La lettre Observatoire des Retraites de l’ Fl---ilège : prix 2014 Décembre 2014 - N°21 Sommaire Éditorial Peut-on réduire les prix des établissements pour personnes âgées dépendantes sans dégrader leur qualité ? Éditorial 1 Cette lettre est consacrée aux travaux reçus pour le prix 2014 de l’Observatoire des Retraites. 2 Prix de thèse, le travail de Cécile Martin explore pour la première fois le coût des établissements d’hébergement pour les personnes âgées dépendantes, sujet crucial pour nombre de retraités et leurs familles. Ce coût paraît très élevé pour une qualité souvent décevante, et il excède les possibilités de financement de la plupart des retraités. Un ensemble d’analyses micro-économétriques permettent à l’auteur d’appréhender les facteurs qui aboutissent aux tarifs offerts par les établissements. Forte de ces analyses, Cécile Martin s’interroge ici sur la possibilité de réduire les prix sans dégrader la qualité. Cécile Martin, premier prix de thèse Des politiques de la vieillesse entre adaptation et inadaptation territoriale 6 Mickaël Blanchet, second prix de thèse La transformation et l’externalisation d’un régime de retraite supplémentaire à prestations définies 17 Claire Gadonneix et Christophe Claeys, nominés Comment sécuriser la poursuite de l’activité des seniors par une politique de santé préventive ? 23 Stéphanie Gay Second prix, et première thèse de géographie présentée au jury depuis la création du prix en 1994, l’étude de Mickaël Blanchet constitue une analyse extrêmement approfondie des politiques d’aide aux personnes âgées dépendantes menées dans la région des Pays de la Loire par les conseils généraux, les régimes de retraite et l’État, auxquelles s’ajoute le développement d’une offre privée. L’ auteur montre comment les besoins évoluent et diffèrent selon les territoires, ruraux, urbains, littoraux, et comment les acteurs, à la fois concurrents et complémentaires, s’efforcent d’y répondre. Les projets de réforme territoriale et de loi d’adaptation de la société au vieillissement rendent ce travail particulièrement d’actualité. Nominés 2014, également une première depuis la création du prix, Claire Gadonneix et Christophe Claeys éclairent, à travers le cas particulier de la transformation d’un régime supplémentaire de retraite d’entreprise à prestations définies, les aléas inhérents à toute opération de retraite, puisqu’elle consiste à promettre des droits pour une période future dont on ignore ce qu’elle sera économiquement et démographiquement. Les auteurs montrent ici comment des hypothèses, qui pouvaient paraître prudentes en 2000, ont été prises à contre-pied dans la décennie qui a suivi, conduisant à des résultats fort différents de ceux prévus par les négociateurs de la transformation du régime. Enfin, la thèse professionnelle de Stéphanie Gay rassemble tous les éléments, y compris salariaux, d’une politique des ressources humaines adaptée au relèvement de l’âge de la retraite, et donc à la nécessité de garder plus longtemps les seniors dans l’entreprise. Son article montre le rôle central du maintien en bonne santé et plaide pour que l’ensemble des acteurs, salariés, entreprises et pouvoirs publics, adoptent une démarche de prévention, plutôt que de se contenter de mesures de réparation et d’indemnisation. réduire les prix des établissements > Peut-on pour personnes âgées dépendantes sans dégrader leur qualité ? Cécile MARTIN Agrégée d’économie-gestion, enseignante en classe préparatoire au lycée Salvador Allende d’Hérouville Saint-Clair (Calvados) Son mémoire de master 2, qui portait sur l’offre de soins de long terme en France, avait obtenu en 2010 un prix de mémoire délivré par la DREES1 et la CNSA2. Sa thèse de doctorat, dirigée par Brigitte Dormont de l’Université Paris-Dauphine et intitulée « Concurrence, prix et qualité de la prise en charge en EHPAD3 en France, analyses micro-économétriques », obtient le premier prix de thèse 2014 de l’Observatoire des Retraites. Partant du constat que les prix d’hébergement dans ces établissements qui accueillent les personnes âgées paraissent élevés pour une qualité de service faible, la thèse recherche les raisons de cette situation et s’interroge sur les possibilités d’améliorer le rapport coût-qualité. Elle livre ici les principaux enseignements de ce travail de recherche très novateur et qui porte sur une activité de service appelée à jouer un rôle croissant dans les décennies à venir. Peut-on réduire les prix sans dégrader la qualité de la prise en charge des personnes âgées dépendantes en EHPAD ? En raison de l’existence de pathologies invalidantes liées au grand âge, telles que la maladie d’Alzheimer, l’accroissement de la longévité actuellement observé dans les pays occidentaux risque de s’accompagner d’une augmentation du nombre de personnes âgées dépendantes. Le rapport Charpin (2011) [1] prévoit ainsi un doublement du nombre de personnes âgées en perte d’autonomie en France entre 2010 et 2060 : il passerait de 1,15 million à 2,3 millions de personnes. La plupart des réformes actuellement proposées pour accompagner ces changements démographiques portent sur l’encouragement au maintien à domicile des personnes âgées, à l’instar du récent projet de loi sur l’adaptation de la société au vieillissement. Les projets de réformes concernant les institutions de soins de long terme, sans être inexistants, sont plus rares et moins souvent concrétisés. Beaucoup de personnes âgées doivent cependant être institutionnalisées en raison d’un état de santé trop dégradé ou parce qu’elles sont isolées et ne disposent pas d’un accompagnement suffisant. Sur 1,15 million de personnes âgées dépendantes en 2010, près de la moitié vit ainsi en EHPAD (DREES, 2010 [2]). Cette proportion pourrait en outre augmenter en raison d’une probable raréfaction des aidants familiaux liée à la croissance de l’emploi des femmes, à la réduction de la taille des ménages et à la mobilité géographique des jeunes générations. Il est donc nécessaire de mener une réflexion sur la régulation de l’hébergement collectif. Si la question de la dépendance a fait DREES : Direction de la recherche, des études, de l’évaluation et des statistiques du ministère des Affaires sociales. CNSA : Caisse Nationale de Solidarité pour l’Autonomie. 3 EHPAD : Etablissement d’hébergement pour personnes âgées dépendantes 1 2 2 La Lettre de l’Observatoire des Retraites Décembre 2014 - N°21 Fl---ilège : prix 2014 l’objet de nombreuses recherches, notamment sur l’aide à domicile (Gramain et Xing, 2012 [3]), sur le rôle des aidants familiaux (Fontaine, 2013 [4]) ou encore sur l’assurance dépendance (Plisson, 2013 [5]), très peu de travaux portent sur la régulation des EHPAD en France. à charge déjà élevé des résidents. En 2008, ce dernier représentait entre 90 % et 130 % de leur revenu disponible (Ernst&Young, 2008 [9]). En conséquence, certaines personnes peuvent rencontrer des difficultés pour financer un hébergement en institution. Des prix trop élevés pour une qualité qui semble insuffisante en EHPAD Les pouvoirs publics arrivent donc à ce qui semble être une impasse : toute recherche de réduction des coûts risque de dégrader la qualité plus qu’elle ne l’est déjà et toute amélioration de la qualité serait probablement inflationniste. L’objectif des travaux que nous avons menés est d’étudier les possibilités de résoudre ce dilemme, en analysant en particulier le rôle de la concurrence, réelle et fictive (par la régulation tarifaire), qui pourrait être introduite dans ce secteur. Le secteur des EHPAD est confronté, en France, à une double problématique. La qualité de la prise en charge semble tout d’abord insuffisante en raison d’un encadrement en personnel trop faible. En effet, les taux d’encadrement sont en moyenne de 5,7 employés pour 10 résidents en EHPAD en France en 2007 (Ratte et Imbaud, 2011 [6]), alors que ce nombre s’élèverait à plus de 10 au Danemark, en Suisse et en Suède (Nénin et Lapart, 2011 [7]). Selon la Fédération Hospitalière de France, ces ratios d’encadrement sont très insuffisants pour répondre aux besoins des personnes âgées dépendantes (Jamot, 2011 [8]). La deuxième problématique concerne la hausse du coût de la prise en charge en EHPAD. Les tarifs ont augmenté au cours des années 2000 sous les effets conjugués de la croissance des normes d’équipement, de la hausse du prix du foncier et du développement du secteur lucratif. Cette augmentation pèse à la fois sur la solidarité publique et sur le reste Méthodes et données utilisées Nos travaux sont empiriques avec une approche micro-économétrique. Plusieurs techniques d’estimation ont été utilisées, souvent en parallèle pour tester la robustesse des résultats : des méthodes non paramétriques (enveloppement de données), ainsi que des méthodes paramétriques (estimations de frontières stochastiques, régressions quantiles, modèles de données de panel). De nombreuses bases de données ont été mobilisées et pour la première fois appariées : ces études intègrent des bases de données d’enquêtes conduites par la DREES (EHPA 2003, 2007 et 2011, Handicap-SantéInstitutions 2009), des bases de données administratives telles que les DADS4 2008 et 2010 de l’INSEE5, et une base de données comptables, DIANE, qui recueille les comptes sociaux des EHPAD privés lucratifs. Nous avons ainsi pu obtenir des informations sur l’activité et les équipements des établissements, mais également sur leurs résidents et leurs salariés. Des données géographiques fines, indépendantes des circonscriptions administratives, ont également été construites pour évaluer l’impact de la concurrence locale sur les prix et la qualité. Nous avons porté une attention particulière à l’identification de variables pertinentes de qualité. L’analyse de la qualité est délicate, encore plus pour le secteur des soins de long terme. La qualité de la relation humaine, peu observable, constitue en EHPAD une dimension tout aussi importante que la qualité des soins. Cette difficulté est en outre accentuée par la rareté des données de qualité disponibles en France. Nous avons choisi d’utiliser, selon nos études, des variables de qualification du personnel, de taux d’encadrement ajustés aux besoins des résidents, de turnover du personnel, ainsi que des variables liées au confort hôtelier. Nous nous sommes néanmoins assurés au préalable que ces indicateurs étaient liés au bien-être des résidents et étaient donc pertinents6. DADS : Déclaration Annuelle des Données Sociales. Institut National de la Statistique et des Etudes Economiques. 6 Nous avons vérifié leurs corrélations statistiques avec des variables telles que l’incontinence des résidents, leur moral, la prévalence de leurs chutes. 4 5 La Lettre de l’Observatoire des Retraites Décembre 2014 - N°21 3 zzz Peut-on réduire les prix des établissements pour personnes âgées dépendantes sans dégrader leur qualité ? Cécile MARTIN Quelles conséquences peut-on attendre d’une tarification à la ressource ? Notre premier axe d’analyse porte sur les perspectives du projet de réforme de la tarification7. Les tarifs de la plupart des EHPAD sont actuellement rétrospectifs, c’està-dire fixés par les autorités de tutelle en fonction de leurs coûts. La réforme consisterait à passer à une tarification à la ressource, avec des forfaits fixés au niveau national ou départemental en fonction du degré de dépendance et des pathologies des résidents. L’objectif de ce projet, qui s’inspire de la tarification à l’activité (T2A) mise en place en 2004 dans le secteur hospitalier, serait d’introduire une concurrence fictive entre établissements (« une concurrence par comparaison », Shleifer 1985 [10]) afin de les inciter à plus d’efficacité en termes de coûts. Cette réforme n’est néanmoins pertinente que si elle incite les établissements à réduire leurs coûts sans dégrader leur qualité. Mais les gains en efficacité semblent à première vue limités car une grande partie des coûts des établissements correspondent à des charges de personnel. Or, l’encadrement en personnel constitue une dimension importante de la qualité de la prise en charge en EHPAD. Une analyse approfondie de l’effet de la qualité sur les coûts et sur l’inefficacité-coût des établissements est donc nécessaire pour étudier les conséquences que pourrait avoir une telle réforme. Nous observons que 5 % à 10 % des coûts des établissements pourrait, à qualité constante, être réduits avec la réforme. Les gains à attendre sont un peu plus élevés pour les EHPAD publics rattachés à des hôpitaux. Nous montrons cependant que la qualité est coûteuse. Par conséquent, le passage à une tarification forfaitaire risque d’encourager les établissements à réduire la qualité de leur prise en charge si aucune mesure complémentaire n’est mise en place pour éviter cette dégradation. La concurrence est-elle insuffisante dans le secteur des EHPAD privés lucratifs ? Notre second questionnement porte sur les effets du développement du secteur privé lucratif en termes de prix et de qualité. Les EHPAD commerciaux, bien qu’étant encore minoritaires (ils représentent 19,9 %8 des places en EHPAD en 2011), sont en pleine expansion. Ils se développent dans un contexte faiblement concurrentiel et peu contestable, notamment en raison de barrières légales formées par les procédures d’autorisation des autorités de tutelle. Celles-ci restreignent fortement l’offre et génèrent ainsi un excès de demande sur le marché. La croissance des EHPAD lucratifs s’accompagne en outre de mouvements de fusions et d’acquisitions qui renforcent la concentration du secteur9. En utilisant plusieurs mesures de concurrence, nous analysons l’impact du faible degré concurrentiel du marché sur les prix et la qualité. Nous montrons que lorsque les établissements sont en concurrence, cette dernière s’exerce à la fois en prix et en qualité. Ainsi, accroître le degré concurrentiel du marché pourrait permettre de réduire les prix des établissements tout en améliorant la qualité de leur prise en charge, et ce d’autant plus lorsque celle-ci est observable par les résidents. Ceci pourrait passer par un assouplissement des procédures d’autorisation de création d’établissements, mais également par un contrôle de leurs regroupements. Existe-t-il des contraintes de qualité liées au marché du travail dans le secteur des services à la personne ? Dans une dernière étude, nous évaluons dans quelle mesure la qualité peut être limitée par des facteurs exogènes à l’établissement, notamment par le fonctionnement du marché du travail dans le secteur des services à la personne. Les EHPAD semblent connaître en France des difficultés de recrutement et de fidélisation de leur personnel soignant, qui peuvent expliquer une partie des déficiences en matière de qualité. On observe en effet dans ce secteur La tarification à la ressource a été codifiée à l’article L. 314-2 du code de l’action sociale et devait entrer en vigueur au 1er janvier 2010. Le décret nécessaire à sa mise en œuvre n’est cependant pas encore paru. 7 Source : enquête EHPA 2011 (DREES). Trois groupes d’EHPAD (Orpéa, DVD et Korian-Medica) dominent actuellement le secteur privé lucratif en France ; ils représentent 45% des lits du secteur commercial en 2011. 