prix 2014 - Observatoire des retraites

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La lettre
Observatoire des Retraites
de l’
Fl---ilège : prix 2014
Décembre 2014 - N°21
Sommaire
Éditorial
Peut-on réduire les prix
des établissements pour personnes
âgées dépendantes sans dégrader
leur qualité ?
Éditorial
1
Cette lettre est consacrée aux travaux reçus pour le prix 2014 de l’Observatoire
des Retraites.
2
Prix de thèse, le travail de Cécile Martin explore pour la première fois le coût des
établissements d’hébergement pour les personnes âgées dépendantes, sujet
crucial pour nombre de retraités et leurs familles. Ce coût paraît très élevé pour
une qualité souvent décevante, et il excède les possibilités de financement
de la plupart des retraités. Un ensemble d’analyses micro-économétriques
permettent à l’auteur d’appréhender les facteurs qui aboutissent aux tarifs
offerts par les établissements. Forte de ces analyses, Cécile Martin s’interroge
ici sur la possibilité de réduire les prix sans dégrader la qualité.
Cécile Martin, premier prix de thèse
Des politiques de la vieillesse
entre adaptation et inadaptation
territoriale
6
Mickaël Blanchet, second prix de thèse
La transformation et l’externalisation
d’un régime de retraite supplémentaire
à prestations définies
17
Claire Gadonneix et Christophe Claeys, nominés
Comment sécuriser la poursuite
de l’activité des seniors par une politique
de santé préventive ?
23
Stéphanie Gay
Second prix, et première thèse de géographie présentée au jury depuis
la création du prix en 1994, l’étude de Mickaël Blanchet constitue une
analyse extrêmement approfondie des politiques d’aide aux personnes
âgées dépendantes menées dans la région des Pays de la Loire par les
conseils généraux, les régimes de retraite et l’État, auxquelles s’ajoute le
développement d’une offre privée. L’ auteur montre comment les besoins
évoluent et diffèrent selon les territoires, ruraux, urbains, littoraux, et
comment les acteurs, à la fois concurrents et complémentaires, s’efforcent
d’y répondre. Les projets de réforme territoriale et de loi d’adaptation de la
société au vieillissement rendent ce travail particulièrement d’actualité.
Nominés 2014, également une première depuis la création du prix, Claire
Gadonneix et Christophe Claeys éclairent, à travers le cas particulier de
la transformation d’un régime supplémentaire de retraite d’entreprise
à prestations définies, les aléas inhérents à toute opération de retraite,
puisqu’elle consiste à promettre des droits pour une période future dont on
ignore ce qu’elle sera économiquement et démographiquement. Les auteurs
montrent ici comment des hypothèses, qui pouvaient paraître prudentes en
2000, ont été prises à contre-pied dans la décennie qui a suivi, conduisant
à des résultats fort différents de ceux prévus par les négociateurs de la
transformation du régime.
Enfin, la thèse professionnelle de Stéphanie Gay rassemble tous les éléments,
y compris salariaux, d’une politique des ressources humaines adaptée
au relèvement de l’âge de la retraite, et donc à la nécessité de garder plus
longtemps les seniors dans l’entreprise. Son article montre le rôle central du
maintien en bonne santé et plaide pour que l’ensemble des acteurs, salariés,
entreprises et pouvoirs publics, adoptent une démarche de prévention, plutôt
que de se contenter de mesures de réparation et d’indemnisation.
réduire les prix des établissements
> Peut-on
pour personnes âgées dépendantes
sans dégrader leur qualité ?
Cécile MARTIN
Agrégée d’économie-gestion, enseignante en classe préparatoire au lycée
Salvador Allende d’Hérouville Saint-Clair (Calvados)
Son mémoire de master 2, qui portait sur l’offre de soins de long terme en France, avait
obtenu en 2010 un prix de mémoire délivré par la DREES1 et la CNSA2. Sa thèse de doctorat,
dirigée par Brigitte Dormont de l’Université Paris-Dauphine et intitulée « Concurrence, prix
et qualité de la prise en charge en EHPAD3 en France, analyses micro-économétriques »,
obtient le premier prix de thèse 2014 de l’Observatoire des Retraites. Partant du constat
que les prix d’hébergement dans ces établissements qui accueillent les personnes âgées
paraissent élevés pour une qualité de service faible, la thèse recherche les raisons de cette
situation et s’interroge sur les possibilités d’améliorer le rapport coût-qualité.
Elle livre ici les principaux enseignements de ce travail de recherche très novateur et qui
porte sur une activité de service appelée à jouer un rôle croissant dans les décennies à venir.
Peut-on réduire les prix sans dégrader la qualité de la prise en charge
des personnes âgées dépendantes en EHPAD ?
En raison de l’existence de
pathologies invalidantes liées au
grand âge, telles que la maladie
d’Alzheimer, l’accroissement de la
longévité actuellement observé
dans les pays occidentaux risque
de s’accompagner d’une augmentation du nombre de personnes
âgées dépendantes. Le rapport
Charpin (2011) [1] prévoit ainsi
un doublement du nombre de
personnes âgées en perte d’autonomie en France entre 2010 et
2060 : il passerait de 1,15 million
à 2,3 millions de personnes. La
plupart des réformes actuellement
proposées pour accompagner ces
changements
démographiques
portent sur l’encouragement au
maintien à domicile des personnes
âgées, à l’instar du récent projet
de loi sur l’adaptation de la
société au vieillissement. Les
projets de réformes concernant les
institutions de soins de long terme,
sans être inexistants, sont plus
rares et moins souvent concrétisés.
Beaucoup de personnes âgées
doivent cependant être institutionnalisées en raison d’un état de
santé trop dégradé ou parce qu’elles
sont isolées et ne disposent pas
d’un accompagnement suffisant.
Sur 1,15 million de personnes
âgées dépendantes en 2010, près
de la moitié vit ainsi en EHPAD
(DREES, 2010 [2]). Cette proportion
pourrait en outre augmenter en
raison d’une probable raréfaction des aidants familiaux liée à la
croissance de l’emploi des femmes,
à la réduction de la taille des
ménages et à la mobilité géographique des jeunes générations.
Il est donc nécessaire de mener
une réflexion sur la régulation
de l’hébergement collectif. Si la
question de la dépendance a fait
DREES : Direction de la recherche, des études, de l’évaluation et des statistiques du ministère des Affaires sociales.
CNSA : Caisse Nationale de Solidarité pour l’Autonomie.
3
EHPAD : Etablissement d’hébergement pour personnes âgées dépendantes
1
2
2
La Lettre de l’Observatoire des Retraites
Décembre 2014 - N°21
Fl---ilège : prix 2014
l’objet de nombreuses recherches,
notamment sur l’aide à domicile
(Gramain et Xing, 2012 [3]), sur
le rôle des aidants familiaux
(Fontaine, 2013 [4]) ou encore sur
l’assurance dépendance (Plisson, 2013
[5]), très peu de travaux portent sur
la régulation des EHPAD en France.
à charge déjà élevé des résidents.
En 2008, ce dernier représentait
entre 90 % et 130 % de leur revenu
disponible (Ernst&Young, 2008 [9]).
En conséquence, certaines personnes
peuvent rencontrer des difficultés
pour financer un hébergement en
institution.
Des prix trop élevés pour
une qualité qui semble
insuffisante en EHPAD
Les pouvoirs publics arrivent donc
à ce qui semble être une impasse :
toute recherche de réduction des
coûts risque de dégrader la qualité
plus qu’elle ne l’est déjà et toute
amélioration de la qualité serait
probablement inflationniste.
L’objectif des travaux que nous
avons menés est d’étudier les
possibilités de résoudre ce dilemme,
en analysant en particulier le rôle de
la concurrence, réelle et fictive (par
la régulation tarifaire), qui pourrait
être introduite dans ce secteur.
Le secteur des EHPAD est
confronté, en France, à une double
problématique. La qualité de
la prise en charge semble tout
d’abord insuffisante en raison d’un
encadrement en personnel trop
faible. En effet, les taux d’encadrement sont en moyenne de
5,7 employés pour 10 résidents en
EHPAD en France en 2007 (Ratte
et Imbaud, 2011 [6]), alors que ce
nombre s’élèverait à plus de 10 au
Danemark, en Suisse et en Suède
(Nénin et Lapart, 2011 [7]). Selon la
Fédération Hospitalière de France,
ces ratios d’encadrement sont
très insuffisants pour répondre
aux besoins des personnes âgées
dépendantes (Jamot, 2011 [8]).
La
deuxième
problématique
concerne la hausse du coût de la
prise en charge en EHPAD. Les tarifs
ont augmenté au cours des années
2000 sous les effets conjugués
de la croissance des normes
d’équipement, de la hausse du
prix du foncier et du développement du secteur lucratif. Cette
augmentation pèse à la fois sur la
solidarité publique et sur le reste
Méthodes et données utilisées
Nos travaux sont empiriques avec
une approche micro-économétrique.
Plusieurs techniques d’estimation
ont été utilisées, souvent en
parallèle pour tester la robustesse
des résultats : des méthodes
non paramétriques (enveloppement de données), ainsi que des
méthodes paramétriques (estimations de frontières stochastiques,
régressions quantiles, modèles de
données de panel). De nombreuses
bases de données ont été mobilisées et pour la première fois
appariées : ces études intègrent
des bases de données d’enquêtes
conduites par la DREES (EHPA 2003,
2007 et 2011, Handicap-SantéInstitutions 2009), des bases de
données administratives telles
que les DADS4 2008 et 2010 de
l’INSEE5, et une base de données
comptables, DIANE, qui recueille
les comptes sociaux des EHPAD
privés lucratifs. Nous avons ainsi
pu obtenir des informations sur
l’activité et les équipements des
établissements, mais également
sur leurs résidents et leurs salariés.
Des
données
géographiques
fines, indépendantes des circonscriptions
administratives, ont
également été construites pour
évaluer l’impact de la concurrence
locale sur les prix et la qualité.
Nous avons porté une attention
particulière à l’identification de
variables pertinentes de qualité.
L’analyse de la qualité est délicate,
encore plus pour le secteur des
soins de long terme. La qualité de la
relation humaine, peu observable,
constitue en EHPAD une dimension
tout aussi importante que la
qualité des soins. Cette difficulté
est en outre accentuée par la
rareté des données de qualité
disponibles en France. Nous avons
choisi d’utiliser, selon nos études,
des variables de qualification du
personnel, de taux d’encadrement
ajustés aux besoins des résidents,
de turnover du personnel, ainsi
que des variables liées au confort
hôtelier. Nous nous sommes
néanmoins assurés au préalable
que ces indicateurs étaient liés au
bien-être des résidents et étaient
donc pertinents6.
DADS : Déclaration Annuelle des Données Sociales.
Institut National de la Statistique et des Etudes Economiques.
6
Nous avons vérifié leurs corrélations statistiques avec des variables telles que l’incontinence des résidents, leur moral, la prévalence de leurs chutes.
4
5
La Lettre de l’Observatoire des Retraites
Décembre 2014 - N°21
3
zzz Peut-on réduire les prix des établissements
pour personnes âgées dépendantes sans dégrader leur qualité ?
Cécile MARTIN
Quelles conséquences peut-on
attendre d’une tarification
à la ressource ?
Notre premier axe d’analyse porte
sur les perspectives du projet de
réforme de la tarification7. Les
tarifs de la plupart des EHPAD sont
actuellement rétrospectifs, c’està-dire fixés par les autorités de
tutelle en fonction de leurs coûts.
La réforme consisterait à passer à
une tarification à la ressource, avec
des forfaits fixés au niveau national
ou départemental en fonction
du degré de dépendance et des
pathologies des résidents. L’objectif
de ce projet, qui s’inspire de la
tarification à l’activité (T2A) mise
en place en 2004 dans le secteur
hospitalier, serait d’introduire une
concurrence fictive entre établissements (« une concurrence par
comparaison », Shleifer 1985 [10])
afin de les inciter à plus d’efficacité
en termes de coûts. Cette réforme
n’est néanmoins pertinente que
si elle incite les établissements à
réduire leurs coûts sans dégrader
leur qualité. Mais les gains en
efficacité semblent à première vue
limités car une grande partie des
coûts des établissements correspondent à des charges de personnel. Or, l’encadrement en personnel constitue une dimension
importante de la qualité de la
prise en charge en EHPAD. Une
analyse approfondie de l’effet de la
qualité sur les coûts et sur l’inefficacité-coût des établissements est
donc nécessaire pour étudier les
conséquences que pourrait avoir
une telle réforme. Nous observons
que 5 % à 10 % des coûts des
établissements pourrait, à qualité
constante, être réduits avec la
réforme. Les gains à attendre sont
un peu plus élevés pour les EHPAD
publics rattachés à des hôpitaux.
Nous
montrons
cependant
que la qualité est coûteuse. Par
conséquent, le passage à une tarification forfaitaire risque d’encourager les établissements à réduire la
qualité de leur prise en charge si
aucune mesure complémentaire
n’est mise en place pour éviter
cette dégradation.
La concurrence est-elle
insuffisante dans le secteur
des EHPAD privés lucratifs ?
Notre second questionnement
porte sur les effets du développement du secteur privé lucratif
en termes de prix et de qualité.
