relative à l’emploi de benzodiazépines et apparentées ;
– glaucome par fermeture de l’angle, rétention urinaire : contreindication à l’emploi d’antihistaminiques en raison de leur
composante anticholinergique ;
– personne âgée : la posologie d’un traitement hypnotique doit
être systématiquement réduite chez la personne âgée, pour
prévenir tout risque de confusion mentale, d’effets sédatifs résiduels ;
– enfant : la prise en charge des insomnies de l’enfant passe avant
tout par le respect de règles élémentaires d’hygiène (environnement serein, respect de la typologie veille-sommeil, prise
en charge psychologique de l’enfant mais souvent aussi de la
famille). Dans le cas où la prescription est jugée incontournable,
elle doit recourir à des médicaments dont l’AMM autorise l’administration à l’enfant de moins de 15 ans (Nopron, Théralène,
Nuctalon, Mogadon) ;
– la grossesse constitue une contre-indication relative (premier
trimestre, notamment) à l’utilisation des antihistaminiques
dans le traitement des troubles du sommeil ;
– chez la femme allaitante, l’administration d’hypnotiques, tous
éliminés partiellement dans le lait, peut entraîner une sédation
importante du nourrisson.
Les principes de la RMO du 14 novembre 1998 doivent être parfaitement connus de façon à prévenir tout risque de dépendance au
traitement : pas d’association de deux hypnotiques, prescription
d’hypnotiques limitée à 4 semaines (2 semaines pour le flunitrazépam).
ÉTUDE DE CAS CLINIQUES
CAS CLINIQUE N° 1
Un homme de 71 ans se plaint de troubles du sommeil d’installation récente lors d’une consultation auprès de son médecin généraliste. Sa femme, âgée de 70 ans, est atteinte par la
maladie d’Alzheimer et a dû être placée dans une maison d’accueil spécialisée. Il s’est occupé d’elle avec attention et affection depuis maintenant presque 3 ans mais ne pouvait plus
faire face à des charges devenues bien trop lourdes.
Il précise à l’interrogatoire s’endormir relativement facilement, mais souffre de réveils en pleine nuit avec impossibilité de retrouver le sommeil, sauf parfois au petit matin. Son
état de santé général n’a pas évolué récemment. Il souffre
d’une dysurie induite par un adénome prostatique et d’une
bronchite chronique occasionnée par un tabagisme important.
Questions
1. Quel type de traitement peut être prescrit dans ce cas ?
A) Aucun.
B) Un traitement hypnotique par barbituriques
C) Un traitement hypnotique par benzodiazépines ou
équivalents
D) Un traitement antidépresseur
E) Une psychothérapie
Le médecin a prescrit à ce patient un traitement
associant du bromazépam (Lexomil, ¼, ¼ et ½ comprimé) et du zolpidem (Stilnox, 1 comprimé par
jour) pour une durée de 4 semaines.
2. Quels sont les conseils donnés au patient avec cette
ordonnance ?
Ce traitement semble insuffisant. Au bout d’un mois,
le patient est toujours insomniaque. Il est extrêmeLes valeurs normales des constantes biologiques figurent en annexe.
696
ment fatigué et rumine des préoccupations liées à la
mort de sa femme qu’il juge imminente et à sa propre
santé. Il mange peu et fume beaucoup.
3. Que peut inspirer cette évolution ?
Le médecin modifie le traitement. Il prescrit de la
fluvoxamine (Floxyfral) à la posologie de 100 mg
ainsi que du témazépam (Normison) à la posologie de 20 mg chaque soir, le tout sur une nouvelle
période de 4 semaines. Au bout de 10 jours, il est
appelé par le service des urgences de l’hôpital général voisin qui lui apprend que le patient a été amené
la nuit précédente pour chute ayant entraîné une
fracture du dol fémoral, dans un contexte général
d’agressivité, d’agitation et de nervosité. Son état
général s’est largement dégradé et le malade est très
affaibli.