8 9 4 La Lettre de l’Observatoire des Retraites Décembre 2014 - N°21 Fl---ilège : prix 2014 des taux de turnover extrêmement élevés pour les infirmiers et les aidessoignants : ils s’élèvent respectivement à 52,5 % et 48,3 % en 200810. Or, une forte rotation du personnel peut impliquer un fonctionnement temporaire de l’EHPAD en sous-effectif, affectant indirectement la qualité de la prise en charge et des soins. Elle peut également dégrader directement la qualité en empêchant, par exemple, les résidents de nouer des relations de confiance avec leurs soignants ou en augmentant la probabilité d’erreurs de prescriptions et d’accidents iatrogènes. Plusieurs raisons peuvent expliquer ces départs massifs de personnel soignant : ils peuvent préférer aller travailler en hôpital, dans une autre zone géographique plus attractive, ou encore dans un autre EHPAD dans lequel les conditions de travail sont plus avantageuses. Nous étudions l’impact de chacune de ces causes possibles, en analysant également comment un ajustement des salaires peut permettre de retenir le personnel. Nous observons que les EHPAD situés à proximité d’un hôpital ou dans des zones rurales ont plus de difficultés à fidéliser leur personnel. Les tentatives de compensation par une hausse des rémunérations, observées dans certains EHPAD privés, ne semblent pas avoir d’effet sur le turnover. sur ce sujet de société. Nous montrons que l’introduction d’une plus grande concurrence, réelle ou fictive, pourrait être en mesure de réduire le reste à charge des résidents à qualité inchangée voire améliorée, à condition d’être accompagnée de mesures complémentaires veillant à préserver cette qualité. Ces mesures peuvent être réglementaires et consister en de simples normes d’encadrement et de qualification du personnel. Elles peuvent également être incitatives en faisant en sorte que la qualité soit rémunérée pour les établissements. Il s’agirait alors, pour les EHPAD dont les prix sont régulés, de fixer des tarifs en fonction de leur qualité (tarification à la performance). Pour les EHPAD dont les prix ne sont pas entièrement administrés, des obligations de transparence sur certains indicateurs de qualité, actuellement peu observables comme l’encadrement en personnel, pourraient renforcer leur concurrence en qualité. Ces diverses mesures ne peuvent toutefois avoir un effet que si les établissements sont en mesure de fournir cette qualité. Une amélioration des conditions de travail et une valorisation des filières gérontologiques constituent donc des conditions nécessaires préalables pour pallier aux contraintes de recrutement et de fidélisation du personnel auxquelles sont confrontés certains établissements. [1] J.M. Charpin and C. Tlili. Perspectives démographiques et financières de la dépendance. Rapport du groupe de travail n°2 sur la prise en charge de la dépendance, juin 2011. [2] DREES. Les établissements d’hébergement pour personnes âgées. Activité, personnel et clientèle au 31 décembre 2007. Document de travail 142, Drees, 2010. [3] A. Gramain and J. Xing. Tarification publique et normalisation des processus de production dans le secteur de l’aide à domicile pour les personnes âgées. Revue française des affaires sociales, 2-3, 2012. [4] R. Fontaine. Quel rôle confier aux familles dans la prise en charge des personnes âgées dépendantes ? Lettre de l’Observatoire des Retraites, 20, 2013. [5] M. Plisson. La dépendance est-elle assurable ? La Lettre de l’Observatoire des Retraites, 20, 2013. [6] E. Ratte and D. Imbaud. Accueil et accompagnement des personnes âgées en perte d’autonomie. Rapport du groupe de travail n°3 sur la prise en charge de la dépendance, juin 2011. [7] F. Nénin and S. Lapart. L’or gris. Flammarion, 2011. [8] M. Jamot. Maisons de retraite et unités de soins de longue durée. L’inacceptable convergence tarifaire. Revue hospitalière de France, 539, 2011. [9] Ernst&Young. Etude sur le marché de l’offre de soins, d’hébergement et de services destinés aux personnes âgées dépendantes, octobre 2008. [10] A. Shleifer. A theory of yardstick competition. Rand of Journal Economics, 16 (3), 1985. Ces travaux sont pionniers pour le cas français et permettent d’apporter un éclairage nouveau 10 Références Source : DADS 2008 (INSEE). La Lettre de l’Observatoire des Retraites Décembre 2014 - N°21 5 politiques de la vieillesse entre adaptation > Des et inadaptation territoriale Mickaël BLANCHET E i Enseignant t à l’Université catholique et à l'École de Management d’Angers, chercheur associé à l’Unité Mixte de Recherche 6590 Espace et Sociétés (ESO) Sous la direction de Christian Pihet, Mickaël Blanchet a, dans le cadre de l’Université d’Angers, consacré sa thèse de géographie à l’analyse de l’ensemble des actions et services offerts aux personnes âgées dépendantes dans la région des Pays de la Loire. Grâce à un impressionnant travail statistique et d’enquête, il dresse une cartographie faisant apparaître trois types de zones aux caractéristiques très différentes, urbaines, rurales et littorales. Il analyse les rôles, la dynamique et les relations de rivalité et de complémentarité des départements, de l'État, des régimes de retraite et de l’offre privée. Récompensée par un second prix de thèse, ce travail apparaît comme particulièrement d’actualité dans une période où la réforme envisagée des collectivités locales et le projet de loi d’adaptation de la société au vieillissement pourraient redistribuer les rôles des acteurs de terrain. Mickaël Blanchet en présente ici les grandes lignes et les principaux enseignements. En 2006, selon l’Insee, la région Pays de la Loire comptait 744 000 personnes âgées de 60 ans ou plus et 297 000 personnes âgées de 75 ans ou plus, soit respectivement 21,6 % et 8,6 % de la population (21,8 % et 8,2 % pour la France métropolitaine). En constante progression depuis 1999, le vieillissement n’est pas uniforme sur le territoire : bien que résidant majoritairement en agglomération (70 %), les personnes de 60 ans ou plus y étaient en 2006 proportionnellement moins nombreuses dans la population (19,7 %) que sur le littoral (26,9 %) et en milieu rural (22,1 %). Partant de ce constat, et dans un contexte d’individualisation, de sectorisa- 6 tion professionnelle et administrative des politiques gérontologiques (Frinault, 2009), on est en droit de se demander quelles sont les conséquences des segmentations administrative et professionnelle de l’action gérontologique sur la prise en charge territorialisée des besoins des personnes âgées. Dans cette quête, les recherches se sont attachées à décrypter les interactions entre les institutions, les acteurs qui prennent en charge les personnes âgées, les besoins de ces mêmes retraités et le cadre géographique. Les recherches se sont déroulées en trois temps Dans un premier temps, les bases de données démographiques, médicales, sociales et économiques relatives au vieillissement de la population et à l’offre de services et d’établissements gérontologiques ont été mobilisées afin de dresser un état des lieux du vieillissement régional. Ce travail a ensuite été suivi d’analyses multivariées et de typologies régionales sur la vulnérabilité des retraités. Ces opérations ont alors permis de sélectionner quatre départements et six intercommunalités propices à l’étude géographique des interactions La Lettre de l’Observatoire des Retraites Décembre 2014 - N°21 Fl---ilège : prix 2014 entre les acteurs gérontologiques et les retraités. L’étude de ces interactions s’est tout d’abord centrée sur les acteurs gérontologiques qui évaluent et répondent aux besoins des retraités les plus vulnérables : 127 entretiens semi-directifs ont été nécessaires à la réalisation de cette étape. À l’instar des recherches, les entretiens distinguent l’échelle institutionnelle (conseils généraux, administrations d’État, conseils de l’ordre des médecins et caisses de retraite : 16 entretiens) de l’échelle locale où 111 acteurs gérontologiques locaux (médecins généralistes, infirmières libérales, services de soins infirmiers à domicile, maisons de retraites, centres communaux d’action sociale, services d’aide à domicile, centres locaux d’information et de coordination…) ont été interrogés dans les six intercommunalités d’observation. À la suite d’un long travail d’analyse (construction et encodages des entretiens selon la méthodologie de la grounded theory et à partir du logiciel NVIVO) et de cartographie de l’offre de services et d’établissements gérontologiques, il a été possible de faire ressortir les pratiques spatiales des institutions et des acteurs gérontologiques. (allocataires de l’allocation personnalisée autonomie, minimum vieillesse, taux d’équipement, consommations médicales, activités des services…) ainsi que sur la diffusion d’un questionnaire auprès de 900 retraités portant sur les pratiques, le rapport local à l’offre et les solidarités informelles (familiales, amicales, voisinage) en situation de besoin. Enfin, la dernière phase de recherche a eu pour but d’évaluer le rapport local des personnes âgées à l’offre de services et d’établissements gérontologiques. Menées dans les intercommunalités d’observation, ces recherches se sont également appuyées sur des sources institutionnelles relatives aux activités gérontologiques L’échelle régionale s’est avérée également intéressante dans l’observation gérontologique locale : la région compte en effet plus d’une centaine d’intercommunalités, maillons infra-départementaux qui se révèlent pertinents dans l’analyse des politiques territorialisées de la vieillesse. Par ses compétences gérontologiques, le département est aujourd’hui incontournable : une partie importante des processus d’action, de planification et de financement de l’action gérontologique étant concentrée à cette échelle. Les recherches n’ont concerné que quatre des cinq départements de la région (pour des raisons économiques et de temps, la Sarthe n’est pas concernée par l’étude). Carte 1. Départements et intercommunalités d’observation (2010) Échelles et territoires d’étude Enfin, l’intercommunalité a été choisie comme maillon local de référence. Des critères géographiques (urbain, périurbain, rural et littoral) et démographiques (proportions de personnes La Lettre de l’Observatoire des Retraites Décembre 2014 - N°21 7 zzz Des politiques de la vieillesse entre adaptation et inadaptation territoriale Mickaël BLANCHET âgées de 65 ans ou plus et de 80 ans ou plus) ont ensuite permis de sélectionner six intercommunalités de référence. Le choix s’est donc porté sur une intercommunalité urbaine, une intercommunalité littorale vendéenne et trois intercommunalités rurales : les intercommunalités de Nantes Métropole, de l’Agglomération du Choletais, du Pays de Pouzauges, du Pays de Mayenne, du Pays de Saint-Gilles Croix de Vie et du Canton de Baugé (carte 1, tableau 1). I. La vieillesse, une période hétérogène et contrastée sur le territoire Si la vieillesse peut être une période d’épanouissement grâce à la retraite, elle est également une période de ruptures sociales, affectives et biologiques auxquelles répond notre objet d’étude : les politiques de la vieillesse. Face à ces ruptures, les retraités ne sont pas égaux : l’âge (Colin, 2001), le sexe (Bonnet, Buffeteau et Godefroy, 2004), l’origine sociale (Mizrahi, 2003), le mode d’habitation, les revenus (Noguès, 2006) constituent des facteurs d’inégalités biologiques, sociales et économiques. de ménages de 60 ans ou plus et de 80 ans ou plus habitant un logement construit avant 1945, revenus médians des ménages de 60-74 ans et de 75 ans ou plus, densité démographique. Afin de dresser une typologie de la vulnérabilité régionale des personnes âgées, ces mêmes variables ont été croisées avec d’autres variables démographiques et géographiques dans le cadre d’une analyse en composantes principales (ACP) puis d’une classification hiérarchique ascendante (CHA) (carte 2). Les variables utilisées lors de ces analyses multivariées sont issues des enquêtes de l’Insee : proportions de personnes âgées de 65 ans ou plus et de 80 ans ou