Les ressorts de la radicalisation et de son traitement – Fethi Benslama – Observatoire de la fraternité 93 – 05/10/16 Transcription de la soirée débat « Fraternité, Parlons en ! » Les ressorts de la radicalisation et de son traitement, animée par Fethi Benslama Le 5 octobre 2016 Les textes ci-après sont la retranscription des interventions orales durant la soirée débat 1/18 Les ressorts de la radicalisation et de son traitement – Fethi Benslama – Observatoire de la fraternité 93 – 05/10/16 ALLOCUTIONS D'OUVERTURE ALINE ARCHIMBAUD, SÉNATRICE DE SEINE-SAINT-DENIS Bonsoir à tous, je vous souhaite la bienvenue au nom de l'ensemble de l'équipe de l'observatoire de la fraternité. Bienvenue à Fethi Benslama, merci pour sa présence et merci à lui de bien vouloir nous consacrer son temps et sa réflexion sur les ressorts de la radicalisation et sa prévention. Merci aux CEMEA et à leur président Alain Sartori qui nous accueillent dans de superbes conditions. Je rappelle que les CEMEA sont mobilisés aux côtés des signataires de l'appel de l'observatoire. Enfin, merci aux membres de l'observatoire et aux amis de l'observatoire d'être présents. Surtout, merci aux jeunes présents dans la salle et qui sont assez nombreux ce soir, je crois que c'est quelque chose de très important. Dans des débats comme ce soir, ce qui nous intéresse c'est de comprendre, expliquer, analyser. La série d'événements tragiques qui nous a bouleversés, on ne peut pas en rendre compte avec le langage ancien, avec des réponses simplistes prises dans l'urgence. Les réponses doivent être partagées avec les experts d'une part, mais surtout avec ceux qui vivent quotidiennement ces situations, et qui ont en une connaissance aiguë. Ce qu'on a constaté avec l'observatoire c'est cette précipitation dans des débats fabriqués pour diviser, ces généralisations hâtives, ces leçons données à l'emporte pièce, ces amalgames. Sur le plan législatif, les empilements de textes sont eux aussi hâtifs et pas en phase avec la réalité. Ces défaillances, on essaye d'y remédier modestement. Comprendre pour agir, c'est notre responsabilité ici, dans cette salle et ailleurs. Nous sommes complémentaires pour construire un monde de la fraternité dans la vie quotidienne. Il faut qu'on protège toutes les populations, y compris les plus stigmatisées, il faut qu'on construise des terrains défavorables aux violences, aux extrémismes. La complexité de la situation ne doit pas paralyser notre action mais nous emmener sur la voie de solutions multidimensionnelles. Dans ces débats, il nous faut garder une atmosphère sereine, d'écoute et de respect. Abandonner nos 2/18 Les ressorts de la radicalisation et de son traitement – Fethi Benslama – Observatoire de la fraternité 93 – 05/10/16 jugements hâtifs et essayer de partir du concret pour essayer de comprendre. ALAIN SARTORI, PRÉSIDENT DES CEMEA ÎLE DE FRANCE Bonsoir à tous. D'abord nous sommes très heureux au nom des CEMEA Île de France et des CEMEA nationaux, dont les représentants sont dans la salle ce soir, d'accueillir cette initiative de l'Observatoire de la fraternité. La Fraternité est un beau mot, un pilier de la République. On parlait d'égalité, de liberté, mais dans ce monde, ce qui tend à la fragmentation et à la division des personnes entre elles c'est l'absence de fraternité. C'était urgent d'en parler et de redonner tout son sens à ce mot. Vous êtes ici dans un espace de formation, dans une salle où de nombreux étudiants et stagiaires du centre de formation de l'ARIF des CEMEA sont présents parmi nous ce soir et j'en suis très heureux. Il faut que la jeunesse participe à ces espaces, merci à vous d'être venus. L'enjeu pour nous, c'est d'être un lieu de confrontation et d'appréhension du vivre ensemble : pas seulement sur la question de la convivialité, mais surtout dans l'apprentissage du conflit. C'est un espace de rencontre, d'expression de points de vus différents. Si on ne crée pas ces espaces, on crée les conditions de la violence. Quand il n'y a pas de conflit, il y a de la violence. Une des ambitions de l'observatoire de la fraternité, c'est de créer ces conditions et ce soir sur un thème pas simple. Merci à Fethi Benslama d'avoir répondu à l'invitation de l'Observatoire. Merci à vous tous d'être venus dans cette salle ce soir. A vous regarder, je vois là un bel exemple de cette France et de la République. 