Anorexie et boulimie

publicité
Anorexie et boulimie
Grossir ! Mincir!
Anorexie, Boulimie, que veulent dire au juste ces mots à consonances un peu barbares que nous
entendons ou lisons assez souvent ?
Nous subissons journellement ce matraquage, visant à faire de nous des êtres proches de l’idéal
«mannequin» vu à la télé ou dans les revues de mode, pensons-nous ! Pourquoi cherche t-on à
maigrir ou à grossir ? Pour quelle raison nous mettons-nous à manger avidement ou à détester la
nourriture ? Nombre de parents (surtout les mères !) manifestent leur anxiété quand leur enfant ne
mange pas (ou peut-être quand il mange beaucoup au point de devenir obèse). Les uns se mettent à
le bourrer ( et les autres le grondent quand ils le voient s’empiffrer), croyant bien faire sans
chercher à savoir ce qui ne va pas intérieurement chez leur enfant.
Quel genre de problèmes ces deux attitudes peuvent-elles cacher ? Ne sont-elles pas opposées ?
Sont-elles une réaction normale ? De quoi s’agit-il ?
Famille Actuelle a rencontré les Docteurs Gisèle Kazour Psychologue, et Hana Azar
Pédopsychiatre, toutes deux libanaises, connues pour leur professionnalisme et leurs qualifications.
En tant que spécialistes, elles ont eu l’amabilité de nous donner leur avis sur ce sujet et répondre à
ce problème souvent douloureux, auquel peut être confronté tout individu.
Dr Gisèle Kazour : « L’anorexie et la boulimie sont deux affections qui font partie des troubles des
conduites alimentaires. Elles sont bien distinctes bien qu’elles puissent exister chez une même
personne ! ».
Famille Actuelle : Pouvez-vous nous dire ce qu’est l’anorexie ?
Dr Gisèle Kazour : « Le sujet (dans la majorité des cas, une femme) refuse de manger, ou mange à
minima, de peur de prendre du poids. L’image de soi et principalement l’image du corps est
fortement perturbée, autrement dit la perception de son corps est déformée. Bien que l’anorexique
puisse avoir un poids bien au-delà de la moyenne, la personne peut se trouver grosse et différente de
ce qu’elle est réellement.
F.A : A quelle période de l’évolution l’anorexie se manifeste t-elle le plus chez l’individu ?
Dr G.K. : «La plupart du temps à la puberté, parce qu’à ce moment commence à se manifester la
crise de révolte accompagnée d’un ensemble de transformations psycho-organiques et somatiques.
Elle peut entraîner, à cause des troubles hormonaux auxquels elle est associée, un retard, voire un
arrêt de la croissance physique : la fille conserve alors son allure d’impubère avec des formes
féminines peu développées.
F.A. : Pourquoi dit-on que la femme est plus anorexique ou boulimique que l’homme ?
Dr G.K. : « A mon avis cela revient à un trait éducatif. Dans les mass-médias c’est la femme qui est
exposée : femme élancée, bien maquillée, ayant un corps objet d’attirance et de stimulation.
L’image de son corps est valorisée et considérée objet de séduction. Aussi les menstruations
induisent-elles des modifications alimentaires chez la femme. L’angoisse propre à l’anorexie
persiste même avec la diminution spectaculaire du poids. Cette angoisse est en relation directe avec
l’estime de soi et avec la vie affective du sujet. En général, la famille met du temps pour prendre
conscience de l’intensité du trouble.
F.A : Quelle explication donnez-vous à l’anorexie ou répression alimentaire ?
Dr G.K. : « L’anorexie pourrait s’expliquer par un refus de la sexualité et de la féminité en
particulier, et la transformation de celle-ci en auto-agressivité. De même un retour à une position
archaïque, celle de la dépendance à la mère avec une altération profonde de l’image et de
l’acceptation de soi. L’aliment est ressenti comme le mauvais objet propre à être expulsé du corps.