plus, proportions de femmes dans les populations âgées de 60 ans ou plus et de 80 ans ou plus, origine sociale des ménages retraités, proportions de ménages de 60 ans ou plus et de 80 ans ou plus composés d’une seule personne, proportion Six classes ont été retenues pour la CHA, dans le but de faire ressortir de manière spatialisée et hiérarchique la vulnérabilité des retraités. Ces six classes font clairement apparaître une opposition entre milieux rural, urbain et littoral. Le profil urbain regroupe les principales intercommunalités urbaines de la région. Ce profil se distingue par des fortes inégalités de répartition des retraités les plus âgés, des revenus médians des retraités et par une sur-représentation des ménages âgés composés d’une personne. Le profil périurbain, quasi exclusif à la Loire-Atlantique, se singularise par un faible vieillissement de la population et par une homogénéité socio-économique des ménages âgés. Tableau 1 : caractéristiques démographiques du vieillissement de la population des intercommunalités d’observation Proportion de 65 ans ou + (en %) Proportion de 80 ans ou + (en %) Proportion de ménages de 80 ans ou + composés d’une seule personne (en %) Taux d’équipements médicalisés pour 1000 personnes de 80 ans ou plus Nantes métropole 18,0 6,4 45,0 123 Agglomération du Choletais 18,6 6,0 41,6 94 Canton de Baugé 27,8 11,0 38,1 181 Pays de Mayenne 20,5 7,7 44,2 238 Pays de Pouzauges 22,6 7,5 35,2 103 Pays de Saint-GillesCroix-de-Vie 32,0 11,7 41,2 121 Source : recensement 2008, Insee Pays-de-la-Loire 8 La Lettre de l’Observatoire des Retraites Décembre 2014 - N°21 Fl---ilège : prix 2014 Carte 2. Typologie territoriale de la vulnérabilité des personnes âgées dans la région Pays de la Loire Mickaël BLANCHET, Université d’Angers, 2011. Sources : recensements 1999 et 2009 ; enquête revenus 2008, Insee Pays de la Loire. La Lettre de l’Observatoire des Retraites Décembre 2014 - N°21 9 zzz Des politiques de la vieillesse entre adaptation et inadaptation territoriale Mickaël BLANCHET Le profil littoral présente un vieillissement important, avec surreprésentation du grand âge (80 ans ou plus) pondéré et une surreprésentation des ménages âgés vivant en couple et d’origine sociale aisée. Hétérogènes, les intercommunalités rurales sont divisées en trois profils. Tout d’abord, un profil « favorable » où le dynamisme démographique pondère la part des retraités dans la population et où la proportion de ménages âgés composés d’une seule personne est faible (intercommunalités rurales de la Loire-Atlantique, du bocage vendéen, du Choletais et de l’arrière pays littoral atlantique). Le second profil rural présente des valeurs proches des standards régionaux. On le retrouve dans le sud de la Vendée et à l’est du Maine-et-Loire. Le troisième profil rural regroupe les intercommunalités où les prédispositions face à la vulnérabilité au grand âge sont les plus fortes : surreprésentation des personnes très âgées dans la population, des ménages composés d’une personne, des ménages d’origine agricole, des femmes très âgées, des revenus médians les plus faibles et des habitations vétustes. Ce profil s’observe dans le nord des départements de la Mayenne, de la Sarthe et du Maine-et-Loire. D’un point de vue quantitatif, seule l’enquête Handicap-Santé 2008 autorise, sur le versant de la perte d’autonomie, un état des lieux territorial de la vulnérabilité des retraités. Pour des raisons de seuils, il n’est pas possible de dresser une géographie quantitative de la dépendance des retraités au niveau des intercommunalités de la région. Comme le montre le tableau 2, les taux de dépendance départementaux des 60 ans ou plus1 oscillent entre 7,2 % pour la Loire-Atlantique et 8,1 % pour le département de la Mayenne attestant d’une plus grande intensité de la perte d’autonomie dans les départements les moins urbanisés. En rapportant ces taux et en ventilant la prévalence nationale de la dépendance par sexe et âge quinquennal selon les types de territoire (urbain, périurbain, rural), on observe que les situations de dépendance se concentrent essentiellement en milieu urbain mais que le phénomène révèle une plus grande intensité en milieu rural. Sur les 64 100 personnes âgées dépendantes recensées en 2010, les deux tiers (66 %) habitent en ville ou en milieu périurbain (71 % des Ligériens2 de 65 ans ou plus habitent dans les aires urbaines à la même date), le tiers restant étant localisé en milieu rural (29 % des Ligériens2 âgés de 65 ans ou plus). Cette répartition en défaveur des limites rurales de la région rejoint les explications précédentes relatives à la qualité du vieillissement, notamment la part des femmes (plus exposées à la dépendance) dans la population très âgée. Face à ce défi de prise en charge, la région Pays de la Loire bénéficie de taux d’équipements médicaux (généralistes, centres hospitaliers) et médico-sociaux (maisons de retraites médicalisées, services de soins infirmiers à domicile) supérieurs à ceux du pays. Néanmoins, la répartition de ces Tableau 2. Population âgée dépendante Répartition selon le type d’espace dans la région Pays de la Loire Population âgée Effectif Proportion (en %) Aires urbaines 42 950 67 Pôles urbains 28 850 45 Communes périurbaines 14 100 22 21 150 33 Rurale Source : enquête Handicap-Santé 2008, Insee 2009 Le taux de dépendance est le rapport entre le nombre de personnes dépendantes et le nombre total de personnes âgées de 60 ans ou plus. Les taux sont estimés à partir d’une relation entre taux de mortalité et taux de dépendance, établie à partir des données de l’enquête Handicap-Santé de 2008. 2 Nom des habitants des Pays-de-la-Loire et de leurs départements. 1 10 La Lettre de l’Observatoire des Retraites Décembre 2014 - N°21 Fl---ilège : prix 2014 établissements et services est inégale géographiquement et accroit, sur le versant de l’offre, la vulnérabilité des personnes âgées des territoires les plus prédisposés à la vulnérabilité sociale et médicale des retraités. II. Des politiques territoriales subdivisées De l’hôpital aux familles, en passant par l’aide à domicile, l’action gérontologique recouvre un champ d’acteurs large et varié. Cependant, l’action gérontologique demeure subdivisée sur les plans sectoriels, politiques et territoriaux. La décentralisation et la volonté politique de maîtriser les dépenses sociales ont développé cette logique de segmentation (Argoud, 1998). À la sortie des années 2000, les prérogatives gérontologiques oscillaient entre cloisonnement et chevauchement : si les compétences sanitaires demeuraient dans le giron de l’État, les affaires médico-sociales (maisons de retraites médicalisées, soins infirmiers à domicile) et la gestion de l’allocation personnalisée autonomie (APA) étaient partagées entre les départements, l’État et les caisses de retraite. Les entretiens auprès des institutions et des acteurs gérontologiques locaux corroborent ce constat. L’introduction des normes individuelles, les politiques gestionnaires et le retour de l’État dans le champ médico-social (loi « Hôpital, patients, santé et territoire » de 2010, renforçant l’Agence régionale de Santé dans l’organisation territoriale des La Lettre de l’Observatoire des Retraites établissements et des services médico-sociaux) et dans celui de l’aide à domicile ont alimenté ces cloisonnements sectoriels au détriment de politiques territorialisées plus transversales. Dans ce jeu, le territoire constitue pour ces mêmes institutions gérontologiques un enjeu important, et ce pour deux raisons : il permet une meilleure adaptation aux besoins individuels des personnes âgées et il constitue un support d’affirmation et d’imposition de ses propres marges de manœuvre aux autres acteurs et institutions. Pour exister, les administrations d’État, les départements et les caisses de retraite territorialisent leurs actions de manière hiérarchique et contrôlée, et n’opèrent à aucun moment de véritables jonctions territoriales et sectorielles vers les autres institutions. Face à la nécessité d’individualiser et d’adapter les réponses aux besoins, les institutions et les instances gérontologiques n’ont pas convergé vers plus d’harmonisation : souhaitant œuvrer au plus près des retraités vulnérables en besoin, elles ont développé, de manière segmentée, des services et des établissements tels que services de transports à la demande, entreprises de loisirs et de sociabilité, résidences services, associations d’aides aux aidants, villages seniors. Résultat : alors qu’en 2004, le panel d’établissements et de services gérontologiques sur la région Pays de la Loire était de 34, il était de 56 en 2010. Si cette Décembre 2014 - N°21 adaptation a favorisé les prises en charges, elle marque également en aval le choix d’une approche sectorielle au détriment d’une approche territoriale et transversale. Les comparaisons départementales ainsi que la répartition, selon le type, des établissements et des services gérontologiques montrent que ce développement a favorisé les inégalités et les dispersions territoriales. II.1. Une offre gérontologique dispersée et inégale sur le territoire Tout d’abord, la diversité de l’offre de services et d’établissements gérontologiques au sein des intercommunalités d’observation se révèle inégale : son niveau est respectivement de 26, 28 et 31 pour les intercommunalités rurales de Baugé, Pouzauges et Mayenne et, respectivement de 49 et 41 pour les intercommunalités urbaines de Nantes et de Cholet. Les orientations de l’État, des conseils généraux et des caisses de retraite, mais aussi les moindres capacités économiques et techniques en milieu rural, expliquent ces écarts. Le passage d’une logique d’établissement à une logique de besoin a eu pour conséquence de multiplier et de superposer sans cohérence ni concertation les cadres territoriaux de régulation de l’action gérontologique. En découle une dispersion géographique de l’offre et des territoires d’action qui interroge sur la réelle efficacité des dispositifs et des tentatives de coordination. De fait, la répartition héritée de 11 zzz Des politiques de la vieillesse entre adaptation et inadaptation territoriale Mickaël BLANCHET l’offre de services et d’établissements gérontologiques est tributaire des enjeux de pouvoir dans lesquels les institutions font valoir une multitude de critères (administratifs, sectoriels, géographiques, économiques, politiques …). Le recensement de l’offre d’établissements et de services s’adressant aux retraités montre à l’échelle régionale que : t les établissements hospitaliers sont répartis sur le territoire selon le degré de spécialisation. Dans ce schéma, les villes les plus importantes de la région accueillent les filières les plus spécialisées et les pôles ruraux, les établissements les moins spécialisés (les filières gériatriques) ; t la médecine libérale demeure corrélée à la densité démographique. On constate de fortes inégalités de répartition et des faibles densités médicales aux frontières rurales de la Sarthe, de la Mayenne et du Maine-et-Loire, où l’on compte en 2011, entre 170 et 213 médecins généralistes et spécialistes pour 100 000 habitants (contre 259 à l’échelle régionale) ; t les services de soins infirmiers à domicile et les établissements d’accueil sont répartis de manière inégale sur le territoire. La médicalisation est de plus en plus soumise à des logiques de planification partagée entre les Conseils généraux et l’État, qui vont dans le sens d’un rééquilibrage de l’offre, entre et à l’intérieur des départements. Seulement, les efforts entrepris demeurent 12 assujettis aux héritages locaux, notamment en milieu rural, et à la forte croissance du nombre de retraités en ville. En conséquence, les espaces ruraux présentent un taux d’équipements médicalisés supérieur à celui des aires urbaines mais disposent, en revanche, d’un panel d’établissements moindre : en 2009, et en dépit des inégalités entre les intercommunalités rurales, le taux d’équipement en lits médicalisés est plus élevé sur l’ensemble des intercommunalités rurales (138 lits pour 1 000 personnes de 75 ans ou plus) que sur l’ensemble des intercommunalités urbaines et périurbaines (116) ; t soumis à la concurrence, le secteur de l’aide à domicile est davantage développé en ville. L’arrivée des acteurs privés a été plus forte en milieu urbain et sur le littoral, et limitée en milieu rural. On observe en ville et sur le littoral un retrait des centres communaux d’action sociale (CCAS) et une arrivée massive des enseignes à but lucratif qui vient s’ajouter aux associations historiques. À l’inverse, les entreprises ont peu investi les zones rurales où l’on recense une répartition homogène des CCAS et des associations. À l’issue d’une analyse multivariée à l’échelle de groupements d’intercommunalités (urbaines, rurales, littorales) croisant des données socio-économiques relatives au vieillissement de la population, à l’offre de prise en charge, ainsi qu’à la répartition des allocataires de l’APA, il apparaît que les dynamiques géographiques de la dépendance sont solidaires du niveau et de l’intensité du vieillissement de la population et de la répartition des EHPAD sur le territoire. Selon cette analyse, les proportions de personnes âgées de 80 ans ou plus, de femmes très âgées, de ménages très âgés constitués d’une seule personne, de personnes d’origine populaire sont plus élevées en milieu rural, où l’on observe des taux d’établissements médico-sociaux surélevés. II.2. Forces et limites du « département-providence » La gestion des politiques spécifiques aux personnes âgées s’inscrit dans un rapport ambivalent de l’État