3/18 Les ressorts de la radicalisation et de son traitement – Fethi Benslama – Observatoire de la fraternité 93 – 05/10/16 Les ressorts de la radicalisation et de son traitement FETHI BENSLAMA Bonsoir, je suis très heureux de venir parler sous ce titre d'Observatoire et de Fraternité qui réunissent à la fois la volonté de comprendre mais aussi de savoir ce qui nous reste du mot de fraternité une fois devant les difficultés. J'ai répondu très vite positivement à l'invitation car je trouve que c'est ce type d'initiatives qui aujourd'hui doit contribuer à ce dont je parlerai, le traitement de la radicalisation. Il y a plusieurs traitements mais il y en a un absolument nécessaire qui est dans cette alliance entre la société civile et les politiques, sans laquelle on ne peut pas arrêter ce qui nous arrive aujourd'hui. Je vais vous parler de ce que j'ai compris, en tant que chercheur qui travaille sur l'Islam sous l'angle particulier de l'évolution de la subjectivité, c'est à dire l'individualité des musulmans dans leur intimité. On parle d'eux en groupe, en tant que masse, mais pas de ce qui se passe dans leur intimité, de ce qui les conduit à être si différents. Je suis aussi un praticien et d'ailleurs je suis de chez vous. J'ai travaillé en Seine Saint Denis, dans la cité des 4000 par exemple, et cela pendant 15 ans. Le public d'ici je le connais, j'ai vu les jeunes, leurs enfants, leurs parents. Cette question de la radicalisation, n'est pas aussi simple qu'on le dit. C'est quelque chose de très complexe parce que la notion de radicalisation c'est celle des personnes qui adoptent des modes d'être, des conduites extrêmes qui peuvent menacer la société, mais pas nécessairement. Tous les radicalisés ne sont pas violents. Aujourd'hui, la radicalisation prend un caractère épidémique, c'est bien là la difficulté. Jusqu'à l'été on comptait en France 12 000 signalés radicalisés (ce sont les chiffres du ministère de l'Intérieur). Aujourd'hui, c'est beaucoup plus. Je vais y revenir. La radicalisation, est devenue aujourd'hui un phénomène quasiment planétaire. Notion née en 2001 après les attentats aux États-Unis, les Américains l'ont imposée à travers les recherches qu'ils mènent sur la radicalisation. Avant on parlait d'extrémisme, d'intégrisme, de fanatisme... tous ces mots ont disparu, la radicalisation s'est installée pour désigner toutes formes de conduite extrême. Les chercheurs en sociologie se sont mis à étudier comment ça se passe, le phénomène de 4/18 Les ressorts de la radicalisation et de son traitement – Fethi Benslama – Observatoire de la fraternité 93 – 05/10/16 radicalisation, quels trajets il emprunte... A partir de là, ce mot est devenu commun à tous les pays et traduit dans toutes les langues. On peut le récuser, mais dans la réalité il s'impose aux politiques, aux chercheurs, aux services de sécurité. Qu'est ce qu'on y met ? Quelles sont ces 12000 personnes signalées ? On n'en sait pas beaucoup de choses. Depuis la constitution de ce fichier des « radicalisés », les chercheurs demandent d'y avoir accès afin de savoir qui ils sont, d'où ils viennent... Le ministre de l'Intérieur a promis l'ouverture de ce fichier, pour le moment nous n'y avons toujours pas accès. Pour pouvoir penser la lutte la lutte contre la radicalisation, il faut savoir ce que c'est. Aujourd'hui chacun a un petit bout de connaissance, mais personne n'en n'a de vision globale. Quels sont ces gens ? Comment les a t on repérés ? Les populations sont différentes, il n'existe pas de profil de radicalisé, il n'existe pas de profil psychologique. Bref, on ne peut pas lutter à l'aveugle. Nous sommes en panne dans la compréhension et la recherche parce qu'on n'ouvre pas ce big data gardé par le ministère de l'Intérieur. On ne peut pas mener une politique véritable de prévention et de lutte contre la radicalisation violente, et je souligne violente, si nous ne connaissons pas le fait même. Aujourd’hui, on ne connaît que l'expérience empirique. Et aujourd'hui, il n'y a pas de politique autre que la politique sécuritaire. Je ne suis d'ailleurs pas compétent pour en parler, c'est le travail de la police et heureusement qu'elle existe. En revanche, la politique de la prévention ne relève pas que des compétences de la police. S'il existe aujourd'hui une politique sociale, une politique de la ville, la politique de traitement de ce qui apparaît comme la « radicalisation » n'existe pas. Certes, de nombreux spécialistes apparaissent, j'appelle ça l'über-radicalogie. Ce sont des personnes qui n'ont jamais rencontré un jeune ! L’État leur jette une manne financière, à l'aveugle, parce qu'il « faut bien faire quelque chose ». En avril 2014, l’État a commencé à pointer le problème alors même que cela faisait des années que les praticiens tiraient la sonnette d'alarme. À ce moment, le ministère de l'Intérieur a chargé la commission interministérielle pour la lutte contre la délinquance qui est devenue « commission interministérielle pour la lutte contre la délinquance et de la radicalisation », de faire quelque chose. Je