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RIMHE, Revue Interdisciplinaire sur le Management et l’Humanisme
n°1 - NE - mars/avril 2012 - Ethique et Organisation
Stéphanie HERAULT1
Résumé
Les préoccupations des consommateurs à l’égard des pratiques éthiques des en-
treprises conduisent ces dernières à intégrer au sein de leurs publicités des argu-
ments en faveur de leur engagement dans des démarches socialement respon-
sables. Mais certaines dérives ont suscité une grande méfiance dans l’opinion
publique. Mesurer aujourd’hui l’efficacité de publicités « éco-responsables »
nécessite donc d’évaluer le niveau de confiance suscité. Les données quantitati-
ves issues de l’exposition d’un échantillon de 172 individus à une publicité pour
une marque automobile montrent l’importance du rôle joué par les croyances du
caractère socialement responsable de l’entreprise au sein du processus de persua-
sion publicitaire, celles-ci influençant positivement confiance et opinion envers la
marque. Ces deux facteurs constituant des antécédents de la satisfaction et de la
fidélisation, ces résultats suggèrent l’impératif pour les annonceurs de vérifier que
leurs publicités renforcent bien la confiance envers la marque communicante sous
peine de résistance voire de rejet de la part des publics-cibles.
Mots clés
Responsabilité sociale de l’entreprise, Publicité, Efficacité, Confiance.
Abstract
Consumer concerns with regard to ethical practices lead firms to communicate
about their involvement in CSR actions. But some “green washing” advertising
aroused great suspicion. Effectiveness measure of this sort of ads needs therefore
to consider the level of brand trust generated through exposure to the ad. Quanti-
tative data providing from an online survey on 172 individuals show that beliefs
about CSR of the firm influence positively brand trust and attitude toward the
brand. These two constructs contribute to customers’ satisfaction and loyalty. So,
these results suggest to advertisers to ensure their ads generate high level of brand
trust in order to avoid consumers resistance or even rejection.
Keywords
Social responsability, Advertising, Effectiveness, Trust.
1-Maître de Conférences, Université de Paris 1 Panthéon-Sorbonne, Chercheure au Laboratoire Prism
Responsabilité Sociale
de l’Entreprise et Publicité
Responsabilité Sociale de l’Entreprise et Publicité - Stéphanie HERAULT
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Introduction
La méfiance des consommateurs à l’égard des pratiques du Marketing
avec des comportements de résistance à la consommation en général et
de scepticisme vis-à-vis de la publicité en particulier obligent les entrepri-
ses à s’interroger sur l’efficacité de leurs publicités. S’inscrivant au sein
d’une démarche relationnelle car impliquant la Responsabilité Sociale de
l’Entreprise à plus long terme, les publicités dites « éco-responsables » au
sens de l’ARPP (2010) pourraient être les plus directement concernées par
cette nécessité. Cet article a pour objectif de proposer de mesurer l’impact
d’une publicité sur l’annonce et la marque communicante en s’appuyant
sur une modélisation traditionnelle en situation de test publicitaire (Lutz,
1985 ; Mac Kenzie et Lutz, 1989). Après une synthèse des travaux sur
la problématique spécifique de la mesure de l’efficacité publicitaire en
général et sous l’angle d’une communication socialement responsable en
particulier, nous présenterons les résultats obtenus à la suite de l’exposi-
tion publicitaire d’un échantillon de 172 individus à une annonce pour une
marque automobile. Un modèle d’équations structurelles permettra d’une
part de vérifier la fiabilité de nos instruments de mesure et d’autre part de
valider nos hypothèses de recherche. Seront enfin présentées limites et
voies de recherches de cette contribution.
1. Revue de la littérature
Selon Pariente, Pesqueux et Simon (2009), l’éthique se décline à 2 ni-
veaux : à un niveau individuel « par la recherche du bien être et du meilleur
respect possible des différentes parties prenantes concernées » et à un ni-
veau organisationnel avec « le respect des valeurs liées à la Responsabilité
Sociale de l’Entreprise et plus généralement du développement durable ».
C’est sous cette deuxième perspective que se place cette contribution.
1.1 Éthique et Responsabilité Sociale de l’Entreprise
Les préoccupations environnementales et sociales prennent une place de
plus en plus importante dans la société. Selon Lapeyre (2009), le concept
multidimensionnel de développement durable s’appuie sur trois compo-
santes : « la composante économique (meilleure coopération avec les pays
en voie de développement en modifiant leurs modes de production et de
consommation), une composante environnementale (diminution des rejets
polluants de l’atmosphère, la promotion d’une agriculture raisonnée, la
préservation des ressources naturelles), une composante sociale (la lutte
contre la pauvreté et la faim dans le monde, contre le travail des enfants) ».