Les EHPAD commerciaux, bien
qu’étant encore minoritaires (ils
représentent 19,9 %8 des places
en EHPAD en 2011), sont en pleine
expansion. Ils se développent
dans un contexte faiblement
concurrentiel et peu contestable,
notamment en raison de barrières
légales formées par les procédures
d’autorisation des autorités de
tutelle. Celles-ci restreignent
fortement l’offre et génèrent
ainsi un excès de demande sur le
marché. La croissance des EHPAD
lucratifs s’accompagne en outre de
mouvements de fusions et d’acquisitions qui renforcent la concentration du secteur9. En utilisant
plusieurs mesures de concurrence,
nous analysons l’impact du faible
degré concurrentiel du marché
sur les prix et la qualité. Nous
montrons que lorsque les établissements sont en concurrence, cette
dernière s’exerce à la fois en prix et
en qualité. Ainsi, accroître le degré
concurrentiel du marché pourrait
permettre de réduire les prix des
établissements tout en améliorant
la qualité de leur prise en charge, et
ce d’autant plus lorsque celle-ci est
observable par les résidents. Ceci
pourrait passer par un assouplissement des procédures d’autorisation de création d’établissements,
mais également par un contrôle de
leurs regroupements.
Existe-t-il des contraintes
de qualité liées au marché
du travail dans le secteur
des services à la personne ?
Dans une dernière étude, nous
évaluons dans quelle mesure
la qualité peut être limitée
par des facteurs exogènes à
l’établissement, notamment par
le fonctionnement du marché du
travail dans le secteur des services
à la personne. Les EHPAD semblent
connaître en France des difficultés
de recrutement et de fidélisation
de leur personnel soignant, qui
peuvent expliquer une partie des
déficiences en matière de qualité.
On observe en effet dans ce secteur
La tarification à la ressource a été codifiée à l’article L. 314-2 du code de l’action sociale et devait entrer en vigueur au 1er janvier 2010.
Le décret nécessaire à sa mise en œuvre n’est cependant pas encore paru.
7
Source : enquête EHPA 2011 (DREES).
Trois groupes d’EHPAD (Orpéa, DVD et Korian-Medica) dominent actuellement le secteur privé lucratif en France ;
ils représentent 45% des lits du secteur commercial en 2011.
8
9
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La Lettre de l’Observatoire des Retraites
Décembre 2014 - N°21
Fl---ilège : prix 2014
des taux de turnover extrêmement
élevés pour les infirmiers et les aidessoignants : ils s’élèvent respectivement à 52,5 % et 48,3 % en 200810.
Or, une forte rotation du personnel peut impliquer un fonctionnement temporaire de l’EHPAD en
sous-effectif, affectant indirectement la qualité de la prise en charge
et des soins. Elle peut également
dégrader directement la qualité
en empêchant, par exemple, les
résidents de nouer des relations
de confiance avec leurs soignants
ou en augmentant la probabilité
d’erreurs de prescriptions et d’accidents iatrogènes.
Plusieurs
raisons
peuvent
expliquer ces départs massifs de
personnel soignant : ils peuvent
préférer aller travailler en hôpital,
dans une autre zone géographique plus attractive, ou encore
dans un autre EHPAD dans lequel
les conditions de travail sont plus
avantageuses. Nous étudions
l’impact de chacune de ces causes
possibles, en analysant également
comment un ajustement des
salaires peut permettre de retenir
le personnel. Nous observons que
les EHPAD situés à proximité d’un
hôpital ou dans des zones rurales
ont plus de difficultés à fidéliser
leur personnel. Les tentatives de
compensation par une hausse des
rémunérations, observées dans
certains EHPAD privés, ne semblent
pas avoir d’effet sur le turnover.
sur ce sujet de société. Nous
montrons que l’introduction d’une
plus grande concurrence, réelle
ou fictive, pourrait être en mesure
de réduire le reste à charge des
résidents à qualité inchangée
voire améliorée, à condition d’être
accompagnée de mesures complémentaires veillant à préserver
cette qualité. Ces mesures peuvent
être réglementaires et consister en
de simples normes d’encadrement
et de qualification du personnel.
Elles peuvent également être
incitatives en faisant en sorte que
la qualité soit rémunérée pour les
établissements. Il s’agirait alors,
pour les EHPAD dont les prix sont
régulés, de fixer des tarifs en
fonction de leur qualité (tarification
à la performance). Pour les EHPAD
dont les prix ne sont pas entièrement administrés, des obligations
de transparence sur certains indicateurs de qualité, actuellement peu
observables comme l’encadrement
en personnel, pourraient renforcer
leur concurrence en qualité. Ces
diverses mesures ne peuvent
toutefois avoir un effet que si les
établissements sont en mesure de
fournir cette qualité. Une amélioration des conditions de travail et une
valorisation des filières gérontologiques constituent donc des
conditions nécessaires préalables
pour pallier aux contraintes de
recrutement et de fidélisation
du personnel auxquelles sont
confrontés certains établissements.
[1] J.M. Charpin and C. Tlili. Perspectives
démographiques et financières de la
dépendance. Rapport du groupe de
travail n°2 sur la prise en charge de la
dépendance, juin 2011.
[2] DREES. Les établissements d’hébergement pour personnes âgées. Activité,
personnel et clientèle au 31 décembre
2007. Document de travail 142, Drees,
2010.
[3] A. Gramain and J. Xing. Tarification
publique et normalisation des processus
de production dans le secteur de l’aide à
domicile pour les personnes âgées. Revue
française des affaires sociales, 2-3, 2012.
[4] R. Fontaine. Quel rôle confier aux
familles dans la prise en charge des
personnes âgées dépendantes ? Lettre
de l’Observatoire des Retraites, 20, 2013.
[5] M. Plisson. La dépendance est-elle
assurable ? La Lettre de l’Observatoire des
Retraites, 20, 2013.
[6] E. Ratte and D. Imbaud. Accueil et
accompagnement des personnes âgées
en perte d’autonomie. Rapport du groupe
de travail n°3 sur la prise en charge de la
dépendance, juin 2011.
[7] F. Nénin and S. Lapart. L’or gris.
Flammarion, 2011.
[8] M. Jamot. Maisons de retraite
et unités de soins de longue durée.
L’inacceptable convergence tarifaire.
Revue hospitalière de France, 539, 2011.
[9] Ernst&Young. Etude sur le marché
de l’offre de soins, d’hébergement et de
services destinés aux personnes âgées
dépendantes, octobre 2008.
[10] A. Shleifer. A theory of yardstick
competition. Rand of Journal Economics,
16 (3), 1985.
Ces travaux sont pionniers pour
le cas français et permettent
d’apporter un éclairage nouveau
10
Références
Source : DADS 2008 (INSEE).
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Décembre 2014 - N°21
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politiques de la vieillesse entre adaptation
> Des
et inadaptation territoriale
Mickaël BLANCHET
E i
Enseignant
t à l’Université catholique et à l'École de Management d’Angers,
chercheur associé à l’Unité Mixte de Recherche 6590 Espace et Sociétés (ESO)
Sous la direction de Christian Pihet, Mickaël Blanchet a, dans le cadre de l’Université
d’Angers, consacré sa thèse de géographie à l’analyse de l’ensemble des actions et services
offerts aux personnes âgées dépendantes dans la région des Pays de la Loire. Grâce à
un impressionnant travail statistique et d’enquête, il dresse une cartographie faisant
apparaître trois types de zones aux caractéristiques très différentes, urbaines, rurales et
littorales. Il analyse les rôles, la dynamique et les relations de rivalité et de complémentarité
des départements, de l'État, des régimes de retraite et de l’offre privée. Récompensée par
un second prix de thèse, ce travail apparaît comme particulièrement d’actualité dans une
période où la réforme envisagée des collectivités locales et le projet de loi d’adaptation de
la société au vieillissement pourraient redistribuer les rôles des acteurs de terrain. Mickaël
Blanchet en présente ici les grandes lignes et les principaux enseignements.
En 2006, selon l’Insee, la région
Pays de la Loire comptait 744 000
personnes âgées de 60 ans ou plus
et 297 000 personnes âgées de
75 ans ou plus, soit respectivement
21,6 % et 8,6 % de la population
(21,8 % et 8,2 % pour la France
métropolitaine). En constante
progression depuis 1999, le
vieillissement n’est pas uniforme
sur le territoire : bien que résidant
majoritairement en agglomération
(70 %), les personnes de 60 ans ou
plus y étaient en 2006 proportionnellement moins nombreuses
dans la population (19,7 %)
que sur le littoral (26,9 %) et en
milieu rural (22,1 %). Partant de
ce constat, et dans un contexte
d’individualisation, de sectorisa-
6
tion professionnelle et administrative des politiques gérontologiques (Frinault, 2009), on est en
droit de se demander quelles sont
les conséquences des segmentations administrative et professionnelle de l’action gérontologique
sur la prise en charge territorialisée
des besoins des personnes âgées.
Dans cette quête, les recherches
se sont attachées à décrypter les
interactions entre les institutions,
les acteurs qui prennent en charge
les personnes âgées, les besoins
de ces mêmes retraités et le cadre
géographique.
Les recherches se sont
déroulées en trois temps
Dans un premier temps, les bases
de données démographiques,
médicales, sociales et économiques
relatives au vieillissement de la
population et à l’offre de services et
d’établissements gérontologiques
ont été mobilisées afin de dresser
un état des lieux du vieillissement
régional. Ce travail a ensuite été
suivi d’analyses multivariées et
de typologies régionales sur la
vulnérabilité des retraités. Ces
opérations ont alors permis de
sélectionner quatre départements
et six intercommunalités propices à
l’étude géographique des interactions
La Lettre de l’Observatoire des Retraites
Décembre 2014 - N°21
Fl---ilège : prix 2014
entre les acteurs gérontologiques et
les retraités.
L’étude de ces interactions s’est
tout d’abord centrée sur les acteurs
gérontologiques qui évaluent
et répondent aux besoins des
retraités les plus vulnérables :
127 entretiens semi-directifs ont
été nécessaires à la réalisation de
cette étape. À l’instar des recherches,
les entretiens distinguent l’échelle
institutionnelle (conseils généraux,
administrations d’État, conseils
de l’ordre des médecins et caisses
de retraite : 16 entretiens) de
l’échelle locale où 111 acteurs
gérontologiques locaux (médecins
généralistes, infirmières libérales,
services de soins infirmiers à
domicile, maisons de retraites,
centres communaux d’action
sociale, services d’aide à domicile,
centres locaux d’information et de
coordination…) ont été interrogés
dans les six intercommunalités
d’observation. À la suite d’un long
travail d’analyse (construction et
encodages des entretiens selon
la méthodologie de la grounded
theory et à partir du logiciel NVIVO)
et de cartographie de l’offre de
services
et
d’établissements
gérontologiques, il a été possible
de faire ressortir les pratiques
spatiales des institutions et des
acteurs gérontologiques.
(allocataires de l’allocation personnalisée autonomie, minimum
vieillesse, taux d’équipement,
consommations médicales, activités
des services…) ainsi que sur la
diffusion
d’un
questionnaire
auprès de 900 retraités portant
sur les pratiques, le rapport local à
l’offre et les solidarités informelles
(familiales, amicales, voisinage) en
situation de besoin.
Enfin, la dernière phase de
recherche a eu pour but d’évaluer le
rapport local des personnes âgées
à l’offre de services et d’établissements gérontologiques. Menées
dans les intercommunalités
d’observation, ces recherches se
sont également appuyées sur des
sources institutionnelles relatives
aux activités gérontologiques
L’échelle régionale s’est avérée
également
intéressante
dans
l’observation gérontologique locale :
la région compte en effet plus
d’une centaine d’intercommunalités,
maillons
infra-départementaux
qui se révèlent pertinents dans
l’analyse des politiques territorialisées de la vieillesse. Par ses
compétences gérontologiques, le
département est aujourd’hui
incontournable : une partie
importante des processus
d’action, de planification
et de financement de
l’action
gérontologique
étant concentrée à cette
échelle. Les recherches
n’ont concerné que quatre
des cinq départements de
la région (pour des raisons
économiques et de temps,
la Sarthe n’est pas concernée par l’étude).
Carte 1. Départements et intercommunalités d’observation (2010)
Échelles et territoires d’étude
Enfin, l’intercommunalité a
été choisie comme maillon
local de référence. Des
critères géographiques
(urbain, périurbain, rural et
littoral) et démographiques
(proportions de personnes
La Lettre de l’Observatoire des Retraites
Décembre 2014 - N°21
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zzz Des politiques de la vieillesse entre adaptation et inadaptation territoriale
Mickaël BLANCHET
âgées de 65 ans ou plus et de
80 ans ou plus) ont ensuite permis
de sélectionner six intercommunalités de référence. Le choix s’est
donc porté sur une intercommunalité urbaine, une intercommunalité littorale vendéenne et trois
intercommunalités rurales : les
intercommunalités de Nantes
Métropole, de l’Agglomération du
Choletais, du Pays de Pouzauges,
du Pays de Mayenne, du Pays de
Saint-Gilles Croix de Vie et du
Canton de Baugé (carte 1, tableau 1).
I. La vieillesse, une période
hétérogène et contrastée
sur le territoire
Si la vieillesse peut être une
période d’épanouissement grâce
à la retraite, elle est également
une période de ruptures sociales,
affectives et biologiques auxquelles
répond notre objet d’étude : les
politiques de la vieillesse. Face à
ces ruptures, les retraités ne sont
pas égaux : l’âge (Colin, 2001),
le sexe (Bonnet, Buffeteau et
Godefroy, 2004), l’origine sociale
(Mizrahi, 2003), le mode d’habitation, les revenus (Noguès, 2006)
constituent des facteurs d’inégalités biologiques, sociales et
économiques.
de ménages de 60 ans ou plus
et de 80 ans ou plus habitant un
logement construit avant 1945,
revenus médians des ménages de
60-74 ans et de 75 ans ou plus,
densité démographique.