ne mésestime pas les difficultés face à ce phénomène nouveau, mais les retards à agir sont 5/18 Les ressorts de la radicalisation et de son traitement – Fethi Benslama – Observatoire de la fraternité 93 – 05/10/16 extraordinaires ! Par exemple, on a travaillé sur la configuration d'un premier centre après les attentats de 2015. Il vient juste d'ouvrir il y a quelques jours. Pourquoi tant de temps ? C'est vous dire qu'il y a une lenteur incroyable pour traiter ce problème et ce, malgré les énergies, les chercheurs... Ce qu'il faut qu'on comprenne aussi, c'est que la France a pourtant les moyens de traiter ce problème. Quelques éléments statistiques Aujourd'hui, le ministère de l'Intérieur compte plus de 12 000 cas de « radicalisés ». Le signalement est dans la réalité souvent celui des parents inquiets, de l'entourage proche, de l'école, parfois ces signalements sont abusifs... Mais la plupart du temps, ce sont les parents. Ce sont des policiers expérimentés, à la retraite qui filtrent ces signalements. Ils engrangent une quantité de données impressionnante. 25% des personnes signalées sont mineures. Les deux tiers ont entre 15 et 25 ans. Le reste, ce sont des trentenaires qui relevaient, il y a peu, de la tranche des 15-25 ans. Si cette tranche est très importante c'est parce que c'est la tranche de l'adolescence, de l'âge juvénile. Aujourd'hui, l'adolescence commence de plus en plus tôt, et finit de plus en plus tard. On constate un phénomène mondial de l'extension de la transition juvénile (pour beaucoup de raisons). En conclusion, les 2/3 des personnes signalées sont en transition juvénile. Très bizarrement, cette donnée n'a jamais été commentée. 35% des personnes signalées sont des femmes. Ce chiffre aujourd'hui augmente, on tend à un équilibrage entre les deux sexes. 40% des signalés sont convertis. La notion de « converti » est délicate. Lorsqu'on parle de converti la personne peut être d'une famille musulmane sécularisée, mais si le jeune donne des manifestations de pratique religieuse, on considère qu'il est converti. Il faut donc pondérer ce chiffre. Les policiers disent qu'il y a 25% de radicalisés hors famille musulmane. Ce phénomène va donc au delà d'enfants de tradition de famille musulmane. Jusqu'à là, les sociologues raisonnaient en mettant en rapport les classes défavorisées et radicalisées. 6/18 Les ressorts de la radicalisation et de son traitement – Fethi Benslama – Observatoire de la fraternité 93 – 05/10/16 Aujourd'hui 30% des radicalisés appartiennent à la classe sociale défavorisée. 60% appartiennent à la classe moyenne et 10% à la classe supérieure. Ce phénomène n'est plus non plus corrélé avec la banlieue. Les corrélations sociologiques ne tiennent plus la route. Le phénomène excède donc la dimension seulement sociale. Elle existe encore, mais plus de manière déterminante. C'est un paramètre mais pas un facteur. La différence ? Un facteur intervient absolument nécessairement. L'Islam est un paramètre mais pas un facteur. Il y a plein d'autres paramètres, ce qui explique la difficulté de la notion. La radicalisation ne débouche pas nécessairement sur le djihadisme et sur la violence. C'est une voie, mais aujourd'hui les personnes se radicalisent de plus en plus tôt et de plus en plus rapidement. Il s'est donc passé quelque chose dans la stratégie mais avant de parler stratégie je voudrais vous parler de la dimension géopolitique de la radicalisation. La dimension géopolitique de la radicalisation A partir de 91, première guerre du Golf : nous avons de 1991 jusqu'à 2016, un quart de siècle de guerre dans les pays du Moyen Orient et du Maghreb. Soit parce qu'il s'agit d'expéditions miliaires des grandes puissances, soit parce qu'il s'agit de guerre civiles, de guerres régionales, de massacres, de génocides... Les populations réfugiées se comptent en millions, l'Algérie c'est plus de 100 000 morts. On a donc sur 25 ans un paysage de guerre continue. Comment après ces années, n'arriveraiton pas à des générations de gens qui veulent faire la guerre ? Nous mêmes, les Français, étions en guerre bien avant que la Président de la République ne le dise. Nous avons des bases militaires en Afrique, au Moyen Orient, nous vendons des armes... Résultat, tous les pays qui ont une histoire coloniale ont connu le terrorisme. La Belgique, l'Angleterre, l'Espagne. Ce sont dans les pays complètement engagés dans des processus de guerre et qui ont des intérêts, qu'on peut par ailleurs comprendre, mais qui sont des pays en guerre depuis des années, sauf quand Chirac a dit non à la deuxième guerre du Golf, et là, il s'est passé quelque chose. Cette dimension géopolitique il ne faut pas l'oublier. La guerre a pour effet de faciliter