Orientation médicale d`un patient hébergé dans les structures du

Orientation dicale d’un patient héber dans les structures
du samu social après la survenue d’une crise comitiale.
Quand faut-il transférer un patient aux urgences ou faire appel
à un service d’aide médicale urgente ?
Dr Etienne Grosdidier – Samu social de Paris – Novembre 2004
Introduction
A. Objectif de ce travail
Il est de déterminer à l’aide de la littérature disponible une conduite à tenir raisonnable et
pragmatique vis-à-vis des patients en grande précarité hébergés dans les lits infirmiers du samu
social et qui présentent une crise comitiale.
Au décours d’un tel épisode, trois orientations sont possibles pour les patients :
1. Le maintien dans les lits infirmiers ;
2. Le transfert par un véhicule non médicalisé dans le service des urgences du secteur (par la
BSPP, une ambulance simple en communication ou non avec le SAMU de Paris) ;
3. La prise en charge médicalisée sur place par une équipe du SAMU ou des Pompiers de
Paris.
Le choix de l’orientation du patient doit tenir compte :
de la notion de prise de risque devant toute situation d’urgence (fonction des éléments qui
suivent) ;
de l’organisation de nos structures d’accueil, qui présentent un certain nombre d’originalités,
mais aussi de limitations ;
de l’organisation des urgences et du SAMU de Paris et de la perception qu’ont ces structures
de nos propres structures et de nos patients (et réciproquement) ;
de certaines spécificités de nos patients, souvent en rupture avec le système de soin
conventionnel ;
et, bien entendu, et avant tout des paramètres médicaux : déroulement de la crise et
antécédents du patient.
Il s’agit donc de proposer aux équipes un document leur permettant :
de juger d’une orientation vers un service d’urgence ou la prise en charge médicalisée sur
place du patient indispensable ;
de juger du caractère inutile voire délétère d’une telle orientation ;
de réagir au mieux dans les situations intermédiaires, lorsqu’un doute existe, en particulier
lorsqu’aucun médecin n’est présent dans la structure.
B. Limitations
Il ne sera question ici que des crises comitiales généralisées (d’emblée ou secondairement) ou
éventuellement partielle complexes, survenant chez des patients hébergés dans des structures de
type lits infirmiers. Lorsqu’un tel accident somatique survient dans une structure d’hébergement
simple (CHUS), même avec un médecin sur place, le transfert aux urgences par la BSPP (crise
simple) ou par moyen médicalisé (crises multiples voire état de mal) semble indispensable en raison
du manque de renseignements médicaux, des possibilités de surveillance très faibles (pas d’équipe
paramédicale).
Crise comitiale chez les patients en grande précarité. Quand diriger vers une structure hospitalière ? -2/15 -
Discussion
A. Généralis à propos des urgences au samu social
La notion de prise de risque en situation durgence [1]
Il existe dans toute situation d’urgence une obligation de soins
immédiats. La décision médicale urgente tient compte comme Le principe de précaution
« II définit l'attitude que doit observer toute per-
ailleurs des données cliniques, du bénéfice attendu des soins et sonne qui prend une décision concernant une
de leurs risques classiques (iatrogènes), du coût social. La activité dont on peut raisonnablement supposer
qu'elle comporte un danger grave pour la santé ou
particularité de la situation d’urgence pré hospitalière est qu’il la sécurité des générations actuelles ou futures, ou
est également nécessaire de tenir compte du contexte, c’est-à- pour l'environnement. Il s'impose spécialement
dire de l’interaction entre le médecin ou l’équipe aux pouvoirs publics qui doivent faire prévaloir
les imratifs de santé et decurité sur la liberté
paramédicale, le malade et l’environnement : expérience et des échanges entre particuliers et entre États. Il
commande de prendre toutes les dispositions
caractéristiques émotionnelles, affectives des soignants ; permettant, pour un coût économiquement et
expériences antérieures du patient qui exercera des pressions, socialement supportable, de détecter et d'évaluer
le risque, de le réduire à un niveau acceptable et,
heure de la journée, caractéristique du lieu ; disponibilités, si possible, de l'éliminer, d'en informer les
difficultés d’accès et réactions habituelles (attendues, espérées personnes concernées et de recueillir leurs
suggestions sur les mesures envisagées pour le
ou craintes) des services d’urgences ; voire certaines traiter. Ce dispositif de précaution doit être
contingences purement techniques (absence de couverture proportionné à l'ampleur du risque et peut être à
sociale, d’ambulance disponible…). tout moment révisé. »
Kourilsky F, Vilney G. Le principe de précaution.
