SPEECH/08/218
Neelie Kroes
Membre de la Commission européenne en charge de la
concurrence
N'ayez pas peur de la concurrence
Audition devant le Sénat Français
Paris, le 29 avril 2008
2
Mesdames, Messieurs les sénateurs,
Entreprendre. Créer. Innover. Travailler plus pour gagner plus.
La France semble parfois avoir peur de la concurrence, peur de la politique de
concurrence de la Commission Européenne. Pourtant, aujourd’hui plus que jamais,
la France a besoin d’une saine concurrence pour moderniser son économie,
favoriser sa croissance, améliorer le pouvoir d’achat de ses citoyens.
La France semble parfois avoir peur de la mondialisation. Et pourtant, ce pays
compte un grand nombre de champions mondiaux, et profite de l’ouverture des
marchés et de la demande des pays émergeants.
Mesdames, Messieurs les sénateurs, permettez-moi de profiter de votre invitation
pour vous encourager à combattre les préjugés sur la concurrence qui existent dans
ce pays. Je suis ici pour vous dire que la concurrence est un instrument de politique
économique, un instrument qui peut dynamiser encore votre économie pour que la
France continue à briller dans un monde en mutation.
Brisons les tabous : osons dire la vérité. La richesse d’un pays vient des
entreprises, du talent des hommes et des femmes qui donnent le meilleur d’eux-
mêmes dans des projets économiques. Mais pour que les gens aient la possibilité et
l’envie de créer, d’innover, d’entreprendre, encore faut-il que le marché soit libre et
ouvert et que chacun soit récompensé pour ses mérites, pour son travail. Dans ce
but, une politique de concurrence est essentielle.
Et pourtant, quand on parle de concurrence dans ce pays, on l’associe trop souvent
à des faillites, à des délocalisations, à des pertes d’emploi. On donne l’impression
que le marché ne fait que sanctionner les plus faibles et que l’Etat est le seul
recours possible. Quelle mythologie éloignée de la réalité ! Aujourd’hui, je vous
demanderais de regarder les faits. C’est la seule façon d’éviter la naïveté ou
l’idéologie aveugle. La réalité est que concurrence rime avec croissance, avec
confiance, avec opportunité.
Pour illustrer les effets bénéfiques de la concurrence, il suffirait d’examiner les
situations dans lesquelles elle est inexistante. Les Européens qui ont vécu sous
l'influence de l'économie soviétique pendant 40 ans pourraient nous dire ce qu'ils en
pensent. Mais là n'est pas la véritable question. Le modèle économique européen
est fondé sur le postulat selon lequel entre la jungle et la tyrannie, il existe une
réalité que nous appelons l'économie sociale de marché. La politique de
concurrence fait partie des instruments de régulation dont nous disposons dans ce
contexte. L’idée n’est pas de promouvoir le laisser-faire. Au contraire, c’est de
promouvoir la libre entreprise et l’efficacité. Je ne suis pas toujours d'accord avec
Daniel Cohn-Bendit, loin s'en faut, mais il a un jour affirmé que dans une économie
de marché, il préférait voir une concurrence non faussée plutôt que le pouvoir
économique confisqué par un monopole à son avantage exclusif. Je n'aurais pas pu
dire mieux.
Nous avons récemment essayé de mesurer l’impact de notre politique de
concurrence européenne Pour vous donner un seul exemple, le total des
économies directes que les consommateurs ont réalisé grâce aux actions que nous
avons menées au cours de la seule année 2007 dans le domaine des ententes, des
abus de position dominante, de la libéralisation et des concentrations, s'élève au
moins à 13,8 milliards d'euros. Mesdames, Messieurs les sénateurs, c’est plus que
le coût du paquet fiscal du Président Sarkozy.
3
Pour augmenter sa croissance, la France devrait développer des marchés
concurrentiels. La concurrence est synonyme à la fois de prix inférieurs et de
meilleurs choix pour les citoyens, et constitue une assurance contre les défis posés
par la mondialisation. Regardons les résultats obtenus dans les secteurs des
télécom, du transport aérien, de l’électronique. Les experts de l'OECD estiment
ainsi qu'en généralisant les politiques les plus favorables à la concurrence à toute
l'Europe, on atteindrait une croissance de 3% du PNB par habitant1.
Je ne dis pas que nous ne devons pas avoir de politique industrielle, mais il nous
faut dépasser le clivage artificiel entre politique de concurrence et politique
industrielle et réaliser qu'une politique de concurrence et une politique industrielle
moderne sont complémentaires. Elles visent toutes deux à accroître le potentiel de
l'économie européenne dans son ensemble – et non simplement à défendre un
intérêt ou un autre, une nation au détriment d'une autre. Utilisées de manière
adéquate, elles constituent des investissements dans notre avenir à long terme.