l'expression des pulsions les plus sauvages et même quand les gens ne sont pas dans la guerre, mais à coté. Certaines personnes se soulagent au pouvoir. Nous savons aussi que la guerre pousse au sacrifice, 7/18 Les ressorts de la radicalisation et de son traitement – Fethi Benslama – Observatoire de la fraternité 93 – 05/10/16 alimente la cruauté, la haine y compris par le spectacle qu'elle donne. Aujourd’hui ce spectacle est augmenté par nos écrans. Et tout ça, on le voit. La guerre amène certaines personnes, pour toutes sortes de raisons, à vouloir en être. Parmi ces jeunes qui vont sur le terrain, certains sont là pour faire cette guerre, pour être des héros, sauver des gens, pour l'aventure. D'autres, ne savent pas pourquoi ils y vont. Il y a des jeunes qui partent par ce qu'ils veulent grandir. Cela nous permet d'arriver à la question centrale : pourquoi la majorité des personnes dites radicalisées, ont entre 15 et 25 ans ? Tout ce que je vais dire ne veut pas dire qu'ils ne sont pas responsables. Ils sont responsables tant du point de vue pénal que psychologique. Ce ne sont pas des fous. Quelques uns le sont, mais la folie est, je le rappelle, quelque chose de très précis. Pour le comprendre il faut les rencontrer, les écouter. La transition juvénile D'abord, la transition juvénile se caractérise par deux difficultés. La question de l'idéal : j'étais un enfant, des idéaux m'ont été transmis, même si j'étais malheureux. A l''adolescence, qui est un processus physique et psychique, les idéaux ne sont plus opérants. L'adolescent doit substituer à ces idéaux de nouveaux idéaux qui sont sociaux. Mais cette phase de transition est un moment extrêmement difficile. L'adolescent est « à plat », déprimé, a le sentiment de ne plus rien valoir, il est gagné par la mésestime de lui même, et n'arrive pas à embrayer sur la montée. Quand un jeune a rencontré des problèmes, il ne trouve pas le chemin de cette montée. C'est à cet instant qu'il peut « dévier », de la conduite pathologique, à la conduite délinquante. Et puis un jour, ce jeune, au plus bas, fait une rencontre. Il trouve une offre qui répond à sa quête d'idéal. On l'appelle l'offre de radicalisation. Il est preneur car elle le sort, elle lui donne, elle le remonte. Il devient quelqu'un, il est reconnu, missionné, c'est un héros. Il sort par le haut. Ça veut dire que ça apparaît comme un auto traitement, une guérison pour un jeune en mal de ce passage. Dans la pratique, c'est un phénomène qu'on rencontre très souvent chez ces jeunes radicalisés. Ils disent tous la même chose ! Le discours est tellement stéréotypé, qu'il permet d'évacuer les difficultés. Or, quand vous parlez comme tout le monde vous perdez votre singularité. Chacun d'entre nous est quelqu'un qui ne ressemble à personne d'autre. S'il abandonne ce particulier, il ne 8/18 Les ressorts de la radicalisation et de son traitement – Fethi Benslama – Observatoire de la fraternité 93 – 05/10/16 lui arrive plus rien, il peut être capable de tout et il se passe tout. Cette quête de l'idéal et de l'offre inhérente à la radicalisation afin de fournir des idéaux à ces jeunes en difficulté est très forte et consistante. Elle permet à chacun de se tirer de l'impasse dans laquelle il est. En revanche, la radicalisation et le passage à l'acte violent ne sont pas automatiquement connectés. Il n'existe pas de prévisibilité chez ces jeunes radicalisés. Quand bien même certaines personnes apparaissent dangereuses, on ne sait pas prévoir un potentiel passage à l'acte. Pour résumer, la radicalisation est une offre d'idéal adressée à des gens en panne de transition juvénile et leur donne les moyens d'en sortir. C'est une auto guérison. Dans la pratique, si l'on dit à quelqu'un « venez on va vous dé-radicaliser », non seulement le terme est absurde, mais en plus personne n'acceptera de lâcher une solution qu'il a trouvée. Le terme de « radicalisation » est intéressant sur un point. Dans radicalisation il y a racine. Et effectivement, ce que j'ai vu dans la pratique, ce sont des jeunes qui cherchent un enracinement. La question est : pourquoi trouvent-ils là dedans des racines et pas ailleurs ? On ne peut pas savoir de façon générale, seul le cas par cas peut apporter des réponses. La transition juvénile est marquée par un brouillage incroyable des frontières. D'abord, entre le moi et l'autre, qui est moi qui est l'autre, je suis moi même un autre mais l'autre c'est quoi. Ensuite, entre la vie et la mort, le masculin et le féminin etc. Si cette série de frontières nous apparaît à nous aujourd'hui claire, ce moment de transition se marque par un brouillage qui nécessite une recherche pour rétablir ces frontières. Certains n'y arrivent pas, pour