Il devient également nécessaire de tenir compte du « principe Ed. Odile Jacob, Paris 2000.
de précaution » dont l’extension à la pratique médicale à été
entérinée par l’évolution du droit.
Les facteurs qui vont pondérer le choix médical en situation d’urgence sont donc nombreux, très
divers, ce qui multiplie le risque pris lors de la décision. Il est particulièrement complexe à gérer car
difficile à évaluer dans des situations médicales non programmées, souvent non ou mal balisées par
des référentiels consensuels et impossible à comparer à un « niveau acceptable de risque » qui serait
admis par les patients et l’ensemble de la communauté médicale.
Les facteurs qui vont permettre de limiter ce risque sont :
sa prise de conscience et la compréhension qu’il existe forcément entre les situations
extrêmes où la conduite à tenir ne fait aucun doute, des zones floues pour lesquelles il ne
peut y avoir des décisions qu’au cas par cas, équipe par équipe ;
l’information claire des personnes concernées, et donc du patient, ce qui n’est pas toujours
simple au samu social (barrre linguistique, troubles cognitifs ou psychiatriques fréquents),
a fortiori au décours d’un épisode neurologique aigu… ;
l’équipe ;
la possibilité d’une courte temporisation (surveillance de courte durée à l’infirmerie)
permettant d’évaluer l’évolution immédiate d’une situation.
Organisation médicale des lits infirmiers
Les lits infirmiers sont de petites structures d’hébergement (30 à 80 lits), en chambres généralement
multiples. Ils abritent pour des soins de base des patients en théorie SDF, désocialisés, sans
possibilité d’autre hébergement pour recevoir ces soins. Les patients doivent présenter une
pathologie stabilisée et ne pas être grabataires.
La présence paramédicale et médicale est organie de la façon suivante :
il existe une permanence paramédicale (1 à 2 IDE pour 40 patients, aides-soignant(e)s aidés
par des « auxiliaires de vie ») 24h/24.
un médecin est présent le matin (7j/7).
Crise comitiale chez les patients en grande précarité. Quand diriger vers une structure hospitalière ? -3/15 -
Des soins infirmiers de base (pansements, injections, surveillance des constantes) sont dispensés à
l’infirmerie ; la délivrance et le contrôle de la prise des traitements per os sont effectuées au cours
des repas, au réfectoire commun.
Les consultations médicales ont lieu le matin, dans le cabinet médical (ou à l’infirmerie).
Les examens complémentaires (biologie, imagerie) sont réalisés sur rendez-vous dans les structures
libérales voisines lorsque les patients disposent d’une couverture sociale (dans le cas contraire, les
dispositifs de la ville de Paris sont utilisés).
Sauf exception, aucun soin, en dehors de la surveillance ponctuelle des constantes de base, et
aucune consultation médicale ne se fait au lit du patient.
Aucune surveillance continue des patients n’est possible ; une surveillance rapprochée, à
l’infirmerie par exemple, ne se conçoit que pour une courte durée (1 à 2 heures).
Les patients ne peuvent donc recevoir de perfusion IV dans ces centres ; aucune oxygénothérapie,
même pour une courte durée, n’est possible.
Aucun examen complémentaire n’est possible en urgence : ni biologie, ni ECG, ni imagerie.
En dehors des plages de consultation médicales du matin, il est possible d’avoir un avis
téléphonique auprès d’un médecin d’astreinte, qui peut conseiller l’équipe, mais pas examiner le
patient. Après de nombreuses années de ce fonctionnement, il n’a pas paru que l’utilisation de
structures de médecins libéraux urgentistes apporte un quelconque bénéfice à la prise en charge de
nos patients par rapport au couple médecin d’astreinte/urgences secteur.
