Gumperz a privilégié empiriquement les situations de malentendus, de désaccords, de
problèmes d'intercompréhension, même à l'intérieur d'une même langue, dès lors que les
locuteurs n'appartenaient pas tous à la même communauté sociale ou culturelle. Il a travaillé
notamment sur des sociétés plurilingues, comme l'Inde, la Norvège, la Carinthie (zone
slovénophone d'Autriche), les Etats-Unis. Gumperz propose, à la suite de W. Labov, de substituer
à la grammaire "mentale" du "locuteur idéal" introspecté par une linguistique de la Langue
saussurienne, une grammaire sociologique de la communauté linguistique observée dans ses
pratiques effectives. Seulement, les sociolinguistes se limitent à cette époque à des corpus
fermés, à des garanties d'échantillonnages permettant des calculs statistiques en fonction de
paramètres classiques (âge, sexe, niveau scolaire, catégorie socio-professionnelle, origine
ethnique, etc.). Gumperz reproche donc à une certaine sociolinguistique naissante de réduire le
comportement du locuteur à des régularités statistiques repérées sur des échantillons de
population choisis à dessein. Parallèlement, Gumperz reproche à l'analyse pragmatique ou
conversationnelle de « considérer comme acquis que l'engagement conversationnel existe, que
les interlocuteurs coopèrent, et que les conventions d'interprétation sont partagée ». La
communauté linguistique est souvent pensée par les sociolinguistes et par les pragmaticiens
comme stable, homogène, presque close. Or, dans les faits, rien n'est stable, rien n'est clos :
« On commence à s'interroger sérieusement sur le fait qu'on puisse effectivement isoler des
communautés de langue, définies comme des systèmes sociaux fonctionnellement intégrés,
partageant les mêmes normes d'évaluation (…) Il n'y a pas superposition entre système
grammatical, sentiment linguistique et espace socio-historique et politique »
Toutes sortes de gens se rencontrent et communiquent en employant toutes sortes de
langues et de variétés de langues (variétés sociales ou régionales, par exemple), et ceci de plus
en plus dans les sociétés modernes. Ils ne partagent donc pas forcément les mêmes conventions
de conversation, d'interprétation, d'interaction. C'est en introduisant dans la démarche
sociolinguistique une approche pragmatique -et inversement- que Gumperz ouvre une voie
pertinente. Il resserre l'analyse sur des microphénomènes en contexte (conversations), en prenant
en compte l'autonomie des interlocuteurs quant à leurs choix sociolinguistiques. Il met l'accent sur
"l'auditeur interprétant" plus que sur l'émetteur. En outre, il inclut dans sa méthode une analyse
fine de faits communicationnels traditionnellement négligés et dont il montre l'importance, la
prosodie (rythme, intonations, accentuations, etc.) et le canal mimo-posturo-gestuel.
Il donne l'exemple d'un étudiant noir qui, à la fin d'un cours dans une grande université
américaine, demande au professeur dans un anglais américain plutôt "soutenu", si celui-ci peut le
recevoir. L'étudiant ajoute qu'il sollicite une recommandation pour obtenir une bourse. L'enseignant
l'invite à venir dans son bureau et quitte la salle. L'étudiant se retourne alors vers d'autres
étudiants noirs et leur dit, dans un anglais typique des américains noirs "Je vais me faire pistonner"
(Ahma git me a gig). Cette dernière phrase, présentée avec la conversation à différentes
personnes, a été interprétées de façons multiples : non compréhension notamment par des blancs,
rejet de l'institution et de l'enseignant, ciblage des interlocuteurs (exclusivement noirs) à qui cet
énoncé est adressé, et, cette dernière interprétation n'ayant été réalisée que par des membres de
la communauté noire, tentative de justification auprès des membres de sa communauté auxquels il
manifeste sa loyauté (= tu peux interpréter ce que je veux te dire, c'est que nous sommes de la
même communauté, et tu comprends pourquoi j'agis ainsi).
Autre exemple : en Autriche slovénophone, Gumperz a observé des stratégies identitaires :
on ne parle slovène qu'entre Slovènes et on passe à l'allemand -régional ou standard- dès qu'un
inconnu approche. On sait que parler dans une langue (ou une variété d'une langue), c'est
automatiquement manifester une connivence avec ceux qui la parlent et/ou la comprennent, et une
distance avec ceux qui ne la parlent pas ou ne la comprennent pas. En même temps c'est
instaurer/imposer un cadre culturel de référence.
Gumperz a également observé un peu partout la valeur significative, et notamment la force
illocutoire, de l'alternance codique. Telle injonction est considérée comme plus forte en allemand
qu'en slovène, telle autre plus ouverte en slovène qu'en allemand, notamment si seulement une
partie de l'énoncé est dans une langue et l'autre partie dans l'autre langue :