CAPES 1595, Avenue Charles de Gaulle 01 BP 1919 Ouagadougou 01 Burkina Faso Tél. : (226) 50 36 96 14/15/32 Fax : (226) 50 36 96 33 Email: [email protected] Site Web: www.capes.bf SÉRIE DOCUMENT DE TRAVAIL DT-CAPES N°2007-33 Acquis et faiblesses de la liberté de presse au Burkina Faso (Dr Victor SANOU ) ______________ décembre 2007 AVERTISSEMENT Le Document de Travail du Centre d’Analyse des Politiques Economiques et Sociales (CAPES) est constitué des travaux de recherche (travaux semi-finis, drafts d’articles, communications diverses…) des experts du Centre, qui les soumettent de la sorte au débat scientifique. Les auteurs des travaux publiés dans la Série Document de Travail sont entièrement responsables de leur contenu. Le Document de Travail paraît chaque fois que des travaux sont reçus à la Direction du Centre. 2 SOMMAIRE INTRODUCTION ...................................................................................................................... 3 I- Evolution historique de la presse au Burkina Faso. ............................................................. 5 II. La configuration de la presse fiscale ................................................................................... 8 III. Forces et faiblesses des médias au Burkina Faso ............................................................. 10 3-1 Les forces, un rôle socio-politique majeur ....................................................................... 10 3-1.1 Un rôle socio-politique majeur .................................................................................. 10 3-1-2 Un cadre légal et institutionnel favorable .................................................................. 11 3-2 Les lacunes de la presse burkinabé ................................................................................. 14 3-2-1 Lacune liée à l’absence de formation : ..................................................................... 14 3-2-2 : La faiblesse des productions propres ..................................................................... 15 3-2-3 : Lacunes liées à la situation sociale des journalistes ............................................... 16 3-2-4 .Lacunes tenant à la gestion des entreprises de presse. ........................................... 17 3-2-5 L’insuffisance ou l’absence d’une véritable autorégulation ....................................... 18 IV – LES NOUVELLES ORIENTATIONS ...................................................................................... 18 4-1 Orientations tenant à l’amélioration du cadre légal et règlementaire. ............................... 18 4-2 Orientation vers la sécurisation des emplois. .................................................................. 19 4-3 Orientation vers la formation systématique du journaliste ............................................... 19 4-4 Orientation vers l’amélioration du management. .............................................................. 20 CONCLUSION ............................................................................................................................ 21 INTRODUCTION 3 Voilà déjà une quinzaine d’années que, suite à la fin de la guerre froide et au triomphe du libéralisme, les pays qui avaient pendant longtemps vécu sous des régimes d’exception ont amorcé des processus démocratiques. La construction des nouveaux édifices démocratiques ne s’est pas limitée au principe électif ni même à la sacro-sainte règle de la séparation des pouvoirs tel que l’a développée le philosophe français Mantes. Elle a vu émerger un autre secteur – celui de la presse - dont l’importance s’est tellement affirmée au cours de l’histoire et dans les contextes de démocratie libérale, qu’il est largement admis qu’il constitue aujourd’hui le 4ème pouvoir. L’action des médias est en effet si prégnante sur la vie publique qu’il n’est pas exageré d’affirmer que la presse régule la vie sociale. C’est désormais par elle que nous avons conscience de notre existence dans un environnement global, de la réalité concrète dans laquelle nous vivons, et surtout de notre positionnement dans le monde, non seulement en tant qu’individu, mais en tant qu’entité territoriale, sociologique, politique et culturelle. Compte tenu de l’importance du phénomène, l’on peut, - et l’on doit - marquer des arrêts pour en évaluer ses forces et faiblesses. Cette réflexion est donc