toutes sortes de raisons, mais il s'agit bien là de l'identité fondamentale et non culturelle. Cette identité, de la personne humaine n'est pas donnée, elle se construit. L'offre de radicalisation évoquée plus tôt, permet de régler cette question des frontières et de manière très précise. La dimension historique de l'Islam des radicalisés 9/18 Les ressorts de la radicalisation et de son traitement – Fethi Benslama – Observatoire de la fraternité 93 – 05/10/16 Dans l'histoire de la guerre et du jihadimse, un élément est essentiel. Les mouvements terroristes, de jihadisme sont impliqués dans ces guerres et sont même nés de ces guerre. La première école est celle de l'Afghanistan, durant laquelle on a armé les fondamentalistes. D'ailleurs, sur le fondamentalisme, il faut garder à l'esprit que toutes les religions connaissent le fondamentalisme, y compris les bouddhistes ou les hindouistes. L'Islam a son fondamentalisme, la seule différence étant qu'il a été armé par le jeu géopolitique des puissances. En Afghanistan, les fondamentalistes sont devenus pour les puissances occidentales une arme extraordinaire pour se défendre contre les soviétiques. Puis ces fondamentalistes sont allés ailleurs se battre avec les moyens qu'ils avaient appris. Puis il y a eu la guerre en Bosnie, avec ses massacres de populations etc. A partir années 2004 / 2005, les mouvements djihadistes comprennent que le modèle AlQuaida est limité, qu'il faut passer à un autre système qui ne serait plus vertical, pyramidal avec un centre de commandement qui forme. La limite à cette organisation était que les services de renseignements savaient à quoi ils avaient à faire. A partir de là, sont apparues, 1800 pages sur internet : « le Djihad pour tous ». Internet permet de passer d'une organisation de type vertical à une organisation horizontale. Elle permet de toucher le plus grand nombre, de toucher tous ces jeunes en panne d'idéaux. Ces jeunes sont pris dans les filets de la nouvelle offre. Cette offre change complètement la nature de la radicalisation. Avant, les fondamentalistes étaient formés, structurés, recevaient une formation théologique, même mineure. Désormais, ces personnes veulent aller combattre en Syrie avec « l'islam pour les nuls » ! Cette nouvelle génération n'est plus formée. Elle est constituée en grande partie de personnes perdues, ce qui ne veut pas dire qu'elles ne sont pas responsables, qu'elles sont dénuées de sensibilité. Mais parmi ces gens, certains vont très mal, voire très très mal. Cet engagement leur donne l'impression d'échapper à leur mal être. Cette nouvelle organisation permet de recruter « tout le monde », n'importe qui. La médiatisation, la visibilité est un point essentiel (même si les journalistes ne veulent pas l'entendre !). Le médiatique est la continuation de la terreur par d'autres moyens. Quand Mohammed Merah envoie en direct grâce à sa caméra go pro les images de ses actes à Al Jazeera, il s'agit bien de la continuation de la terreur. Quand un jeune n'était rien et veut devenir quelqu'un, il a besoin d'une reconnaissance mondiale, internationale, il veut être montré. Le terroriste de Nice par exemple, avait sa carte d'identité sur lui parce qu'il voulait être en phase avec les médias. Le grand chef qui a remplacé Ben Laden dit que la moitié du djihad est médiatique, ce qui continue à alimenter cette image et permet de rencontrer de nouveaux jeunes fascinés par les 10/18 Les ressorts de la radicalisation et de son traitement – Fethi Benslama – Observatoire de la fraternité 93 – 05/10/16 actes, par la violence. Qui, dans nos sociétés est susceptible de tomber le plus dans cette fascination ? Les plus fragiles qui peuvent devenir les plus dangereux. Dans cet ensemble d'éléments, on trouve le spectre de la difficulté humaine, allant du « petit gars paumé » à des cas pathologiques. C'est pour cela qu'il n'y a pas de profil de jeune radicalisé. La radicalisation : une enveloppe à beaucoup de symptômes Mon hypothèse de travail c'est que la radicalisation est une enveloppe à beaucoup de symptômes, une sorte d'habillage. On appelle cela l'enveloppe des symptômes. On y trouve par exemple des paranoïaques, des mélancoliques ou autres, qui trouvent une enveloppe pour se sacrifier, au lieu de faire une tentative de suicide. Le Monde a publié il y a quelques mois une conversation de la mère d'un des jeunes terroristes du Bataclan. La mère déclare que son fils va se suicider et qu'il est bipolaire. Cette enveloppe peut potentiellement envelopper n'importe quoi. Certaines données enveloppées sont plus dangereuses que d'autres, comme par exemple une haine effroyable. On ne peut pas confondre une personne qui fait la guerre avec une personne qui