Afin de dresser une typologie
de la vulnérabilité régionale des
personnes âgées, ces mêmes
variables ont été croisées avec
d’autres variables démographiques
et géographiques dans le cadre
d’une analyse en composantes
principales (ACP) puis d’une classification hiérarchique ascendante
(CHA) (carte 2). Les variables
utilisées lors de ces analyses
multivariées sont issues des
enquêtes de l’Insee : proportions
de personnes âgées de 65 ans ou
plus et de 80 ans ou plus, proportions de femmes dans les populations âgées de 60 ans ou plus et
de 80 ans ou plus, origine sociale
des ménages retraités, proportions de ménages de 60 ans ou
plus et de 80 ans ou plus composés
d’une seule personne, proportion
Six classes ont été retenues pour
la CHA, dans le but de faire ressortir de manière spatialisée et
hiérarchique la vulnérabilité des
retraités. Ces six classes font clairement apparaître une opposition
entre milieux rural, urbain et
littoral. Le profil urbain regroupe
les principales intercommunalités
urbaines de la région. Ce profil se
distingue par des fortes inégalités
de répartition des retraités les plus
âgés, des revenus médians des
retraités et par une sur-représentation des ménages âgés composés
d’une personne. Le profil périurbain,
quasi exclusif à la Loire-Atlantique,
se singularise par un faible vieillissement de la population et par une
homogénéité socio-économique
des ménages âgés.
Tableau 1 : caractéristiques démographiques du vieillissement
de la population des intercommunalités d’observation
Proportion
de 65 ans ou + (en %)
Proportion
de 80 ans ou + (en %)
Proportion
de ménages de 80 ans
ou + composés d’une
seule personne (en %)
Taux d’équipements
médicalisés pour 1000
personnes de 80 ans
ou plus
Nantes métropole
18,0
6,4
45,0
123
Agglomération
du Choletais
18,6
6,0
41,6
94
Canton de Baugé
27,8
11,0
38,1
181
Pays de Mayenne
20,5
7,7
44,2
238
Pays de Pouzauges
22,6
7,5
35,2
103
Pays de Saint-GillesCroix-de-Vie
32,0
11,7
41,2
121
Source : recensement 2008, Insee Pays-de-la-Loire
8
La Lettre de l’Observatoire des Retraites
Décembre 2014 - N°21
Fl---ilège : prix 2014
Carte 2. Typologie territoriale
de la vulnérabilité des personnes
âgées dans la région Pays de la Loire
Mickaël BLANCHET, Université d’Angers, 2011.
Sources : recensements 1999 et 2009 ; enquête revenus
2008, Insee Pays de la Loire.
La Lettre de l’Observatoire des Retraites
Décembre 2014 - N°21
9
zzz Des politiques de la vieillesse entre adaptation et inadaptation territoriale
Mickaël BLANCHET
Le profil littoral présente un vieillissement important, avec surreprésentation du grand âge (80 ans ou
plus) pondéré et une surreprésentation des ménages âgés vivant en
couple et d’origine sociale aisée.
Hétérogènes, les intercommunalités rurales sont divisées en trois
profils. Tout d’abord, un profil
« favorable » où le dynamisme
démographique pondère la part
des retraités dans la population et
où la proportion de ménages âgés
composés d’une seule personne
est faible (intercommunalités
rurales de la Loire-Atlantique, du
bocage vendéen, du Choletais et
de l’arrière pays littoral atlantique).
Le second profil rural présente des
valeurs proches des standards
régionaux. On le retrouve dans
le sud de la Vendée et à l’est du
Maine-et-Loire. Le troisième profil
rural regroupe les intercommunalités où les prédispositions face
à la vulnérabilité au grand âge
sont les plus fortes : surreprésentation des personnes très âgées
dans la population, des ménages
composés d’une personne, des
ménages d’origine agricole, des
femmes très âgées, des revenus
médians les plus faibles et des
habitations vétustes. Ce profil
s’observe dans le nord des départements de la Mayenne, de la Sarthe
et du Maine-et-Loire.
D’un point de vue quantitatif, seule
l’enquête Handicap-Santé 2008
autorise, sur le versant de la perte
d’autonomie, un état des lieux
territorial de la vulnérabilité des
retraités. Pour des raisons de seuils,
il n’est pas possible de dresser
une géographie quantitative de
la dépendance des retraités au
niveau des intercommunalités
de la région. Comme le montre le
tableau 2, les taux de dépendance
départementaux des 60 ans ou
plus1 oscillent entre 7,2 % pour
la Loire-Atlantique et 8,1 % pour
le département de la Mayenne
attestant d’une plus grande
intensité de la perte d’autonomie
dans les départements les moins
urbanisés. En rapportant ces
taux et en ventilant la prévalence
nationale de la dépendance par
sexe et âge quinquennal selon
les types de territoire (urbain,
périurbain, rural), on observe que
les situations de dépendance
se concentrent essentiellement
en milieu urbain mais que le
phénomène révèle une plus
grande intensité en milieu rural.
Sur les 64 100 personnes âgées
dépendantes recensées en 2010,
les deux tiers (66 %) habitent
en ville ou en milieu périurbain
(71 % des Ligériens2 de 65 ans
ou plus habitent dans les aires
urbaines à la même date), le tiers
restant étant localisé en milieu
rural (29 % des Ligériens2 âgés de
65 ans ou plus). Cette répartition
en défaveur des limites rurales de
la région rejoint les explications
précédentes relatives à la qualité
du vieillissement, notamment la
part des femmes (plus exposées à
la dépendance) dans la population
très âgée.
Face à ce défi de prise en charge,
la région Pays de la Loire bénéficie
de taux d’équipements médicaux
(généralistes, centres hospitaliers)
et médico-sociaux (maisons de
retraites médicalisées, services
de soins infirmiers à domicile)
supérieurs à ceux du pays.
Néanmoins, la répartition de ces
Tableau 2. Population âgée dépendante
Répartition selon le type d’espace dans la région Pays de la Loire
Population âgée
Effectif
Proportion
(en %)
Aires urbaines
42 950
67
Pôles urbains
28 850
45
Communes périurbaines
14 100
22
21 150
33
Rurale
Source : enquête Handicap-Santé 2008, Insee 2009
Le taux de dépendance est le rapport entre le nombre de personnes dépendantes et le nombre total de personnes âgées de
60 ans ou plus. Les taux sont estimés à partir d’une relation entre taux de mortalité et taux de dépendance, établie à partir des
données de l’enquête Handicap-Santé de 2008.
2
Nom des habitants des Pays-de-la-Loire et de leurs départements.
1
10
La Lettre de l’Observatoire des Retraites
Décembre 2014 - N°21
Fl---ilège : prix 2014
établissements et services est
inégale géographiquement et
accroit, sur le versant de l’offre, la
vulnérabilité des personnes âgées
des territoires les plus prédisposés à
la vulnérabilité sociale et médicale
des retraités.
II. Des politiques territoriales
subdivisées
De l’hôpital aux familles, en
passant par l’aide à domicile,
l’action gérontologique recouvre
un champ d’acteurs large et varié.
Cependant, l’action gérontologique demeure subdivisée sur
les plans sectoriels, politiques et
territoriaux. La décentralisation et
la volonté politique de maîtriser les
dépenses sociales ont développé
cette logique de segmentation
(Argoud, 1998). À la sortie des
années 2000, les prérogatives
gérontologiques oscillaient entre
cloisonnement et chevauchement :
si les compétences sanitaires
demeuraient dans le giron de
l’État, les affaires médico-sociales
(maisons de retraites médicalisées,
soins infirmiers à domicile) et la
gestion de l’allocation personnalisée autonomie (APA) étaient
partagées entre les départements,
l’État et les caisses de retraite. Les
entretiens auprès des institutions
et des acteurs gérontologiques
locaux corroborent ce constat.
L’introduction
des
normes
individuelles, les politiques
gestionnaires et le retour de l’État
dans le champ médico-social
(loi « Hôpital, patients, santé et
territoire » de 2010, renforçant
l’Agence régionale de Santé dans
l’organisation territoriale des
La Lettre de l’Observatoire des Retraites
établissements et des services
médico-sociaux) et dans celui de
l’aide à domicile ont alimenté
ces cloisonnements sectoriels au
détriment de politiques territorialisées plus transversales.
Dans ce jeu, le territoire constitue
pour ces mêmes institutions
gérontologiques un enjeu important,
et ce pour deux raisons : il permet
une meilleure adaptation aux
besoins individuels des personnes
âgées et il constitue un support
d’affirmation et d’imposition de
ses propres marges de manœuvre
aux autres acteurs et institutions.
Pour exister, les administrations
d’État, les départements et les
caisses de retraite territorialisent
leurs
actions
de
manière
hiérarchique et contrôlée, et
n’opèrent à aucun moment de
véritables jonctions territoriales
et sectorielles vers les autres
institutions. Face à la nécessité
d’individualiser et d’adapter les
réponses aux besoins, les institutions et les instances gérontologiques n’ont pas convergé vers
plus d’harmonisation : souhaitant
œuvrer au plus près des retraités
vulnérables en besoin, elles ont
développé, de manière segmentée,
des services et des établissements
tels que services de transports
à la demande, entreprises de
loisirs et de sociabilité, résidences
services,
associations
d’aides
aux aidants, villages seniors.
Résultat : alors qu’en 2004, le
panel d’établissements et de
services gérontologiques sur la
région Pays de la Loire était de
34, il était de 56 en 2010. Si cette
Décembre 2014 - N°21
adaptation a favorisé les prises en
charges, elle marque également
en aval le choix d’une approche
sectorielle au détriment d’une
approche territoriale et transversale. Les comparaisons départementales ainsi que la répartition,
selon le type, des établissements
et des services gérontologiques
montrent que ce développement a
favorisé les inégalités et les dispersions territoriales.
II.1. Une offre gérontologique
dispersée et inégale sur
le territoire
Tout d’abord, la diversité de l’offre
de services et d’établissements
gérontologiques au sein des
intercommunalités d’observation
se révèle inégale : son niveau est
respectivement de 26, 28 et 31
pour les intercommunalités rurales
de Baugé, Pouzauges et Mayenne
et, respectivement de 49 et 41 pour
les intercommunalités urbaines
de Nantes et de Cholet. Les
orientations de l’État, des conseils
généraux et des caisses de retraite,
mais aussi les moindres capacités
économiques et techniques en
milieu rural, expliquent ces
écarts. Le passage d’une logique
d’établissement à une logique de
besoin a eu pour conséquence de
multiplier et de superposer sans
cohérence ni concertation les
cadres territoriaux de régulation de
l’action gérontologique. En découle
une dispersion géographique de
l’offre et des territoires d’action
qui interroge sur la réelle efficacité
des dispositifs et des tentatives de
coordination.
De fait, la répartition héritée de
11
zzz Des politiques de la vieillesse entre adaptation et inadaptation territoriale
Mickaël BLANCHET
l’offre de services et d’établissements
gérontologiques est tributaire
des enjeux de pouvoir dans
lesquels les institutions font
valoir une multitude de critères
(administratifs, sectoriels, géographiques, économiques, politiques …).
Le recensement de l’offre d’établissements et de services s’adressant
aux retraités montre à l’échelle
régionale que :
t les établissements hospitaliers
sont répartis sur le territoire
selon le degré de spécialisation.
Dans ce schéma, les villes les plus
importantes de la région accueillent
les filières les plus spécialisées
et les pôles ruraux, les établissements les moins spécialisés (les
filières gériatriques) ;
t la médecine libérale demeure
corrélée à la densité démographique.
On constate de fortes inégalités de
répartition et des faibles densités
médicales aux frontières rurales
de la Sarthe, de la Mayenne et du
Maine-et-Loire, où l’on compte en
2011, entre 170 et 213 médecins
généralistes et spécialistes pour
100 000 habitants (contre 259 à
l’échelle régionale) ;
t les services de soins infirmiers
à domicile et les établissements
d’accueil
sont
répartis
de
manière inégale sur le territoire.
La médicalisation est de plus en
plus soumise à des logiques de
planification partagée entre les
Conseils généraux et l’État, qui vont
dans le sens d’un rééquilibrage
de l’offre, entre et à l’intérieur
des départements. Seulement,
les efforts entrepris demeurent
12
assujettis aux héritages locaux,
notamment en milieu rural, et à
la forte croissance du nombre de
retraités en ville. En conséquence,
les espaces ruraux présentent un
taux d’équipements médicalisés
supérieur à celui des aires urbaines
mais disposent, en revanche, d’un
panel d’établissements moindre :
en 2009, et en dépit des inégalités
entre
les
intercommunalités
rurales, le taux d’équipement en
lits médicalisés est plus élevé sur
l’ensemble des intercommunalités
rurales (138 lits pour 1 000 personnes
de 75 ans ou plus) que sur
l’ensemble des intercommunalités
urbaines et périurbaines (116) ;
t soumis à la concurrence, le
secteur de l’aide à domicile est
davantage développé en ville.
L’arrivée des acteurs privés a été
plus forte en milieu urbain et sur
le littoral, et limitée en milieu rural.
On observe en ville et sur le littoral
un retrait des centres communaux
d’action sociale (CCAS) et une
arrivée massive des enseignes
à but lucratif qui vient s’ajouter
aux associations historiques.
À l’inverse, les entreprises ont peu
investi les zones rurales où l’on
recense une répartition homogène
des CCAS et des associations.
À l’issue d’une analyse multivariée
à l’échelle de groupements d’intercommunalités (urbaines, rurales,
littorales) croisant des données
socio-économiques relatives au
vieillissement de la population,
à l’offre de prise en charge, ainsi
qu’à la répartition des allocataires
de l’APA, il apparaît que les
dynamiques géographiques de
la dépendance sont solidaires du
niveau et de l’intensité du vieillissement de la population et de
la répartition des EHPAD sur le
territoire. Selon cette analyse, les
proportions de personnes âgées
de 80 ans ou plus, de femmes
très âgées, de ménages très âgés
constitués d’une seule personne,
de personnes d’origine populaire
sont plus élevées en milieu rural,
où l’on observe des taux d’établissements médico-sociaux surélevés.