opportune, car la presse burkinabè est en pleine expanssion, et le rôle qu’elle est appelée à jouer dans notre processus de développement est si déterminant que nous devons suivre son évolution, afin d’apporter les réajustements indispensables à son épanouissement. L’approche des forces et faiblesses de la liberté de la presse au Burkina Faso doit prendre pour point d’ancrage le cadre institutionnel et légal et la qualité de la production des organes de presse à l’aune de ce qui leur est assigné comme mission fondamentale. Mais tout phénomène socio-politique a une histoire. Sans une bonne connaissance de l’histoire, l’on peut émettre des jugements erronés. Aussi, le document de travail s’articulera autour des centres d’intérêt ci-après : 4 1) L’évolution historique de la presse au Burkina Faso ; 2) La configuration actuelle de la presse burkinabé ; 3) Une appréciation critique de la prestation des médias ; 4) La mise en évidence de ce qui apparaît comme des forces et faiblesses de la presse burkinabé. I- Evolution historique de la presse au Burkina Faso. La situation de la presse africaine en général, et du Burkina Faso en particulier a été le reflet des régimes politiques. En fonction de la nature du régime politique, la liberté de la presse a été soit interdite ou censurée, soit amenagée par la loi fondamentale. Comme on le sait, la plupart des pays africains ont été marqués dans leur évolution politique par des régimes d’exception. Seuls quelques rares pays comme le Sénégal n’ont pas connu un seul Etat d’exception. Dans ces régimes, il n’y a pas de liberté de presse. La seule presse qui existait, c’était les organes d’Etat, qui étaient généralement à la solde des tenants du pouvoir. C’était l’époque de la pensée unique, caractérisée par une instrumentalisation de la presse au service de l’idéologie dominante ou des doctrines politiques. Le Burkina Faso n’a pas échappé à cette constante dans l’évolution de la liberté de la presse. L’évolution politique du Burkina Faso a été marquée par une alternance de régimes de droit et de régimes d’exception. Les régimes de droit se sont situés entre 1960-1966, 1970-1974, 1978-1980, et les périodes d’exception entre 1966-1970, et 1974-1977, 1980 et 1983. Le coup d’Etat du 25 novembre 1980 a installé le Burkina Faso dans un Etat d’exception qui a duré jusqu’ à l’adoption de la Constitution du 11 juin 1991. De 1980 à 1991, nous avons donc assisté à la plus longue période d’exception dans notre pays qui a vu se succéder le CSP1, le CSP2, le CNR et le Front Populaire. En rapport avec notre thème, quelle a été la situation de la presse sous les différents régimes connus par notre pays ? 5 A la veille de l’indépendance politique du pays acquise en 1960, une première loi avait été adoptée pour régir la liberté de la presse au Burkina Faso. Il s’agit de la loi n° 20/AL du 31 août 1959, largement inspirée de la loi française de 1881. La loi de 1959 avait une portée limitée en ce sens qu’elle ne portait que sur la presse écrite. L’on peut se demander pourquoi, malgré son caractère libéral, cette loi n’a pas suscité la création d’organes de presse privés. Les avis sont toutefois partagés sur cette question. Pour certains, ce serait l’absence d’un grand lectorat et les mentalités de l’époque qui ne laissaient pas voir en la presse une entreprise prometteuse. En appui, les tenants de cette opinion citent l’exemple du journal du Syndicat National des Enseignants, qui paraissait régulièrement avec un ton très critique, mais sans avoir jamais fait l’objet d’une interdiction ou d’une censure par le pouvoir de la première République. Il faut aussi reconnaître que les idées dominantes à l’époque tendaient plutôt à l’affirmation des nécessités de la construction et de la consolidation de l’unité interne des jeunes Etats africains, dont la fragilité s’accommoderait difficilement avec le multipartisme et la liberté de presse. Dans les faits, si la liberté de la presse a été légalement reconnue à cette époque, aucun véritable organe de presse privé n’a existé sous la première République. C’est donc une période qui a été marquée par l’omnipotence des médias publics dans le secteur de l’information (Carrefour africain puis Sidwaya, la Radio Nationale et la Télévision Nationale), avec une audience et une influence politiques plus affirmées pour la radio nationale, la télévision publique (une des premières