En libérant les énergies du marché, la concurrence stimule la croissance et
l’innovation. Je suis profondément attachée à l’idée de liberté – mais des conditions
de concurrence équitables ne sont-elles pas aussi une manifestation moderne des
principes d'égalité et de fraternité? La saine concurrence c’est donner sa chance à
chacun, dans un esprit de fair-play et de sportivité, valeurs qui étaient chères au
fondateur des Jeux olympiques modernes, le Baron de Coubertin.
En d'autres termes, mon choix est clair: je préfère la concurrence au
protectionnisme. Est-ce là faire preuve de naïveté? Je ne le pense pas. Je crois aux
conditions de concurrence équitables, à la liberté d’entreprendre, pas au
laisser-faire.
Des conditions de concurrence équitables n'empêchent pas la réciprocité. La Chine
en 2008 en est la preuve: au mois d'août, les autorités chinoises mettront en œuvre
des règles de concurrence inspirées des nôtres. Nous avons soutenu les efforts de
la Chine, qui nous rend la pareille en prenant part au dialogue international. C'est
vrai également si nous élargissons les perspectives. Nous avons obtenu des
avancées sur la propriété intellectuelle. Nous voulons demander la réciprocité en
matière de normes environnementales ou de normes de gouvernance – la stratégie
d'accès au marché de l'énergie en est une preuve, tout comme les codes de bonne
conduite pour les fonds souverains. Refuser le protectionnisme revient à vouloir
appliquer les mêmes règles à tous, chez nous comme dans le reste du monde.
Des conditions de concurrence équitables n'empêchent pas les choix économiques
et sociaux. Des États membres comme la Suède et la Finlande sont la preuve
qu'une protection sociale étendue est compatible avec un environnement très
concurrentiel pour les entreprises. Mais, fondamentalement, ils ont reconnu que de
tels niveaux de protection sociale ne sont possibles que si une base économique
solide est garantie.
Des conditions de concurrence équitables nous poussent à faire preuve d'une plus
grande efficacité –ce faisant, elles nous offrent un moyen de réduire les prix et de
répondre aux préoccupations croissantes des citoyens en matière de pouvoir
d'achat. J'ai le sentiment que cet avis est partagé par votre gouvernement, qui fait
des propositions visant à renforcer la concurrence et les compétences de votre
autorité de concurrence nationale.
Les aides d’État peuvent créer des distorsions de concurrence nuisibles. Mais la
Commission reconnaît aussi leurs bienfaits dans certains cas, et nous autorisons
1 Voir: OECD “The Benefits of Liberalising Product Markets”;
http://www.olis.oecd.org/olis/2005doc.nsf/LinkTo/NT00002AE2/$FILE/JT00185017.PDF
4
par exemple des régimes d’aide très généreux en faveur des PME, de la recherche
ou de l’environnement. Les PME sont vitales pour toute économie – et nous offrons
la possibilité de disposer de davantage d’aides, plus rapidement, dans un nombre
plus important de domaines. Je citerais seulement le cas des «zones franches
urbaines», des aides aux jeunes entreprises innovantes, aux pôles de compétitivité,
aux énergies renouvelables, qui offrent de multiples opportunités.
Pour ce qui est du contrôle des fusions, il est clair que nous ne sommes pas
dogmatiques – en fait, nous ne bloquons que moins de 1 pour cent des
concentrations proposées: les entreprises françaises bénéficient de notre politique,
elles font des acquisitions (Air France et KLM représentent à cet égard un exemple
positif proche de nous), mais elles sont aussi protégées contre les créations de
positions dominantes (Air France aurait été affecté par la fusion Ryanair / Air Lingus
que nous avons interdite).
Une libre concurrence veut aussi dire une concurrence ouverte à l’économie
mondiale. Et si vous regardez la réalité des choses vous constaterez comme moi
que les raisons d'être confiants ne manquent pas.
Sur le plan démographique, la France est bien placée. Alors qu'il y a cent ans, sa
population était en recul, le taux de fécondité connaît actuellement une progression
(un peu plus de deux enfants par femme). Alors que la plupart des pays européens
sont confrontés au phénomène du vieillissement de la population et de la
contraction de la main d'œuvre, en France, la population d'âge actif continuera
d'augmenter - voilà une bonne nouvelle pour l’économie!
