CAS CLINIQUE Hypophosphatémie et FGF23 élevé Ce n’est pas toujours un diabète phosphaté oncogénique n L’hypophosphatémie est une situation rare mais classique en rhumatologie de l’adulte. À travers un cas clinique exposant une cause exceptionnelle d’hypophosphatémie liée au fibroblast growth factor 23 (FGF23), nous décrirons les principes de la démarche diagnostique face à un patient présentant une phosphatémie basse. Nous soulignerons également la fréquence des erreurs diagnostiques auxquelles cette anomalie biologique, trop souvent méprisée, peut conduire et l’importance de demander son dosage et de vérifier sa normalité. L’ hypophosphatémie est définie par une phosphatémie le matin à jeun inférieure à 0,8 mmol/l. Découverte de manière « fortuite » sur une analyse de sang ou dans le cadre d’un bilan d’ostéopathie fragilisante, ses étiologies sont nombreuses. Une anamnèse précise, un examen physique rigoureux et une analyse stricte des données biologiques permettent souvent d’en comprendre l’origine et de proposer un traitement adapté. Nous rapportons ici une cause rare d’ostéomalacie hypophosphatémique liée au FGF23. Cas clinique Une patiente de 57 ans est adressée en mars 2014 dans notre service pour avis sur une polyarthralgie. Elleprésentecommeprincipauxantécédents un asthme, une maladie de Rendu-Osler compliquée d’une anémie ferriprive et un déficit im*Service de Rhumatologie, CHU Pellegrin, Bordeaux Rhumatos • Mars 2015 • vol. 12 • numéro 105 munitaire commun variable. Son traitement comprend salbutamol à la demande, immunoglobulines humaines sous-cutanées tous les 10 jours (Hizentra®) et carboxymaltose ferrique injectable (Ferinject®) tous les mois. Les douleurs ont commencé en 2012, progressivement, avec un rythme mécanique, intéressant le rachis lombaire puis les hanches, les genoux et les pieds, sans gonflement. Le bilan biologique n’a pas révélé de syndrome inflammatoire ni d’auto-anticorps. La scintigraphie osseuse a permis de retrouver une fixation anormale des 2 calcanéums et d’un plateau tibial et l’IRM de la cheville montrait un œdème osseux calcanéen postérieur sans enthésopathie achilléenne. Devant ce tableau, une spondyloarthrite a été évoquée. La patiente a alors été placée sous une faible dose de prednisone (la maladie de RenduOsler contre-indiquant les AINS) sans efficacité franche. Devant l’absence d’amélioration et afin de conforter le diagnostic, une IRM Dr Nicolas Poursac* des sacro-iliaques et du rachis lombaire est demandée et a mis en évidence un œdème osseux de l’aileron sacré gauche évoquant une fracture, confirmée au scanner, sans sacro-iliite ou anomalie rachidienne inflammatoire. À la densitométrie osseuse, le T-score était à -1,5 au col et -0,2 au rachis (chez une patiente ayant une arthrose lombaire). Devant cette fracture pathologique, le bilan d’ostéopathie fragilisante retrouvait comme seule anomalie une hypophosphatémie à 0,42 mmol/l mise sur le compte d’un déficit en vitamine D (25(OH)D à 15 ng/ml). La patiente a été supplémentée en vitamine D et traitée par une perfusion d’acide zolédronique. Malgré cela, le diagnostic de rhumatisme inflammatoire a été maintenu et la prednisone augmentée à 30 mg/j. Les douleurs s’aggravent rapidement et la patiente est alors adressée dans notre service pour avis. À l’entrée, elle rapporte des douleurs mécaniques des membres inférieurs et du bassin associées à des myalgies prédominantes 61 CAS CLINIQUE aux cuisses. On note un relevé myopathique et une marche douloureuse avec bascule latérale du bassin (marche dandinante). Le diagnostic d’ostéomalacie est évoqué. L’analyse des précédents bilans biologiques retrouve une hypophosphatémie à 0,40 mmol/l apparue en janvier 2012, alors qu’elle était normale sur les bilans de 2011. Le diagnostic de rhumatisme inflammatoire est écarté et une ostéomalacie d’origine hypophosphatémique est évoquée. Un premier bilan biologique, afin de préciser l’origine de l’hypophosphatémie, retrouve : • créatininémie = 54 μmol/l ; • clairance CKD-Epi = 101 ml/ min/1,73 m2 ; • calcémie = 2,28 mmol/l ; • phosphatémie = 0,36 mmol/l ; • calciurie/24 h = 2,96 mmol ; • phosphaturie/24 h = 30,9 mmol ; • créatininurie/24 h = 12 mmol ; • volume urinaire = 1 850 ml ; • uricémie = 270 μmol/l ; • HCO3- = 24 mmol/l ; • glycosurie = négative ; • PTH = 80 pg/ml (N : 12-88) ; • 25-(OH)-vitamine D = 25 ng/ml ; • 1,25-(OH)-vitamine D = 54,9 pg/ml ; • FGF23 = 3 fois la limite supérieure à la normale. Démarche diagnostique biologique La figure 1 résume la démarche diagnostique biologique que nous proposons devant une hypophosphatémie en rhumatologie. Voici son application à notre patiente : • 1re étape : préciser l’origine digestive ou rénale. Clairance du phosphate = 87 ml/min (N < 15 ml/min), taux de réabsorption du phosphate (TRP) = 61 % (N > 85 %). Confirmation de l’origine rénale. 