Cheminer sur la Voie du zen : l`itinéraire du moine bouddhiste

Cheminer sur la Voie du zen : litinéraire du moine bouddhiste
Ryôkan, dans Nuage et eau (2008) de Daniel Charneux
André Bénit ([email protected])
Universidad Autónoma de Madrid
Introduction
Comme le rappelle Claire Fontaine dans Contes Zen. Ryôkan, le moine au cœur
denfant (2001-2002: 216), nombreux furent les Parisiens qui, lors de la campagne
« Poésie dans le métro » menée en 1994 dans la Ville lumière, lurent avec émotion ce
haïku, puisquils le désignèrent comme étant leur poème préféré :
Le voleur parti
na oublié quune chose
la lune à la fenêtre (Titus-Carmel, 1986: haïku 55).
Et pourtant, si Ryôkan est un nom familier aux Japonais et aux passionnés du
pays du Soleil levant, il nen reste pas moins que peu de lecteurs francophones le
connaissent aujourdhui. Cest dire que, malgré quelques ouvrages récents, le roman
Nuage et eau de Daniel Charneux vient à point nommé pour remettre à lhonneur ce
curieux personnage.
Daniel Charneux
Daniel Charneux (1955) a passé son enfance à Autreppe, un village situé dans la
province de Hainaut, tout près de Roisin, Emile Verhaeren fit de longs séjours
entre 1899 et 1914 et reçut quelques illustres amis : les peintres Emile Claus et Constant
Montald, lécrivain naturaliste Cyrille Buysse, Stefan Zweig... Ce fut, pour Charneux,
un de ses premiers contacts avec la littérature car le souvenir du poète symboliste, dont
il pouvait contempler un portrait dans une ferme il se rendait souvent, était encore
vivace chez les anciens.
Dans plusieurs interviews, Charneux évoque aussi la figure de son père,
instituteur, qui lui transmit, très jeune, lamour des belles lettres, ainsi que les autres
rencontres marquantes de ses années de jeune lecteur : Tintin et Le capitaine Fracasse
de Gautier ; plus tard, Camus, Lautréamont, Perec Sa voie semblait donc toute
tracée : philologie romane à lUniversité de Liège et carrière dans lenseignement : à 21
ans, il entre comme professeur de français au lycée Jeanne Dufrasne de Quaregnon,
il enseigne encore.
Passionné de lecture, Charneux lest également décriture. En 1998, dans le
cadre de ses activités professionnelles, il participe à une formation à lanimation
dateliers décriture, dont il sort transformé. Dès lors, les publications senchaînent : des
nouvelles (Vingt-quatre préludes, 2004) ; des romans (Une semaine de vacance, 2001 ;
Recyclages, 2002 ; Norma, roman, 2006 ; Maman Jeanne, 2009 ; Comme un roman-
fleuve, 2012) ; des recueils de poésie (Pruine du temps, recueil de haïkus illustrés par
Pierre Renard et calligraphiés par Pascal Goossens, 2008 ; Si longues secondes, haïkus,
illustrations de Salvatore Gucciardo, 2010) ; du théâtre (Le Violon sans âme, 2006 ; Les
Anges dans nos campagnes, 2007 ; Vingt milliards sous lAmer, 2011). Ainsi, avec
Nuage et eau (2008)1 une « biofiction » sur le moine bouddhiste zen japonais Ryôkan
, Charneux nen est-il pas à son coup dessai.
Du Hainaut au Japon impérial
Quand javais dix-sept ans, jai acheté un jour chez un brocanteur de Liège une statuette de
Bouddha. Je lui ai consacré un sonnet. Elle a longtemps orma chambre puis elle a disparu
dans un déménagement. Mais le Bouddha est res quelque part, à sommeiller
(http://www.gensheureux.be/site/).