4. Cette chute et cette agressivité sont-elles liées au traitement de ce patient ?
5. Que peut-on proposer dans ce contexte ?
Réponses
1. Ce type de prise en charge est toujours délicat. L’abstention de traitement médicamenteux peut être mal vécue
par le patient. Elle peut pourtant constituer une première étape, sur quelques jours, si cette période est mise
à profit pour sécuriser le patient, analyser ses problèmes
et réfléchir avec lui aux solutions. Il est évident, dans
ce cas, que ce patient est devenu insomniaque car il est
inquiet pour sa femme qui est désormais éloignée de lui.
Il vient de vouer à ses soins une période prolongée de
son existence et se retrouve brutalement isolé et relativement désœuvré. Il ne peut plus « s’approprier » les
soins à sa femme. Un travail psychologique peut être mis
en place. Cette stratégie requiert du temps et n’est pas
toujours possible.
CHAPITRE 35. TRAITEMENT DE L’INSOMNIE
2. Ce traitement associe la prescription d’un anxiolytique
et d’un hypnotique. On peut se demander s’il n’est pas
redondant et ce d’autant plus que les posologies sont celles
destinées à un sujet plus jeune. Le médecin et le pharmacien doivent rappeler la nécessité de ne pas consommer
d’alcool avec ces médicaments (risque d’altération de la
vigilance, notamment en cas de conduite automobile).
L’usage associé d’autres médicaments sédatifs (antihistaminiques par exemple) peut également potentialiser l’effet sédatif des benzodiazépines. Le patient sera prévenu
des effets indésirables liés aux traitements : sensations
ébrieuses, asthénie et hypotonie musculaire.
3. Cette évolution clinique évoque une composante dépressive expliquant probablement les troubles du sommeil.
Dans ce cas, un traitement antidépresseur convenablement adapté permet généralement, à lui seul, de restaurer
un sommeil de qualité.
4. Bien sûr, l’administration des benzodiazépines comme
celles d’analogues, notamment dans le traitement de l’insomnie mais aussi dans celui de l’anxiété, détermine souvent une somnolence rémanente à l’origine d’accidents
nombreux à la maison (chute de personnes âgées à l’occasion notamment d’un réveil nocturne pour uriner, ce qui
s’est révélé être le cas pour ce patient prostatique) mais
aussi d’accidents de la circulation et d’accidents sportifs
(au ski en particulier).
Des réactions paradoxales ne sont pas rares chez l’enfant ou la personne âgée, particulièrement dans un
contexte de grande anxiété, ce qui est le cas chez ce
patient. Il faut toujours y penser lors de la prescription de benzodiazépines chez le vieillard.
La posologie prescrite ici est trop importante. Le zolpidem aurait dû être administré à moitié dose, tout
comme le témazépam. La plus grande vigilance doit
toujours accompagner la prescription de semblables
médicaments chez la personne âgée.
5. Avant toute chose, le traitement doit viser à améliorer
l’état général du patient. La composante dépressive sera
traitée sans pour autant administrer trop de psychotropes
afin qu’il puisse se réapproprier les bouleversements
récemment survenus dans sa vie. Toute administration
de benzodiazépines ou apparentés sera supprimée, du
moins dans un premier temps, et l’on évitera bien sûr de
prescrire des neuroleptiques. Cette agitation passagère
s’abolit spontanément dès que l’imprégnation par les benzodiazépines cesse. On veillera à l’hydratation du patient,
à son alimentation et une aide à domicile devra être prévue pour sa sortie de l’hôpital.
CAS CLINIQUE N° 2
Madame T., 62 ans, vient consulter son médecin. Elle utilise depuis maintenant une dizaine d’années un médicament
« pour dormir » qu’elle apprécie beaucoup : la mépronizine.
La prescription a été régulièrement renouvelée à la demande
de cette patiente, par ailleurs visiblement hypocondriaque et
particulièrement angoissée depuis le décès de son mari il y
a 4 ans. Elle a depuis finit par prendre entre 1,5 puis 2 cp
chaque soir, peu avant son coucher. Nouvelle source d’anxiété : le pharmacien vient de lui apprendre que ce médicament a été retiré du commerce. Madame T. demande donc au
médecin si, vraiment, il n’est plus possible d’obtenir ce traitement. Ce dernier lui confirme l’information, soulignant qu’il
s’agit d’une décision valable partout en France et satisfaisant à
un légitime besoin de limiter l’usage d’un médicament dont le
bénéfice thérapeutique objectif est réduit au regard des effets
secondaires induits.