commet un attentat terroriste. Ce sont deux choses complètement différentes. D'ailleurs, le gouvernement va devoir s'emparer un jour ou l'autre de cette question du traitement des guerriers. Le jeune pris dans un tourbillon pour régler ses problèmes et trouver une issue, s'il n'est pris très tôt en charge, c'est très difficile de le retrouver. C'est pour ces raisons que la dé-radicalisation est une supercherie monstrueuse. Il faut bannir ce mot de notre vocabulaire. L'offre de radicalisation : sur quoi porte-elle pour convaincre autant ? La clef de voûte c'est ce qu'on appellerait la justice identitaire, c'est à dire le moment où ce jeune se sent préjudicié. Il lui est raconté que l'histoire des musulmans est une histoire d'injustice qui demande une vengeance. On confond sa propre injustice à celle de la communauté humaine à laquelle il appartient. On lui demande de venir un vengeur, celui du Dieu de l'Islam. Cette histoire de l'Islam repose sur la théorie de son humiliation depuis la chute de l'empire Ottoman. À cette époque, l'Islam est un empire, pas seulement une religion. La naissance de la Turquie, premier état laïque, marque l'effondrement de l'empire. Les provinces deviennent des États artificiels, le Liban, 11/18 Les ressorts de la radicalisation et de son traitement – Fethi Benslama – Observatoire de la fraternité 93 – 05/10/16 la Jordanie, la Syrie, l'Irak … Cet effondrement de 1924 est un traumatisme, qui voit naître dès 1928 le mouvement des frères musulmans, qui eux veulent rétablir l'empire et s'opposent aux Étatsnations. Leur théorie repose sur l'humiliation, ressemble à l'Allemagne après le traité de Versailles. S'ils s'opposent frontalement à l'Occident, ils font aussi reposer la faute sur les musulmans euxmêmes, ces musulmans devenus partisans des lumières occidentales. Pour ces derniers, il faut adopter une partie de la théorie des lumières afin de réveiller les lumières de l'islam. On a donc une lutte contre les nationalistes, partisans de l’État-nation et les « anti-lumières » pour le rétablissement de l'empire Ottoman, les islamistes. Cette théorie de l'islamisme ne tiendrait pas la route si elle n'était pas appuyée sérieusement sur des bases historiques. On demande aujourd'hui la relève de cet idéal, et aux gens de s'y identifier. La dignification et l'accès à la toute puissance « on va vous donner la dignité que vous n'avez pas. Avec cette dignité vous allez devenir un héros, un homme missionné ». Imaginez les effets que ça peut produire sur quelqu'un qui se sentait trois fois rien ! Repentir et purification La revendication des attentats du 13 novembre, c'est la purification. Ces gens sont coupables d'être délinquants, mais cette purification leur permet de pouvoir sortir de la délinquance tout en continuant leurs actes mais désormais, au nom d'une loi supérieure. Les conduites antisociales peuvent trouver refuge dans un cadre, celui que Dieu autorise. L'offre créatrice de demande Un élément très important décisif dans les passages à l'acte violent, c'est une offre : L'offre, c'est ce qui crée la demande. Le jeune en transition juvénile n'a pas de demande. L'offre de radicalisation est suffisamment puissante pour créer de la demande ! 12/18 Les ressorts de la radicalisation et de son traitement – Fethi Benslama – Observatoire de la fraternité 93 – 05/10/16 L'effacement des limites entre la vie et la mort. Cet élément touche les fantasmes inconscients de beaucoup d'adolescents. Les adolescents font beaucoup de tentatives de suicide (TS). On en compte 250 000 enregistrées par l'intervention des services médicaux dans toute la France, dont 1 000 qui causent la mort. C'est une réalité beaucoup plus grave que les accidentés de la route. Les TS ne sont pas nécessairement réalisées pour mourir. Il peut s'agir d'appels au secours ou d'une volonté de vouloir revivre. Ces frontières entre la vie et la mort tremblent à un certain moment de la vie. Ce tremblement peut justement laisser place à une offre théorisée et construite visant à dire que la mort n'est rien. Qu'après cette mort, on trouve une vie meilleure, supérieure. Elle devient ce qui enfante une vie plus sublime. Voire même que la mort est déjà là ! Dans le livre de David Thomson, Les Français jihadistes, un jeune dit à sa mère : « Dieu a déjà décidé de ma mort avant ma naissance ». Pour un psychologue, ça veut dire que la scène originaire du sujet est une scène de destruction. Évidemment, Allah ne décrète pas la mort avant la vie, ça n'existe dans aucun texte de l'Islam, mais ça touche ces fantasmes, ces tremblements dans la frontière entre la vie et la mort. Ces jeunes sont souvent récupérés au moment de ces tremblements, moment où on leur propose ce sacrifice, il