C. Henry, A. Desage L’Encéphale, 2006 ;
32 :
526-30, cahier 2
S 528
Diagnostic différentiel
avec des épisodes secondaires
à des prises médicamenteuses ou de toxiques
Les substances incriminées peuvent être des substan-
ces donnant lieu à abus, un médicament ou bien l’expo-
sition à une substance toxique. On sait en effet que cer-
tains médicaments ou certains toxiques peuvent entraîner
des troubles de l’humeur (interféron-alpha, cocaïne, etc.).
Lorsque des symptômes de bipolarité sont précipités
par un traitement antidépresseur, l’épisode est diagnosti-
qué comme « trouble de l’humeur induit par un traitement
antidépresseur ».
Diagnostic différentiel avec des épisodes thymiques
en réaction à des stress
Des symptômes d’ordre émotionnel en réaction à un
facteur de stress ne doivent pas être considérés systéma-
tiquement comme un épisode dépressif, ni donc être trai-
tés comme tels, si la durée d’évolution des troubles est
inférieure à deux semaines.
De même, on portera le diagnostic de deuil et non d’épi-
sode dépressif en cas de perte d’un être cher sauf si les
troubles persistent au-delà de deux mois (DSM IV).
Diagnostic différentiel
en fonction de certaines caractéristiques
des épisodes
Lorsqu’il existe une
humeur irritable et dysphorique
au
premier plan, il peut être difficile de différencier un épisode
dépressif d’un état maniaque avec humeur irritable ou d’un
état mixte. La prise en charge thérapeutique qui en
découle est cependant très différente.
Étant donné qu’il existe parfois un biais dans le report
des symptômes par le patient qui met généralement
l’accent sur les symptômes dépressifs, il convient de
rechercher soigneusement la présence de symptômes
maniaques ou hypomaniaques.
Koukopoulos
et al.
(17) précisent que les états de
dépression agitée avec une expression intense et drama-
tique de la souffrance, une certaine vivacité dans l’élocu-
tion et la mimique conduisent souvent à des diagnostics
erronés. Ceci est d’autant plus fréquent s’il s’agit d’une
femme, qui sera alors qualifiée « d’hystérique ».
Environ 50 % des patients présentant un état maniaque
ou mixte présentent
des symptômes psychotiques
(7, 9).
Les idées délirantes peuvent être congruentes ou non-
congruentes à l’humeur. Le diagnostic différentiel se pose
avec l’ensemble des troubles psychotiques.
La bouffée délirante aiguë
est une entité controversée
au niveau international mais ce concept reste largement
utilisé au sein de l’hexagone. Lors de l’apparition brutale
d’un épisode psychotique de durée inférieure à un mois,
le DSM IV classe l’épisode soit dans la catégorie des trou-
bles de l’humeur si la dimension thymique est au premier
plan soit dans les troubles schizophréniformes (4).
Cette notion de bouffée délirante nous paraît source de
confusion dans la mesure où elle suscite en premier lieu
un traitement antipsychotique. D’autre part, le pronostic
de la bouffée délirante est « commandé par le risque d’une
évolution schizophrénique ou d’un délire chronique ». Ce
diagnostic est donc fortement affilié aux troubles schi-
zophréniformes.
Henri Ey (1978) décrit la bouffée délirante comme « une
éclosion soudaine d’un délire transitoire généralement
polymorphe dans ses thèmes et ses expressions ».
La fin de l’accès se produit au bout de quelques semai-
nes « sans conséquence, sinon sans lendemain » comme
le commentait Magnan. Il faut entendre par là sans
séquelle car les récidives sont plutôt la règle. Autre détail,
les sujets sont le plus souvent insomniaques.
La bouffée délirante demeure puissamment ancrée
dans la pensée psychiatrique française, et s’avère en
grande partie responsable des erreurs diagnostiques con-
cernant les états mixtes ou dysphoriques, beaucoup
moins présents à l’esprit des praticiens, voire les états
maniaques présentant des idées délirantes surtout si elles
sont non congruentes à l’humeur. En effet, la présence
de symptômes psychotiques non congruents à l’humeur
fera porter plus facilement le diagnostic de schizophrénie
chez les sujets bipolaires (8).
Les troubles schizo-affectifs
, pouvant se définir comme
une bipolarité de l’humeur chez un sujet schizophrène,
constituent une entité clinique particulière pour leurs intri-
cations avec les troubles bipolaires (11) : fréquents anté-
cédents familiaux de bipolarité, réponse thérapeutique au
lithium, pronostic évolutif proche de celui des troubles
bipolaires, passages rapportés du trouble schizo-affectif
au trouble bipolaire au cours de la vie de certains patients.
Gonzalès-Pinto
et al.
(8) ont pu identifier des critères
caractérisant des sujets chez qui le diagnostic de trouble
schizo-affectif a été requalifié en trouble bipolaire dans un
deuxième temps : âge plus jeune lors du diagnostic du
trouble initial (25 ans
versus
31 ans), plus grande préca-
rité maritale (36 % de sujets vivants seuls
versus
26 %),
fréquence des symptômes psychotiques non congruents
à l’humeur (84 %
versus
24 %).
Au-delà de la bouffée délirante, le diagnostic différentiel
des épisodes thymiques avec idées délirantes se pose
avec l’ensemble des troubles psychotiques et notamment
les troubles schizophréniques
.
Il semble que la distinction entre psychose et bipolarité
soit particulièrement difficile quant les troubles apparais-
sent à l’adolescence et ce d’autant plus qu’il existe une
consommation de toxiques. En effet, le cannabis dont
l’usage est largement répandu dans cette population,
favorise l’émergence de symptômes psychotiques et la
désorganisation cognitive.
L’aide au diagnostic différentiel reposera principale-
ment sur le fonctionnement prémorbide, les antécédents
familiaux, et l’anamnèse de la maladie.