Questions
1. Que propose le médecin ?
Le médecin a prescrit un traitement par Imovane (1 cp
au coucher). Deux semaines plus tard, la patiente
prend rendez-vous. Elle dit ne pas supporter ce traitement. D’une part, elle ressent une saveur « métallique » très désagréable dans la bouche notamment
au réveil, le matin, mais, surtout, elle ne parvient pas
à dormir. Madame T. souhaite augmenter la dose de
l’hypnotique, pour retrouver le sommeil « de qualité » qu’elle connaissait auparavant. Elle se dit plus
stressée qu’à l’ordinaire et ressent des maux de tête
dans la journée.
2. À quoi est dû cette saveur « métallique » ?
3. Quelle est l’attitude du médecin ?
Réponses
1. Le médecin évalue, conformément aux recommandations
de la HAS, la difficulté de la patiente à arrêter ce traitement dont elle est devenue dépendante et auquel elle
est devenue accoutumée, d’où une escalade posologique
la conduisant à prendre quotidiennement une forte dose
de l’hypnotique. La nature du médicament (association
d’acépromatézine, un anti-histaminique H1 de première
génération, puissant et sédatif, et d’un carbamate, le
méprobamate), la posologie utilisée (au-delà de l’AMM
fixant à 1cp/j la dose de Mépronizine), l’ancienneté de la
consommation, le profil psychologique (anxiété, hypocondrie) de Madame laissent présager de réelles difficultés à faire le deuil de son hypnotique… Il opte pour la
prescription d’un hypnotique classique, la zopiclone, en
évoquant déjà avec Madame T. la nécessaire réduction
des doses ultérieures en vue d’un sevrage progressif. Il
n’opte pas pour la mélatonine (Circadin) car la patiente
est visiblement trop anxieuse, et ce traitement serait
d’une efficacité trop modeste.
2. La saveur « métallique » dans la bouche est un effet indésirable bénin assez banalement rapporté lors de l’usage de
zopiclone, comme d’autres médicaments. L’origine exacte
de cette dysgueusie est mal déterminée, mais probable-
697
PARTIE VII. PATHOLOGIE NEUROLOGIQUE ET PSYCHIATRIQUE
ment à relier à la légère action anticholinergique de la
molécule : la sécheresse buccale, variable entre individus,
crée un environnement défavorable au bon fonctionnement des cellules des papilles gustatives de la muqueuse
buccale. Cette saveur peut se révéler désagréable pour
l’usager du médicament : pour autant, elle ne remet en
cause ni l’efficacité du traitement ni sa tolérance générale.
3. Le médecin récuse toute augmentation de la posologie et
en explique les raisons. Les signes décrits par la patiente
ne sont autres que des signes de sevrage. La Mépronizine,
en effet, contenait 400 mg de méprobamate, un anxiolytique puissant : en fait, c’est exactement la quantité
d’un comprimé d’Équanil, un tranquillisant dont l’AMM a
été suspendue en 2011 en raison de sa toxicité. Le comprimé de zopiclone exerce une action moins puissante,
d’où les signes de sevrage dont se plaint Madame T. le
médecin explique à nouveau l’enjeu de cette substitution.
Il propose à la patiente de poursuivre ce traitement pendant 2 semaines, puis de mettre en œuvre une réduction
progressive des doses, par paliers, en faisant alterner des
comprimés entiers et des demi-comprimés, puis en n’utilisant que des demi-comprimés, eux-mêmes pris un soir
sur deux, etc. Madame T. sera directement impliquée
dans la gestion de ce sevrage en tenant un calendrier de
décroissance posologique, associé à un agenda du sommeil. Il est, comme dans tant d’autres domaines de la
médecine, indispensable de réaliser ici une alliance thérapeutique avec la patiente. Le médecin proposera aussi à
698
Madame T., qui y sera plus attentive qu’il n’imaginait, un
accompagnement adapté, destiné à travailler son anxiété,
qui, visiblement, est à l’origine de sa surconsommation
en hypnotique.
RÉFÉRENCES BIBLIOGRAPHIQUES
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