avec les marges de manœuvre des collectivités locales. Dans ce jeu, l’État adopte vis-à-vis des Conseils généraux une double posture partenariale et d’ingérence. Ainsi, sur le champ social, l’instauration de normes concurrentielles dans le secteur de l’aide à domicile a contribué au retour de l’État dans un secteur jusque-là sous la tutelle des Conseils généraux et des collectivités locales. Sur le champ sanitaire, la création des agences régionales d’hospitalisation (ARH), puis des agences régionales de santé (ARS) en 2010, renforce les compétences de l’État en matière de régulation de l’offre sanitaire et médicosociale. Contrôle accru qui ne rime pas forcément avec investissement, l’État n’affirmant pas d’autre ambition politique que de réaliser des économies et d’introduire une régulation concurrentielle (par appel à projet) et spécifiée de La Lettre de l’Observatoire des Retraites Décembre 2014 - N°21 Fl---ilège : prix 2014 l’offre sanitaire et médico-sociale. Outre les économies visées, cette réforme interroge sur la redéfinition des rapports de l’État avec les institutions, les instances et les acteurs gérontologiques locaux. Dans un contexte de rigueur budgétaire, les caisses de retraite et les collectivités locales s’accordent à faire état de rapports économiques imbriqués et conflictuels. Pour autant, si la conflictualité de ces rapports économiques est exposée, peu d’acteurs institutionnels interrogés les remettent en cause. De cette absence de revendication ressort un compromis institutionnel et économique entre un État soucieux de réduire ses dépenses et des Conseils généraux qui souhaitent assumer des compétences politiques. les densités démographiques et les potentiels économiques, à réguler l’offre entre ouverture au privé, concurrence et planification. Sur les quatre départements d’étude, la Loire-Atlantique, le Maine-etLoire et la Vendée présentent une régulation économique de l’offre et des demandes en s’appuyant sur un développement sectoriel et une ouverture contrôlée aux services lucratifs, tandis la Mayenne s’appuie sur les fédérations d’établissements et de services pour réguler l’offre. II.3. Vers une figuration politique et géographique du vieillissement ? L’évaluation finale des interactions géographiques entre l’offre de services et d’établissements Comme le montre le tableau 3, gérontologiques et les personnes la croissance des budgets âgées s’est appuyée, à l’échelle des gérontologiques liée à l’explosion intercommunalités d’observation : du nombre d’allocataires de sur les données relatives aux activil’APA et à la médicalisation des tés gérontologiques locales (les maisons de retraite a eu pour séjours hospitaliers, la consommaconséquence de réduire les tion médicale, les actes infirmiers politiques départementales à la pour les personnes âgées, l’APA gestion de la dépendance et ont – selon le degré de dépendance –, incité les Conseils généraux, selon le minimum vieillesse, les populations âgées Tableau 3. Évolution des budgets bénéficiant des services gérontologiques des Conseils généraux d’aides à domicile et entre 2004 et 2009 (en %) de proximité), ainsi que sur les réponses Variation (en %) de 900 personnes Loire-Atlantique 33 âgées à l’enquête sur leur rapport local à Maine-et-Loire 39 l’offre de services et d’établissements. Mayenne 36 Le croisement de Vendée 32 ces sources à l’aide d’une ACP révèle la Source : DRASS Pays-de-la-Loire 2005 et 2009 La Lettre de l’Observatoire des Retraites Décembre 2014 - N°21 prégnance des modes de régulation hérités et actuels de l’offre dans la construction locale de la vieillesse. Oscillant entre héritages locaux, régulation économique et planification, l’offre gérontologique se retrouve de plus en plus structurée sur le territoire selon son degré de savoir-faire et de rentabilité économique. Cette recherche d’activité engendre une polarisation géographique de l’offre suivant des règles de densité démographique et technique. Cette logique met à jour un contraste entre les villes, où les activités les plus techniques et les plus soumises à la concurrence sont surconcentrées, et les périphéries rurales, où les pouvoirs publics maintiennent une offre d’établissement et de services moins variée. Dans ce jeu, l’APA objective les inégalités de l’offre et institue de fait un alignement de la demande sur l’offre. Par ricochet, l’enquête montre que cette logique de concentration-polarisation modèle les régulations locales entre les retraités en besoin, les familles et la collectivité. Il en ressort trois formes de régulation solidaires de la structuration et de la lisibilité locale de l’offre professionnelle (figure 1) : t une première forme de régulation dans les intercommunalités rurales de Mayenne et de Baugé où les pouvoirs publics et les services sociaux tentent de combler les distances familiales et maintiennent l’offre existante ; t une deuxième forme de régulation rurale au niveau de 13 zzz Des politiques de la vieillesse entre adaptation et inadaptation territoriale Mickaël BLANCHET l’intercommunalité de Pouzauges, où les solidarités familiales s’inscrivent en complément d’un niveau moyen de l’offre locale ; t une troisième forme de régulation nantaise, où malgré leurs proximités, les familles tendent à se désengager en faveur d’un développement élevé et multiple de l’offre de services et d’établissements. En parallèle, on observe dans ces zones des liens de solidarité étroits avec les voisins. L’adaptation locale des retraités les plus vulnérables aux inégalités de répartition et de niveau de l’offre professionnelle se révèle inverse aux objectifs politiques annoncés. Cet inversion fige le grand âge en tant qu’objet politique, social et géographique. En effet, il ressort de la prise en charge politique des vieillards une double figuration autour de la dépendance et des objectifs de développement économique et territorial. Dans ce jeu, on observe une « gestion » spatiale différenciée de la vieillesse entre des zones où l’adoption des normes concurrentielles par les acteurs gérontologiques se traduit pour les retraités en besoin et pour leurs familles par des pratiques et des parcours de choix et d’indépendance, et des zones rurales où la moindre rentabilité économique de l’action gérontologique se traduit par une prise en charge par les familles et la collectivité et par un conditionnement local plus élevé des pratiques et des parcours des retraités les plus âgés qui présentent des besoins. 14 Figure 1. Régulations locales entre les personnes âgées, les aidants informels et les professionnels. Régulation consumériste SOLIDARITÉS FAMILIALES ¥ Aides de la famille Régulation familiale ¥ Aidants potentiels Régulation collective ¥ CC* pays de Pouzauges ¥ Recours aidés à un service ¥ CA** Choletais CC Saint-Gilles-Croix-de-vie ¥ ¥ Banlieue nantaise ÉTABLISSEMENTS ¥ Recours aidés à une allocation DOMICILE ¥ % 82 ans ¥ Densité ¥ CC Canton démographique de Baugé faible ¥ EHPAD ¥ CC Pays de Mayenne ¥ Aides des amis ¥ Densité démographique élevé ¥ Recours direct à une allocation ¥ Professions ¥ SAD*** libérales ¥ Recours direct ¥ Ménages âgés à un service de 1 personne ¥ Recours à plusieurs services ¥ Nantes ¥ Aides des voisins * CC : Communauté de communes CA : Communauté d’agglomération *** SAD : Service d’aide à domicile ** SOLIDARITÉS COLLECTIVES Mickaël BLANCHET, Doctorat de Géographie, – Université d’Angers, 2011. III. Perspectives : de plus en plus de personnes âgées dépendantes et de retraités en situation de précarité économique L’objectif était, à partir d’un espace limité, d’analyser l’organisation spatiale des politiques de la vieillesse pour faire mieux ressortir ses conséquences géographiques. Cette organisation met en avant l’adoption par les pouvoirs publics des normes du secteur privé sur le champ de la vieillesse. Il en découle la sédimentation d’inégalités gérontologiques entre les espaces dotés de capacités économiques et professionnelles et les espaces moins riches et moins structurés professionnellement. Les conséquences de cette construction géographique inégalitaire interrogent sur le devenir et les formes futures de prise en charge des populations âgées vulnérables. En effet, le déplacement de l’onde de grand vieillissement en direction des quartiers populaires périphériques et des zones périurbaines, ainsi que la remise en question plus importante des mécanismes de capitalisations économiques et sociales à la retraite constituent des enjeux politiques incontournables. Tout d’abord, sur le champ de la perte d’autonomie, l’Insee Pays de la Loire anticipe l’arrivée de 33 000 personnes âgées dépendantes supplémentaires d’ici La Lettre de l’Observatoire des Retraites Décembre 2014 - N°21 Fl---ilège : prix 2014 2030 (Bonnefoy, Soulas et Fouchard, 2012), à un rythme inégal selon les territoires : tassement du phénomène en milieu rural (notamment en Mayenne, Sarthe et Maine-et-Loire) et accentuation en milieu périurbain et sur le littoral. Dans ce jeu, la carte du taux de croissance annuel des personnes âgées dépendantes selon les territoires définis par l’ARS (carte 3) illustre une croissance à venir de la dépendance plus prononcée dans les espaces littoraux (+ 7 500 personnes âgées dépendantes de 2010 à 2030) et les zones périurbaines (+ 8 550). S’ajoute à cette augmentation numérique des personnes âgées dépendantes dans la région une arrivée de plus en importante de retraités en situation de précarité économique et familiale. La remise en question, pour une partie de la population retraitée, des mécanismes de capitalisations économiques et sociales par une fragilisation des trajectoires antérieures (chômage, divorce...) interroge sur la fragilisation locale d’une partie de plus en plus importante du tissu de retraités. La consultation de différents observatoires sociaux locaux (villes de Rezé, Cholet et Angers) atteste d’une part de plus en plus importante de personnes âgées de 50 à 60 ans bénéficiaires de minima sociaux et de la couverture maladie universelle (CMU) : entre 5 et 16 % des ménages de cette même classe d’âges, selon les quartiers de ces trois villes. In fine, devant cette croissance à venir des situations de vulnérabilité sociale et économique La Lettre de l’Observatoire des Retraites Carte 3. Taux de croissance annuel de population âgée dépendante entre 2010 et 2030 dans la région Pays de la Loire (en %) Sources : Insee, enquête handicap-santé 2008-2009, scénario intermédiaire, Omphale 2010 scénario central. des personnes âgées et devant ces évolutions géographiques (littorales et périurbaines), il sera intéressant de suivre dans la région Pays de la Loire, mais bien sûr aussi dans d’autres espaces, l’évolution et les conséquences des réponses « par poche », segmentées, des politiques sanitaires et sociales. Bibliographie ARGOUD D., 1998, Politique de la vieillesse et décentralisation. Les enjeux d’une mutation, Paris, Eres, p.80. BLANCHET M., PIHET C., 2009. État des lieux et enjeux du vieillissement de la population en Pays de la Loire, Les cahiers nantais, n°2-2009, p.8. BONNEFOY V., SOULAS O., FOUCHARD C., 2012, Pays de la Loire : 33 000 personnes âgées dépendantes supplémentaires d’ici 2030, Insee Dossier, n°101, Insee Pays-de-la-Loire, p.8. BONNET C., BUFFETEAU S., GODEFROY P., 2004, Retraite : vers moins d’inégalités entre hommes et femmes ?, Population et Sociétés, n°401, p.2. Décembre 2014 - N°21 15 zzz Des politiques de la vieillesse entre adaptation et inadaptation territoriale Mickaël BLANCHET COLIN C., 2001, L’autonomie des personnes de 80 ans et plus, Gérontologie et Société, n°98, 37-48. FRINAULT T., 2009, La dépendance, un nouveau défi pour l’action publique, Rennes : PUR. JOUSSEAUME V., 2002, Diffusion et recomposition de l’offre médicale : l’exemple des Pays de la Loire (1967-2000), La santé, les soins, les territoires. Penser le 16 bien-être, Rennes, PUR, 37-51. MIZRAHI A., 2002, Inégalités sociales face au vieillissement et à la mort, Gérontologie et Société, n°102, p.78-89. MONTOVANI J., 1998, Les interactions entre offre et demande d’aide à domicile, d’hébergement et de soins. Toulouse : Programme Espace, Santé et Territoire, DREES-MIRE-DATAR, p.160. NOGUES H., 2006, Les revenus des personnes âgées. Un enjeu de société. Gérontologie et Société, n°117, p.39-49. NOGUES H., BOUGET D., 1989, Évaluation des disparités d’offre d’équipements pour les personnes âgées dépendantes, Actes du colloque Géographie et socio-économie de la santé (CREDES, 23-26 janvier 1989), avril, 225-237. La Lettre de l’Observatoire des Retraites Décembre 2014 - N°21 et l’externalisation d’un régime > Lade transformation retraite supplémentaire à prestations définies Claire GADONNEIX Christophe CLAEYS Cl i G Claire Gadonneix d dirige le Pôle Retraite Emprunteurs – Assurances Collectives de Groupama Gan Vie. Christophe Claeys est responsable Normes de BNP Paribas Cardif Claire Gadonneix et Christophe Claeys ont mis en commun leurs expertises sous la direction de Michel Piermay, Président de Fixage, pour réaliser leur mémoire d’actuariat du Centre d’Études Actuarielles. Ils ont choisi d’étudier l’impact de la transformation en 2001 d’un régime de retraite supplémentaire d’un grand groupe français. Ils se sont attachés à analyser les points de vue des différentes parties prenantes de l’opération (assureur, entreprise, salarié) sous l’angle de différentes visions normatives (vision comptable, vision économique). Ils démontrent la sensibilité des résultats aux hypothèses prédictives retenues lors de la transformation du régime et les déséquilibres qui en résultent 11 ans après en fonction de la réalisation ou non de ces hypothèses. Alors que la transformation du régime avait été présentée comme neutre pour les salariés à l’époque, il s’est avéré qu’un certain nombre de risques sous-jacents transférés de l’entreprise vers les salariés (longévité, taux, inflation) ont conduit dans le contexte économique et financier actuel à de fortes diminutions des retraites promises. Toutefois, force est de constater que cette opération était nécessaire à l’époque. A défaut de l’avoir réalisée, l’entreprise serait aujourd’hui en grande difficulté pour servir ses engagements de retraite : leurs poids auraient plus que doublé dans le contexte économique et financier actuel. Les engagements sociaux, et en particulier les régimes de retraite supplémentaire à prestations définies, sont des dettes futures à long terme envers les salariés, dont le montant est aléatoire, dont la mesure peut être complexe et dont le poids pour les entreprises est souvent considérable. Ils sont enregistrés dans le bilan des entreprises par une provision comptable qui a été alourdie par les évolutions réglementaires. Ils La Lettre de l’Observatoire des Retraites sont en outre très sensibles au contexte économique et financier (en particulier aux taux prévisionnels), et à la réglementation sociale et fiscale : ils sont par conséquent peu maîtrisables. Aussi, les entreprises ont cherché par le passé à se délester de ces potentielles « bombes à retardement » en modifiant les régimes. À l’aube des années 2000, dans un contexte économique favorable, elles ont également Décembre 2014 - N°21 cherché à externaliser l’engagement auprès d’organismes assureurs. Nous nous sommes intéressés à un cas pratique au travers d’une opération menée en 2001 visant à fermer un régime de retraite à prestations définies, à le transformer, et à en externaliser l’engagement auprès d’un organisme assureur, puis à y adjoindre, pour le futur, un régime de retraite à cotisations définies présenté comme une continuité de l’ancien régime. 