D’où les vomissements et les laxatifs. L’anorexie nécessite souvent une hospitalisation qui se fait en
même temps qu’une séparation provisoire de la famille, afin de normaliser aussi bien les attitudes
alimentaires que les attitudes vis-à-vis de soi et d’autrui : réapprendre les investissements corporels,
se sentir bien dans son corps et accepter son sexe, vont de pair avec une rééquilibration alimentaire.
Dans certains cas d’anorexie, on retrouve un déséquilibre entre désirer la mort et désirer la vie. Le
sujet récidive comme s’il se suicidait en maltraitant son corps. Il dénie tout ce qui pourrait faire
obstacle à cette tendance. Il refuse le conflit psychique qui peut le mener à un point irréversible.
F.A. : Quelles sont les manifestations psychologiques associées à l’anorexie ?
Dr G.K. : « L’anorexie s’accompagne souvent d’humeur dépressive, d’isolement, d’irritabilité,
d’insomnie ainsi que d’une diminution de l’intérêt porté à la sexualité. Des signes obsessionnels
compulsifs dont le thème central est la nourriture, peuvent apparaître. Certains sujets peuvent
accumuler certains aliments sans les manger, ou collectionner des recettes de cuisine. D’autres traits
peuvent apparaître chez certains anorexiques tels que la difficulté à manger devant les autres, les
sentiments d’infériorité , une rigidité psychique ainsi qu’un déficit au niveau des capacités
d’initiative et d’expression émotionnelle.
F.A. : Qu’est-ce qu’une crise de boulimie ?
Dr G.K. : C’est l’absorption en peu de temps ( une période inférieure à 2 heures) d’une quantité de
nourriture bien supérieure à ce que mangent la moyenne des gens dans les mêmes conditions.
Autrement dit, une prise alimentaire excessive au cours d’un déjeuner habituel peut être
boulimique, alors qu’elle peut être tout à fait adaptée au cours d’un repas de fête. La boulimie porte
sur des aliments gras, concentrés et riches en calories
(Gâteaux, sucreries, viandes ou poulets bien gras). Les boulimiques éprouvent de la honte quant à
leurs conduites alimentaires. C’est pourquoi les crises de boulimie se passent rarement devant les
autres. Elles peuvent durer des années sans que la famille s’en aperçoive. Les crises de boulimie
s’accompagnent presque toujours de conduites dysfonctionnelles pour empêcher la prise de poids.
Comme pour l’anorexie, l’estime de soi est déterminée par les formes physiques. Mais pour porter
le diagnostic de la boulimie, il faut que les crises arrivent en moyenne 2 fois par semaine et ce,
pendant au moins 3 mois.”
F.A. : Tout revient-il à un désordre affectif ? Une perturbation dans la relation à la mère ? Le
sevrage joue t-il un rôle à ce niveau ?
Dr G.K. : “ Sûrement ! Les conduites alimentaires sont des symptômes et non la cause. C'est une
compensation. En fait le sujet cherche à maintenir une position immature, une dépendance à la
mЀre, une séparation qu'il n'a pas assumée. A chaque fois que le bébé pleure, sa mЀre lui donne à
manger. C'est une sorte d'hyper protection manifesté par la mЀre. ”
F.A. : Peut-on parler d'un déséquilibre au niveau de la perception et de la pensée ?
Dr. G.K : “ Les conduites alimentaires perturbées signifient une discordance cognitive : la
perception ne correspond pas à la pensée. Les troubles alimentaires font partie des troubles
psychosomatiques. On dit : Quand on a le ventre plein on a la tête vide. Quand on a le ventre vide
on a la tête pleine ”.
F.A. : Etes-vous avec l'idée qui dit que l'obésité c'est l'acceptation de la soumission; la répression de
la faim c'est le refus de la soumission et un moyen d'acquérir un certain pouvoir ?
Dr G. K. : “ Dans les deux cas il y a un vide. Les deux attitudes signifient une attitude de passivité,
une dépendance aux figures parentales, une stagnation ”.
F.A. : Quel traitement suggérez-vous à la personne qui a trouble alimentaire ?