II.2. Forces et limites du
« département-providence »
La
gestion
des
politiques
spécifiques aux personnes âgées
s’inscrit dans un rapport ambivalent de l’État avec les marges
de manœuvre des collectivités
locales. Dans ce jeu, l’État adopte
vis-à-vis des Conseils généraux
une double posture partenariale
et d’ingérence. Ainsi, sur le champ
social, l’instauration de normes
concurrentielles dans le secteur
de l’aide à domicile a contribué au
retour de l’État dans un secteur
jusque-là sous la tutelle des
Conseils généraux et des collectivités locales. Sur le champ sanitaire,
la création des agences régionales
d’hospitalisation (ARH), puis des
agences régionales de santé (ARS)
en 2010, renforce les compétences
de l’État en matière de régulation de l’offre sanitaire et médicosociale. Contrôle accru qui ne rime
pas forcément avec investissement, l’État n’affirmant pas d’autre
ambition politique que de réaliser
des économies et d’introduire
une régulation concurrentielle
(par appel à projet) et spécifiée de
La Lettre de l’Observatoire des Retraites
Décembre 2014 - N°21
Fl---ilège : prix 2014
l’offre sanitaire et médico-sociale.
Outre les économies visées, cette
réforme interroge sur la redéfinition des rapports de l’État avec
les institutions, les instances
et les acteurs gérontologiques
locaux. Dans un contexte de
rigueur budgétaire, les caisses de
retraite et les collectivités locales
s’accordent à faire état de rapports
économiques imbriqués et conflictuels. Pour autant, si la conflictualité de ces rapports économiques
est exposée, peu d’acteurs institutionnels interrogés les remettent
en cause. De cette absence de
revendication ressort un compromis institutionnel et économique
entre un État soucieux de réduire
ses dépenses et des Conseils
généraux qui souhaitent assumer
des compétences politiques.
les densités démographiques et les
potentiels économiques, à réguler
l’offre entre ouverture au privé,
concurrence et planification. Sur
les quatre départements d’étude,
la Loire-Atlantique, le Maine-etLoire et la Vendée présentent une
régulation économique de l’offre
et des demandes en s’appuyant sur
un développement sectoriel et une
ouverture contrôlée aux services
lucratifs, tandis la Mayenne
s’appuie sur les fédérations
d’établissements et de services
pour réguler l’offre.
II.3. Vers une figuration
politique et géographique
du vieillissement ?
L’évaluation finale des interactions
géographiques entre l’offre de
services
et
d’établissements
Comme le montre le tableau 3, gérontologiques et les personnes
la
croissance
des
budgets âgées s’est appuyée, à l’échelle des
gérontologiques liée à l’explosion intercommunalités d’observation :
du nombre d’allocataires de sur les données relatives aux activil’APA et à la médicalisation des tés gérontologiques locales (les
maisons de retraite a eu pour séjours hospitaliers, la consommaconséquence de réduire les tion médicale, les actes infirmiers
politiques départementales à la pour les personnes âgées, l’APA
gestion de la dépendance et ont – selon le degré de dépendance –,
incité les Conseils généraux, selon le minimum vieillesse, les
populations
âgées
Tableau 3. Évolution des budgets
bénéficiant
des
services
gérontologiques des Conseils généraux
d’aides à domicile et
entre 2004 et 2009 (en %)
de proximité), ainsi
que sur les réponses
Variation (en %)
de 900 personnes
Loire-Atlantique
33
âgées à l’enquête sur
leur rapport local à
Maine-et-Loire
39
l’offre de services et
d’établissements.
Mayenne
36
Le croisement de
Vendée
32
ces sources à l’aide
d’une ACP révèle la
Source : DRASS Pays-de-la-Loire 2005 et 2009
La Lettre de l’Observatoire des Retraites
Décembre 2014 - N°21
prégnance des modes de régulation hérités et actuels de l’offre
dans la construction locale de la
vieillesse. Oscillant entre héritages
locaux, régulation économique
et planification, l’offre gérontologique se retrouve de plus en
plus structurée sur le territoire
selon son degré de savoir-faire et
de rentabilité économique. Cette
recherche d’activité engendre
une polarisation géographique
de l’offre suivant des règles
de densité démographique et
technique. Cette logique met à
jour un contraste entre les villes,
où les activités les plus techniques
et les plus soumises à la concurrence sont surconcentrées, et les
périphéries rurales, où les pouvoirs
publics maintiennent une offre
d’établissement et de services
moins variée. Dans ce jeu, l’APA
objective les inégalités de l’offre et
institue de fait un alignement de la
demande sur l’offre. Par ricochet,
l’enquête montre que cette
logique de concentration-polarisation modèle les régulations locales
entre les retraités en besoin, les
familles et la collectivité.
Il en ressort trois formes de régulation solidaires de la structuration
et de la lisibilité locale de l’offre
professionnelle (figure 1) :
t une première forme de régulation
dans
les
intercommunalités
rurales de Mayenne et de Baugé
où les pouvoirs publics et les
services sociaux tentent de
combler les distances familiales et
maintiennent l’offre existante ;
t une
deuxième
forme
de
régulation rurale au niveau de
13
zzz Des politiques de la vieillesse entre adaptation et inadaptation territoriale
Mickaël BLANCHET
l’intercommunalité de Pouzauges,
où les solidarités familiales
s’inscrivent en complément d’un
niveau moyen de l’offre locale ;
t une troisième forme de régulation
nantaise, où malgré leurs proximités,
les familles tendent à se désengager
en faveur d’un développement
élevé et multiple de l’offre de
services et d’établissements. En
parallèle, on observe dans ces
zones des liens de solidarité étroits
avec les voisins.
L’adaptation locale des retraités les
plus vulnérables aux inégalités de
répartition et de niveau de l’offre
professionnelle se révèle inverse
aux objectifs politiques annoncés.
Cet inversion fige le grand âge en
tant qu’objet politique, social et
géographique. En effet, il ressort
de la prise en charge politique
des vieillards une double figuration autour de la dépendance et
des objectifs de développement
économique et territorial. Dans
ce jeu, on observe une « gestion »
spatiale différenciée de la vieillesse
entre des zones où l’adoption des
normes concurrentielles par les
acteurs gérontologiques se traduit
pour les retraités en besoin et pour
leurs familles par des pratiques et
des parcours de choix et d’indépendance, et des zones rurales où
la moindre rentabilité économique
de l’action gérontologique se
traduit par une prise en charge
par les familles et la collectivité et
par un conditionnement local plus
élevé des pratiques et des parcours
des retraités les plus âgés qui
présentent des besoins.
14
Figure 1. Régulations locales entre les personnes âgées,
les aidants informels et les professionnels.
Régulation
consumériste
SOLIDARITÉS
FAMILIALES
¥ Aides de la famille
Régulation
familiale
¥ Aidants
potentiels
Régulation
collective
¥ CC* pays
de Pouzauges
¥ Recours aidés
à un service
¥ CA** Choletais
CC Saint-Gilles-Croix-de-vie ¥
¥ Banlieue nantaise
ÉTABLISSEMENTS
¥ Recours aidés
à une allocation
DOMICILE
¥ % 82 ans
¥ Densité
¥ CC Canton démographique
de Baugé
faible
¥ EHPAD
¥ CC Pays de Mayenne
¥ Aides des amis
¥ Densité
démographique élevé
¥ Recours direct
à une allocation
¥ Professions
¥ SAD*** libérales
¥ Recours direct
¥ Ménages âgés
à un service
de 1 personne
¥ Recours à plusieurs
services
¥ Nantes
¥ Aides des voisins
*
CC : Communauté de communes
CA : Communauté d’agglomération
***
SAD : Service d’aide à domicile
**
SOLIDARITÉS
COLLECTIVES
Mickaël BLANCHET, Doctorat de Géographie, – Université d’Angers, 2011.
III. Perspectives : de plus
en plus de personnes âgées
dépendantes et de retraités
en situation de précarité
économique
L’objectif était, à partir d’un espace
limité, d’analyser l’organisation
spatiale des politiques de la
vieillesse pour faire mieux ressortir
ses conséquences géographiques.
Cette organisation met en avant
l’adoption par les pouvoirs publics
des normes du secteur privé
sur le champ de la vieillesse. Il
en découle la sédimentation
d’inégalités gérontologiques entre
les espaces dotés de capacités
économiques et professionnelles et
les espaces moins riches et moins
structurés professionnellement.
Les conséquences de cette
construction géographique inégalitaire interrogent sur le devenir
et les formes futures de prise
en charge des populations
âgées vulnérables. En effet, le
déplacement de l’onde de grand
vieillissement en direction des
quartiers populaires périphériques
et des zones périurbaines, ainsi
que la remise en question plus
importante des mécanismes de
capitalisations économiques et
sociales à la retraite constituent
des enjeux politiques incontournables. Tout d’abord, sur le champ
de la perte d’autonomie, l’Insee
Pays de la Loire anticipe l’arrivée
de 33 000 personnes âgées
dépendantes supplémentaires d’ici
La Lettre de l’Observatoire des Retraites
Décembre 2014 - N°21
Fl---ilège : prix 2014
2030 (Bonnefoy, Soulas et Fouchard,
2012), à un rythme inégal selon
les territoires : tassement du
phénomène en milieu rural
(notamment en Mayenne, Sarthe et
Maine-et-Loire) et accentuation en
milieu périurbain et sur le littoral.
Dans ce jeu, la carte du taux de
croissance annuel des personnes
âgées dépendantes selon les
territoires définis par l’ARS (carte 3)
illustre une croissance à venir de
la dépendance plus prononcée
dans les espaces littoraux (+ 7 500
personnes âgées dépendantes de
2010 à 2030) et les zones périurbaines (+ 8 550).
S’ajoute à cette augmentation
numérique des personnes âgées
dépendantes dans la région une
arrivée de plus en importante de
retraités en situation de précarité
économique et familiale. La remise
en question, pour une partie
de la population retraitée, des
mécanismes de capitalisations
économiques et sociales par
une fragilisation des trajectoires
antérieures (chômage, divorce...)
interroge sur la fragilisation
locale d’une partie de plus en plus
importante du tissu de retraités. La
consultation de différents observatoires sociaux locaux (villes de Rezé,
Cholet et Angers) atteste d’une
part de plus en plus importante
de personnes âgées de 50 à 60 ans
bénéficiaires de minima sociaux et
de la couverture maladie universelle (CMU) : entre 5 et 16 % des
ménages de cette même classe
d’âges, selon les quartiers de ces
trois villes. In fine, devant cette
croissance à venir des situations de
vulnérabilité sociale et économique
La Lettre de l’Observatoire des Retraites
Carte 3. Taux de croissance annuel de population âgée dépendante entre
2010 et 2030 dans la région Pays de la Loire (en %)
Sources : Insee, enquête handicap-santé 2008-2009,
scénario intermédiaire, Omphale 2010 scénario central.
des personnes âgées et devant
ces évolutions géographiques
(littorales et périurbaines), il sera
intéressant de suivre dans la région
Pays de la Loire, mais bien sûr aussi
dans d’autres espaces, l’évolution
et les conséquences des réponses
« par poche », segmentées, des
politiques sanitaires et sociales.
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La Lettre de l’Observatoire des Retraites
Décembre 2014 - N°21
et l’externalisation d’un régime
> Lade transformation
retraite supplémentaire à prestations définies
Claire GADONNEIX
Christophe CLAEYS
Cl i G
Claire
Gadonneix
d
dirige le Pôle Retraite Emprunteurs – Assurances Collectives
de Groupama Gan Vie. Christophe Claeys est responsable Normes de BNP
Paribas Cardif
Claire Gadonneix et Christophe Claeys ont mis en commun leurs expertises sous la direction
de Michel Piermay, Président de Fixage, pour réaliser leur mémoire d’actuariat du Centre
d’Études Actuarielles. Ils ont choisi d’étudier l’impact de la transformation en 2001 d’un
régime de retraite supplémentaire d’un grand groupe français. Ils se sont attachés à analyser
les points de vue des différentes parties prenantes de l’opération (assureur, entreprise,
salarié) sous l’angle de différentes visions normatives (vision comptable, vision économique).
Ils démontrent la sensibilité des résultats aux hypothèses prédictives retenues lors de la
transformation du régime et les déséquilibres qui en résultent 11 ans après en fonction de
la réalisation ou non de ces hypothèses. Alors que la transformation du régime avait été
présentée comme neutre pour les salariés à l’époque, il s’est avéré qu’un certain nombre
de risques sous-jacents transférés de l’entreprise vers les salariés (longévité, taux, inflation)
ont conduit dans le contexte économique et financier actuel à de fortes diminutions des
retraites promises. Toutefois, force est de constater que cette opération était nécessaire
à l’époque. A défaut de l’avoir réalisée, l’entreprise serait aujourd’hui en grande difficulté
pour servir ses engagements de retraite : leurs poids auraient plus que doublé dans le
contexte économique et financier actuel.
Les engagements sociaux, et en
particulier les régimes de retraite
supplémentaire à prestations
définies, sont des dettes futures
à long terme envers les salariés,
dont le montant est aléatoire, dont
la mesure peut être complexe et
dont le poids pour les entreprises
est souvent considérable.
Ils sont enregistrés dans le bilan
des entreprises par une provision
comptable qui a été alourdie par
les évolutions réglementaires. Ils
La Lettre de l’Observatoire des Retraites
sont en outre très sensibles au
contexte économique et financier
(en particulier aux taux prévisionnels), et à la réglementation sociale
et fiscale : ils sont par conséquent
peu maîtrisables.