Au quotidien, les Français sont des leaders mondiaux, qui tirent profit de la
mondialisation. Les classes moyennes chinoises représentent aujourd’hui un
marché développé supérieur à celui de la France. De l’industrie du luxe (LVMH) aux
supermarchés et aux services alimentaires (Carrefour et Sodexho), en passant par
les transports (Alstom, Airbus), l’énergie (Total, Areva), l’industrie de la construction
(Lafarge, Saint Gobain, Bouygues) les entreprises de services publics (Suez), les
cosmétiques (L'Oréal) et l'hôtellerie (Accor) – les entreprises françaises sont
omniprésentes.
Tous ces succès s’expliquent par une attitude commune: ne pas envisager l’avenir
avec appréhension, mais avec audace, en faisant preuve d’esprit d’entreprise, et en
s’employant à tirer tous les avantages qui en découlent – pour les travailleurs
français, pour les actionnaires français, pour l’État français. Il y a tellement de talent
et d’opportunité à saisir.
Le spectre des délocalisations est tout simplement une erreur statistique. Je ne nie
pas les difficultés bien réelles parfois de l’adaptation à une nouvelle donne
économique. Il faut aider certaines industries à se réorienter vers une plus haute
valeur ajoutée, vers une économie de la connaissance. Il faut un accompagnement
social du changement. Mais les chiffres sont formels. En Europe, les délocalisations
représentent moins de 8% des pertes d’emploi2. En France, c'est moins de 4%. Par
comparaison, on estime que la mondialisation génère des centaines de milliers
d'emplois, et que les économies provenant du commerce mondial pourraient
rapporter à chaque ménage près de 5000 euros par an3.
2 See: Daniel S. Hamilton and Joseph P. Quinlan (2008) Globalization and Europe: Prospering in
the New Whirled Order, p. 131
3 The EU Economy 2005 review ECFIN (2005) REP 55229-EN
5
On pourrait multiplier les exemples de réussites françaises dans la mondialisation.
France24 – le nouvel arrivant sur la scène de l'actualité internationale – Renault -
Nissan le constructeur automobile le plus rentable du monde, ou encore les
2 500 entreprises françaises qui ont des succursales aux États-Unis (et qui
comptent 580 000 employés). De par ma propre expérience professionnelle avec
les entreprises françaises (Thales, par exemple), je ne peux que confirmer cette
constatation.
Le même raisonnement vaut pour mon propre pays, si je pense à sa période de
splendeur, son «âge d’or» au 17ème siècle, lorsqu’il était un grand centre financier et
commercial – et son récent retour en force. C’est cet esprit d’entreprise qui est le
véritable visage de la mondialisation.
La France et l’Europe tirent leur épingle du jeu même là où on ne s’y attendrait pas.
Vous exportez plus de services commerciaux que vous n’en importez (46 milliards
de dollars d'exportations Source: Eurostat). Et l’Europe maintient sa part de la
production manufacturière mondiale – la concurrence à bas prix ne l’a pas ébranlée.
Pouvons-nous faire mieux? Certainement. J’éprouve beaucoup de sympathie pour
le Président Sarkozy lorsqu’il parle de poursuivre les réformes économiques. La
France doit libérer l’énergie de ses PME, en ouvrant les marchés à plus de
concurrence et en facilitant leur croissance.
Je ne doute pas que la France réagira comme une grande nation face aux défis et
aux possibilités de la concurrence mondiale, avec confiance, consciente de son rôle
moteur.
Tourner le dos à la mondialisation et à des marchés concurrentiels, c’est tourner le
dos à la vie, et à notre avenir. Imprimons ensemble notre marque à ces marchés et
assurons ainsi la prospérité pour les années à venir. Je conclurai donc avec cette
fameuse citation d'un autre de vos illustres compatriotes, Jean Monnet, qui disait:
'Nous ne coalisons pas des Etats, nous unissons des hommes', dans l'espoir que
nos visions de l'économie de marché se rejoignent, que l'on soit à Paris ou à
Bruxelles. Mesdames et Messieurs les sénateurs, je compte sur vous pour attaquer
les mythes et les préjugés et pour expliquer que la politique de concurrence est un
atout pour l’Europe et pour la France.
1 / 5 100%
La catégorie de ce document est-elle correcte?
Merci pour votre participation!

Faire une suggestion

Avez-vous trouvé des erreurs dans linterface ou les textes ? Ou savez-vous comment améliorer linterface utilisateur de StudyLib ? Nhésitez pas à envoyer vos suggestions. Cest très important pour nous !