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l’interférence : l’interruption de la lecture d’un texte ou de l’apprentissage de la répartition des pièces
sur un échiquier ne s’accompagne pas d’une baisse des performances de compréhension ou de rappel.
D’autres théories postulent qu’un individu est capable d’utiliser sa MLT comme MdT : MCT virtuelle
(Cowan, 1999) ; théorie des châblons (Gobet & Simon, 1996) ; buffer épisodique (Baddeley, 2000),
mais elles restent similaires dans les grandes lignes. Pour une revue, voir Guida, Tardieu et Nicolas
(2009).
1.2. La « Mnémonologie »
Une autre approche visant à rendre compte des performances de mémoire consiste à analyser
les mécanismes d’encodage qui permettent une mémorisation performante, indépendamment d’une
expertise. Worthen et Hunt (2011) proposent de réconcilier la recherche fondamentale sur la mémoire
avec l’étude des moyens mnémotechniques. Les méthodes de mémorisation peuvent nous renseigner
sur le fonctionnement de la mémoire ; réciproquement, s’appuyer sur des connaissances fondamentales
pour élaborer des stratégies de mémorisation efficaces est un objectif qui, s’il reste négligé, est tout à
fait légitime. Ils avancent le terme de « mnémonologie » (mnemonology) pour désigner la recherche
sur l’amélioration de la mémoire.
Worthen et Hunt distinguent différents principes permettant d’assurer une mémorisation
efficace. L’organisation consiste à chercher des relations entre les items, à les classifier ou à les
hiérarchiser. L’élaboration consiste à rajouter de l’information afin de rendre un item plus facilement
discriminable. Par exemple, si l’on souhaite retenir le mot « pomme », on peut penser à Blanche Neige
en train de manger une pomme empoisonnée. Elaborer pour mémoriser est contre-intuitif, car il y a un
ajout d’information – mais le cerveau ne semble pas avoir de limite à la quantité d’associations qu’il
peut mémoriser. L'existence de personnes dont la mémoire est exceptionnelle, comme S. (Luria, 1968),
qui exerça la profession de mnémoniste (c'est-à-dire qu’il donnait des spectacles pour démontrer ses
capacités de mémorisation) dévoile le potentiel d'un cerveau humain. S. était capable de réciter, avec
très peu d’erreurs, une liste arbitraire de nombres apprise 15 ans plus tôt, sans qu’il n’ait cherché à
retenir ces informations pour un usage ultérieur. Ses performances s’expliquent par une synesthésie
particulièrement développée : S. encodait automatiquement chaque information de multiples manières.
Par exemple, il prête des personnalités aux nombres (l’autiste Daniel Tammet, également connu pour
ses facultés de mémorisation et de calcul, rapporte également cette association (Tammet, 2007)), un
ton de voix désagréable va lui évoquer le goût du charbon et gâter son repas ; enfin, des quintes de
toux dans l’audience pendant qu’il visualise une information qu’il cherche à mémoriser laissent des
traces qu’il décrit comme des éclaboussures ou des bouffées de vapeur qui rendent son image mentale
floue. Afin d'organiser sa mémoire pour pouvoir retrouver les informations selon ses besoins, S.
affirmait également placer ses associations au long d’un parcours mental, c'est-à-dire qu’il utilisait la
méthode des lieux.
1.3. Les différences inter-individuelles dans les capacités mnésiques
Expliquer les facultés mnésiques exceptionnelles touche au problème épineux de la part de
l’inné et de l’acquis. Pour expliquer leurs performances, les mnémonistes créditent généralement leurs
méthodes et non leurs capacités innées (Gordon, Valentine, & Wilding, 1984 ; O’Brien, 1993 ;
Lorayne, 1974). Une étude en imagerie fonctionnelle (IRMf) portant sur 10 compétiteurs des
championnats du monde de la mémoire (Maguire, Valentine, Wilding, & Kapur, 2003) corrobore
également cette hypothèse. Comparés à des sujets contrôles, les mnémonistes présentent une activité
accrue dans l’hippocampe postérieur droit, le cortex rétrosplénial, et le cortex pariétal médian
lorsqu’ils mémorisent, même pour du matériel pour lequel ils n’obtiennent pas de meilleurs résultats
que les sujets contrôles (reconnaître des flocons de neige). Ce réseau pourrait, d’après les auteurs,