d’Afrique) étant à l’époque à une échelle embryonnaire du point de vue de son rayon d’action. L’expérience démocratique entamée à l’indépendance a été interrompue par le soulèvement populaire du 03 janvier 1966, qui a vu la première incursion de l’armée dans la vie politique nationale. Le référendum de décembre 1970 a amorcé un processus démocratique avec l’avènement de la deuxième République. Celle-ci a été interrompue en 1974 par la 6 deuxième intervention de l’armée dans la vie publique jusqu’en 1977, date de l’avènement de la 3ème République. Mais entre temps naquit en 1973 le quotidien privé « l’Observateur », lequel a été pendant longtemps le quotidien qui a su servir de cadre à l’expression contradictoire des idées qui ont animé la vie politique nationale. Les médias audiovisuels publics, quant à eux, tout en s’efforçant de rendre compte des grands débats politiques nationaux, sont restés largement des épigones des pouvoirs successifs en place. En dépit de l’interruption du processus démocratique par le coup d’Etat du 25 novembre 1980, le quotidien "l’Observateur” a continué de paraître jusqu’à l’avènement de la révolution du 04 août 1983. Un an plus tard, ce journal n’a plus été toléré, victime d’un incendie dont les auteurs ne sont pas encore identitifiés. Le Front populaire qui a accédé au pouvoir à la faveur du coup d’Etat du 15 octobre 1987 a été conduit à engager le pays sur la voie de la démocratie, consacrée par la Constitution du 11 juin 1991. Mais avant l’adoption même de la Constitution, il avait été adopté la zatu (une ordonnance) n° AN VII-049/PF/PRESS du 03 août 1990 portant code de l’information. Dans un contexte d’Etat d’exception, même orienté vers une ouverture démocratique, telle que préconisée par les assises nationales sur le bilan de quatre ans de révolution, le code de 1990 a porté des stigmates résiduels de l’Etat d’exception au plan de la liberté de la presse. En effet, son article premier confinait l’information comme prérogative de la puissance publique, traduction de la souveraineté politique et culturelle du pays, dans ce sens qu’aux termes de son article 3, « le droit à l’information s’exerce librement dans le respect strict des valeurs culturelles et morales ainsi que des orientations politiques du Burkina Faso ». De surcroît, l’exploitation des organes d’information, de radiodiffusion et de télévision relevait exclusivement de l’imperium de l’Etat. Dans un contexte où le mouvement démocratique avait connu des stimulants décisifs à travers la chute du mur de Berlin et le discours de la Baule, ce code a dû être 7 révisé par l’ordonnance n° 92-024 bis/PRESS du 24 avril 1992 qui a consacré l’ouverture du secteur audiovisuel au privé. Aux termes de l’article 4 de cette ordonnance, « la création et l’exploitation des organes d’information, des organismes de radiodiffusions, de télévision et de cinéma sont libres ». En dépit des avancées contenues dans cette ordonnance, les professionnels du secteur à travers leurs associations (l’AJB, le SYNATIC) et les autres acteurs de la société civile (notamment le MBDHP) ont jugé le code insuffisant au plan de l’étendue de l’espace de la liberté de la presse. Au délà du rôle particulier que chacun de ces acteurs a pu jouer dans le réamenagement de cette ordonnance, c’est le contexte de l’époque qui a sans doute assuré la réceptivité du gouvernement au plaidoyer de la société civile ainsi que des autres acteurs du secteur en faveur de l’adoption d’un code libéral. Car de nos jours, il y a une divergence dans l’appréciation du rôle que chacun de ces acteurs est censé avoir joué dans la révision de ce code. Si le Mouvement des droits de l’Homme (MBDHP) met sur le compte de la révision de ce code, la pétition signée par près de 60.000 citoyens, les responsables gouvernementaux évoquent plutôt l’idée que le code avait été ventilé à tous les acteurs du secteur pour recueillir leurs amendements. Sa révision serait donc l’aboutissement d’un processus de larges concertations qu’ils auraient eux-mêmes déjà entamées. En tout état de cause, le code révisé a été adopté par l’Assemblée Nationale par la loi n° 56/93/ADP du 30 décembre 1993 en intégrant au mieux les amendements suggérés par les différents acteurs du secteur. Mais quel est l’état des lieux actuel des médias burkinabé et quelle est la situation de la liberté de la presse? II. La configuration de la presse