62 Hypophosphatémie Clairance du phosphate < 15 ml/min = cause digestive - Alcoolisme - Diarrhée chronique - Anti-acides Clairance du phosphate > 15 ml/min = cause rénale Signes de Fanconi ? - Bicarbonates bas ? - Uricémie basse ? - Carence ou résistance à la vitamine D - Chirurgie duodéno-jéjunale - Glycosurie ? Absence de signes de Fanconi Couple PTH/calcium adapté Syndrome de Fanconi Couple PTH/calcium inadapté = hyperparathyroïdie primaire Calciurie des 24 h diminuée : Calciurie des 24 h normale = élévation FGF23 - Carence en vitamine D - Rachitisme vitaminorésistant type 1 ou type 2 - Diabète phosphaté oncogénique - Rachitisme lié à l'X - Rachitisme autosomique dominant ou récessif - Fer IV Calciurie des 24 h élevée : - Rachitisme hypophosphatémique hyercalciurique - Sécrétion de PTHrp Figure 1 - Algorithme diagnostique d’une hypophosphatémie. • 2e étape : éliminer un syndrome de Fanconi. Uricémie normale, bicarbonates normaux, pas de glycosurie. Pas d’argument pour un syndrome de Fanconi. • 3e étape : évaluer le couple PTH/calcémie. Calcémie = normale, PTH = normale. Il ne s’agit donc pas d’une hyperparathyroïdie primaire. • 4e étape : évaluer la calciurie. La calciurie est normale chez notre patiente. Il s’agit donc d’une forme liée au FGF23. • 5e étape : dosage du FGF23 = 3N. Notre bilan conclut donc à une hypophosphatémie sur diabète phosphaté médié par le FGF23. L’absence de retard de croissance ainsi que l’apparition brutale et tardive permettent d’éliminer un rachitisme. L’hypothèse d’un diabète phosphaté oncogénique est donc retenue. La seconde partie du bilan consiste alors à rechercher la tumeur responsable de l’hypersécrétion de FGF23, entraînant une diminution de la réabsorption rénale de phosphate. D’un point de vue clinique, l’examen a noté des lésions cutanées évocatrices d’histiocytofibromes ainsi qu’un nodule sous-cutané de la cuisse gauche. Une TEP au 18-FDG corps entier ne met pas en évidence de fixation pathologique. En deuxième intention, une scintigraphie aux analogues de la somatostatine ne montre pas non plus de fixation pathologique. Enfin, une IRM corps entier est sans anomalie. Devant l’absence de tumeur identifiable au scanner, l’ablation des lésions cutanées a été proposée, avec, sur chacune, une recherche de FGF23. Sept lésions cutanées Rhumatos • Mars 2015 • vol. 12 • numéro 105 Hypophosphatémie et FGF23 élevé Discussion Ce cas clinique soulève plusieurs points importants. Rhumatos • Mars 2015 • vol. 12 • numéro 105 Phosphatémie 0,8 0,7 Arrêt Ferinject® 01/01/15 10/01/14 07/01/14 04/01/14 01/01/14 10/01/13 07/01/13 04/01/13 01/01/13 10/01/12 0,3 07/01/12 0,4 04/01/12 0,5 Début Ferinject ® 0,6 01/01/12 En février 2015, lors d’une revue de la littérature sur les hypophosphatémies, nous découvrons un article japonais de 1982 rapportant 9 cas d’hypophosphatémies induites par du fer injectable (1, 2). Ceci nous évoquant notre patiente, nous décidons d’arrêter ses perfusions de fer injectable. Ce traitement avait été mis en place avant 2010 dans le cadre d’une anémie ferriprive secondaire à sa maladie de Rendu-Osler. Le traitement initial de la patiente était du fer per os (hydroxysaccharide ferrique), puis a été remplacé par du Ferinject® en janvier 2012. L’évolution de la phosphatémie est donnée en figure 2. En mars 2015, à 2 mois de l’arrêt du Ferinject®, les douleurs ont disparu, la marche s’est totalement normalisée et le phosphate est remonté à 0,9 mmol/l. Le principal problème reste son anémie ferriprive qui, pour le moment, est traitée par transfusions itératives et pour laquelle nous envisageons la reprise du fer per or sous surveillance étroite de la phosphatémie. 0,9 10/01/11 au total ont été enlevées : 6 histiocytofibromes et un lipome. L’analyse du FGF23 sur pièce s’est révélée négative et le tableau clinico-biologique ne s’est pas amélioré. Le diagnostic de diabète phosphaté a donc été retenu et, en l’absence d’identification de l’origine de l’hypersécrétion du FGF23, un traitement symptomatique par phosphore per os et calcitriol per os a été prescrit, ne permettant qu’une stabilisation de la phosphatémie autour de 0,5 mmol/l sans amélioration sur les douleurs. Figure 2 - Évolution de la phosphatémie dans le temps. D’abord, la confusion diagnostique à laquelle peut parfois conduire une hypophosphatémie. Effectivement, lorsque le tableau