RSE et développement durable sont des concepts liés car la responsabilité
sociale et environnementale, souvent désignée sous le terme de responsa-
bilité sociétale peut être considérée comme la « résultante et l’expression
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du paradigme du développement durable » (Joras, 2002 cité par Lapeyre,
2009). Le gouvernement précise que le développement durable corres-
pond à « un développement qui répond au besoin du présent sans compro-
mettre la capacité des générations futures à répondre aux leurs ». Pour y
parvenir, les entreprises, les pouvoirs publics et la société civile devront
travailler ensemble afin de réconcilier trois mondes qui se sont longtemps
ignorés : l’économie, l’écologie et le social. La RSE apparaît comme le
soulignent Ben Yedder et Zaddem (2009) comme « une concrétisation
de l’intégration de repères éthiques dans le domaine de l’entreprise ». La
RSE consisterait donc pour l’entreprise à diffuser des données relatives
aux activités sociales et environnementales effectuées, rendant ainsi plus
crédible son engagement sur la voie de la responsabilité sociale (Igalens,
2004 ; Akremi, Dhaoudi et Igalens, 2008). En Marketing, la notion de RSE
intègre de manière plus forte l’idée de communication envers les différen-
tes parties prenantes (Maignan, Ferrell et Ferrell, 2005 ; Smith, Palazzo et
Bhattacharya, 2010).
1.2 Les pratiques marketing et les consommateurs-citoyens
Parmi les différentes fonctions de l’entreprise, le marketing est probable-
ment celle qui suscite le plus de débats en matière d’éthique et de respon-
sabilité sociale (Jahdi et Acikdilli, 2009). Le consommateur est de plus en
plus soucieux d’une consommation socialement responsable prenant ainsi
en compte les conséquences de ses choix personnels sur la société dans son
ensemble. Aujourd’hui, on assiste donc à une critique du discours marke-
ting qui se concrétise notamment par la place de la marque dans l’acte
d’achat (Sansolini, 2005). Une consommation dite « engagée » se déve-
loppe. Les Français ont ainsi pris conscience de l’importance d’adopter
« une consommation plus sobre, soucieuse de limiter le gaspillage (46 %),
une consommation de produits plus respectueux de l’environnement
(44 %) et une consommation de produits fabriqués localement (38 %2) »,
cette posture se propageant au sein de tous les groupes sociaux3. Ces 2
dimensions environnementale et sociétale étaient déjà présentes dans la
définition de Roberts (1995) de la consommation dite « responsable ». Les
chercheurs en marketing insistent aujourd’hui sur l’importance qu’il y a
à considérer l’ensemble des parties prenantes de l’entreprise (Maignan et
Ferrell, 2004).
Les entreprises ont compris l’obligation de communiquer de manière plus
précise sur leur responsabilité sociale, soit par réelle conviction, soit de
manière plus opportuniste. Cet opportunisme a pu conduire à certaines
dérives en matière notamment de publicité (dérives « épinglées » par
2 - Evocations spontanées
3 - Etude CREDOC (novembre 2010)
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l’ARPP4 ayant sanctionné des campagnes « d’éco-blanchiment ») qui
n’ont fait que renforcer ce sentiment de défiance au sein de l’opinion pu-
blique. De manière plus générale, la publicité est taxée de différents maux
dans notre société comme celui par exemple d’être intrusive (Laczniak et
Laczniak, 1985). La réponse des consommateurs se concrétise dans ce cas
par un mécanisme défensif de résistance voire de rejet. Depuis plusieurs
années la résistance à la consommation en général (Roux, 2007) mais
aussi à des variables d’actions marketing comme la publicité se fait donc
ressentir dans notre société. La communication « sociétale » n’échappe
pas à la règle (Gabriel, 2003).
1.3 Effets d’une publicité éco-responsable : quel impact d’un point de vue
relationnel ?
Chercheurs et praticiens sont unanimes pour reconnaître qu’une publicité
est efficace si elle conduit l’individu à évaluer favorablement la marque
communicante et à exprimer une intention d’achat positive à son égard.