Aussi,
les
entreprises
ont
cherché par le passé à se délester
de ces potentielles « bombes à
retardement » en modifiant les
régimes. À l’aube des années 2000,
dans un contexte économique
favorable, elles ont également
Décembre 2014 - N°21
cherché à externaliser l’engagement
auprès d’organismes assureurs.
Nous nous sommes intéressés à
un cas pratique au travers d’une
opération menée en 2001 visant
à fermer un régime de retraite à
prestations définies, à le transformer,
et à en externaliser l’engagement
auprès d’un organisme assureur,
puis à y adjoindre, pour le futur, un
régime de retraite à cotisations
définies présenté comme une
continuité de l’ancien régime.
17
zzz La transformation et l’externalisation d’un régime
de retraite supplémentaire à prestations définies
Claire GADONNEIX
Christophe CLAEYS
Dans la pratique, l’employeur a
fermé l’ancien régime aux nouveaux
entrants au 31 décembre 2001,
et cristallisé les droits correspondants à cette date par individu en
répartissant par tête le montant de
la provision comptabilisée (norme
IAS19) par l’entreprise au titre du
régime. Il a ensuite construit sur
cette base un nouveau régime,
et externalisé celui-ci par le
versement d’une prime unique à
un organisme assureur, égale au
montant de la provision comptable
au 31 décembre 2001.
Dans le régime transformé, chaque
bénéficiaire se voit accorder, sous
réserve de l’achèvement de sa
carrière dans l’entreprise, une
rente calculée selon les paramètres
techniques (table de mortalité
et taux technique) en vigueur à
la date du départ en retraite, par
conversion du montant issu de
la cristallisation (capital initial),
revalorisée jusqu’au départ en
retraite à un taux minimum net de
2,90% + inflation. Cette garantie
financière n’est pas portée par
l’assureur, mais par l’établissement
dépositaire du Fonds Commun de
Placement accueillant les fonds.
En rouge : l'engagement auprès des salariés
En gris : prestaƟon esƟmée issue de l'engagement
À l’époque l’opération a été un
succès et a permis à l’entreprise
de sortir cet engagement de son
bilan tout en présentant pour
ses salariés une continuité des
prestations.
Nous analysons au travers de notre
étude quels risques ont été ainsi
transférés dans le cadre de cette
opération entre les différentes
parties prenantes. En l’occurrence,
on observe que dans le cadre de
l’externalisation, peu de risques ont
été transférés vers l’assureur, alors
que le transfert de risques majeurs
a été effectué de l’employeur vers
Rente viagère réversible
Montant = % du dernier salaire, selon ancienneté
RevalorisaƟon taux AGIRC
Avant transformaƟon
régime à prestaƟons déĮnies
31/12/2001
départ en retraite
Après transformaƟon
ancien régime à prestaƟons déĮnies fermé ; droits cristallisés sous forme d'un capital individuel ;
mise en place d'un nouveau régime à coƟsaƟons déĮnies
capital consƟtuƟf issu
de la cristallisaƟon de l'ancien
régime : « capital iniƟal »
au 31/12/2001 + revalorisaƟon
à taux mini͕Ϯ͕ϵϬйнŝŶŇĂƟŽŶ
31/12/2001
Rente viagère réversible
Montant = conversion du capital consƟtuƟf
aux condiƟons techniques à la date de départ en retraite
Aucune promesse de revalorisaƟon
départ en retraite
Seule la transformation de l’ancien régime à prestations définies est représentée sur ce schéma. Le nouveau régime à cotisations définies
n’est pas schématisé.
18
La Lettre de l’Observatoire des Retraites
Décembre 2014 - N°21
Fl---ilège : prix 2014
les salariés : inflation (suppression
de la promesse de revalorisation
des rentes au taux AGIRC), taux de
rendement des placements à long
terme, longévité.
Dans la dernière décennie, le
contexte a fortement évolué au
niveau économique, financier,
réglementaire et social, remettant
en cause les paramètres prédictifs
qui étaient connus en 2001 et nous
constatons avec la dizaine d’années
de recul dans quelle mesure les
risques transférés se sont réalisés.
Notre étude a consisté à calculer,
analyser et comparer les différentes
évaluations possibles de l’engagement au titre des régimes de
retraite supplémentaire dont
bénéficient les salariés, avant et
après la transformation, et leur
sensibilité aux paramètres principaux qui ont varié depuis 2001 :
M Nous avons déterminé une
mesure « économique » de l’engagement porté par l’entreprise
au titre du régime à prestations
définies au 31 décembre 2001,
avant sa transformation.
Puis nous avons analysé ce que
devient cette mesure dans le
contexte économique et financier
de fin 2012, et constaté que, principalement sous l’effet de la baisse
du taux d’actualisation, la mesure
augmente de plus de 100 %.
z Pour obtenir une mesure « économique » simple de l’engagement,
nous évaluons les flux futurs
probables actualisés au taux sans
risque, tête par tête, sur les 9 989
bénéficiaires.
z Parmi les paramètres entrant
dans les calculs, certains correspondent à des données internes
à l’entreprise (âge de départ à la
retraite, hausse des salaires et
turnover jusqu’à l’année précédant
celle du départ à la retraite,
hypothèses de réversion, âge
du conjoint). Les autres sont des
données totalement exogènes, et
correspondent précisément aux
risques qui ont fait l’objet d’un
transfert de l’employeur vers les
salariés bénéficiaires :
ƒ Mortalité avant liquidation et en
phase de rente.
ƒ Taux de revalorisation des rentes :
taux AGIRC selon le règlement du
régime.
ƒ Taux d’actualisation : taux sans
risque zéro coupon (source : taux
swap EUSATT Bloomberg).
z Nous avons effectué des
analyses de sensibilité sur ces
paramètres exogènes, en retenant
dans un premier temps les données
anticipées en 2001 au moment
de l’étude, puis en appliquant les
paramètres connus onze ans plus
tard. La variation la plus forte est
celle de la courbe des taux, qui
baissent de plus de 50 %.
On constate que les risques que
portait l’entreprise dans le cadre de
l’ancien régime se sont en partie
réalisés entre 2001 et 2012 :
ƒ le risque de longévité, par l’allongement de la durée de vie constaté
avec les changements de tables
(que l’on estime correspondre à la
réalité de la population étudiée à
défaut d’informations dédiées) ;
ƒ le risque de taux, par la baisse des
taux long terme ;
ƒ l’inflation étant maîtrisée par les
mécanismes mis en place par la
Banque Centrale Européenne, le
Les effets cumulés de la mortalité et des taux se résument ainsi :
Caractéristiques
des paramètres
Taux de
revalorisation
des rentes
(taux AGIRC)
Taux
d’actualisation
(taux sans risque
zéro coupon)
Tables de
mortalité
Mesure
« économique »
de l’engagement
au 31/12/2001
Paramètres 2001
pour les taux
et les tables
2%
Courbe 2001
TV88-90
- TPRV93
263 626 K€
Paramètres 2012
pour les taux
et 2001 pour
les tables
Réel 2001-12
puis 1,4 %
Courbe 2012
TV88-90
- TPRV93
545 998 K€
+ 107 %
Effet taux
Paramètres 2012
pour les taux
et les tables
Réel 2001-12
puis 1,4 %
Courbe 2012
TF00-02
- TGF05
601 765 K€
+ 128 %
Effet cumulé
taux et tables
La Lettre de l’Observatoire des Retraites
Décembre 2014 - N°21
19
zzz La transformation et l’externalisation d’un régime
de retraite supplémentaire à prestations définies
Claire GADONNEIX
Christophe CLAEYS
risque lié à l’inflation ne s’est en
revanche pas réalisé et a même
diminué, mais cela ne compense
pas les autres effets.
Ainsi, si l’entreprise n’avait pas
réalisé la transformation, le poids
économique du régime aurait plus
que doublé par le seul effet des
paramètres exogènes entre 2001
et 2012, à périmètre par ailleurs
inchangé.
M Nous avons ensuite effectué le
calcul de la provision portée au bilan
de l’entreprise, selon les méthodes
des calculs menés au 31 décembre
2001 sur la base de la norme
IAS19, et constaté les écarts avec
la mesure « économique » établie
précédemment. A partir du calcul
comptable de 2001, nous avons
reconstitué la transformation du
régime effectuée à l’époque, et
présenté le montage mis en place
au niveau de l’organisme assureur.
Là encore, nous avons répliqué
ces démarches dans le contexte
économique et avec les paramètres
connus à fin 2012, analysé les
variations, et en avons tiré les
conclusions quant à la faisabilité
de l’opération onze ans plus tard. Il
apparaît que les conditions de 2001,
particulièrement favorables, ont
permis de réaliser une opération
qui aurait été plus difficile (plus
coûteuse) – voire impossible - à
mener dans le contexte actuel.
z Sur le plan de la méthode de
calcul, l’approche pour la mesure de
la provision comptable « IAS 19 »
passe par un capital constitutif
de la rente alors que l’approche
économique mesure des flux
actualisés sur toute la durée de
restitution. Ces deux méthodes
sont analogues à paramètres
identiques de tables et de taux
(mais la méthode comptable ne
permet pas l’utilisation d’une
courbe de taux).
z En revanche, le paramètre
principal de calcul, à savoir le taux
d’actualisation, est très différent :
là où pour le calcul « économique »
nous avions utilisé la courbe des
taux sans risque, la norme IAS
19 préconise d’utiliser un taux
réaliste au regard des données
économiques connues à la date du
calcul, et plus particulièrement le taux
d'émission des obligations du secteur
privé en euros « de grande qualité »
pour des durations équivalentes
à celles des engagements. Nous
avons retenu la référence la plus
communément
utilisée pour
l'évaluation des engagements
sociaux des entreprises : le taux
« iBoxx Corporate AA10+ », qui est
le taux d'émission des obligations
corporatives de sociétés cotées
AA à 10 ans et plus, dont la valeur
est bien plus élevée que celles des
courbes de taux sans risque.
On constate que, en raison du taux
d’actualisation particulièrement
élevé fin 2001 (6,14%), la provision
calculée est particulièrement
basse. Or c’est le montant de cette
provision, versé comme une prime
unique, qui fonde la transformation du régime de retraite supplémentaire pour les bénéficiaires
concernés.
Dans le cas étudié, l’entreprise
a donc saisi l’opportunité de
cette période de taux élevés, et
Les effets cumulés de la mortalité et des taux se résument ainsi :
20
Caractéristiques
des paramètres
Taux d’actualisation
(iboxx)
Taux technique
(taux d’actualisation – taux
revalo des
rentes)
Tables de
mortalité
Provision
comptable
au 31/12/2001
Paramètres 2001
pour les taux
et les tables
6,14 %
4,14 %
(revalo 2 %)
TV88-90
- TPRV93
232 412 K€
Paramètres 2012
pour les taux
et 2001 pour
les tables
3%
1,6%
(revalo 1,4 %)
TV88-90
- TPRV93
445 220 K€
+ 92 %
Effet taux
Paramètres 2012
pour les taux
et les tables
3%
1,6 %
(revalo 1,4 %)
TF00-02
- TGF05
490 396 K€
+ 111 %
Effet cumulé
taux et tables
La Lettre de l’Observatoire des Retraites
Décembre 2014 - N°21
Fl---ilège : prix 2014
externalisé le régime sur la base
de ce calcul par le versement d’une
prime unique égale à la provision
mesurée à un niveau particulièrement bas.
z Nous avons reconstitué la modélisation qui a permis à l’entreprise de
répartir par bénéficiaire le montant
de la provision, et de déterminer le
montant du « capital initial » de
chaque bénéficiaire constituant
la base de la prestation du régime
après transformation.
Cette modélisation est construite
dans l’objectif de démontrer la
continuité entre l’ancien régime
à prestations définies et le futur
régime à cotisations définies ; pour
cela la répartition se fait en reconstituant pour chaque individu le
montant théorique de cotisations
accumulées et capitalisées au
31 décembre 2001 s’il avait cotisé
depuis ses 25 ans à un régime de
retraite à cotisations définies1.
Le paramètre ajustable permettant d’obtenir l’égalisation entre la
somme des épargnes individuelles
ainsi calculées et la provision
comptable est le taux de capitalisation théorique rétrospectif.
Pour la provision calculée avec
les paramètres connus en 2001,
ce taux s’élève à 4,8 %. La
présentation aux salariés de la
continuité entre l’ancien régime
transformé, à prestations définies,
et le nouveau régime à cotisations
définies, repose sur ce taux de
capitalisation théorique passé.
Si ce taux n’a soulevé aucune
remarque à l’époque, car il
semblait cohérent en 2001 avec
des taux prévisionnels prudents, il
est en fait très bas en comparaison
des taux passés effectivement
observés sur la période de capitalisation théorique reconstituée qui
ont varié autour de 8 %.
Lorsqu’on reproduit la même
démarche à partir de la provision
calculée avec les paramètres de
taux actuels, ce taux s’élève à
10,6 % : il est élevé au regard des
taux passés et peu réaliste au regard
des prévisions de taux futurs et de
Les résultats permettent de chiffrer
la diminution des garanties :
la garantie de rendement promise
par le FCP : il ne serait donc plus
possible de tenir le même discours
aux salariés.
M Enfin, nous avons analysé l’engagement du point de vue des salariés
concernés : quelle était la garantie
avant et après transformation
et externalisation du régime,
au 31/12/2001 puis en 2012 ?
L’opération de transformation qui
pouvait sembler quasiment neutre
en 2001 s’avère a posteriori avoir
eu un effet très significatif de
diminution de la garantie.
z Nous avons évalué le montant
de la rente pour quelques salariés
représentatifs de la population
étudiée, essentiellement masculine
(86 %) et qui présente deux pics
démographiques : un homme de
35 ans (premier pic démographique),
un homme de 42 ans (moyenne
de la population), et un homme de
54 ans (second pic démographique).