17 zzz La transformation et l’externalisation d’un régime de retraite supplémentaire à prestations définies Claire GADONNEIX Christophe CLAEYS Dans la pratique, l’employeur a fermé l’ancien régime aux nouveaux entrants au 31 décembre 2001, et cristallisé les droits correspondants à cette date par individu en répartissant par tête le montant de la provision comptabilisée (norme IAS19) par l’entreprise au titre du régime. Il a ensuite construit sur cette base un nouveau régime, et externalisé celui-ci par le versement d’une prime unique à un organisme assureur, égale au montant de la provision comptable au 31 décembre 2001. Dans le régime transformé, chaque bénéficiaire se voit accorder, sous réserve de l’achèvement de sa carrière dans l’entreprise, une rente calculée selon les paramètres techniques (table de mortalité et taux technique) en vigueur à la date du départ en retraite, par conversion du montant issu de la cristallisation (capital initial), revalorisée jusqu’au départ en retraite à un taux minimum net de 2,90% + inflation. Cette garantie financière n’est pas portée par l’assureur, mais par l’établissement dépositaire du Fonds Commun de Placement accueillant les fonds. En rouge : l'engagement auprès des salariés En gris : prestaƟon esƟmée issue de l'engagement À l’époque l’opération a été un succès et a permis à l’entreprise de sortir cet engagement de son bilan tout en présentant pour ses salariés une continuité des prestations. Nous analysons au travers de notre étude quels risques ont été ainsi transférés dans le cadre de cette opération entre les différentes parties prenantes. En l’occurrence, on observe que dans le cadre de l’externalisation, peu de risques ont été transférés vers l’assureur, alors que le transfert de risques majeurs a été effectué de l’employeur vers Rente viagère réversible Montant = % du dernier salaire, selon ancienneté RevalorisaƟon taux AGIRC Avant transformaƟon régime à prestaƟons déĮnies 31/12/2001 départ en retraite Après transformaƟon ancien régime à prestaƟons déĮnies fermé ; droits cristallisés sous forme d'un capital individuel ; mise en place d'un nouveau régime à coƟsaƟons déĮnies capital consƟtuƟf issu de la cristallisaƟon de l'ancien régime : « capital iniƟal » au 31/12/2001 + revalorisaƟon à taux mini͕Ϯ͕ϵϬйнŝŶŇĂƟŽŶ 31/12/2001 Rente viagère réversible Montant = conversion du capital consƟtuƟf aux condiƟons techniques à la date de départ en retraite Aucune promesse de revalorisaƟon départ en retraite Seule la transformation de l’ancien régime à prestations définies est représentée sur ce schéma. Le nouveau régime à cotisations définies n’est pas schématisé. 18 La Lettre de l’Observatoire des Retraites Décembre 2014 - N°21 Fl---ilège : prix 2014 les salariés : inflation (suppression de la promesse de revalorisation des rentes au taux AGIRC), taux de rendement des placements à long terme, longévité. Dans la dernière décennie, le contexte a fortement évolué au niveau économique, financier, réglementaire et social, remettant en cause les paramètres prédictifs qui étaient connus en 2001 et nous constatons avec la dizaine d’années de recul dans quelle mesure les risques transférés se sont réalisés. Notre étude a consisté à calculer, analyser et comparer les différentes évaluations possibles de l’engagement au titre des régimes de retraite supplémentaire dont bénéficient les salariés, avant et après la transformation, et leur sensibilité aux paramètres principaux qui ont varié depuis 2001 : M Nous avons déterminé une mesure « économique » de l’engagement porté par l’entreprise au titre du régime à prestations définies au 31 décembre 2001, avant sa transformation. Puis nous avons analysé ce que devient cette mesure dans le contexte économique et financier de fin 2012, et constaté que, principalement sous l’effet de la baisse du taux d’actualisation, la mesure augmente de plus de 100 %. z Pour obtenir une mesure « économique » simple de l’engagement, nous évaluons les flux futurs probables actualisés au taux sans risque, tête par tête, sur les 9 989 bénéficiaires. z Parmi les paramètres entrant dans les calculs, certains correspondent à des données internes à l’entreprise (âge de départ à la retraite, hausse des salaires et turnover jusqu’à l’année précédant celle du départ à la retraite, hypothèses de réversion, âge du conjoint). Les autres sont des données totalement exogènes, et correspondent précisément aux risques qui ont fait l’objet d’un transfert de l’employeur vers les salariés bénéficiaires : Mortalité avant liquidation et en phase de rente. Taux de revalorisation des rentes : taux AGIRC selon le règlement du régime. Taux d’actualisation : taux sans risque zéro coupon (source : taux swap EUSATT Bloomberg). z Nous avons effectué des analyses de sensibilité sur ces paramètres exogènes, en retenant dans un premier temps les données anticipées en 2001 au moment de l’étude, puis en appliquant les paramètres connus onze ans plus tard. La variation la plus forte est celle de la courbe des taux, qui baissent de plus de 50 %. On constate que les risques que portait l’entreprise dans le cadre de l’ancien régime se sont en partie réalisés entre 2001 et 2012 : le risque de longévité, par l’allongement de la durée de vie constaté avec les changements de tables (que l’on estime correspondre à la réalité de la population étudiée à défaut d’informations dédiées) ; le risque de taux, par la baisse des taux long terme ; l’inflation étant maîtrisée par les mécanismes mis en place par la Banque Centrale Européenne, le Les effets cumulés de la mortalité et des taux se résument ainsi : Caractéristiques des paramètres Taux de revalorisation des rentes (taux AGIRC) Taux d’actualisation (taux sans risque zéro coupon) Tables de mortalité Mesure « économique » de l’engagement au 31/12/2001 Paramètres 2001 pour les taux et les tables 2% Courbe 2001 TV88-90 - TPRV93 263 626 K€ Paramètres 2012 pour les taux et 2001 pour les tables Réel 2001-12 puis 1,4 % Courbe 2012 TV88-90 - TPRV93 545 998 K€ + 107 % Effet taux Paramètres 2012 pour les taux et les tables Réel 2001-12 puis 1,4 % Courbe 2012 TF00-02 - TGF05 601 765 K€ + 128 % Effet cumulé taux et tables La Lettre de l’Observatoire des Retraites Décembre 2014 - N°21 19 zzz La transformation et l’externalisation d’un régime de retraite supplémentaire à prestations définies Claire GADONNEIX Christophe CLAEYS risque lié à l’inflation ne s’est en revanche pas réalisé et a même diminué, mais cela ne compense pas les autres effets. Ainsi, si l’entreprise n’avait pas réalisé la transformation, le poids économique du régime aurait plus que doublé par le seul effet des paramètres exogènes entre 2001 et 2012, à périmètre par ailleurs inchangé. M Nous avons ensuite effectué le calcul de la provision portée au bilan de l’entreprise, selon les méthodes des calculs menés au 31 décembre 2001 sur la base de la norme IAS19, et constaté les écarts avec la mesure « économique » établie précédemment. A partir du calcul comptable de 2001, nous avons reconstitué la transformation du régime effectuée à l’époque, et présenté le montage mis en place au niveau de l’organisme assureur. Là encore, nous avons répliqué ces démarches dans le contexte économique et avec les paramètres connus à fin 2012, analysé les variations, et en avons tiré les conclusions quant à la faisabilité de l’opération onze ans plus tard. Il apparaît que les conditions de 2001, particulièrement favorables, ont permis de réaliser une opération qui aurait été plus difficile (plus coûteuse) – voire impossible - à mener dans le contexte actuel. z Sur le plan de la méthode de calcul, l’approche pour la mesure de la provision comptable « IAS 19 » passe par un capital constitutif de la rente alors que l’approche économique mesure des flux actualisés sur toute la durée de restitution. Ces deux méthodes sont analogues à paramètres identiques de tables et de taux (mais la méthode comptable ne permet pas l’utilisation d’une courbe de taux). z En revanche, le paramètre principal de calcul, à savoir le taux d’actualisation, est très différent : là où pour le calcul « économique » nous avions utilisé la courbe des taux sans risque, la norme IAS 19 préconise d’utiliser un taux réaliste au regard des données économiques connues à la date du calcul, et plus particulièrement le taux d'émission des obligations du secteur privé en euros « de grande qualité » pour des durations équivalentes à celles des engagements. Nous avons retenu la référence la plus communément utilisée pour l'évaluation des engagements sociaux des entreprises : le taux « iBoxx Corporate AA10+ », qui est le taux d'émission des obligations corporatives de sociétés cotées AA à 10 ans et plus, dont la valeur est bien plus élevée que celles des courbes de taux sans risque. On constate que, en raison du taux d’actualisation particulièrement élevé fin 2001 (6,14%), la provision calculée est particulièrement basse. Or c’est le montant de cette provision, versé comme une prime unique, qui fonde la transformation du régime de retraite supplémentaire pour les bénéficiaires concernés. Dans le cas étudié, l’entreprise a donc saisi l’opportunité de cette période de taux élevés, et Les effets cumulés de la mortalité et des taux se résument ainsi : 20 Caractéristiques des paramètres Taux d’actualisation (iboxx) Taux technique (taux d’actualisation – taux revalo des rentes) Tables de mortalité Provision comptable au 31/12/2001 Paramètres 2001 pour les taux et les tables 6,14 % 4,14 % (revalo 2 %) TV88-90 - TPRV93 232 412 K€ Paramètres 2012 pour les taux et 2001 pour les tables 3% 1,6% (revalo 1,4 %) TV88-90 - TPRV93 445 220 K€ + 92 % Effet taux Paramètres 2012 pour les taux et les tables 3% 1,6 % (revalo 1,4 %) TF00-02 - TGF05 490 396 K€ + 111 % Effet cumulé taux et tables La Lettre de l’Observatoire des Retraites Décembre 2014 - N°21 Fl---ilège : prix 2014 externalisé le régime sur la base de ce calcul par le versement d’une prime unique égale à la provision mesurée à un niveau particulièrement bas. z Nous avons reconstitué la modélisation qui a permis à l’entreprise de répartir par bénéficiaire le montant de la provision, et de déterminer le montant du « capital initial » de chaque bénéficiaire constituant la base de la prestation du régime après transformation. Cette modélisation est construite dans l’objectif de démontrer la continuité entre l’ancien régime à prestations définies et le futur régime à cotisations définies ; pour cela la répartition se fait en reconstituant pour chaque individu le montant théorique de cotisations accumulées et capitalisées au 31 décembre 2001 s’il avait cotisé depuis ses 25 ans à un régime de retraite à cotisations définies1. Le paramètre ajustable permettant d’obtenir l’égalisation entre la somme des épargnes individuelles ainsi calculées et la provision comptable est le taux de capitalisation théorique rétrospectif. Pour la provision calculée avec les paramètres connus en 2001, ce taux s’élève à 4,8 %. La présentation aux salariés de la continuité entre l’ancien régime transformé, à prestations définies, et le nouveau régime à cotisations définies, repose sur ce taux de capitalisation théorique passé. Si ce taux n’a soulevé aucune remarque à l’époque, car il semblait cohérent en 2001 avec des taux prévisionnels prudents, il est en fait très bas en comparaison des taux passés effectivement observés sur la période de capitalisation théorique reconstituée qui ont varié autour de 8 %. Lorsqu’on reproduit la même démarche à partir de la provision calculée avec les paramètres de taux actuels, ce taux s’élève à 10,6 % : il est élevé au regard des taux passés et peu réaliste au regard des