n’est pas aussi franc qu’une ostéomalacie, l’hypophosphatémie peut entraîner une polyalgie avec un examen clinique pauvre qui peut parfois, à tort, faire porter le diagnostic de fibromyalgie ou de spondyloarthrite (3, 4). Par ailleurs, il nous semble important de souligner la nécessité de conduire un interrogatoire et un examen physique précis ainsi qu’une analyse stricte du bilan biologique afin de conclure à 1 ou 2 hypothèses diagnostiques. Le diabète phosphaté oncogénique est une cause, mais non la seule, d’hypophosphatémie associée à une élévation du FGF23. Parmi les autres étiologies, un rachitisme vitaminorésistant lié à l’X, autosomique dominant ou autosomique récessif, doit être évoqué, même chez l’adulte, surtout devant une petite taille. Ces rachitismes sont liés à une anomalie congénitale du FGF23, soit un excès de production, soit une résistance de celui-ci à la protéolyse (5). Comme cause rare, il faut également, devant des lésions cutanées évocatrices, penser à un syndrome du nævus linéaire sébacé (6). L’hypophosphatémie induite par le fer injectable est une cause rare et probablement sous-diagnostiquée d’ostéomalacie. La première description a été rapportée en 1982 (1). Depuis, une vingtaine de cas ont été décrits. Au début des années 1980, avant que le FGF23 ne soit identifié, Okada et al. constataient que cette hypophosphatémie était bien d’origine rénale mais non liée à la PTH puisque celle-ci ainsi que la calcémie étaient normales (1). En 1994, Sato et Shiraki ont montré que le complexe associé au fer jouait un rôle important : le fer chélaté à la chondroïtine sulfate n’entraînait pas de diminution de la réabsorption tubulaire du phosphate, contrairement à l’hydroxysaccharide de fer (7). Ils ont également mis en évidence une diminution de la 63 CAS CLINIQUE 1-alpha-hydroxylase, responsable d’une diminution du calcitriol, réversible à l’arrêt des perfusions de fer. La normalité du calcitriol dans notre observation pourrait être liée au fait que son dosage a été réalisé à 4 semaines de la perfusion de fer, juste avant la suivante. Ces dernières années, la mise en évidence du FGF23 a permis de mieux comprendre le métabolisme du phosphate (5, 8). Cette phosphatonine est responsable d’une inhibition de la 1-alpha-hydroxylase et d’une diminution de la réabsorption tubulaire du phosphate. En 2009, 2 équipes ont mis en évidence l’élévation du FGF23 chez des patients recevant du fer injectable, expliquant ainsi la diminution du TRP et la baisse du calcitriol constatées précédemment (8, 9). Le mécanisme de l’élévation du FGF23 dans ces circonstances reste cependant inconnu. n Mots-clés : Hypophosphatémie, FGF23, Fer Bibliographie 1. Okada M, Imamura K, Iida M et al. 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Son mécanisme d’action est identique à celui de l’infliximab d’origine. Remsima® est indiqué dans le traitement : • des maladies inflammatoires (polyarthrite rhumatoïde, spondyloarthrite ankylosante, rhumatisme psoriasique) ; • de la maladie de Crohn de l’adulte et de l’enfant (de 6 à 17 ans) ; • de la rectocolite hémorragique de l’adulte et de l’enfant (de 6 à 17 ans) ; • du psoriasis en plaques. Ce biosimilaire est développé en partenariat avec le laboratoire coréen Celltrion. Remsima® est déjà prescrit dans 12 pays. Les biosimilaires offrent les mêmes garanties de qualité, d’efficacité, et de sécurité que les médicaments biologiques d’origine, mais à moindre coût, permettant ainsi de favoriser l’accès de certains patients à des thérapies innovantes coûteuses. 64 La projection d’économies grâce aux biosimilaires pour les systèmes de santé en Europe est évaluée entre 11 et 33 milliards d’euros avec des économies majeures pour la France, l’Allemagne et l’Angleterre. n Pour en savoir plus : www.biogaran.fr et www.celltrion.com Activité physique Promouvoir la reprise du sport chez les sédentaires et les malades chroniques L a Fédération française Sport pour Tous a lancé la charte "Club sport santé bien-être", avec le soutien de Pierre Fabre Médicament. Dans les clubs et associations sportives qui souhaitent adhérer, la charte met en place 10 engagements afin de développer des programmes sportifs adaptés aux personnes sédentaires ou ayant des maladies chroniques, notamment grâce à des éducateurs sportifs diplômés, des conseils spécifiques et des tarifs accessibles à tous. L’objectif est de promouvoir la reprise d’une activité sportive, l’inactivité physique étant responsable de 10 % des décès en Europe d’après l’OMS. n Pour en savoir plus : www.sportspourtous.org Rhumatos • Mars 2015 • vol. 12 • numéro 105