Cest grâce à la pratique du haïku, un genre dont il apprécie tout
particulièrement la musique et les contraintes techniques, que Charneux a découvert
Ryôkan. Son intérêt pour cette forme poétique très codifiée dorigine japonaise lui fit
acheter, dans une bouquinerie parisienne, Les 99 haïku de Ryôkan, traduits du japonais
et présentés par Joan Titus-Carmel. Immédiatement, il ressent une fascination pour le
poète japonais, puis pour le personnage lui-même, dont il étudiera la singulière
existence. Cest alors, dit-il, que « le Bouddha qui sommeillait a frappé à la porte et ma
guidé vers la méditation zen. Je lai pratiquée presque journellement durant trois ans » :
de 2004 à 2007, Charneux fera partie dune petite communauté zen, loccasion pour lui
de découvrir la pratique du bouddhisme zen, une expérience sans laquelle il naurait pu
ni naurait pensé à « dire dans un roman le roman de [l]a vie [de Ryôkan]. Exprimer par
1 Finaliste du Prix Rossel 2008, du Prix Rossel des Jeunes et du Prix des Lycéens 2008-2009 ; couronné
par le Prix du Comité des Usagers de la Bibliothèque centrale du Hainaut 2009 et par le Grand Prix
littéraire France-Communauté française de Belgique de lAssociation des Ecrivains de Langue Française
2010.
les mots ce qui dépasse les mots. Broder avec le fil du langage sur la trame du silence »
(http://www.gensheureux.be/site/).
La moisson dinformations terminée, il ne lui manquait plus quun petit déclic
pour se mettre à louvrage. Le Prix Charles Plisnier, octroyé à son roman précédent
Norma, roman , le lui fournira :
Il nétait donc peut-être pas inutile dentrer en retraite, en méditation, de consacrer quelques
mois à ressusciter un peu, dans la sobriété dune écriture zen et lémotion poétique quelle
appelait en moi, lhistoire du moine fou, lami des oiseaux et des enfants, celui qui, au soir de sa
vie, vit souvrir pour lui le sourire de Teishin (http://www.gensheureux.be/site/).
Ryôkan (1758-1831), figure légendaire au Japon
Dans son pays natal, il est vénéré tel Saint François dAssise en Europe,
Ryôkan Taigu est considéré comme lune des figures majeures du bouddhisme zen. Sa
douceur et sa simplicité lont transformé en un personnage légendaire. Les nombreuses
(més)aventures et péripéties qui lui sont attribuées attestent toutes outre une certaine
étourderie, son infinie gentillesse, son humilité sincère et son détachement absolu à
légard des biens matériels. Il est également un poète très populaire et un calligraphe de
renom.
Ryôkan, moine pèlerin, poète et calligraphe
Lexistence de Ryôkan fut scandée par les voyages, les déplacements et les
pèlerinages. En effet, sa vie fut fondamentalement celle dun « moine errant » et
solitaire, ainsi que le conçoit le zen, cest-à-dire une vie vouée à quelques tâches
essentielles : mendier, secourir les pauvres, pratiquer la méditation en zazen ainsi que
létude des textes fondateurs.
Dans ce dernier domaine, celui du travail intellectuel, Ryôkan sest
principalement consacré à lécriture de poèmes ainsi quà la rédaction, en chinois, de
commentaires aux classiques taoïstes. Mais fidèle à ses vœux dhumilité et de
renoncement, loin de courir après la reconnaissance et la renommée, ayant toujours
refusé de dispenser un quelconque enseignement ou de sentourer de disciples, il na
rien publié de son vivant. Mais, comme lindique Claire Fontaine (2001-2002: 13), si
Ryôkan na pas laissé de notes précises sur les événements de sa vie personnelle, il nous
a légué, à travers ses textes poétiques et leur beauté calligraphique, un trésor dune
infinie sagesse.