s'agit de convertir le désir de mourir en sacrifice. Il ne s'agit donc pas d'un lavage de cerveau, ni d'une secte. Il s'agir de toucher la faille, dans un mouvement planétaire. Jugement dernier et fin du monde Certains jeunes disent qu'ils vont participer à la fin du monde, qu'il s'agit de la prophétie. Dans cette problématique du jeune, le plus grand affolement c'est la question du sens de la vie. Le jugement dernier arrête tout, le sens est clos. Clore le sens, ça la religion sait le faire, quelle qu'elle soit. Elle fabrique du sens avec n'importe quoi. Plus le monde s'affole, plus les repères construits tremblent, plus la religion prend de la place et c'est pour cela qu'elle peut avoir un avenir. Conclusion Je vous ai dressé un tableau de ce que veut dire radicalisation. Vous voyez que ça ne veut plus rien 13/18 Les ressorts de la radicalisation et de son traitement – Fethi Benslama – Observatoire de la fraternité 93 – 05/10/16 dire. C'est une notion descriptive, comportementale mais elle ne dit ni quoi, ni comment, ni pourquoi. C'est une enveloppe dans laquelle il y a beaucoup de choses : du social, du géopolitique, du malheur individuel. Si on ne traite pas les radicalisés violents comme responsables on ne peut rien faire. Pour aider ces jeunes, il faut trouver les ressources dans le droit commun. La France a un réseau incroyable, mais il faut former nos travailleurs sociaux, nos psychologues, nos éducateurs... Par exemple, lorsqu'on a collé l'étiquette de « dé-radicalisation » au premier centre créé en Indre et Loire, les jeunes sont partis ! C'est donc à la société civile, aux associatifs de remettre du lien. C'est par ce chemin qu'on peut les aider à sortir de la possibilité d'aller vers la violence. 14/18 Les ressorts de la radicalisation et de son traitement – Fethi Benslama – Observatoire de la fraternité 93 – 05/10/16 Débat avec la salle Public : sous l'angle de la question identitaire, vous avez parlé de la forme d'errance dans laquelle ces jeunes se trouvent, est-ce qu'il n'y a pas peut être un dysfonctionnement dans l'accompagnement à travers l'éducation ou l'école ? Public : j'ai lu dans un article d'un de vos confrère qu'on avait positionné ces personnes comme des héros. Et que cela cristallisait, donnait envie à d'autres personnes d'entrer dans la violence, que cette médiatisation permettait l'escalade de la violence chez ces jeunes. Public : Concernant les personnalités des jeunes, dans les portraits dressés, la plupart avaient un manque du père, souvent parti avant la naissance ou peu après. Pouvez vous en parler ? FB : Pour répondre à la première question. S'il y a des controverses sur le nombre de musulmans en France, le chiffre le plus bas est celui de 3 millions. 12 000 radicalisés sur 3 millions ce n'est même pas 1%. Pourquoi n'y a t il qu'eux ? Sont-ce les seuls en errance ? La question est donc plus complexe, la radicalisation est faite de choix individuels, de personnel, d'une rencontre, de hasard. La vie est faite de beaucoup de contingences. Sur la dernière question, il n'y a pas d'unique problématique. Il peut y avoir le cas du père, mais pas forcément. Je vous invite à faire du cas par cas et de ne surtout pas entrer dans le discours homogénéisant. Enfin, la médiatisation héroïque contribue à créer une attirance pour ce désir héroïque de devenir quelqu'un. C'est pour ça qu'il faut anonymiser les terroristes. Public : Je suis pas travailleuse sociale mais j'ai l'impression que la clef du traitement individuel est bonne, mais triste : quel autre idéal collectif ? FB : Nous vivons un moment de crise de la civilisation dont il faut prendre conscience, et qui est très difficile à traiter. Ce n'est pas la pauvreté qui rend les gens cruels, qui en font des tueurs. L'histoire le prouve. Ce qui nous arrive c'est le résultat d'une culture de l'individualisme qui aboutit aujourd'hui à la question essentielle. Je constate que les jeunes que j'ai aujourd'hui en cours ne sont pas les étudiants d'il y a 25ans. Ils ne comprennent pas les institutions, se fichent complètement du 15/18 Les ressorts de la radicalisation et de son traitement – Fethi Benslama – Observatoire de la fraternité 93 – 05/10/16 lien social etc. C'est ça le problème. La crise contemporaine de ce monde c'est celle de l'individualisme encouragé par le capitalisme sauvage. Il s'agit de traiter les gens par leur individualité pour les amener à détruire le monde. On a beaucoup d'idéaux en France (culture, art de vivre, cuisine etc), si on amène les jeunes à voir ce qu'on a c'est extraordinaire. En plus de ce problème civilisationnel, on a un problème de personnalité politique. Quand je vais dans les ministères ou voir les parlementaires, j'ai en face