Ces chiffrages montrent clairement :
ƒ Qu’en 2001, compte tenu des
Homme 35 ans
Homme 42 ans
Homme 54 ans
Rente annuelle "acquise" avant
transformation
1 764
3 165
4 575
Rente annuelle "théorique" après transformation (vision 2001)
2 666
3 171
3 646
Impact de la transformation sur le montant
de la rente (vision 2001)
+51 %
0%
-20 %
Rente annuelle "théorique" après transformation (vision 2012)
1 510
1 883
2 351
Impact de la transformation sur le montant
de la rente (vision 2012)
-14 %
-41 %
-49 %
Paramètres modifiés entre les visions 2001 et 2012 : taux d'actualisation ; inflation ; mortalité
Hypothèse de départ à la retraite à 62 ans
1
La modélisation utilise un modèle polynomial du second degré pour reconstituer les salaires individuels entre l’âge de 25 ans
et le 31 décembre 2001.
La Lettre de l’Observatoire des Retraites
Décembre 2014 - N°21
21
zzz La transformation et l’externalisation d’un régime
de retraite supplémentaire à prestations définies
Claire GADONNEIX
Christophe CLAEYS
paramètres prédictifs à cette date,
la transformation du régime était
neutre sur la population moyenne
(impact de la transformation sur
l’homme de 42 ans).
ƒ Mais cette apparente neutralité
dissimule une forte redistribution
entre les générations : avec la
transformation, les salariés les
plus proches de la retraite sont
nettement perdants alors que
les plus jeunes voient leur rente
estimée augmenter.
Avec la réalisation entre 2001 et
2012 des risques transférés vers les
salariés, et en particulier du risque
de baisse des taux, la neutralité
disparaît : la transformation observée
a posteriori a entraîné une baisse
conséquente de la garantie pour
tous les salariés (et encore plus
pour les plus âgés).
zzzz
Cette étude nous a permis de
mettre en évidence l’impact
considérable sur les différentes
mesures d’un même engagement
de paramètres prédictifs, et en
particulier des taux de rendement
à long terme. Dans le cas de notre
étude, on peut conclure que :
une « économie » conséquente : si
l’opération n’avait pas été finalisée,
la provision au passif de son bilan,
à périmètre inchangé, aurait plus
que doublé en 2012 (du fait principalement de la baisse des taux).
ƒ Du point de vue des salariés,
on constate que les risques qui
leur ont été transférés se sont en
grande partie réalisés : si l’inflation,
maîtrisée par la Banque Centrale
Européenne, a peu évolué, en
revanche les taux des placements
à long terme ont été très largement
revus à la baisse, et la longévité
estimée des populations a été
revue à la hausse dans les tables de
mortalité réglementaires.
Nous avons ainsi pu, sur ce cas concret,
analyser comment l’utilisation des
mesures prédictives qui font l’hypothèse d’un certain déroulement du
futur peut permettre d’orienter la
présentation des réformes envisagées,
et d’influencer les décisions, selon le
référentiel utilisé et le point de vue
selon lequel on se place.
ƒ Si on avait connu en 2001 les
paramètres actuels, l’opération de
transformation du régime n’aurait
pas pu se faire de la même façon :
le coût en aurait été plus élevé, et
la négociation avec les salariés plus
difficile.
ƒ Le fait d’avoir effectivement
procédé en 2001 à la transformation
a permis à l’entreprise de réaliser
22
La Lettre de l’Observatoire des Retraites
Décembre 2014 - N°21
sécuriser la poursuite de l’activité
> Comment
des seniors par une politique de santé préventive ?
Stéphanie GAY
Di t
Directeur
de
d Projets au cabinet de conseil en ressources humaines et
innovation sociale The YellowBridge
Diplômée de la European Business School de Paris en 1989, forte d’une vingtaine d’années
d’expérience dans le conseil, puis dans la grande distribution, Stéphanie Gay a suivi en
2012-2013 le master Executive Ressources Humaines de l’ESSEC. Sous la direction de
Jean-Marie Peretti, elle a consacré sa thèse professionnelle à la question de l’activité des
seniors : « Comment garantir la continuité de l’activité des seniors par la mise en place d’une
politique de santé basée sur la prévention ? ». Regrettant la faible prise de conscience des
contraintes démographiques à venir et la tendance à privilégier le curatif et l’indemnisation
sur la prévention, elle plaide pour une intégration forte de la dimension santé dans le
management des entreprises.
La préservation de l’emploi des seniors est liée à la mise en place
d’une politique de santé innovante basée sur la prévention
Le chômage des seniors est un
des nombreux dossiers que le
gouvernement doit traiter en
priorité. Le chômage des plus de
50 ans a progressé de plus de 11,6 %
en un an1. Et ce phénomène risque
de s’accentuer, mettant en péril les
effets attendus de l’allongement
de la vie professionnelle comme
mesure pour financer et maintenir
notre système de retraite.
D’ici 2030, un Français sur deux
aura plus de 50 ans. L’allongement
de la vie professionnelle, et donc
l’employabilité des seniors, est
une problématique à laquelle
sont confrontées les entreprises
françaises, sans toutefois
mesurer tous les enjeux.
en
La préservation de la santé des
salariés et la diminution de leur
exposition à la pénibilité sont
nécessaires pour allonger la vie
professionnelle. Entreprises et
pouvoirs publics doivent réfléchir
et mettre en œuvre des mesures
de prévention efficaces. Il ne s’agit
plus de raisonner uniquement
sur la compensation, ou le
dédommagement.
L’étude d’Aurelia Ortiz2 tend à
démontrer que les actifs seniors
sont en meilleure santé que la
population générale dans laquelle
on dénombre des malades dans
l’incapacité de rester en activité.
L’analyse de Debrand et Lengagne3
montre que le sentiment de sécurité
dans l’emploi est associé à une
augmentation de la probabilité
de se sentir en bonne santé, de ne
présenter aucun signe de dépression, de ne pas être limité dans ses
activités et de ne souffrir d’aucune
maladie. Le risque de chômage
est, quant à lui, deux fois plus
élevé pour les personnes qui se
considèrent en mauvaise santé.
Francois Rebsamen, ministre du
Travail, lors de la grande conférence
sociale des 7 et 8 juillet 2014, a
Références page 30
La Lettre de l’Observatoire des Retraites
Décembre 2014 - N°21
23
zzz Comment sécuriser la poursuite de l’activité
des seniors par une politique de santé préventive ?
Stéphanie GAY
d’ailleurs inscrit dans la feuille de
route des mesures sur la pénibilité
et la santé au travail pour encourager « le maintien en emplois actifs
des plus âgés4 ».
Le poids de la représentation
sociale des seniors
Le terme même de seniors stimule
l’imagination et les stéréotypes.
Un changement de vocabulaire
pourrait permettre un changement
dans la représentation que l’on
s’en fait.
En ce sens, la définition proposée
par Alain Labruffe5 est intéressante.
Il propose de réserver le terme de
« seniors » aux retraités actifs et
le terme de « jeniors » aux plus de
cinquante ans qui travaillent ou qui
le devraient. Le terme de « zeniors »
serait lui réservé aux personnes du
4ème âge qui peuplent les maisons
de retraite.
L’ancrage de la représentation
des seniors peut paraître simple.
Souvent il se base à partir de faits
avérés sur les effets physiques du
vieillissement, et également sur
leurs conséquences psychiques.
Le vieillissement reste souvent
associé à l’idée de perte : de
compétence, d’envie, de tonus, de
santé... et tend à devenir synonyme
de « fragilisation ».
Les pouvoirs publics et les partenaires
sociaux ont également contribué à
cette diversité, en introduisant leurs
propres définitions :
ƒ les bornes d’âges : les 55 - 64 ans
de la stratégie européenne pour
l’emploi,
ƒ les plus de 50 ou les plus de
55 ans dans le décret d’application de la loi de financement de la
Sécurité sociale 2009,
ƒ les plus de 45 ans pour
l’entretien de seconde partie de
carrière préconisé dans l’accord
national
interprofessionnel
d’octobre 2005.
Les entreprises disposent ainsi de
plusieurs définitions des seniors,
mais c’est surtout l’approche du
sujet qui les guide et elles adaptent
leurs propres définitions. C’est
ainsi que dans l’entreprise, l’utilité
sociale des seniors est principalement envisagée sous l’angle
économique, à savoir ce qu’ils
coûtent. Dans l’entreprise, les
travailleurs seniors doivent faire
face à des croyances âgistes quant
à leurs habiletés, leur productivité,
leur capacité de changement et
leur adaptation ; croyances qui,
pour bon nombre d’entre eux ne
correspondent aucunement à leur
performance réelle6.
La santé au travail, enjeu
majeur pour améliorer
l’employabilité des seniors
« L’employabilité des seniors dépend
principalement de trois éléments au
moins : la santé, les compétences et
l’engagement au travail7 ».
Ce constat ne leur est bien sûr pas
spécifique, néanmoins, ils peuvent
présenter certaines caractéristiques
au regard des éléments en question.
En termes de santé, on sait que
la proportion de personnes
souffrant de limitations de leur
capacité de travail augmente
avec l’âge. Nous sommes dans un
phénomène paradoxal, on devient
physiquement vieux beaucoup plus
tard mais socialement beaucoup
plus tôt.
L’objectif d’une augmentation du
taux d’emploi des seniors doit
Caractéristiques
de l'environnement
Situations
d'éviction
-
Préservation de la santé
Développement
des compétences
Engagement professionnel
+
Situations
d'intégration
Capacités
de l'individu
Source ANACT, Maintien et retour en activité des seniors, rapport d’étude, 7 septembre 2009.
24
La Lettre de l’Observatoire des Retraites
Décembre 2014 - N°21
Fl---ilège : prix 2014
s’accompagner d’une meilleure
prise en compte de leurs conditions
de travail en vue de favoriser leur
maintien dans l’emploi.
En France, on prend en compte la
santé au travail essentiellement
sous forme de réparation ou de
compensation financière du fait
des lourds risques juridiques
générés par les obligations des
employeurs. Ce phénomène occulte
les visées de prévention et de
promotion de la santé au travail8.
Dans les principaux articles du code
du travail, la loi laisse une large
part à la prévention et aux actions
de formation. Ces obligations ont
incité les entreprises à signer des
accords ou plan d’actions avec les
partenaires sociaux.
Selon Peretti9, « six cents accords
ou plans d’action ont été engagés
début 2011 suite à l’injonction
gouvernementale de 2009 pour
les entreprises de plus de
1000 salariés. Les facteurs de
risques psychosociaux sont
identifiés dans 44 % des accords
mais peu d’accords contiennent un
programme d’actions et de préventions finalisées ».
Le développement de la santé et
du bien-être au travail et l’amélioration des conditions de travail
constituent un enjeu majeur pour
notre politique sociale dans les
années à venir. Le paradoxe est là,
la prévention et la promotion de
la santé ne s’imposent pas… Elles
doivent se construire par l’action
collective des entreprises et de
l’État, mais aussi par la responsabilisation individuelle des salariés.
La Lettre de l’Observatoire des Retraites
En l’absence de mise en place d’un
plan de prévention de la santé au
travail dans les entreprises, on
s’expose à des coûts de plusieurs
types. La souffrance au travail peut
facilement se mesurer au travers
de trois principaux coûts : le coût
humain, le coût économique
pour l’entreprise (absences,
conséquences négatives sur les
autres salariés, allant jusqu’à la
démotivation généralisée), le coût de
notre système de protection sociale.
Si l’on fait une liste de quelques
indicateurs clés en France, on
identifie de manière précise les axes
de progression très importants et
les gains induits.
ƒ 700 000 accidents du travail (AT)
par an ;
ƒ 45 000 maladies professionnelles
(MP) pour le seul régime général
par an ;
ƒ 7,7 milliards d’euros de prestations
ont été versées pour ces AT et MP.
L’absentéisme dans les entreprises
françaises représente 4,85 % de la
masse salariale ;
ƒ 1 personne par jour meurt à la
suite d’un accident professionnel
ou d’une maladie professionnelle ;
ƒ 13 % de la population est exposée
à au moins un agent cancérigène ;
ƒ 68 % des actifs déclarent connaître
un ou plusieurs problèmes de
santé chronique avec 30 % liés aux
problèmes de stress et d’anxiété ;
ƒ 7,2 % d’augmentation en dix ans
des troubles musculo-squelettiques
(TMS) qui représentent 80 % des
maladies professionnelles reconnues
et indemnisées.
D’après les spécialistes, cette
augmentation constante des TMS
Décembre 2014 - N°21
est non seulement liée au stress
et aux conditions de travail mais
aussi au manque de prise en
considération de la pénibilité au
travail des salariés vieillissants et
de façon générale à une prévention
primaire insuffisante.
Nous voyons au travers des indicateurs ci-dessus, qu’il reste des
leviers importants pour améliorer
la situation de la France en terme
« santé au travail » au sens large.
L’ émergence de ce nouveau défi est
une formidable opportunité pour
relancer l’emploi, et en particulier
celui des seniors.
Quelques pistes de travail
pour innover en matière
d’employabilité des seniors
« Ce n’est pas en retardant par
décret l’âge de départ à la retraite
que l’on règlera le problème
posé par le vieillissement de la
population de l’entreprise, mais en
articulant une politique incitative
de maintien en activité » selon
Reale et Dufour10. Ils dénoncent
également une pratique de la
séniorité hautement préjudiciable
pour les entreprises avec pour
conséquence immédiate une perte
de savoir-faire des seniors, faute
d’avoir su organiser un transfert
de savoir-faire vers les plus jeunes
ainsi que de manière globale une
perte de mémoire de l’entreprise,
de ses réseaux internes et externes.