fiscale 8 L’on a assisté à un boom médiatique à partir de l’amorce du processus démocratique en 1991. Ce boom médiatique a été favorisé par le cadre légal, puis institutionnel et règlementaire mis en place. En effet, le paysage médiatique se présente à l’heure actuelle ainsi qu’il suit : - trente (30) radios privées associatives/communautaires ; - vingt neuf (29) radios privées commerciales - vingt six (26) radios privées confessionnelles ; - onze (11) radios publiques ; - quatre (04) radios internationales ; - une (01) télévision publique ; - huit (08) télévisions privées. Il y a donc : - environ cent neuf (109) sociétés de radiodiffusion sonores ; - quatre (04) sociétés de télévision. Quant à la presse écrite, elle se décompose comme suit ( sur la base de la parution regulière): - quatre (04) quotidiens ; - huit (08) hebdomadaires ; - un (01) bi-hebdomadaire ; - sept (07) mensuels ; - un (01) bimensuel. Ces statistiques n’incluent pas la presse institutionnelle, portée par plus d’une soixantaine de publications spécialisées. Il est attendu l’ouverture prochaine d’une cinquantaine de stations de radiodiffusion privées à travers le pays, tant et si bien que d’ici un an, le Burkina Faso en comptera plus d’une cent cinquantaine. 9 Si la création d’organes de presse privés, notamment dans les provinces, répond à un besoin d’information de proximité, dans un contexte où la radio apparaît encore pour la majorité des burkinabé comme la seule porte ouverte sur le monde, il nous faut faire une approche critique du fonctionnement actuel des médias dans leur ensemble, afin de mieux orienter l’avenir. Aussi allons-nous situer les forces et les faiblesses des médias burkinabé avant de conclure à une appréciation d’ensemble de la situation de la liberté de la presse dans notre pays. III. Forces et faiblesses des médias au Burkina Faso 3-1 Les forces, un rôle socio-politique majeur 3-1.1 Un rôle socio-politique majeur Il est indéniable que les médias burkinabé jouent un rôle social, économique et politique majeur dans notre pays. Ils contribuent à l’éducation, à la formation et à la distraction des citoyens. Si l’on prend des émissions comme ‘’Sonré’’ de Savane FM, elle rallie de nombreux auditeurs qui prennent connaissance du contenu de la presse écrite. De nombreuses autres émissions des radios privées, notamment de provinces, permettent aux citoyens ce changement de mentalité indispensable à l’amélioration des conditions de vie des populations rurales. L’on peut mettre sur le compte des médias, le changement de comportement qui a joué positivement sur la réduction de certaines endémies comme le SIDA, l’amélioration de l’hygiène, la scolarisation des enfants. Les verrous de certaines pesanteurs socio-culturelles ont sauté ou sont en passe de l’être. C’est le cas des pratiques comme l’excision. Des programmes sont en effet spécialement conçus sur des thèmes particuliers pour opérer des changements qualitatifs de comportement dans divers domaines. Les cultures nationales sont valorisées par les médias privées. C’est en cela que l’on admet généralement que l’information est aujourd’hui au cœur du développement. 10 Sur le plan politique, le Burkinabé est devenu un citoyen critique. Les médias ont éveillé sa conscience politique, et ceci est à capitaliser dans l’ancrage progressif de la démocratie dans notre pays. Sous un autre angle, le secteur des médias se révèle être un secteur économique important du point de vue de la redistribution des revenus et des emplois générés. 3-1-2 Un cadre légal et institutionnel favorable Nous devons à cette action positive de la presse nationale un certain nombre d’atouts qui tiennent notamment au cadre légal et institutionnel de la liberté de la presse. A cet égard, la consécration de la liberté de la presse par la loi fondamentale a favorisé l’émergence d’un espace médiatique qui joue sa partition dans le processus du développement national. Comme on le sait, la traduction de l’importance que les autorités nationales ont accordée à la liberté de la presse s’est matérialisée dans la constitution du 11 juin 1991, le code de l’information, et par la création d’une instance indépendante de régulation de l’information. Analysons sommairement ces différents textes et cadres pour en faire une appréciation critique. • La Constitution Le premier texte de référence en matière de liberté de la presse est la Constitution qui, en son article 8, stipule : « les libertés d’opinion, de presse et le droit à l’information sont garantis. Toute personne a le droit d’exprimer et de diffuser ses opinions dans le cadre des lois et règlements en vigueur ». 