de moi des gens qui ne comprennent pas le monde dans lequel ils sont. Ils pensent avoir les réponses avant que les problèmes ne se posent. A l'inverse, les conseillers qui ne sont pas sortis des moules type ENA, sont bons. La France a donc les ressources. Public : Mon fils a reçu un sms l'invitant à aller combattre. Nous nous sommes demandés comment il avait pu recevoir ce message, nous sommes donc allés au commissariat, ce qui a semblé le soulager. FB : Le parent ne doit pas fermer les yeux, il doit se référer à l'autorité, la police, l'Etat. Le jeune ça le rassure, il peut être entendu. Il faut restituer la place des institutions. Ils ne sont pas que nos enfants mais aussi ceux des institutions. Ceux qui détruisent n'ont pas d'institution. Public : Lorsqu'on parle des jeunes qui se font sauter au nom de leur communauté religieuse, je pense à tout ce qui a pu s'écrire sur le Rwanda, le nazisme. L'autre est vécu comme une espèce de non être ou un être inférieur. On constate une absence totale de respect de ce qu'est l'autre. Ce truc là m'étonne toujours. On se trouve dans un pays dans lequel le respect de la vie de l'autre est important, mais là cet élément est devenu complètement nié. Vous avez parlé de la frontière vie / mort, pouvez vous développer ? FB : vous touchez là un problème fondamental. Il faut de l'autre mais s'il n'est pas mon semblable je ne peux pas le percevoir parce qu'il faut qu'il y ait de l'autre et du même en même temps pour avoir un rapport. L'identification permet de réaliser ça : s'identifier à quelqu'un qui n'est pas moi, qui se perçoit à la fois autre mais qui a des similitudes avec moi. Ce processus peut se rompre chez les êtres humains. C'est le seul qu ne se contente pas d'être de son espèce. Un lion est un lion. Les êtres humains peuvent s'identifier à n'importe quoi, des animaux, des dieux, des objets, ils peuvent 16/18 Les ressorts de la radicalisation et de son traitement – Fethi Benslama – Observatoire de la fraternité 93 – 05/10/16 réduire les autres à des choses. Donc il y un problème chez l'espèce humaine. C'est une espèce ouverte, qui n'est pas constituée fermée. La constitution de l'humanité se fait par l'identification qui peut se perdre dans certaines circonstances et produit des processus de dés-identification. Cette désidentification peut être une bonne chose, c'est le cas de l'enfant qui doit se dés-identifier de ses parents, sinon il en reste une copie pâle. Lorsqu'on arrive à une dés-identification totale, l'autre devient tout autre et je peux le massacrer. Il existe un autre stade : l'in-identification. J'ai fait un travail sur les testaments de ceux qui commettent les attentats suicides. Il existe un moment où ils ne sont plus des être humains, ils sont devenus des êtres supérieurs qui vont disloquer leur corps et celui des autres. Il n'a plus sa représentation de lui en humain et donc ni des autres. Il a franchi une étape où il est devenu autre. La qualité de l'humain qui repose sur le rapport de similitude avec l'autre peut se perdre dans certaines circonstances. Les circonstances historiques peuvent favoriser ça. Comment expliquer comment l'Allemagne qui était un pays très civilisé a pu produire autant de nazis ? Des éléments de discours peuvent conduire à l'in-identification. A ce titre il faut que nous refusions de déshumaniser ces terroristes. On ne peut pas enlever à quelqu'un sa filiation. C'est un acte de déshumanisation. Public : Comment peut on pousser une personne à sortir de la dissimulation ? Public : Tout le monde doit être concerné pour faire en sorte que ces jeunes ne voient pas l'autre comme une bête. Je crois qu'il faut commencer dans les familles et stopper les discours selon lesquels la religion musulmane est la mère des religions, que l'autre qui boit de l'alcool est un animal, un être inférieur etc. FB : il y a beaucoup de migrants qui se sentent coupables de leur exil qui ont le sentiment que c'est une erreur à réparer. Un des moyens de ségréguer, c'est de se créer un pays différent du pays d'où l'on est. Ils peuvent faire porter à la génération suivante des problèmes qu'ils n'ont pas réglés eux mêmes. Les enfants portent les symptômes des parents. C'est pour ça qu'il faut travailler avec les familles. Un jeune peut échapper, ça arrive, mais les parents ont une responsabilité par rapport à ça. Sur la dissimulation, la réalité humaine est une réalité de dissimulation, heureusement. Comment savoir ? C'est très difficile. Il faut respecter les semblants. Il faut attendre, écouter, se mettre en 17/18 Les ressorts de la radicalisation et de son traitement – Fethi Benslama – Observatoire de la fraternité 93 – 05/10/16 relation, peut être dira t il quelque chose ? 18/18