En réalité, cest grâce à Teishin, une jeune moniale de quarante ans sa cadette,
qui laccompagnera durant ses dernières années et sattellera à compiler les écrits,
poèmes et calligraphies de son maître, que ces documents nous sont parvenus. Le
recueil quelle publia en 1835 sous le titre Hachisu no tsuyu (La Rosée dun lotus)
rassemble outre les poèmes quils séchangèrent, un vaste choix de poèmes rédigés par
Ryôkan tout au long de son existence :
La vie est comme une perle de rosée
vide et éphémère
mes années se sont écoulées
et maintenant tremblant et frêle
je dois mévanouir (cité par Simon, 2010: 11).
Dans ses poèmes composés en chinois (Collet et al., 2012: 57-161), ainsi que
dans ceux écrits en japonais : les wakas poèmes en cinq vers (Ibid: 163-257) et les
haïkus poèmes en trois vers (Ibid.: 259-335), Ryôkan dévoile les diverses facettes de
son existence au cours de laquelle « il [a] altern[é] entre le retrait du monde et les
moments il a développé de nombreux échanges avec le monde » ; cest pourquoi
« nous retrouvons dans ses textes autant desprit zen quune fraîcheur souriante à la
vie » (Simon, 2010: 8). En effet, comme le montre le poème cité dans lintroduction,
cest bien sa vie atypique qui constitue l’ingrédient essentiel de son œuvre poétique.
Quelques exemples suffiront à illustrer lintime relation existant entre son vécu le plus
quotidien, voire le plus banal, et son inspiration poétique lhumour (parfois osé) ne
fait pas défaut , quil fasse référence :
- au temps quil fait :
cueillant des kakis
de froid mes bourses tressaillent
le vent dautomne (Collet et al., 2012: 319).
Cueillant des kakis
mes boules dorées saisies
par le vent dautomne (Titus-Carmel, 1986: haïku 25).
- au passage des saisons :
Lautomne prend fin
à qui pourrais-je confier
ma mélancolie ? (Titus-Carmel, 1986: haïku 89).
- à son amour pour la nature et les animaux :
Une nuit dété
pour compter toutes mes puces
veillant jusquà laube (Titus-Carmel, 1986: haïku 52).
- aux jeux quil pratique avec les enfants :
sous les arbres du bois
du temple
avec les enfants
à jouer à la balle
passe cette journée (Collet et al., 2012: 188).
- au saké dont il ne se prive pas :
complètement ivre
où mallonger pour dormir ?
partout les lotus en fleurs (Collet et al., 2012: 194).
- à la solitude qui parfois lui pèse :
la solitude
dun soir dhiver
devant le portail en branchages
aux gens du monde flottant
comment lévoquer ? (Collet et al., 2012: 237).
- au temps qui passe irrémédiablement :
Des jours et des jours
que tombe la bruine
et lhomme vieillit (Titus-Carmel, 1986: haïku 67).
- ou, encore, à son sobriquet Taigu2, quil adopte et revendique :
au milieu de mille pics, une hutte
sur le corps une bure de moine
je laisse la moisissure se déposer au coin de ma bouche
et suis trop paresseux pour enlever la poussière sur mon crâne […]
le cœur libre je suis le courant boueux,
laissant les gens me traiter didiot (Collet et al., 2012: 94).
Mais, dun bout à lautre, son œuvre poétique témoigne avant tout de lintensité
de sa vie intérieure, entièrement dédiée à la recherche de la Voie, et de lexcellence de
son esprit zen :
2 Lors de sa certification, Ryôkan reçoit un nouveau nom de Voie, celui de Taigu Grand idiot »,
« Grand sot »). Il est désormais Taigu Ryōkan esprit simple au grand cœur »). Mais ce qualificatif est à
prendre au sens zen : « celui qui prend les choses comme elles viennent et sen satisfait à linstar dun
nouveau- » ; cest dire que, loin de comporter un sens péjoratif, il désigne laptitude à préserver sa
liberté de pensée et à se montrer critique vis-à-vis des normes prescrites par la société
(http://www.denshinji.fr/ryokan.html).
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