prévisions de taux futurs et de Les résultats permettent de chiffrer la diminution des garanties : la garantie de rendement promise par le FCP : il ne serait donc plus possible de tenir le même discours aux salariés. M Enfin, nous avons analysé l’engagement du point de vue des salariés concernés : quelle était la garantie avant et après transformation et externalisation du régime, au 31/12/2001 puis en 2012 ? L’opération de transformation qui pouvait sembler quasiment neutre en 2001 s’avère a posteriori avoir eu un effet très significatif de diminution de la garantie. z Nous avons évalué le montant de la rente pour quelques salariés représentatifs de la population étudiée, essentiellement masculine (86 %) et qui présente deux pics démographiques : un homme de 35 ans (premier pic démographique), un homme de 42 ans (moyenne de la population), et un homme de 54 ans (second pic démographique). Ces chiffrages montrent clairement : Qu’en 2001, compte tenu des Homme 35 ans Homme 42 ans Homme 54 ans Rente annuelle "acquise" avant transformation 1 764 3 165 4 575 Rente annuelle "théorique" après transformation (vision 2001) 2 666 3 171 3 646 Impact de la transformation sur le montant de la rente (vision 2001) +51 % 0% -20 % Rente annuelle "théorique" après transformation (vision 2012) 1 510 1 883 2 351 Impact de la transformation sur le montant de la rente (vision 2012) -14 % -41 % -49 % Paramètres modifiés entre les visions 2001 et 2012 : taux d'actualisation ; inflation ; mortalité Hypothèse de départ à la retraite à 62 ans 1 La modélisation utilise un modèle polynomial du second degré pour reconstituer les salaires individuels entre l’âge de 25 ans et le 31 décembre 2001. La Lettre de l’Observatoire des Retraites Décembre 2014 - N°21 21 zzz La transformation et l’externalisation d’un régime de retraite supplémentaire à prestations définies Claire GADONNEIX Christophe CLAEYS paramètres prédictifs à cette date, la transformation du régime était neutre sur la population moyenne (impact de la transformation sur l’homme de 42 ans). Mais cette apparente neutralité dissimule une forte redistribution entre les générations : avec la transformation, les salariés les plus proches de la retraite sont nettement perdants alors que les plus jeunes voient leur rente estimée augmenter. Avec la réalisation entre 2001 et 2012 des risques transférés vers les salariés, et en particulier du risque de baisse des taux, la neutralité disparaît : la transformation observée a posteriori a entraîné une baisse conséquente de la garantie pour tous les salariés (et encore plus pour les plus âgés). zzzz Cette étude nous a permis de mettre en évidence l’impact considérable sur les différentes mesures d’un même engagement de paramètres prédictifs, et en particulier des taux de rendement à long terme. Dans le cas de notre étude, on peut conclure que : une « économie » conséquente : si l’opération n’avait pas été finalisée, la provision au passif de son bilan, à périmètre inchangé, aurait plus que doublé en 2012 (du fait principalement de la baisse des taux). Du point de vue des salariés, on constate que les risques qui leur ont été transférés se sont en grande partie réalisés : si l’inflation, maîtrisée par la Banque Centrale Européenne, a peu évolué, en revanche les taux des placements à long terme ont été très largement revus à la baisse, et la longévité estimée des populations a été revue à la hausse dans les tables de mortalité réglementaires. Nous avons ainsi pu, sur ce cas concret, analyser comment l’utilisation des mesures prédictives qui font l’hypothèse d’un certain déroulement du futur peut permettre d’orienter la présentation des réformes envisagées, et d’influencer les décisions, selon le référentiel utilisé et le point de vue selon lequel on se place. Si on avait connu en 2001 les paramètres actuels, l’opération de transformation du régime n’aurait pas pu se faire de la même façon : le coût en aurait été plus élevé, et la négociation avec les salariés plus difficile. Le fait d’avoir effectivement procédé en 2001 à la transformation a permis à l’entreprise de réaliser 22 La Lettre de l’Observatoire des Retraites Décembre 2014 - N°21 sécuriser la poursuite de l’activité > Comment des seniors par une politique de santé préventive ? Stéphanie GAY Di t Directeur de d Projets au cabinet de conseil en ressources humaines et innovation sociale The YellowBridge Diplômée de la European Business School de Paris en 1989, forte d’une vingtaine d’années d’expérience dans le conseil, puis dans la grande distribution, Stéphanie Gay a suivi en 2012-2013 le master Executive Ressources Humaines de l’ESSEC. Sous la direction de Jean-Marie Peretti, elle a consacré sa thèse professionnelle à la question de l’activité des seniors : « Comment garantir la continuité de l’activité des seniors par la mise en place d’une politique de santé basée sur la prévention ? ». Regrettant la faible prise de conscience des contraintes démographiques à venir et la tendance à privilégier le curatif et l’indemnisation sur la prévention, elle plaide pour une intégration forte de la dimension santé dans le management des entreprises. La préservation de l’emploi des seniors est liée à la mise en place d’une politique de santé innovante basée sur la prévention Le chômage des seniors est un des nombreux dossiers que le gouvernement doit traiter en priorité. Le chômage des plus de 50 ans a progressé de plus de 11,6 % en un an1. Et ce phénomène risque de s’accentuer, mettant en péril les effets attendus de l’allongement de la vie professionnelle comme mesure pour financer et maintenir notre système de retraite. D’ici 2030, un Français sur deux aura plus de 50 ans. L’allongement de la vie professionnelle, et donc l’employabilité des seniors, est une problématique à laquelle sont confrontées les entreprises françaises, sans toutefois mesurer tous les enjeux. en La préservation de la santé des salariés et la diminution de leur exposition à la pénibilité sont nécessaires pour allonger la vie professionnelle. Entreprises et pouvoirs publics doivent réfléchir et mettre en œuvre des mesures de prévention efficaces. Il ne s’agit plus de raisonner uniquement sur la compensation, ou le dédommagement. L’étude d’Aurelia Ortiz2 tend à démontrer que les actifs seniors sont en meilleure santé que la population générale dans laquelle on dénombre des malades dans l’incapacité de rester en activité. L’analyse de Debrand et Lengagne3 montre que le sentiment de sécurité dans l’emploi est associé à une augmentation de la probabilité de se sentir en bonne santé, de ne présenter aucun signe de dépression, de ne pas être limité dans ses activités et de ne souffrir d’aucune maladie. Le risque de chômage est, quant à lui, deux fois plus élevé pour les personnes qui se considèrent en mauvaise santé. Francois Rebsamen, ministre du Travail, lors de la grande conférence sociale des 7 et 8 juillet 2014, a Références page 30 La Lettre de l’Observatoire des Retraites Décembre 2014 - N°21 23 zzz Comment sécuriser la poursuite de l’activité des seniors par une politique de santé préventive ? Stéphanie GAY d’ailleurs inscrit dans la feuille de route des mesures sur la pénibilité et la santé au travail pour encourager « le maintien en emplois actifs des plus âgés4 ». Le poids de la représentation sociale des seniors Le terme même de seniors stimule l’imagination et les stéréotypes. Un changement de vocabulaire pourrait permettre un changement dans la représentation que l’on s’en fait. En ce sens, la définition proposée par Alain Labruffe5 est intéressante. Il propose de réserver le terme de « seniors » aux retraités actifs et le terme de « jeniors » aux plus de cinquante ans qui travaillent ou qui le devraient. Le terme de « zeniors » serait lui réservé aux personnes du 4ème âge qui peuplent les maisons de retraite. L’ancrage de la représentation des seniors peut paraître simple. Souvent il se base à partir de faits avérés sur les effets physiques du vieillissement, et également sur leurs conséquences psychiques. Le vieillissement reste souvent associé à l’idée de perte : de compétence, d’envie, de tonus, de santé... et tend à devenir synonyme de « fragilisation ». Les pouvoirs publics et les partenaires sociaux ont également contribué à cette diversité, en introduisant leurs propres définitions : les bornes d’âges : les 55 - 64 ans de la stratégie européenne pour l’emploi, les plus de 50 ou les plus de 55 ans dans le décret d’application de la loi de financement de la Sécurité sociale 2009, les plus de 45 ans pour l’entretien de seconde partie de carrière préconisé dans l’accord national interprofessionnel d’octobre 2005. Les entreprises disposent ainsi de plusieurs définitions des seniors, mais c’est surtout l’approche du sujet qui les guide et elles adaptent leurs propres définitions. C’est ainsi que dans l’entreprise, l’utilité sociale des seniors est principalement envisagée sous l’angle économique, à savoir ce qu’ils coûtent. Dans l’entreprise, les travailleurs seniors doivent faire face à des croyances âgistes quant à leurs habiletés, leur productivité, leur capacité de changement et leur adaptation ; croyances qui, pour bon nombre d’entre eux ne correspondent aucunement à leur performance réelle6. La santé au travail, enjeu majeur pour améliorer l’employabilité des seniors « L’employabilité des seniors dépend principalement de trois éléments au moins : la santé, les compétences et l’engagement au travail7 ». Ce constat ne leur est bien sûr pas spécifique, néanmoins, ils peuvent présenter certaines caractéristiques au regard des éléments en question. En termes de santé, on sait que la proportion de personnes souffrant de limitations de leur capacité de travail augmente avec l’âge. Nous sommes dans un phénomène paradoxal, on devient physiquement vieux beaucoup plus tard mais socialement beaucoup plus tôt. L’objectif d’une augmentation du taux d’emploi des seniors doit Caractéristiques de l'environnement Situations d'éviction - Préservation de la santé Développement des compétences Engagement professionnel + Situations d'intégration Capacités de l'individu Source ANACT, Maintien et retour en activité des seniors, rapport d’étude, 7 septembre 2009. 24 La Lettre de l’Observatoire des Retraites Décembre 2014 - N°21 Fl---ilège : prix 2014 s’accompagner d’une meilleure prise en compte de leurs conditions de travail en vue de favoriser leur maintien dans l’emploi. En France, on prend en compte la santé au travail essentiellement sous forme de réparation ou de compensation financière du fait des lourds risques juridiques générés par les obligations des employeurs. Ce phénomène occulte les visées de prévention et de promotion de la santé au travail8. Dans les principaux articles du code du travail, la loi laisse une large part à la prévention et aux actions de formation. Ces obligations ont incité les entreprises à signer des accords ou plan d’actions avec les partenaires sociaux. Selon Peretti9, « six cents accords ou plans d’action ont été engagés début 2011 suite à l’injonction gouvernementale de 2009 pour les entreprises de plus de 1000 salariés. Les facteurs de risques psychosociaux sont identifiés dans 44 % des accords mais peu d’accords contiennent un programme d’actions et de préventions finalisées ». Le développement de la santé et du bien-être au travail et l’amélioration des conditions de travail constituent un enjeu majeur pour notre politique sociale dans les années à venir. Le paradoxe est là, la prévention et la promotion de la santé ne s’imposent pas… Elles doivent se construire par l’action collective des entreprises et de l’État, mais aussi par la responsabilisation individuelle des salariés. La Lettre de l’Observatoire des Retraites En l’absence de mise en place d’un plan de prévention de la santé au travail dans les entreprises, on s’expose à des coûts de plusieurs types. La souffrance au travail peut facilement se mesurer au travers de trois principaux coûts : le coût humain, le coût économique pour l’entreprise (absences, conséquences négatives sur les autres salariés, allant jusqu’à la démotivation généralisée), le coût de notre système de protection sociale. Si l’on fait une liste de quelques indicateurs clés en France, on identifie de manière précise les axes de progression très importants et les gains induits. 700 000 accidents du travail (AT) par an ; 45 000 maladies professionnelles (MP) pour le seul régime général par an ; 7,7 milliards d’euros de prestations ont été versées pour ces AT et MP. L’absentéisme dans les entreprises françaises représente 4,85 % de la masse salariale ; 1 personne par jour meurt à la suite d’un accident professionnel ou d’une maladie professionnelle ; 13 % de la population est exposée à au moins un agent cancérigène ; 68 % des actifs déclarent connaître un ou plusieurs problèmes de santé chronique avec 30 % liés aux problèmes de stress et d’anxiété ; 7,2 % d’augmentation en dix ans des troubles musculo-squelettiques (TMS) qui représentent 80 % des maladies professionnelles reconnues et indemnisées. D’après les spécialistes, cette augmentation constante des TMS Décembre 2014 - N°21 est non seulement liée au stress et aux conditions de travail mais aussi au manque de prise en considération de la pénibilité au travail des salariés vieillissants et de façon générale à une prévention primaire insuffisante. Nous voyons au travers des indicateurs ci-dessus, qu’il reste des leviers importants pour améliorer la situation de la France en terme « santé au travail » au sens large. L’ émergence de ce nouveau défi est une formidable opportunité pour relancer l’emploi, et en particulier celui des seniors. Quelques pistes de travail pour innover en matière d’employabilité des seniors « Ce n’est pas en retardant par décret l’âge de départ à la retraite que l’on règlera le problème posé par le vieillissement de la population de l’entreprise, mais en articulant une politique incitative de maintien en activité » selon Reale et Dufour10. Ils dénoncent également une pratique de la séniorité hautement préjudiciable pour les entreprises avec pour conséquence immédiate une perte de savoir-faire des seniors, faute d’avoir su organiser un transfert de savoir-faire vers les plus jeunes ainsi que de manière globale une perte de mémoire de l’entreprise, de ses réseaux internes et externes. Une nouvelle politique de gestion des ressources humaines doit être inventée, car pour maintenir les salariés âgés au travail, encore faut-il qu’ils soient en bonne santé. 