11 • Le code de l’information (loi 56 précitée) La base légale de la liberté de presse se trouve dans les dispositions suivantes du code : Article 1er : le droit à l’information fait partie des droits fondamentaux du citoyen burkinabé. Article 4 : la création et l‘exploitation des agences d’informations, des organismes de radiodiffusion, de télévision et du cinéma sont libres conformément aux lois et règlements en vigueur. Article 6 : l’édition, l’imprimerie, la publication, la librairie et la messagerie sont libres. • La loi organique N°0028/AN du 14 juin 2005 portant création, composition, attributions et fonctionnement du Conseil supérieur de la communication. L’article 1 de cette loi dispose qu’il est créé une autorité administrative dénommée Conseil supérieur de la communication conformément aux dispositions de l’article 143 de la loi N°56/93/ADP du 30 décembre 1993 portant code de l’information. L’article 17 de cette loi énonce que le Conseil supérieur de la communication a pour attributions de : - veiller à l’application de la législation et de la réglementation relatives à l’information au Burkina Faso ; - contribuer au respect de la déontologie professionnelle par les sociétés et entreprises de radiodiffusions sonores et télévisuelles privées et publiques, par les journaux et publications périodiques publics comme privés ; - délivrer les autorisations d’exploitation des stations ou des sociétés de radiodiffusions sonores et télévisuelles ; - veiller à la protection de la personne humaine contre les violences résultant de l’activité du secteur de l’information ; 12 - veiller au respect des principes fondamentaux régissant la publicité à travers les médias ; - veiller au respect des cahiers des missions et des charges des radiodiffusions sonores et télévisuelles publiques et privées ; - fixer les règles concernant les conditions de productions, de programmations, de diffusion des émissions et des articles relatifs aux campagnes électorales par les sociétés et entreprises des organes de presse écrite et de la radiodiffusion sonore et télévisuelle d’Etat en conformité avec les dispositions du code électoral ; - contribuer au respect des normes relatives aux matériels de diffusion et de réception des émissions de radiodiffusion et télévision. L’article 19 précise que le Conseil supérieur de la communication veille, par ses recommandations, au respect du pluralisme et de l’équilibre de l’information dans les programmes des sociétés et entreprises publiques ou privées, des organes de presse écrite et de la radiodiffusion sonore et télévisuelle. L’article 21, pour sa part, énonce une règle fondamentale : “le Conseil supérieur de la communication garantit l’égalité d’accès des partis politiques, des associations professionnelles, des syndicats et des composantes de la société civile à la presse écrite et aux médias audiovisuels publics”. Quant à l’article 22, il organise une possibilité de saisine en faveur des citoyens. Le Conseil supérieur de la communication peut en effet être saisi par tout citoyen, toute association et toute personne morale publique ou privée pour examiner des questions relatives à son champ de compétences. L’on peut donc reconnaître que le cadre légal et institutionnel est un atout majeur pour la liberté de la presse car non seulement les dispositions du code sont propices à la liberté de la presse, mais en plus, une instance indépendante en garantit l’exercice, loin de toute inflluence politique ou économique. 13 3-2 Les lacunes de la presse burkinabé Si le cadre légal et institutionnel ci-dessus dégagé est favorable à la liberté de la presse et qu’il mérite malgré tout d’être amélioré, il y a de nombreuses lacunes dans le fonctionnement des organes de presse. Elles tiennent à la formation, à la production médiatique, à la situation sociale du journaliste, à la gestion des entreprises de presse, etc ... Analysons chacune de ces lacunes.