Du fait de cette organisation, le maintien sur place d’un patient « instable » (risque de
décompensation et/ou d’engagement du pronostic vital ou d’un pronostic « fonctionnel
neurologique », imposant une surveillance régulière voire continue prolongée) ou nécessitant un
traitement IV continu (même aussi simple qu’une perfusion glucosée) ou une exploration urgente
est impossible.
L’utilisation des services d’urgences secteur et du SAMU
Un transfert aux urgences est un acte médical qui présente des bénéfices mais aussi des risques. Il se
justifie devant un patient présentant une situation clinique instable ou mal expliquée, justifiant d’un
examen médical et/ou d’un avis spécialisé urgent et/ou d’une surveillance particulière et/ou des
examens complémentaires immédiats et/ou une thérapeutique particulière et/ou une hospitalisation.
Les risques d’une consultation « non motivée » (ou perçue comme telle) et donc non sanctionnée
par une intervention spécifique doivent être pris en compte :
effet délétère pour le patient en lui imposant un aller-retour inutile, parfois un long délai
d’attente, un jeûne injustifié… ;
exposition inutile au risque iatrogène propre aux urgences (y compris les chutes de
brancard…) ;
diminue la confiance déjà parfois altérée que peut avoir le patient envers le système de soin,
y compris celui du samu social ;
risque de refus d’une consultation ultérieure aux urgences dans une situation où elle sera
indispensable ;
augmente le risque de perte de vue du patient (fugue…), particulièrement dommageable
après un événement somatique aigu ;
et donc risque de mettre en péril la prise en charge du patient.
Un appel au SAMU (centre 15) permet de prendre l’avis 24h/24 auprès d’un médecin régulateur
parfaitement rompu à cette situation d’urgence mais qui peut mal connaître nos structures et les
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particularités de nos patients. Il doit être effectué au minimum par une IDE, si possible qui connaît
le patient, et qui aura rapidement préparé l’appel :
en sortant le dossier médical du patient et sa fiche de traitement ;
en notant afin de pouvoir les préciser d’emblée les éléments essentiels de la discussion
médicale (cf. infra). Cet appel pourra être conclu de 3 façons par le médecin du SAMU :
-proposition d’un maintien sur place avec éventuellement conseil d’une conduite à tenir
(surveillance, rappel du centre 15 ou transfert aux urgences en fonction d’éléments
évolutifs)
- envoi d’une ambulance non médicalisée pour transfert aux urgences ; cette option
d’apparence sécurisante sera très largement prescrite ;
-envoi de moyens médicalisés.
B. L’évaluation clinique pré-hospitalière des patients
Démarche
Le recueil de l’ensemble des données suivantes est indispensable afin de déterminer au mieux la
situation clinique :
âge, état général ;
chez la femme, grossesse avérée ou possible ;
principaux antécédents, en particulier :
-cardiovasculaires (IDM, troubles du rythme cardiaque, insuffisance cardiaque, AVC) ;
-pulmonaires ;
-infectieux (VIH…) et hématologiques ;
-« toxicologique » : abus d’alcool et accidents de sevrage, drogues illicites, abus de
médicaments… ;
-diabète ;
-psychiatriques (diagnostics différentiels) ;
-trouble de l’hémostase d’origine médicamenteuse (anticoagulants, antiagrégant…) ou
non (cirrhose, thrombopénie d’autre origine…) ;
-notion de TC récent.