Une nouvelle politique de gestion
des ressources humaines doit être
inventée, car pour maintenir les
salariés âgés au travail, encore
faut-il qu’ils soient en bonne santé.
25
zzz Comment sécuriser la poursuite de l’activité
des seniors par une politique de santé préventive ?
Stéphanie GAY
Un autre enjeu social concerne la
prévention de l’usure professionnelle
et la préservation de la santé par
l’identification des populations
fragilisées. Il faut analyser les
différentes causes d’usure et y
apporter des réponses appropriées.
Elles sont de nature et de niveau
différents, de l’aménagement des
postes de travail à un projet plus
large d’amélioration continue des
conditions de travail.
Petites ou grandes, les entreprises
vont être confrontées à l’allongement du temps de travail. Autant
saisir cette obligation comme une
opportunité pour progresser et
améliorer les conditions de travail
de tous les salariés. Selon de Vaivre
et Bouvet, « la visée de la santé
équilibre de vie au travail est un
fantastique levier de création de
lien social et d’implication positive,
pour les Opérationnels et le Terrain
comme pour les Ressources
Humaines et les Dirigeants ».
LA SANTÉ
Le sujet de la Santé est sensible, et
l’entreprise ne peut se substituer à
l’individu sur le sujet. Au cœur de
l’entreprise, tout salarié a l’obligation de prendre soin de sa santé et
de celle de ses collègues concernés
par ses actes au travail (article L.
4122-1 du Code du travail).
L’ employeur
est
responsable
devant la loi de la santé et de la
sécurité des salariés dans son
entreprise. Il est le garant de la
politique de prévention et de
sa mise en œuvre. Pour cela,
il s’entoure des compétences
26
nécessaires et a pour conseiller le
médecin du travail.
L’ entreprise doit avoir maintenant
un rôle de « préventeur », elle doit
innover et intégrer la santé de ses
salariés dans ses indicateurs de
performance. La promotion de la
santé et du bien-être au travail fait
partie du rôle social et sociétal des
entreprises.
En ce sens, l’expérience mise en
place au Québec avec la création
d’un label « Entreprise et Santé »
est semble-t-il le bon compromis.
L’ entreprise sensibilise ses salariés
sur 4 sphères, véritables leviers
de sa santé. Cette sensibilisation
couvre à la fois les habitudes de vie,
la conciliation Travail-Vie personnelle,
l’ environnement de travail, les
pratiques de management qui
favorisent l’équilibre et minimisent
le stress.
La Gestion Prévisionnelle
des Emplois
et des Compétences (GPEC)
La GPEC menée spécifiquement
pour les seniors est peu développée.
Pour la rénover, l’entreprise doit
maintenant intégrer une réflexion
sur les emplois occupés par
les seniors et leurs évolutions,
le renouvellement de leurs
compétences, et sur leur santé
grâce à la mesure de la pénibilité
de leur poste de travail et de leurs
conditions de travail.
Cette réflexion est essentielle pour
piloter les compétences futures de
l’entreprise.
Les bilans d’étapes professionnelles
et l’entretien senior ont pour
objectifs de suivre ces populations
en particulier, avec un suivi plus
spécifique, mais l’entreprise
pourrait tout simplement instaurer
l’entretien d’évaluation adapté au
senior comme l’a déjà fait Yoplait
notamment.
L’ entreprise peut
également
apporter un appui aux salariés
seniors pour faire des bilans de
compétences, des accompagnements de la Validation des Acquis
de l’Expérience (VAE) et aider
de ce fait les collaborateurs à se
réorienter.
Cette rénovation permettrait
finalement de créer une véritable
GPPPPEC (Gestion Prévisionnelle,
Préventive,
Personnalisée
et
Partagée des emplois et des
compétences) décrite par Marbot
et Peretti. La GPEC ne doit plus être
le passage obligé avant la mise en
place d’un Plan de Sauvegarde de
l’emploi mais un véritable outil de
prévision et d’anticipation.
Il faut une véritable prise de
conscience de part et d'autre :
l'entreprise en offrant de véritables
opportunités « dédiées » aux seniors,
et les salariés seniors en admettant
que leur objectif principal est le
maintien dans l'emploi de manière
différente.
Matsutchita, groupe industriel
Japonais de 50 000 personnes, a
inscrit dans son plan stratégique
le maintien de l'emploi des salariés
jusqu'à 65 ans, avec des emplois
adaptés pour les salariés âgés.
La Lettre de l’Observatoire des Retraites
Décembre 2014 - N°21
Fl---ilège : prix 2014
Les emplois sont adaptés, mais
sous contraintes. Les salariés
bénéficient d'un contrat de travail
annuel renouvelable, à temps
plein ou à temps partiel. Leur
rémunération est plus faible mais
peut être partiellement complétée
par leur retraite.
L'innovation réside également
dans l'adaptation des postes de
travail proposés aux seniors. Il ne
s'agit pas uniquement de l'adaptation physique et ergonomique
du poste de travail, mais aussi de
l'adaptation même du contenu des
missions confiées aux seniors.
Depuis 1999, l'entreprise Thalès a
créée TMC (Thalès Mission Conseil),
une structure de consultants internes
basée sur le constat suivant :
ƒ nombre de salariés seniors
compétents se retrouvent au
gré des restructurations sans
affectation précise,
ƒ parallèlement, l'entreprise a de
réels besoins en matière de conseil.
Thalès a donc proposé à un certain
nombre de ses collaborateurs
seniors de rejoindre TMC pour
y passer 18 mois et mettre à
profit dans le domaine du conseil
leur expérience professionnelle.
Environ 70% des collaborateurs
passés par TMC ont retrouvé un
poste opérationnel.
Henri Maire, entreprise de
300 personnes, propriétaire
récoltant depuis plus de 60 ans
dans le Jura, a mis en place une
stratégie de recrutement des
seniors pour bâtir son réseau
commercial. En effet, les horaires
La Lettre de l’Observatoire des Retraites
de travail sont adaptables, le poste
requiert une grande autonomie,
et une certaine sérénité qui est
une qualité requise pour le poste.
Ce dernier exemple nous montre
que le critère de l’âge peut être
également vu pour certains
métiers comme une « qualité »
nécessaire pour exercer le poste.
l'entreprise (conseil interne, coaching,
mission de transformation) ;
ƒ la possibilité de favoriser le
dispositif cumul emploi - retraite,
appelé en Grande Bretagne le
« Bridge Employment11 ».
Autre exemple de bonne pratique,
cette banque en ligne qui forme
des apprentis de plus de 50 ans
pour favoriser la constitution
d’équipes mixtes afin de mieux
répondre aux attentes d’une
clientèle vieillissante (expérience
menée par la banque en ligne
allemande, ING DIBa).
Depuis longtemps, les pays de
l’Europe du Nord ont intégré le
paramètre des rémunérations
dans leur politique globale de
gestion des carrières. Pourquoi ne
pas s’en inspirer ?
Yoplait a fait le choix d'offrir à ses
retraités les plus expérimentés la
possibilité de partir au Canada dans
le cadre de son projet d'implantation d'un site de production,
profitant ainsi du savoir-faire des
plus anciens, et aux salariés en
retraite de bénéficier du cumul
emploi-retraite.
Les solutions innovantes reposent
donc à la fois sur :
ƒ des nouveaux modèles d'organisation du travail : adaptation des
postes, adaptation des rythmes en
modulant le temps de travail, cadres
juridiques différents (sociétés de
portage interne ou externe, statut
auto entrepreneur) ;
ƒ la mobilité, qu'elle soit fonctionnelle
ou géographique, est tout à fait
pertinente si elle est accompagnée ;
ƒ de nouvelles opportunités et
de nouvelles missions de nature
différente : inventer de nouveaux
challenges pour les seniors et
Décembre 2014 - N°21
Les politiques de
rémunérations
En effet, il serait plus facile pour les
seniors d’augmenter leur employabilité si leur niveau de rémunération était plus faible. En Suède
par exemple, le salaire moyen des
55-65 ans n’est pas plus élevé que
celle des quadragénaires, facilitant
ainsi leur intégration sur le marché
du travail.
Il est par ailleurs important d’intéresser les dirigeants et les managers
à la santé de collaborateurs en
intégrant ce paramètre dans leur
rémunération. La trajectoire professionnelle de leurs collaborateurs
sera plus performante si ceux-ci
sont en bonne santé.
La première recommandation du
rapport Lachmann, Larose, Penicaud12
met en avant le rôle de la
Direction générale et du Conseil
d’administration. Peuvent-ils réellement être impliqués sans adosser
cette implication à des critères de
rémunérations ?
Des sociétés telles qu’ AXA ou
27
zzz Comment sécuriser la poursuite de l’activité
des seniors par une politique de santé préventive ?
Stéphanie GAY
Schneider Electric ont déjà intégré
ces critères dans la rémunération
variable de leurs dirigeants.
Une étude réalisée par l’ORSE
nous enseigne que la part de ces
critères représente entre 10 et
30 % de la rémunération variable
des
entreprises
interrogées.
Chez Danone, le choix s’est porté
sur un critère social (33 % du
variable) avec comme indicateur
le taux de fréquence des arrêts de
travail et la couverture santé des
collaborateurs.
En 2011, 21 entreprises du CAC 40
ont intégré les paramètres sociaux
dans la part variable de rémunération de leurs dirigeants.
La santé au travail fait également
partie des responsabilités du
manager de proximité. Pour ce
faire, il faut que les entreprises
accompagnent les managers dans
cette tâche au travers de la formation.
Malgré tout, ceux-ci doivent être
également préparés lors de leur
formation initiale.
L’entreprise doit intégrer la santé au
travail dans le descriptif de poste
des managers, dans les critères de
promotion, et en allouant plus de
temps aux managers pour passer
à leur tour du temps avec leurs
collaborateurs.
Si l’entreprise donne des moyens à
ses managers, elle pourra d’autant
plus intégrer la santé au travail
comme critère de leurs rémunérations variables.
Le groupe Matsutchita cité
précédemment, au Japon, a opté
28
pour une révision du système de
rémunération de ses salariés de
plus de 60 ans, sur la base d’un
contrat de travail annuel renouvelable (logique d’emploi temporaire).
La rémunération est par ailleurs
adaptée en conséquence : la
rémunération fixe rémunère les
compétences et l’évolution de ces
compétences ; la rémunération
variable rémunère la performance.
La réelle question est de voir où
se situe le collaborateur dans
l’échelle des salaires. Le senior est
censé être plus compétent donc
plus performant, donc avoir plus
de variable. Un junior est censé
augmenter ses compétences donc
augmenter son fixe. Les attentes
des collaborateurs en fonction
de leur situation ne sont pas les
mêmes. De cette manière, on
peut imaginer plus facilement
la reconversion d’un senior, ou la
possibilité de retrouver un emploi
en dehors de son entreprise.
Plans de départ volontaire
et indemnisations chômage
des salariés de plus de 45 ans
Aujourd’hui, 53% des entreprises
ne perçoivent pas le vieillissement
comme un sujet qui les concerne.
Des entreprises comme Renault
et Nestlé en France ont toujours
recours de façon massive au PDA
(Plan de Départ Anticipé) des plus
de 58 ans.
En Suède, la loi de 1974 a permis
de contenir les pratiques de
départ anticipé utilisées par les
entreprises, avec la règle du «
First in, last out13» qui rend plus
difficile le licenciement des travail-
leurs plus anciennement présents
dans l'entreprise. Cette mesure
appliquée en France aurait pour
avantage d’inciter les entreprises
à travailler sur la gestion des
carrières de leurs salariés âgés.
Cette stimulation « contrainte »
permettrait à la fois d'anticiper la
gestion de la pyramide des âges,
les conditions de travail, les besoins
futurs en matière de compétences.
Le maintien de la « bonne santé »
des salariés s'inscrirait ainsi dans la
durée.
Une autre bonne pratique mise
en œuvre également par le
gouvernement suédois, encadrant
de façon stricte les indemnisations
chômage, pourrait faire partie de
la réforme de notre système de
financement public des retraites
anticipées et du chômage. En effet,
75% du budget public est investi
dans la formation favorisant le
maintien en activité du public
sensible tel que les seniors.
La France devrait s’inspirer de ce
modèle plutôt que de privilégier
uniquement l'indemnisation des
chômeurs.
En effet, former les chômeurs de
plus de 45 ans sur de nouvelles
compétences, métiers ou missions
plutôt que l'indemnisation seule,
permettrait certainement de
contribuer à leur employabilité,
assortie d'une embauche plus
probable.
Une autre modification de taille
pourrait être apportée au dispositif
« contrat de génération », qui en
substance devait initialement
La Lettre de l’Observatoire des Retraites
Décembre 2014 - N°21
Fl---ilège : prix 2014
maintenir dans l'emploi les salariés
de plus de 57 ans, assortie d'une
embauche d'un collaborateur de
moins de 26 ans. Il apparaît que
ce dispositif est trop contraignant
pour les entreprises, surtout en
période de crise économique.
Dans la mesure où la cible est
plutôt les seniors de plus de 50 ans
sans qualification, qui sont à 75 %
toujours au chômage un an après
leur perte d'emploi, pourquoi ne
pas adapter le dispositif aux plus
de 50 ans ? D’ailleurs l’opérateur
de téléphonie Free a fait ce choix,
malgré une pyramide des âges peu
favorable pour l’application de ce
dispositif. La grande majorité des
salariés de Free ont entre 30 et
40 ans. De ce fait, l’accord contrat
de génération récemment signé
prévoit ainsi de classer en catégorie
« senior » les salariés de plus de
46 ans, pour élargir les effectifs
susceptibles de jouer un rôle de
référent auprès des futurs jeunes
embauchés.