* 3-2-1 Lacune liée à l’absence de formation : La première lacune réside dans les conditions d’accès à la profession de journaliste. Les organes de presse privés, malgré le potentiel de jeunes formés au métier de journaliste dans nos écoles et universités, optent pour l’emploi de personnes sans formation et souvent sans un bon niveau de base. Le code de l’information organise en effet cette porosité dans l’accès à la profession. En son article 45, le code dispose qu’est journaliste “« toute personne employée dans un organe de presse écrite, parlée ou filmée, quotidien ou périodique, appartenant à une entreprise publique ou privée qui se consacre à la recherche, la collecte, la sélection, l’adoption, l’exploitation et la présentation des informations et fait de cette activité sa profession, sa principale source de revenu...″″ En raison de cette relative facilité d’accès à la profession, la production de bon nombre de journalistes ne respecte ni la loi, ni l’éthique et la déontologie. Les règles de base sont souvent bafouées, tel que le caractère sacré des faits. L’on mélange notamment en ce qui concerne les informations en langues nationales, les faits aux commentaires. C’est une lacune de base car en matière de traitement de l’information, la règle de base est connue : les faits sont sacrés, le commentaire est libre. Certains médias publient des informations non vérifiées. Il y a même certains organes qui s’alimentent de la rumeur, d’où les risques de diffamation des citoyens et quelquefois, des autorités avec tout ce que ceux-ci peuvent exposer au plan pénal. 14 Par principe, nous sommes contre les intimidations faites aux journalistes. Mais les journalistes ne doivent pas non plus prêter le flanc par la provocation ou l’absence de professionnalisme en versant dans le sensationnalisme et en publiant des informations erronnées. Certains journalistes burkinabé ne connaissent même pas les dispositions du code de l’information. Dans ces conditions, l’exercice de la profession devient une aventure. La première lacune de la liberté de la presse au Burkina Faso, c’est donc l’absence de formation des journalistes employés par les médias surtout privés. 3-2-2 : La faiblesse des productions propres Certains médias audiovisuels nationaux fournissent beaucoup d’efforts dans la production d’émissions propres. Mais, soit par la faiblesse du profil de leurs employés soit par absence de moyens, bon nombre se livrent à la rediffusion d’émissions étrangères. Certains autres ont des programmes à dominante musicale. Le Conseil supérieur de la communication a vérifié que les programmes de certaines radios privées sont consacrés à près de 70 % de musique. Le volet distraction prend donc le pas sur les autres missions fondamentales. Au niveau de la presse écrite, les pages consacrées aux annonces et à la publicité dans certains journaux sont souvent contraires aux normes professionnelles (plus de 2/3 de publicité pour un journal à vocation d’information général). Ces médias audiovisuels privés, notamment les radios privées, bien qu’ayant une association ne pratiquent pas d’échanges de programmes. 15 3-2-3 : Lacunes liées à la situation sociale des journalistes Les journalistes burkinabé, en particulier ceux du secteur privé, sont dans une situation de précarité sociale caractérisée par : - une rémunération très aléatoire, très souvent en deçà même du SMIG pour la majorité d’entre eux. - l’absence d’un contrat de travail qui le lie à leur employeur renforce cette précarité. - une mobilité quasi permanente, en fonction des promoteurs qui offrent mieux. Dans ces conditions, comment garantir le professionnalisme dans leur production. Un journaliste socialement et matériellement dépendant ne peut que se livrer à toute sortes de pratiques qui nuisent à la qualité de sa production et à l’image même de la presse. Or, la plume et le micro sont des instruments redoutables pour être laissés aux mains de n’importe qui. L’image la plus adaptée, c’est celle qui consisterait à remettre une arme à un non initié au maniement des armes. Les effets de la presse sont souvent si dévastateurs que certains penseurs ont soutenu que l’information est une chose si serieuse qu’elle ne peut être abandonnée aux seuls journalistes. Tant au plan politique, social, et économique, tant en temps de paix ou de guerre, l’information représente d’énormes enjeux : d’où l’exigence de professionnalisme. Les révolutionnaires du 04 août avaient un slogan qui peut illustrer les enjeux dont nous parlons. Ils soutenaient qu’un militaire sans formation est un criminel en puissance”. Eh bien, un journaliste sans