Dr.G.K. : “Il est nécessaire et important qu'une pareille personne consulte un spécialiste
(Psychologue, psychothérapeute,..) en vue d'avoir une vision globale et claire de la situation. Ce
dernier, par son écoute attentive l'aidera à exprimer ses conflits. Elle sera invitée à remplir un
carnet alimentaire dans lequel elle décrit dans les moindres détails ce qu'elle mange, ainsi que les
moyens auxquels elle a recours pour limiter la prise de poids. Le spécialiste, aprЀs avoir bien
informé le sujet sur les conséquences de ses conduites alimentaires, étudiera avec lui les possibilités
d'organiser des repas bien équilibrés de façon à ce que l'organisme ne manque de rien. Evidemment
les conditions de vie du patient sont prises en considération. Le sujet précisera au fur et à mesure
ses sensations, ses idées, ses sentiments. Il apprendra à verbaliser ses angoisses autrement que par
la nourriture. Des conduites alternatives seront travaillées et adaptées aux besoins et à la
personnalité du sujet, tels que organiser des loisirs en compagnie d'autres personnes, apprendre à
supporter un certain niveau d'anxiété, bien formuler ses pensées, communiquer positivement avec
les autres, apprendre à se valoriser, à apprécier ses :
F.A. Qu'en est-il de ces troubles chez nous au Liban ?
Dr. G.K.: “ Au Liban la femme est plus boulimique parce que la vie sociale est riche en
alimentation. En comparant avec les sociétés occidentales, nous avons peu de personnes
anorexiques; malheureusement nous n'avons pas de statistiques pour se faire une idée quant au
pourcentage.”
F.A. : Est-il vrai que ne rien manger signifie ne pas vouloir vivre, et ne pas pouvoir prendre
d'aliments doit être également interprété comme ne pas pouvoir vouloir continuer à vivre ?
Dr Hana Azar : “ C'est vrai! Il existe un trouble du désir : entre refuser et accepter une chose. Un
refus de la féminité peut se manifester chez une femme d'une certaine immaturité. La majorité des
gens qui souffrent de troubles alimentaires sont des femmes.”
F.A. : Existe-t-il une relation entre le trouble sexuel c'est-à-dire entre la frigidité, l'impuissance et le
trouble alimentaire?
Dr H.A.: “ Non il n'y a pas de relation. C'est un trouble d'ordre affectif qui bloque l'évolution de la
personnalité. C'est un traumatisme affectif. Le trouble alimentaire est un conflit : un conflit entre ce
que la personne vit en elle-même et ce qu'elle vit à l'extérieur d'elle-même. Cette personne est
hypersensible aux remarques et aux jugements; ses relations affectives sont superficielles et
instables; elle peut passer facilement de la tristesse à la joie et inversement. La boulimie et
l'anorexie peuvent exister chez la même personne : un même sujet peut être obЀse puis faire un
régime en vue de maigrir puis engraisser de nouveau et ainsi de suite. Il y a toujours dans tout
trouble alimentaire une montée puis une descente et ainsi de suite. ”
F.A. : Y a-t-il continuité ou discontinuité entre le trouble alimentaire chez l'enfant et le trouble
alimentaire chez l'adulte ?
Dr. H.A. : “ Tout trouble alimentaire qui commence à l'enfance peut se poursuivre à l'âge adulte.
C'est un trouble qui peut durer des années et des années. En France j'ai pris en charge des
adolescents anorexiques qui, au lieu de manger la nourriture ( par exemple des cerises ) se
barbouillaient le visage avec. ”
F.A. : Comment traiter une pareille personne (anorexique ou boulimique) ?
Dr. H.A. : “ C'est quelque chose de grave qui n'a rien à voir avec le poids, un trouble à expression
somatique qui touche le corps et menace la vie ; c'est une pathologie grave qui apparaît très tôt : le
problème se situe au niveau de la structure psychique Il faut traiter sur le plan médical parce que
cela touche le corps et d'un autre côté, faire une prise en charge psychothérapeutique parce que c'est
un problème psychique ”.
Téléchargement