histoire de la maladie épileptique (étiologie, traitements, séjours éventuels en réanimation) ;
traitements en cours autres que les anticomitiaux, en particulier ceux qui diminuent le seuil
épileptogène (plus de 300 molécules, les plus fréquemment impliquée en pratique clinique
sont rapportées dans le Tableau 1) ou qui présentent un risque particulier (anticoagulants,
antiagrégants, insuline, hypoglycémiants oraux, diurétiques) ;
traitements arrêtés récemment s’ils exposent à un risque de sevrage (benzodiazépines,
anticonvulsivants prescrits à but sédatif, certains thymorégulateurs…) ;
description de l’épisode actuel (aura, description du déroulement de la crise par les témoins,
durée, durée de la confusion post-critique ; retour ou non à l’état neurologique antérieur, ré-
cidive rapide de la crise, survenue de complications telles que traumatisme, vomissement) ;
constantes de base : T°, Fréquence et rythme cardiaque, PA, FR, glycémie capillaire ;
éléments cliniques de base :
-hématose, signes de choc ;
-morsure du bord latéral de la langue ;
-conscience, déficit neurologique évident persistent ;
-traumatisme : plaie à suturer, luxation (épaule), fracture…
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Tableau 1. Molécules les plus fréquemment rapportées comme étant à l’origine de crises
comitiales iatrogènes
Agents de contraste iodés Ergot de seigle et ses dérivés
Anesthésiques (ketamine, halothane, enflurane, propanidide) Folique acide
Anesthésiques locaux (bupivacaïne, lidocaïne, procaïne,
etidocaïne), en particulier sur peau lésée et sous pansements
occlusifs
Hypoglycémiants oraux
Insuline
Isoniazide
Anticholinergiques Méfénamique acide
Anticholinesterasiques (organophosphates, physostigmine) Methylxanthines
Antidépresseurs tricycliques tronidazole
Antihistaminiques Misonidazole
Baclofène Nalidixique acide
Bêta bloquants (propranolol, oxprenolol) Neuroleptiques
Bronchodilateurs Oxygène hyperbare
Bupropion Oxytocine (SIADH)
Camphre Penicillines
Chlorambucil Phéncyclidine
Cocaïne Phénobarbital
Cycloserine Phénytoïne
Cyclosporine A Prednisone (sur hypocalcémie)
rivés morphiniques utilisés en anesthésiologie (fentanyl,
meperidine, pentazocine, propoxyphène)
Solutés parentéraux hyperosmolaires
Vitamine K (oxyde)
Agents de contraste iodés
Anesthésiques (ketamine, halothane, enflurane, propanidide)
Anesthésiques locaux (bupivacaïne, lidocaïne, procaïne,
etidocaïne), en particulier sur peau lésée et sous pansements
occlusifs
D’après Messing RO, Closson RG, Simon RP: Drug-induced seizures: A 10-year experience. Neurology 34:1582,1984.
Ces éléments permettent de distinguer 5 situations
1. Situation n°1 : crise comitiale « simple ». Le maintien sur place sur place du patient
Il s’agit d’une crise comitiale occasionnelle ou s’ingrant dans le cadre d’une épilepsie maladie,
répondant aux critères suivants :
-La crise est unique ou, chez un épileptique connu, ne se répète qu’une fois dans les
24h00 avec retour à l’état neurologique initial entre les crises ;
-Durée de la crise < 5 minutes ;
-Durée de la confusion post-critique < 30 minutes ;
-Retour à l’état neurologique initial du patient ;
-Retour à l’état clinique (hors neurologique) initial du patient ;
-Elle ne s’accompagne d’aucun des critères de complication mentionnés dans le
tableau 2. En l’absence de médecin, lorsque l’équipe infirmière est seule, la
recherche et l’interprétation de certains éléments (en italique) peuvent être plus
délicats. Au moindre doute, voire de façon systématique, un avis médical télépho-
nique auprès du médecin d’astreinte (ou du médecin régulateur du SAMU) s’impose.
Selon la conférence de consensus de l’American College of Emergency Physician [2], aucune
intervention urgente en milieu hospitalier dans ce contexte n’est justifiée par des recommandations
de grade A. Il existe toutefois des recommandations de grade B pour la réalisation d’examens
biologiques de base et de grade C pour la mise en place de certains traitements I.V.
Les examens biologiques urgents dans le contexte de la crise comitiale unique non compliquée.
Les seuls examens discutés sont (recommandations de grade B [2]) :
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