formation est également un criminel en puissance. Notamment en temps de crise comme de guerre, l’information suscite tant d’enjeux qu’elle se laisse souvent enfermer dans une zone de non droit, au nom de l’immensité de la responsabilité sociale du journaliste. Il faut, par ailleurs, se rendre à l’évidence que le journalisme est une profession exigeante parce qu’elle est pluridisciplinaire. Le journaliste doit être un homme cultivé. L’on a parfois honte du niveau de langue chez certains journalistes et de l’approche approximative qu’ils font de certains sujets. L’approche d’une information requiert 16 souvent de longues recherches auxquelles certains de nos hommes de médias ne se livrent pas souvent. D’où l’amateurisme et le spontanéisme qui nuisent à la qualité de leur production. 3-2-4 .Lacunes tenant à la gestion des entreprises de presse. Il y a une gestion patrimoniale des entreprises de presse au Burkina Faso. Rares sont les entreprises privées qui ont une comptabilité rigoureuse. Le patron de l’organe en fait une affaire personnelle. Or, l’entreprise de presse a ses spécificités dès lors qu’elle fait appel au potentiel intellectuel et technique d’autres personnes. Le résultat est que généralement les patrons de presse sont socialement à l’aise, alors que leurs employés sont dans le dénuement total. Même l’utilisation de la subvention de l’Etat à la presse est souvent sujette à caution. Il n’ y a donc pas une gestion moderne de bon nombre d’organes de presse. Aucune politique d’amortissement n’est pratiquée pour renouveler l’outil de production. Quelquefois pour prendre un exemple sur les radios, la panne d’un émetteur entraîne un long arrêt des programmes parce qu’aucune gestion prévisionnelle n’a permis d’acquérir un émetteur de secours. A brève échéance, c’est-à-dire à l’horizon 2020, ce sera la fin de la radio analogique. Nous passerons à la radio numérique. Une telle évolution pose deux défis majeurs : - un défi technique : il faut pouvoir acquérir le matériel numérique ; - un défi professionnel, car les technologies de l’information ont changé la structure des métiers de la communication. Il faut donc former le personnel aux nouvelles exigences technologiques. 17 3-2-5 L’insuffisance ou l’absence d’une véritable autorégulation Les associations professionnelles de la presse sont assez dynamiques au Burkina Faso. Malheureusement, elles ne sont pas parvenues à insuffler sur le même dynamisme à l’organe national d’auto-régulation. Or, pour limiter les interventions de la puissance publique ou de l’organe de régulation institutionnelle contre les nombreux manquements constatés, il faut un organe d’auto-régulation efficace. C’est dans ce cadre que la connaissance de la profession peut être affinée car il s’agit du jugement des pairs. L’absence d’une véritable auto-régulation dans la presse burkinabé, en dépit de l’existence de l’Observatoire national de la presse (ONAP) est une grave lacune qu’il faut rapidement corriger. Face à ce tableau, quelles peuvent être les nouvelles orientations pour la presse burkinabé ? IV – LES NOUVELLES ORIENTATIONS 4-1 Orientations tenant à l’amélioration du cadre légal et règlementaire. Le code de l’information mérite d’être relu pour être expurgé de certaines dispositions jugées, soit absolètes, soit répressives. Il y a également la nécessité de l’adapter à certaines évolutions. Le code devrait être plus précis dans certains domaines comme la publicité et l’accès aux sources, car c’est l’inaccessibilité aux sources véritables de l’information qui nourrit les rumeurs dans la presse. Toutes les autorités investies d’une mission officielle ont une obligation de service public et doivent donc en rendre compte au nom du droit du public à l’information. Mais comment les médias peuvent-ils rendre compte de ce auquel ils n’ont pas accès alors que l’information constitue leur matière de base ? Il faut aussi que le droit de réponse et le droit de réplique soient mieux assurés, en particulier au niveau des médias surtout audiovisuels publics. 18 En ce qui concerne leur statut juridique, le Conseil supérieur de la communication est favorable à sa réforme. Il faut aussi trouver un mode de financement adapté aux obligations spécifiques qui sont ceux des medias publics. L’inadaptation du statut juridique des médias plublics, l’absence d’un statut particulier de leur personnel, l’absence d’un cahier de charges et de missions, l’absence d’un mode de financement approprié constituent des pesanteurs structurelles à leur éclosion. Et ceci n’est pas sans entraver la liberté des journalistes des médias publics et la qualité de leurs prestations. 