Une approche cognitive des processus de décision a longtemps été offerte
par les chercheurs tant en comportement du consommateur qu’en persua-
sion publicitaire comme la seule explication possible aux mécanismes de
formation du comportement. Les recherches ont dans un premier temps
postulé que l’action était initiée par un processus de traitement de l’in-
formation actif, suivi par l’évaluation de cette information, la formation
d’une attitude pour conduire aux étapes d’intention et d’action. L’ordre
séquentiel unique cognitif/affectif/conatif ainsi posé et constitutif du para-
digme cognitif a en effet sous tendu :
- L’ensemble des modélisations générales fournissant une description sim-
plifiée des facteurs et étapes à l’origine de l’action ainsi que les modèles
traditionnels de hiérarchie des effets de la communication (Lavidge et
Steiner, 1961 ; McGuire, 1968) ;
- Les explications avancées aux ressorts psychologiques mis en œuvre au
cours de ces processus multi-étapes (théories de l’apprentissage) ;
- Les théories explicatives des processus de formation des déterminants
du comportement : le modèle de réponse cognitive, le modèle de structure
cognitive ainsi que le modèle combinant les 2 approches ont ainsi posé
les rôles des réponses cognitives et des croyances au sein des processus
persuasifs (Greenwald, 1968 ; Fishbein, 1963 ; Lutz et Swazy, 1977).
Cependant, une absence de consensus concernant la validation de ces mé-
diations5 ainsi que les critiques relatives aux hypothèses sous-jacentes à
ces modélisations ont conduit certains chercheurs à l’instar de Krugman
(1965) ou de Ray et al. (1973) à postuler l’existence de séquences alter-
4 - Autorité de Régulation Professionnelle de la Publicité.
5 - Olson, Toy et Dover (1982) valident une médiation modeste des réponses cognitives sur les croyances
alors que Hastak et Olson (1989) obtiennent de fortes relations causales entre ces variables.
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natives à un ordre séquentiel unique et à impulser d’autres cadres inté-
grateurs fondateurs de la modélisation de l’efficacité publicitaire. Ainsi,
sans pour autant remettre en cause la réalité des médiateurs précédemment
identifiés, les chercheurs arguent néanmoins du fait que la « démarche co-
gnitiviste » (Bourgeon et Filser, 1995) n’offre qu’une explication partielle
aux mécanismes mentaux susceptibles d’opérer. De ce constat ont émergé
trois avancées majeures qui structurent les connaissances au sein de ce
champ de Recherche :
- A la suite des travaux de Petty et Cacioppo (1981) ou de Chaiken (1980),
certains mécanismes ne découlant pas du traitement des informations por-
tant sur les caractéristiques du produit ont été mis à jour : l’annonce pu-
blicitaire devient alors un élément central dont l’évaluation plus ou moins
favorable peut contribuer à l’explication de l’efficacité d’une publicité.
Des « routes » théoriques de persuasion incluant également un mécanisme
d’ordre affectif sont proposées ainsi que 3 médiateurs aujourd’hui unani-
mement reconnus : Aad (Attitude envers l’annonce6), Ab (attitude envers la
marque) et Ib (intention d’achat) (Brown et Stayman, 1992).
-La validation de la suprématie de l’hypothèse de médiation duale de Lutz
(1985) dans un contexte de pré-test publicitaire enrichie des contributions
de MacKenzie, Lutz et Belch (1986) et des travaux intégrant le rôle fonda-
mental des émotions et des réactions affectives déclenchées par l’annonce
(RADA) (Holbrook et Batra, 1987 ; Derbaix, 1995).
-L’identification et la mesure des influences modératrices de variables7 se
situant la plupart du temps en amont du processus persuasif et qui permet-
tent de « dessiner » des « routes » différentes de persuasion en renforçant
versus inhibant les rôles respectifs des médiateurs au sein du processus de
persuasion (MacKenzie et Spreng, 1992).
En effectuant une synthèse de la littérature des travaux qui étudient les
conditions d’efficacité d’annonces publicitaires basées sur des engage-
ments sociétaux pris par des entreprises, Swaen et Vanhamme (2003) met-
tent en évidence que celles se présentant comme « citoyennes » dans leurs
communications sont perçues plus positivement par les consommateurs
et sont plus dignes de confiance selon eux. Nan et Neo (2010) montrent
l’impact positif de messages de ce type sur les attitudes et intentions, et en
particulier pour les individus qui montrent de forts degrés de conscience
de la marque8. Selon Parguel et Benoit-Moreau (2007) au sein d’une revue
6 - Ou agrément publicitaire.
7 - Il peut s’agir de variables individuelles liées à la situation d’exposition ou au produit (implication
dans la catégorie de produit, degré de connaissance préalable, implication publicitaire, etc.) ou encore
des variables de nature plus stable constituant par exemple certaines caractéristiques de personnalité de
l’individu (besoin de cognition, confiance en soi, OSL, etc.)
8 - Les 3 items de consciences de la marque (mesurés via échelles de Likert en 5 points) sont : « Je fais
attention aux marques des produits que j’achète » ; « Parfois, j’accepte de payer plus cher un produit en
raison de sa marque » ; « Je pense que les marques que j’achète sont un reflet de qui je suis ».
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