Par ailleurs, ce dispositif financièrement incitatif pour les entreprises
de moins de 300 salaries, ne l'est
pas pour les autres. Ne seraitil pas envisageable d'assortir le
dispositif de contrat de génération
d'un volet formation et conseil,
inspiré du modèle finlandais ?
Les entreprises de plus de 300
salariés
ainsi
accompagnées
pourraient travailler à la fois sur
la gestion prévisionnelle de leurs
compétences mais aussi sur les
conditions de travail.
La Modification du cadre légal
pourrait donc aboutir à :
La Lettre de l’Observatoire des Retraites
ƒ un encadrement renforcé des PSE
(Plan de Sauvegarde de l'Emploi)
en protégeant les salariés les plus
anciens ;
ƒ un contrôle plus strict des dispositifs de retraites anticipées ;
ƒ une refonte systémique des paramètres d'indemnisations chômage
des seniors en privilégiant la
formation ;
ƒ une modification du dispositif de
contrat de génération débouchant
sur une véritable gestion des âges
en travaillant sur les compétences
mais aussi sur la santé au travail.
Le « Slow Management »
Selon Steiler, Sadowsky, Roche, « il
faut prendre le temps de mettre
en place une politique préventive
et globale de la gestion du stress
(et donc de la santé), il faut
prendre le temps de faire du « slow
management15 ».
Il y a, en effet, une corrélation entre
le mode de management dans les
entreprises en France et l’état de
santé des salariés. Entre 2001 et
2009, les maladies professionnelles
ont augmentées de 125 %. Les
risques psychosociaux, quant à
eux, touchent 24 % des hommes et
37 % des femmes.
L’exemple suédois, qui accorde
une place importante à l’individu
et à ses besoins dans l’entreprise,
et une moindre importance de la
hiérarchie, contribue à favoriser un
comportement plus stimulant du
management et se rapproche le
plus du « slow management ».
Le « slow management » basé sur
la pédagogie, l’écoute et le sens
Décembre 2014 - N°21
exacerbé de la communication
permet d’établir un environnement
de travail plus sain.
La politique de « slow management »
dans les entreprises permet à
moyen terme d’améliorer les
conditions de travail et donc de
santé des salariés.
Ce mode de management est basé
sur des items simples, mais non
pratiqués dans bien des cas :
ƒ construire des solutions de
qualité, stables et de longue durée
avec les salariés, les clients, les
fournisseurs ;
ƒ améliorer les conditions de
travail ;
ƒ réduire, hiérarchiser et organiser
les demandes ;
ƒ repenser la relocalisation,
l’organisation de la participation,
le partage du temps de travail, et le
développement des connaissances.
Le plan de santé des entreprises
est souvent curatif. Il identifie
les symptômes et met en œuvre
des actions pour les enrayer.
Malheureusement, supprimer le
symptôme ne supprime pas de fait
la raison de ce symptôme.
C’est là que le slow management
a son rôle à jouer. Le management
doit changer la cible de ses responsabilités : « passer de la détection de
la souffrance au travail à la mise en
œuvre des conditions nécessaires
au bien-être au travail ».
Selon John Sadowsky16, « on parle
beaucoup de Google, de ses
bureaux et de son atmosphère
ludique. Bien sûr, cette entreprise
a d’importantes ressources et les
29
zzz Comment sécuriser la poursuite de l’activité
des seniors par une politique de santé préventive ?
Stéphanie GAY
employés bénéficient de nombreux
avantages. Mais ce qui est le plus
important, c’est la manière dont le
dialogue et les contacts entre les
employés et leur supérieur sont
constants ».
La crise économique actuelle n’est
pas très encourageante pour la mise
en place du « slow management »,
mais cette gestion « durable » des
salariés permettra à l’entreprise
d’éliminer les facteurs de stress
et de remettre la confiance,
la coopération, la réflexion et
l’innovation sociale au cœur de ses
préoccupations.
L’entreprise pourra alors être perçue
dans sa composante humaine
avant d’être conçue comme un
centre de profit.
Ainsi pourra-t-elle améliorer dans la
durée ses indicateurs de turn-over, de
maladies professionnelles, diminuer
ses taux de risques psychosociaux
et de troubles musculo-squelettiques,
et par conséquent favoriser l’employabilité de ses seniors.
Ce mode de management est
bien sûr à destination de tous les
salariés, mais les seniors y seront
d’autant plus sensibles.
Ce changement de paradigme
permettra de redonner une valeur
ajoutée managériale plus positive.
Le slow management est l’une
des pierres de l’édifice que les
entreprises devront poser pour
améliorer le climat, la santé et
pérenniser la présence des seniors
dans leur activité.
30
L’apparition de nouveaux
besoins n’est-elle pas un
des leviers pour développer
l’employabilité de nos jeunes
« seniors » en entreprise ?
Les pouvoirs publics et les
entreprises doivent travailler sur les
raisons du symptôme plutôt que le
symptôme lui-même. Une rénovation complète de notre modèle
s’impose, les entreprises et les
pouvoirs publics devront engager
des réformes de fond, comme la
modification du cadre légal des
plans de départ volontaire, la
réforme systémique des retraites
et les politiques de rémunérations.
Les professionnels de la fonction
Ressources Humaines devront
quant à eux, s’approprier le
sujet afin de l’intégrer dans leur
stratégie de développement, en
innovant et métamorphosant la
gestion prévisionnelle des emplois
et des compétences et en créant ce
que nous appellerons un troisième
cycle de vie professionnelle.
En faisant une analyse prospective
de la situation, on peut penser que
le vieillissement de la population
peut être synonyme de création
d’emplois. Plus le nombre de
personnes âgées augmente, plus
les besoins de soins liés à la prise
en charge de la dépendance sont
nombreux. Le secteur du service
à la personne, par exemple, est
amené à croître. Il représente
3 % des emplois en Europe et va
certainement augmenter dans
l’avenir.
Gageons que cette perspective
de développement de nouveaux
services « à la personne » permettra
de redonner du souffle à l’emploi,
et en particulier à celui des seniors.
Le prérequis essentiel à toute
gestion innovante des ressources
humaines est la mise en place d’un
socle « Santé » indispensable, à la
fois pour que le senior bénéficie
d’un sentiment de « bien-être au
travail » et que les entreprises
disposent de collaborateurs performants car en bonne santé.
Plus on préserve la santé, plus on
favorise l’intégration des seniors
dans les entreprises, rendant leur
employabilité possible grâce à un
engagement professionnel plus fort.
La Lettre de l’Observatoire des Retraites
Décembre 2014 - N°21
Fl---ilège : prix 2014
Références
1
Source Dares-Pôle Emploi, Juillet 2014.
Ortiz Aurélie, pages 365-384, Trajectoire
professionnelle et état de santé des
salariés seniors en activité, Article, Revue
Economique Vol 60, N°2, 30/06/2012.
2
Bulletin d’information en économie
de la santé, Institut de Recherche et
Documentation Economie de la Santé,
n° 120 - Mars 2007.
3
4
Feuille de route de la grande conférence
sociale des 7 et 8 juillet 2014 – Palais
d’Iéna. Chapitre EMPLOI, partie 3,
page 17.
Alain Labruffe, Docteur es Lettres, en
économie et en psychologie du travail,
est chef de projet européen Leonardo da
Vinci pour l'élaboration d'un référentiel
de compétences et conseil en gestion
des ressources humaines pour de grands
groupes. Il est l'auteur de plusieurs
ouvrages sur les compétences, le
management et la qualité.
5
6
Salthouse, T.A., and Maurer, T.J. (1996).
Aging, job performance, and career
development.
Fabienne Caser et Ludovic Bugand,
Département Compétences, travail et
emploi de l'ANACT.
7
Anne-Marie de Vaivre : Cofondatrice du
cercle Entreprises et Santé, et du Club
SUP-AINF ; directrice du groupe Titane
8
9
Jean-Marie Peretti est un professeur
La Lettre de l’Observatoire des Retraites
et chercheur français en ressources
humaines. Il enseigne actuellement
à l'ESSEC et à l'université de Corse. Il
est également président de l'Institut
international de l'audit social (IAS) depuis
2013 et professeur au sein de l'Institut
d'administration des entreprises
de Corse (IAE).
10
Auteurs de DRH stratège.
11
Bridge employment refers to any paid
work after an individual retires or starts
receiving a pension (Ruhm 1990). Bridge
employment can provide extra income for
those who do not have enough pension
income or savings in their later years.
It can also help older workers balance
work and leisure time while remaining
engaged in economically and socially
productive activities. Bridge employment
can therefore contribute to the well-being
of individuals and their families.
finlandais. Ce programme se composait
d’un volet formation à la gestion des âges
pour les managers et les formateurs,
et d’un volet de conseil en gestion
et organisation des entreprises et
administrations visant à diffuser
les bonnes pratiques. Des outils de
diagnostics d’anticipation des problèmes
de gestion des âges et d’analyse des
situations de travail favorables aux
salariés vieillissants ont été mis à
disposition des entreprises.
Mode de management popularisé par
les fondateurs de Hewlett-Packard qui
le désignaient par l’expression « management by walking around »
15
Diplômé de Stanford, MBA, titulaire
d'un Doctorate in Business administration
de l'Université de Newcastle, conférencier
et consultant en leadership (en 2009).
16
Rapport sur le Bien-être et l'efficacité
au travail - Lachmann, Larose, Penicaud.
10 propositions pour améliorer la santé
psychologique au travail.
12
13
Premier rentré Dernier sorti.
La Gestion des âges par « stratégie
préventive de maintien dans l’emploi »
en Finlande. Le défi de la Finlande était
de stimuler une attitude proactive des
entreprises et des administrations en
matière de gestion des âges.
Ce programme « Age Management »
a été l’un des programmes phares du
premier plan national quinquennal
14
Décembre 2014 - N°21
31
Composition du jury du prix de l’Observatoire des Retraites
Philippe LANGLOIS
Président du jury
Professeur émérite à l’Université Paris X et avocat
associé au cabinet Flichy et associés
Jean-Claude ANGOULVANT
Consultant indépendant
Francis KESSLER
Directeur du master Droit de la Protection
Sociale en Entreprise de l’Ecole de droit de la
Sorbonne, Université Paris I, et avocat au cabinet
Gide Loyrette Nouel A.A.R.P.I.
Pierre PETAUTON
Contrôleur d’Etat honoraire et membre du
Conseil supérieur de la Mutualité
Chantal du BOISROUVRAY
Historienne
Pierre CHAPERON
Directeur du cabinet du GIE Agirc-Arrco et
directeur délégué de l’Arrco
Antoine DELARUE
Directeur général du cabinet d’actuariat Servac,
spécialisé dans l’ingénierie de la protection
sociale en France et à l’étranger
Bruno GABELLIERI
Directeur de la communication et des relations
extérieures du groupe de retraite et de
prévoyance Humanis, secrétaire général de
l’Association Européenne des Institutions de
protection sociale Paritaire (AEIP)
Norbert GAUTRON
Actuaire associé au sein du cabinet d’actuaires
conseils Galea et Associés. Enseigne l’actuariat
et la retraite à l’ENSAE.
Jean PICOT
Directeur général honoraire de l’Arrco
Mihaïl ROLEA
Responsable communication au groupe de la
Fédération Internationale des Associations de
Personnes Agées (FIAPA)
Jules SITBON
Directeur général du groupe de retraite et de
prévoyance IRP AUTO
Jean-Philippe VIRIOT-DURANDAL
Maître de conférences en Sociologie à l’Université de Franche-Comté
Professeur associé à l’Université de Sherbrooke
(Québec, Canada)
Chercheur associé au GEPECS (Paris 5 René
Descartes - La Sorbonne)
Comment concourir au prix de l’Observatoire des Retraites ?
L’Observatoire des Retraites dépend des régimes de retraite complémentaire français Agirc et Arrco. Il est installé
16-18 rue Jules César, 75592 Paris Cedex 12.
Les personnes qui souhaitent concourir sont invitées à adresser leur thèse ou mémoire, ainsi qu’un curriculum
vitae, par voie électronique à l’adresse suivante : [email protected]. Il est également possible de faire
acte de candidature via le site de l’Observatoire des Retraites : www.observatoire-retraites.org ou en écrivant à
l’adresse indiquée ci-dessus.
32
La Lettre de l’Observatoire des Retraites
Décembre 2014 - N°21
Retrouvez les prix attribués et les résumés des travaux récompensés
depuis 1994 sur le site :
www.observatoire-retraites.org
Vous y trouverez également :
Les Lettres de l’Observatoire des Retraites, notamment :
Les retraites dans le monde, état des lieux continent par continent
ainsi que les lettres consacrées aux prix des années 2007 et suivantes,
un bulletin bibliographique qui vous signale les parutions d’ouvrages, articles,
rapports concernant les retraites et les retraités,
l’annonce des colloques et manifestations,
l’Europe en bref qui présente les développements de la politique et du droit
de l’Union européenne en matière de retraite.
La version anglaise du site reprend pour partie ces documents.
34
La Lettre de l’Observatoire des Retraites
Décembre 2014 - N°21
Directeur de la publication :
Jean-Jacques Marette
Rédacteur en chef : Arnauld d’Yvoire
Observatoire des Retraites
16-18 rue Jules César, 75012 Paris
Tél : 01 71 72 12 00
Site internet : www.observatoire-retraites.org
ISSN: 1269 - 6765
Dépôt légal : dernier trimestre 2014
Achevé d’imprimer en décembre 2014
Décembre 2014
La Lettre de l’Observatoire des Retraites
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