4-2 Orientation vers la sécurisation des emplois. Le Conseil supérieur de la communication accompagne à l’heure actuelle les associations professionnelles et les patrons de presse vers l’adoption d’une convention collective et les modalité de délivrance de la carte de presse. La convention collective devrait sécuriser les emplois et améliorer la situation sociale des journalistes. 4-3 Orientation vers la formation systématique du journaliste Les patrons de presse doivent concevoir des programmes de formation de leurs personnels. C’est une exigence de performance et de compétitivité. En plus des règles de base de la profession, de la connaissance de l’environnement légal et règlementaire de la presse, les patrons de presse gagneraient à employer un personnel de haut niveau pour répondre aux exigences du public. Il faut reconnaître que dans ce domaine, la presse écrite est en avance sur l’audiovisuel privé. Des études récentes ont montré que peu de radios privées utilisent un personnel de niveau universitaire. Elles ont également montré que plus le niveau du personnel employé est élevé, plus les prestations sont de qualité et que le chiffre d’affaires s’améliorait nettement. 19 4-4 Orientation vers l’amélioration du management. La gestion des entreprises de presse doit être de plus en plus moderne. A l’heure actuelle, nous sommes dans le management participatif. Lorsque la convention collective va être adoptée, les patrons de presse auront intérêt à donner une part du capital de leur entreprise au personnel. Une telle évolution permettrait à leurs employés de lier leur avenir à celui de l’entreprise et d’y trouver une source de motivation supplémentaire. L’orientation à terme devrait être la création de grands groupes de presse. Car, les médias ont intérêt à aller aux regroupements, compte tenu de la faiblesse des ressources publicitaires nationales. Le grand nombre d’organes de presse n’est pas en faveur de la rentabilité de l’entreprise de presse. Mais quelle appréciation pouvons-nous faire, au terme de ce survol, de la situation de la liberté de la presse au Burkina Faso ? La presse burkinabé se caractérise par sa pluralité, sa diversité et son orientation critique. Elle fait partie des plus dynamiques du continent africain. Il n’ y a au Burkina Faso aucune entrave majeure à l’exercice de la liberté de la presse ; certes, nous avons les faits de notre histoire, mais le Burkina Faso fait aujourd’hui partie des pays africains où la liberté de la presse s’exerce pleinement. Il y a certes beaucoup d’amélioration à apporter dans le cadre légal et institutionnel ainsi que dans le fonctionnement des entreprises de presse, mais l’on peut s’honorer de la qualité de la liberté de la presse au Burkina Faso. 20 CONCLUSION Le Conseil supérieur de la communication s’est engagé dans la résolution des lacunes et dans la mise en œuvre de nouvelles orientations en faveur de la presse Burkinabé. Il s’est engagé à organiser dans ce cadre un plaidoyer en plusieurs orientations : il s’agit : - de l’amélioration du cadre légal et réglementaire de la liberté de la presse ; - du plaidoyer pour la prise de mesures fiscales en faveur des entreprises de presse et d’un accroissement de la subvention de l’Etat aux médias afin que ceux-ci puissent s’acquitter convenablement de leur mission d’utilité publique ; - de la mobilisation des partenariats et la prise d’initiatives pour la formation des hommes de média dans maints domaines de leur profession ; - de la poursuite du plaidoyer pour la dépénalisation des délits de presse. Toutefois, au regard de certaines dérives constatées çà et là dans la presse, ce plaidoyer ne peut aboutir que si les gages d’un vrai professionnalisme dans les médias burkinabé ne sont reunis. L’auto-régulation peut grandement y contribuer. En définitive, l’on peut affirmer que la liberté de la presse est une réalité vivante au Burkina Faso. Elle se porte bien, même si tous les acteurs doivent encore fournir des efforts pour la consolider afin que son exercice soit conforme à la loi, à l’éthique et la déontologie, tout en jouant son rôle primordial dans notre processus de développement. 21