25 zzz Comment sécuriser la poursuite de l’activité des seniors par une politique de santé préventive ? Stéphanie GAY Un autre enjeu social concerne la prévention de l’usure professionnelle et la préservation de la santé par l’identification des populations fragilisées. Il faut analyser les différentes causes d’usure et y apporter des réponses appropriées. Elles sont de nature et de niveau différents, de l’aménagement des postes de travail à un projet plus large d’amélioration continue des conditions de travail. Petites ou grandes, les entreprises vont être confrontées à l’allongement du temps de travail. Autant saisir cette obligation comme une opportunité pour progresser et améliorer les conditions de travail de tous les salariés. Selon de Vaivre et Bouvet, « la visée de la santé équilibre de vie au travail est un fantastique levier de création de lien social et d’implication positive, pour les Opérationnels et le Terrain comme pour les Ressources Humaines et les Dirigeants ». LA SANTÉ Le sujet de la Santé est sensible, et l’entreprise ne peut se substituer à l’individu sur le sujet. Au cœur de l’entreprise, tout salarié a l’obligation de prendre soin de sa santé et de celle de ses collègues concernés par ses actes au travail (article L. 4122-1 du Code du travail). L’ employeur est responsable devant la loi de la santé et de la sécurité des salariés dans son entreprise. Il est le garant de la politique de prévention et de sa mise en œuvre. Pour cela, il s’entoure des compétences 26 nécessaires et a pour conseiller le médecin du travail. L’ entreprise doit avoir maintenant un rôle de « préventeur », elle doit innover et intégrer la santé de ses salariés dans ses indicateurs de performance. La promotion de la santé et du bien-être au travail fait partie du rôle social et sociétal des entreprises. En ce sens, l’expérience mise en place au Québec avec la création d’un label « Entreprise et Santé » est semble-t-il le bon compromis. L’ entreprise sensibilise ses salariés sur 4 sphères, véritables leviers de sa santé. Cette sensibilisation couvre à la fois les habitudes de vie, la conciliation Travail-Vie personnelle, l’ environnement de travail, les pratiques de management qui favorisent l’équilibre et minimisent le stress. La Gestion Prévisionnelle des Emplois et des Compétences (GPEC) La GPEC menée spécifiquement pour les seniors est peu développée. Pour la rénover, l’entreprise doit maintenant intégrer une réflexion sur les emplois occupés par les seniors et leurs évolutions, le renouvellement de leurs compétences, et sur leur santé grâce à la mesure de la pénibilité de leur poste de travail et de leurs conditions de travail. Cette réflexion est essentielle pour piloter les compétences futures de l’entreprise. Les bilans d’étapes professionnelles et l’entretien senior ont pour objectifs de suivre ces populations en particulier, avec un suivi plus spécifique, mais l’entreprise pourrait tout simplement instaurer l’entretien d’évaluation adapté au senior comme l’a déjà fait Yoplait notamment. L’ entreprise peut également apporter un appui aux salariés seniors pour faire des bilans de compétences, des accompagnements de la Validation des Acquis de l’Expérience (VAE) et aider de ce fait les collaborateurs à se réorienter. Cette rénovation permettrait finalement de créer une véritable GPPPPEC (Gestion Prévisionnelle, Préventive, Personnalisée et Partagée des emplois et des compétences) décrite par Marbot et Peretti. La GPEC ne doit plus être le passage obligé avant la mise en place d’un Plan de Sauvegarde de l’emploi mais un véritable outil de prévision et d’anticipation. Il faut une véritable prise de conscience de part et d'autre : l'entreprise en offrant de véritables opportunités « dédiées » aux seniors, et les salariés seniors en admettant que leur objectif principal est le maintien dans l'emploi de manière différente. Matsutchita, groupe industriel Japonais de 50 000 personnes, a inscrit dans son plan stratégique le maintien de l'emploi des salariés jusqu'à 65 ans, avec des emplois adaptés pour les salariés âgés. La Lettre de l’Observatoire des Retraites Décembre 2014 - N°21 Fl---ilège : prix 2014 Les emplois sont adaptés, mais sous contraintes. Les salariés bénéficient d'un contrat de travail annuel renouvelable, à temps plein ou à temps partiel. Leur rémunération est plus faible mais peut être partiellement complétée par leur retraite. L'innovation réside également dans l'adaptation des postes de travail proposés aux seniors. Il ne s'agit pas uniquement de l'adaptation physique et ergonomique du poste de travail, mais aussi de l'adaptation même du contenu des missions confiées aux seniors. Depuis 1999, l'entreprise Thalès a créée TMC (Thalès Mission Conseil), une structure de consultants internes basée sur le constat suivant : nombre de salariés seniors compétents se retrouvent au gré des restructurations sans affectation précise, parallèlement, l'entreprise a de réels besoins en matière de conseil. Thalès a donc proposé à un certain nombre de ses collaborateurs seniors de rejoindre TMC pour y passer 18 mois et mettre à profit dans le domaine du conseil leur expérience professionnelle. Environ 70% des collaborateurs passés par TMC ont retrouvé un poste opérationnel. Henri Maire, entreprise de 300 personnes, propriétaire récoltant depuis plus de 60 ans dans le Jura, a mis en place une stratégie de recrutement des seniors pour bâtir son réseau commercial. En effet, les horaires La Lettre de l’Observatoire des Retraites de travail sont adaptables, le poste requiert une grande autonomie, et une certaine sérénité qui est une qualité requise pour le poste. Ce dernier exemple nous montre que le critère de l’âge peut être également vu pour certains métiers comme une « qualité » nécessaire pour exercer le poste. l'entreprise (conseil interne, coaching, mission de transformation) ; la possibilité de favoriser le dispositif cumul emploi - retraite, appelé en Grande Bretagne le « Bridge Employment11 ». Autre exemple de bonne pratique, cette banque en ligne qui forme des apprentis de plus de 50 ans pour favoriser la constitution d’équipes mixtes afin de mieux répondre aux attentes d’une clientèle vieillissante (expérience menée par la banque en ligne allemande, ING DIBa). Depuis longtemps, les pays de l’Europe du Nord ont intégré le paramètre des rémunérations dans leur politique globale de gestion des carrières. Pourquoi ne pas s’en inspirer ? Yoplait a fait le choix d'offrir à ses retraités les plus expérimentés la possibilité de partir au Canada dans le cadre de son projet d'implantation d'un site de production, profitant ainsi du savoir-faire des plus anciens, et aux salariés en retraite de bénéficier du cumul emploi-retraite. Les solutions innovantes reposent donc à la fois sur : des nouveaux modèles d'organisation du travail : adaptation des postes, adaptation des rythmes en modulant le temps de travail, cadres juridiques différents (sociétés de portage interne ou externe, statut auto entrepreneur) ; la mobilité, qu'elle soit fonctionnelle ou géographique, est tout à fait pertinente si elle est accompagnée ; de nouvelles opportunités et de nouvelles missions de nature différente : inventer de nouveaux challenges pour les seniors et Décembre 2014 - N°21 Les politiques de rémunérations En effet, il serait plus facile pour les seniors d’augmenter leur employabilité si leur niveau de rémunération était plus faible. En Suède par exemple, le salaire moyen des 55-65 ans n’est pas plus élevé que celle des quadragénaires, facilitant ainsi leur intégration sur le marché du travail. Il est par ailleurs important d’intéresser les dirigeants et les managers à la santé de collaborateurs en intégrant ce paramètre dans leur rémunération. La trajectoire professionnelle de leurs collaborateurs sera plus performante si ceux-ci sont en bonne santé. La première recommandation du rapport Lachmann, Larose, Penicaud12 met en avant le rôle de la Direction générale et du Conseil d’administration. Peuvent-ils réellement être impliqués sans adosser cette implication à des critères de rémunérations ? Des sociétés telles qu’ AXA ou 27 zzz Comment sécuriser la poursuite de l’activité des seniors par une politique de santé préventive ? Stéphanie GAY Schneider Electric ont déjà intégré ces critères dans la rémunération variable de leurs dirigeants. Une étude réalisée par l’ORSE nous enseigne que la part de ces critères représente entre 10 et 30 % de la rémunération variable des entreprises interrogées. Chez Danone, le choix s’est porté sur un critère social (33 % du variable) avec comme indicateur le taux de fréquence des arrêts de travail et la couverture santé des collaborateurs. En 2011, 21 entreprises du CAC 40 ont intégré les paramètres sociaux dans la part variable de rémunération de leurs dirigeants. La santé au travail fait également partie des responsabilités du manager de proximité. Pour ce faire, il faut que les entreprises accompagnent les managers dans cette tâche au travers de la formation. Malgré tout, ceux-ci doivent être également préparés lors de leur formation initiale. L’entreprise doit intégrer la santé au travail dans le descriptif de poste des managers, dans les critères de promotion, et en allouant plus de temps aux managers pour passer à leur tour du temps avec leurs collaborateurs. Si l’entreprise donne des moyens à ses managers, elle pourra d’autant plus intégrer la santé au travail comme critère de leurs rémunérations variables. Le groupe Matsutchita cité précédemment, au Japon, a opté 28 pour une révision du système de rémunération de ses salariés de plus de 60 ans, sur la base d’un contrat de travail annuel renouvelable (logique d’emploi temporaire). La rémunération est par ailleurs adaptée en conséquence : la rémunération fixe rémunère les compétences et l’évolution de ces compétences ; la rémunération variable rémunère la performance. La réelle question est de voir où se situe le collaborateur dans l’échelle des salaires. Le senior est censé être plus compétent donc plus performant, donc avoir plus de variable. Un junior est censé augmenter ses compétences donc augmenter son fixe. Les attentes des collaborateurs en fonction de leur situation ne sont pas les mêmes. De cette manière, on peut imaginer plus facilement la reconversion d’un senior, ou la possibilité de retrouver un emploi en dehors de son entreprise. Plans de départ volontaire et indemnisations chômage des salariés de plus de 45 ans Aujourd’hui, 53% des entreprises ne perçoivent pas le vieillissement comme un sujet qui les concerne. Des entreprises comme Renault et Nestlé en France ont toujours recours de façon massive au PDA (Plan de Départ Anticipé) des plus de 58 ans. En Suède, la loi de 1974 a permis de contenir les pratiques de départ anticipé utilisées par les entreprises, avec la règle du « First in, last out13» qui rend plus difficile le licenciement des travail- leurs plus anciennement présents dans l'entreprise. Cette mesure appliquée en France aurait pour avantage d’inciter les entreprises à travailler sur la gestion des carrières de leurs salariés âgés. Cette stimulation « contrainte » permettrait à la fois d'anticiper la gestion de la pyramide des âges, les conditions de travail, les besoins futurs en matière de compétences. Le maintien de la « bonne santé » des salariés s'inscrirait ainsi dans la durée. Une autre bonne pratique mise en œuvre également par le gouvernement suédois, encadrant de façon stricte les indemnisations chômage, pourrait faire partie de la réforme de notre système de financement public des retraites anticipées et du chômage. En effet, 75% du budget public est investi dans la formation favorisant le maintien en activité du public sensible tel que les seniors. La France devrait s’inspirer de ce modèle plutôt que de privilégier uniquement l'indemnisation des chômeurs. En effet, former les chômeurs de plus de 45 ans sur de nouvelles compétences, métiers ou missions plutôt que l'indemnisation seule, permettrait certainement de contribuer à leur employabilité, assortie d'une embauche plus probable. Une autre modification de taille pourrait être apportée au dispositif « contrat de génération », qui en substance devait initialement La Lettre de l’Observatoire des Retraites Décembre 2014 - N°21 Fl---ilège : prix 2014 maintenir dans l'emploi les salariés de plus de 57 ans, assortie d'une embauche d'un collaborateur de moins de 26 ans. Il apparaît que ce dispositif est trop contraignant pour les entreprises, surtout en période de crise économique. Dans la mesure où la cible est plutôt les seniors de plus de 50 ans sans qualification, qui sont à 75 % toujours au chômage un an après leur perte d'emploi, pourquoi ne pas adapter le dispositif aux plus de 50 ans ? D’ailleurs