VOLUME 13 / No 52 / DÉCEMBRE 2013
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le concours d’un confrère chirurgien ortho-
pédique. Au bout de quatre jours, la victime, dont
l’état s’est aggravé, est transférée à l’hôpital, où elle
décède des suites de ses blessures.
Le rapport d’expertise, établi dans le cadre de la pro-
cédure pénale engagée par la famille du défunt, met
en évidence un retard de prise en charge adaptée, du
fait du maintien du patient dans la polyclinique et de
l’absence de transfert plus précoce en milieu spécialisé.
La Cour de cassation confirme la condamnation des
deux médecins pour homicide involontaire sur le
fondement de l’article 121-3 du
code pénal. Les praticiens ont
commis une faute caractérisée,
par manque de compétence:
ils auraient dû s’adjoindre le
concours d’un anesthésiste,
indispensable en cas de brûlures
importantes, et envisager plus
précocement le transfert vers
un établissement traitant les
grands brûlés. Selon la Cour,
«constitue nécessairement une
faute caractérisée pour un mé-
decin de prendre en charge, sauf
circonstances exceptionnelles, une pathologie relevant
d’une spécialité étrangère à sa qualification dans un
établissement ne disposant pas des équipements néces-
saires».
En dehors de circonstances exceptionnelles (peut-être
l’urgence ou l’impossibilité de faire appel à un confrère
plus spécialisé ?), un médecin qui prend en charge
des patients présentant une pathologie étrangère à
sa spécialité pourrait donc se voir reprocher une faute
caractérisée au pénal, justifiant une condamnation.
La notion d’omnivalence se trouve donc éclairée sous
un jour nouveau, beaucoup plus restrictif…
Il faut aussi prendre en compte les limites physiques
d’un praticien, déjà en charge de son unité et auquel
les urgences imposent, contre son avis, des héberge-
ments. Comment peut-on parler d’«équipe demandeuse»
quand elle ne demande rien ? Passer une demi-journée
à gérer les hébergements éloigne le praticien des patients
qu’il a en charge dans sa propre unité et accroît sen-
siblement le risque d’erreur pour les patients des deux
unités. Comment assurer un suivi personnalisé, prendre
connaissance du résultat des examens prescrits, adap-
ter au plus juste les traitements entrepris ? Quand la
spécialité du service hébergeant le patient est très
éloignée de la pathologie traitée (on a déjà vu des
patients de chirurgie orthopédique en maternité !),
l’exercice est encore plus complexe car le praticien
peut encore moins compter sur le personnel du service
hébergeur. De plus, cet éclatement professionnel peut
conduire à un épuisement de tous, interrogeant sur
la responsabilité (tant vis-à-vis des victimes des erreurs
que du personnel) de l’administratif qui impose ces
hébergements sans concertation, interrogation d’autant
plus justifiée que, juridiquement, c’est le directeur qui
prononce les admissions.
w Quelques conseils de prévention
La solution réside certainement dans une véritable
charte de l’hébergement par pôle, discutée et accep-
tée par tous les acteurs concernés (médecins, soi-
gnants, administratifs). L’objectif est d’abord ne pas
faire perdre de chance aux
patients «bénéficiaires» de
ces hébergements, mais aussi
de ne pas exposer juridique-
ment les acteurs de ces héber-
gements (structures héber-
geantes et équipe demandeuse).
En l’absence de concertation
(comme c’est actuellement
souvent le cas), il est conseillé:
•d’entamerunediscussion
entre l’administration, le ser-
vice des urgences, les pôles
et départements, à laquelle
doivent participer tous les acteurs (et pas unique-
ment les directeurs, cadres supérieurs de santé et
coordinateurs) ; tous les médecins prenant des as-
treintes doivent pouvoir s’exprimer, un résumé de
ces réunions doit être produit et approuvé par ces
acteurs ;
•
qu’un système permette d’identifier tous les matins
la liste des patients hébergés ; le cadre de santé de
l’équipe hébergeante pourrait chaque jour contacter
son homologue dans le service d’hospitalisation
conventionnelle où le patient aurait dû aller, afin de
rechercher le premier lit libéré, et faire informer (ou
confirmer que l’information a été donnée) le méde-
cin d’astreinte en l’absence de place rapide ;
•
que le médecin qui se voit imposer cet héberge-
ment, s’il considère que cela met le patient en dan-
ger, le note dans le dossier (et en précise les raisons) ;
•que l’administratif (directeur, cadre de santé) qui
impose un malade en hébergement le fasse par écrit
et/ou que son nom apparaisse sur le dossier du
patient hébergé.
Au vu de toutes ces difficultés, on ne peut qu’être
réservés face à l’annonce faite par la ministre de la
Santé de créer des «gestionnaires de lits» ou «bed
manager» au lieu de lits supplémentaires, afin de
résoudre les problèmes rencontrés dans les services
d’urgence. La multiplication des hébergements qui
pourrait bien en résulter n’irait alors pas dans le
sens de l’amélioration de la sécurité des patients…n
« Passer une demi-
journée à gérer les
hébergements éloigne
le praticien des patients
qu’il a en charge dans
sa propre unité et accroît
sensiblement le risque
d’erreur pour les patients
des deux unités. »
dossier Hébergements