l’opérateur de téléphonie Free a fait ce choix, malgré une pyramide des âges peu favorable pour l’application de ce dispositif. La grande majorité des salariés de Free ont entre 30 et 40 ans. De ce fait, l’accord contrat de génération récemment signé prévoit ainsi de classer en catégorie « senior » les salariés de plus de 46 ans, pour élargir les effectifs susceptibles de jouer un rôle de référent auprès des futurs jeunes embauchés. Par ailleurs, ce dispositif financièrement incitatif pour les entreprises de moins de 300 salaries, ne l'est pas pour les autres. Ne seraitil pas envisageable d'assortir le dispositif de contrat de génération d'un volet formation et conseil, inspiré du modèle finlandais ? Les entreprises de plus de 300 salariés ainsi accompagnées pourraient travailler à la fois sur la gestion prévisionnelle de leurs compétences mais aussi sur les conditions de travail. La Modification du cadre légal pourrait donc aboutir à : La Lettre de l’Observatoire des Retraites un encadrement renforcé des PSE (Plan de Sauvegarde de l'Emploi) en protégeant les salariés les plus anciens ; un contrôle plus strict des dispositifs de retraites anticipées ; une refonte systémique des paramètres d'indemnisations chômage des seniors en privilégiant la formation ; une modification du dispositif de contrat de génération débouchant sur une véritable gestion des âges en travaillant sur les compétences mais aussi sur la santé au travail. Le « Slow Management » Selon Steiler, Sadowsky, Roche, « il faut prendre le temps de mettre en place une politique préventive et globale de la gestion du stress (et donc de la santé), il faut prendre le temps de faire du « slow management15 ». Il y a, en effet, une corrélation entre le mode de management dans les entreprises en France et l’état de santé des salariés. Entre 2001 et 2009, les maladies professionnelles ont augmentées de 125 %. Les risques psychosociaux, quant à eux, touchent 24 % des hommes et 37 % des femmes. L’exemple suédois, qui accorde une place importante à l’individu et à ses besoins dans l’entreprise, et une moindre importance de la hiérarchie, contribue à favoriser un comportement plus stimulant du management et se rapproche le plus du « slow management ». Le « slow management » basé sur la pédagogie, l’écoute et le sens Décembre 2014 - N°21 exacerbé de la communication permet d’établir un environnement de travail plus sain. La politique de « slow management » dans les entreprises permet à moyen terme d’améliorer les conditions de travail et donc de santé des salariés. Ce mode de management est basé sur des items simples, mais non pratiqués dans bien des cas : construire des solutions de qualité, stables et de longue durée avec les salariés, les clients, les fournisseurs ; améliorer les conditions de travail ; réduire, hiérarchiser et organiser les demandes ; repenser la relocalisation, l’organisation de la participation, le partage du temps de travail, et le développement des connaissances. Le plan de santé des entreprises est souvent curatif. Il identifie les symptômes et met en œuvre des actions pour les enrayer. Malheureusement, supprimer le symptôme ne supprime pas de fait la raison de ce symptôme. C’est là que le slow management a son rôle à jouer. Le management doit changer la cible de ses responsabilités : « passer de la détection de la souffrance au travail à la mise en œuvre des conditions nécessaires au bien-être au travail ». Selon John Sadowsky16, « on parle beaucoup de Google, de ses bureaux et de son atmosphère ludique. Bien sûr, cette entreprise a d’importantes ressources et les 29 zzz Comment sécuriser la poursuite de l’activité des seniors par une politique de santé préventive ? Stéphanie GAY employés bénéficient de nombreux avantages. Mais ce qui est le plus important, c’est la manière dont le dialogue et les contacts entre les employés et leur supérieur sont constants ». La crise économique actuelle n’est pas très encourageante pour la mise en place du « slow management », mais cette gestion « durable » des salariés permettra à l’entreprise d’éliminer les facteurs de stress et de remettre la confiance, la coopération, la réflexion et l’innovation sociale au cœur de ses préoccupations. L’entreprise pourra alors être perçue dans sa composante humaine avant d’être conçue comme un centre de profit. Ainsi pourra-t-elle améliorer dans la durée ses indicateurs de turn-over, de maladies professionnelles, diminuer ses taux de risques psychosociaux et de troubles musculo-squelettiques, et par conséquent favoriser l’employabilité de ses seniors. Ce mode de management est bien sûr à destination de tous les salariés, mais les seniors y seront d’autant plus sensibles. Ce changement de paradigme permettra de redonner une valeur ajoutée managériale plus positive. Le slow management est l’une des pierres de l’édifice que les entreprises devront poser pour améliorer le climat, la santé et pérenniser la présence des seniors dans leur activité. 30 L’apparition de nouveaux besoins n’est-elle pas un des leviers pour développer l’employabilité de nos jeunes « seniors » en entreprise ? Les pouvoirs publics et les entreprises doivent travailler sur les raisons du symptôme plutôt que le symptôme lui-même. Une rénovation complète de notre modèle s’impose, les entreprises et les pouvoirs publics devront engager des réformes de fond, comme la modification du cadre légal des plans de départ volontaire, la réforme systémique des retraites et les politiques de rémunérations. Les professionnels de la fonction Ressources Humaines devront quant à eux, s’approprier le sujet afin de l’intégrer dans leur stratégie de développement, en innovant et métamorphosant la gestion prévisionnelle des emplois et des compétences et en créant ce que nous appellerons un troisième cycle de vie professionnelle. En faisant une analyse prospective de la situation, on peut penser que le vieillissement de la population peut être synonyme de création d’emplois. Plus le nombre de personnes âgées augmente, plus les besoins de soins liés à la prise en charge de la dépendance sont nombreux. Le secteur du service à la personne, par exemple, est amené à croître. Il représente 3 % des emplois en Europe et va certainement augmenter dans l’avenir. Gageons que cette perspective de développement de nouveaux services « à la personne » permettra de redonner du souffle à l’emploi, et en particulier à celui des seniors. Le prérequis essentiel à toute gestion innovante des ressources humaines est la mise en place d’un socle « Santé » indispensable, à la fois pour que le senior bénéficie d’un sentiment de « bien-être au travail » et que les entreprises disposent de collaborateurs performants car en bonne santé. Plus on préserve la santé, plus on favorise l’intégration des seniors dans les entreprises, rendant leur employabilité possible grâce à un engagement professionnel plus fort. La Lettre de l’Observatoire des Retraites Décembre 2014 - N°21 Fl---ilège : prix 2014 Références 1 Source Dares-Pôle Emploi, Juillet 2014. Ortiz Aurélie, pages 365-384, Trajectoire professionnelle et état de santé des salariés seniors en activité, Article, Revue Economique Vol 60, N°2, 30/06/2012. 2 Bulletin d’information en économie de la santé, Institut de Recherche et Documentation Economie de la Santé, n° 120 - Mars 2007. 3 4 Feuille de route de la grande conférence sociale des 7 et 8 juillet 2014 – Palais d’Iéna. Chapitre EMPLOI, partie 3, page 17. Alain Labruffe, Docteur es Lettres, en économie et en psychologie du travail, est chef de projet européen Leonardo da Vinci pour l'élaboration d'un référentiel de compétences et conseil en gestion des ressources humaines pour de grands groupes. Il est l'auteur de plusieurs ouvrages sur les compétences, le management et la qualité. 5 6 Salthouse, T.A., and Maurer, T.J. (1996). Aging, job performance, and career development. Fabienne Caser et Ludovic Bugand, Département Compétences, travail et emploi de l'ANACT. 7 Anne-Marie de Vaivre : Cofondatrice du cercle Entreprises et Santé, et du Club SUP-AINF ; directrice du groupe Titane 8 9 Jean-Marie Peretti est un professeur La Lettre de l’Observatoire des Retraites et chercheur français en ressources humaines. Il enseigne actuellement à l'ESSEC et à l'université de Corse. Il est également président de l'Institut international de l'audit social (IAS) depuis 2013 et professeur au sein de l'Institut d'administration des entreprises de Corse (IAE). 10 Auteurs de DRH stratège. 11 Bridge employment refers to any paid work after an individual retires or starts receiving a pension (Ruhm 1990). Bridge employment can provide extra income for those who do not have enough pension income or savings in their later years. It can also help older workers balance work and leisure time while remaining engaged in economically and socially productive activities. Bridge employment can therefore contribute to the well-being of individuals and their families. finlandais. Ce programme se composait d’un volet formation à la gestion des âges pour les managers et les formateurs, et d’un volet de conseil en gestion et organisation des entreprises et administrations visant à diffuser les bonnes pratiques. Des outils de diagnostics d’anticipation des problèmes de gestion des âges et d’analyse des situations de travail favorables aux salariés vieillissants ont été mis à disposition des entreprises. Mode de management popularisé par les fondateurs de Hewlett-Packard qui le désignaient par l’expression « management by walking around » 15 Diplômé de Stanford, MBA, titulaire d'un Doctorate in Business administration de l'Université de Newcastle, conférencier et consultant en leadership (en 2009). 16 Rapport sur le Bien-être et l'efficacité au travail - Lachmann, Larose, Penicaud. 10 propositions pour améliorer la santé psychologique au travail. 12 13 Premier rentré Dernier sorti. La Gestion des âges par « stratégie préventive de maintien dans l’emploi » en Finlande. Le défi de la Finlande était de stimuler une attitude proactive des entreprises et des administrations en matière de gestion des âges. Ce programme « Age Management » a été l’un des programmes phares du premier plan national quinquennal 14 Décembre 2014 - N°21 31 Composition du jury du prix de l’Observatoire des Retraites Philippe LANGLOIS Président du jury Professeur émérite à l’Université Paris X et avocat associé au cabinet Flichy et associés Jean-Claude ANGOULVANT Consultant indépendant Francis KESSLER Directeur du master Droit de la Protection Sociale en Entreprise de l’Ecole de droit de la Sorbonne, Université Paris I, et avocat au cabinet Gide Loyrette Nouel A.A.R.P.I. Pierre PETAUTON Contrôleur d’Etat honoraire et membre du Conseil supérieur de la Mutualité Chantal du BOISROUVRAY Historienne Pierre CHAPERON Directeur du cabinet du GIE Agirc-Arrco et directeur délégué de l’Arrco Antoine DELARUE Directeur général du cabinet d’actuariat Servac, spécialisé dans l’ingénierie de la protection sociale en France et à l’étranger Bruno GABELLIERI Directeur de la communication et des relations extérieures du groupe de retraite et de prévoyance Humanis, secrétaire général de l’Association Européenne des Institutions de protection sociale Paritaire (AEIP) Norbert GAUTRON Actuaire associé au sein du cabinet d’actuaires conseils Galea et Associés. Enseigne l’actuariat et la retraite à l’ENSAE. Jean PICOT Directeur général honoraire de l’Arrco Mihaïl ROLEA Responsable communication au groupe de la Fédération Internationale des Associations de Personnes Agées (FIAPA) Jules SITBON Directeur général du groupe de retraite et de prévoyance IRP AUTO Jean-Philippe VIRIOT-DURANDAL Maître de conférences en Sociologie à l’Université de Franche-Comté Professeur associé à l’Université de Sherbrooke (Québec, Canada) Chercheur associé au GEPECS (Paris 5 René Descartes - La Sorbonne) Comment concourir au prix de l’Observatoire des Retraites ? L’Observatoire des Retraites dépend des régimes de retraite complémentaire français Agirc et Arrco. Il est installé 16-18 rue Jules César, 75592 Paris Cedex 12. Les personnes qui souhaitent concourir sont invitées à adresser leur thèse ou mémoire, ainsi qu’un curriculum vitae, par voie électronique à l’adresse suivante : [email protected]. Il est également possible de faire acte de candidature via le site de l’Observatoire des Retraites : www.observatoire-retraites.org ou en écrivant à l’adresse indiquée ci-dessus. 32 La Lettre de l’Observatoire des Retraites Décembre 2014 - N°21 Retrouvez les prix attribués et les résumés des travaux récompensés depuis 1994 sur le site : www.observatoire-retraites.org Vous y trouverez également : Les Lettres de l’Observatoire des Retraites, notamment : Les retraites dans le monde, état des lieux continent par continent ainsi que les lettres consacrées aux prix des années 2007 et suivantes, un bulletin bibliographique qui vous signale les parutions d’ouvrages, articles, rapports concernant les retraites et les retraités, l’annonce des colloques et manifestations, l’Europe en bref qui présente les développements de la politique et du droit de l’Union européenne en matière de retraite. La version anglaise du site reprend pour partie ces documents. 34 La Lettre de l’Observatoire des Retraites Décembre 2014 - N°21 Directeur de la publication : Jean-Jacques Marette Rédacteur en chef : Arnauld d’Yvoire Observatoire des Retraites 16-18 rue Jules César, 75012 Paris Tél : 01 71 72 12 00 Site internet : www.observatoire-retraites.org ISSN: 1269 - 6765 Dépôt légal : dernier trimestre 2014 Achevé d’imprimer en décembre 2014 Décembre 2014 La Lettre de l’Observatoire des Retraites