RÉINVENTER LA TECHNOLOGIE DE L'ÉDUCATION par HENRI DIEUZEIDE Extrait de la Revue Internationale de Pédagogie, XXXII, 1986, Institut de l'UNESCO pour l'éducation ABSTRACT - The optimistic approach to the uses of mass communication in education whichdeveloped in the 1960s has not been confirmed by the accomplishments that have taken place in the past 25 years, although some activities in the field have been remarkable. The reasons are many: some are internal to the educational systems and others are linked with the evolution of technological changes in society. There are, however, some guidelines that can be derived from the best of educational technology in the past 25 years which lead us to think that a more global and cultural approach should be taken in relation to the world of communication and education. There is a future for educational technology provided enough resources are invested in the creation and exploration of new configurations. RÉSUMÉ - L'approche optimiste des usages de la communication de masse dans le domaine de l'éducation qui s'est développée dans les années soixante n'a pas été soutenue par toutes les réalisations qui ont été accomplies lors des 25 dernières années, bien que quelques activités aient été remarquables dans ce domaine. Les raisons en sont nombreuses : certaines sont inhérentes aux systèmes d'éducation, d'autres sont liées à l'évolution des changements technologiques qui s'opèrent dans la société. On peut, cependant, tirer quelques lignes directives du meilleur de la technologie de l'éducation au cours des 25 dernières années, qui nous amènent à penser qu'une approche plus globale et culturelle devrait être choisie en ce qui concerne le monde de la communication et de l'éducation. La technologie de l'éducation continuera à se développer dans le futur à condition que des ressources suffisantes soient investies dans la création et l'exploration de nouvelles configurations. La généralisation des techniques de communication de masse, notamment des techniques électroniques dans les années 60, avait soulevé des espoirs considérables dans les milieux éducatifs tant dans les pays industrialisés que dans les pays en développement. Dans les pays industrialisés, cette généralisation coïncidait avec la volonté de reformer les systèmes éducatifs élitistes et traditionnels pour mieux répondre aux exigences du développement industriel. Utiliser les technologies de communication dans l'éducation offrait une manière élégante et neuve de faire du progrès scientifique le moteur d'un enseignement rénové. Ces espoirs théoriques se groupaient autour de trois pôles. D'abord, ouvrir plus largement la distribution du savoir : rendre l'information accessible au plus grand nombre, aider à accélérer le transfert des techniques vers les régions moins développées, étendre à de nouvelles catégories de population l'accès à la connaissance et à la formation théorique, en un mot démocratiser l'éducation. Le deuxième pôle était celui de l'optimalisation de l'apprentissage, les systèmes de communication fournissant de nouveaux systèmes symboliques permettant d'exprimer et de transférer plus rapidement et plus efficacement le savoir. Certains voyaient dans l'emploi systématique des médias, soit l'occasion d'ébaucher une pédagogie interculturelle fondée sur les valeurs universelles immédiates de l'image et du graphisme, soit l'occasion au contraire de développer et de diffuser de nouveaux contenus éducatifs plus proches des cultures locales (conscientisation). Certains rêvaient même de modèles cybernétiques 2. automatisés et contrôlés. La plupart espéraient aboutir à une nouvelle organisation des processus scolaires qui redistribuerait les rôles des enseignants. Un troisième pôle était constitué par la réflexion économique encouragée par la diminution constante du coût du matériel électronique et l'accroissement concomitant de ses capacités. Puis venait l'idée qu'une utilisation systématique de moyens de présentation de la connaissance permettrait de stocker et répéter le savoir à son meilleur coût, et, par conséquent, d'économiser sur les coûts du personnel enseignant. Plus généralement, l'utilisation des technologies de communication devait transformer l'économie de l'éducation en accroissant de façon significative le rendement du système éducatif, en réduisant les échecs et en éliminant les déperditions scolaires. C'est ainsi que l'introduction de la télévision scolaire en Côte d'Ivoire était fondée sur le principe d'un accroissement des frais de fonctionnement du système éducatif de l'ordre de 8 pour cent pour une réduction des déperditions et des redoublements de l'ordre de 50 pour cent. Enfin ces moyens permettraient d'assurer une formation et un recyclage permanent et intensif des maîtres tout en les maintenant en exercice. Dans les pays en développement venaient s'ajouter à ces idées celles que l’appel systématique à la communication de masse permettrait de court-circuiter les lenteurs inhérentes à la mise en place d'un système éducatif traditionnel en facilitant une distribution généralisée et rapide de savoirs de base à une quantité beaucoup plus grande de populations dépourvues de toute éducation. Pour les économistes et pour les planificateurs des économies d'échelle étaient à envisager, et des effets politiques et sociaux considérables pourraient être retirés de la distribution généralisée d'un message de qualité constante sur l'ensemble du territoire. Elle permettrait de hâter à la fois la démocratisation de l'éducation et la constitution de l'unité nationale. La séduction indéniable des médias devrait attirer l'intérêt des populations et les motiver à des tâches de développement économique et social (conscientisation). Dans cette perspective on a vu le concept s'enrichir progressivement. On est parti d'un emploi de techniques généralement extérieures à l'école comme outils, procédés, supports, matériels, dispositifs techniques susceptibles d'enrichir l'école et de soutenir l'enseignement (technologie dans l'éducation). On a vu se développer le concept de technologie de l'éducation qui se proposait d'appliquer à l'éducation non seulement des outils mais des méthodes de réflexion visant à combiner les ressources humaines et matérielles disponibles en vue de la réalisation d'objectifs d'éducation, en faisant appel à l'approche systémique pour mettre en relation les moyens et les objectifs. Dans cette perspective, l'éducateur se voit assigner un rôle d'ingénieur de l'éducation chargé d'accroître le rendement de la machine scolaire. Poursuivant cette réflexion, certains en sont venus à proposer des technologies intermédiaires ou adaptées, en particulier à l'intention des pays en développement, qui se fonderaient sur l'utilisation de matériaux ou de modèles disponibles localement (approche endogène de l'éducation), dans une perspective d'accroissement de l'efficacité des éducateurs : enseignement mutuel, production de matériels à bon marché, mise au point de systèmes d'autoapprentissage. Comment ces principes ont-ils été traduits dans les faits jusqu'ici ? Force est de constater que les projets les plus ambitieux et les plus spectaculaires fondés sur des perspectives de distribution de messages à de vastes territoires n'ont pu se maintenir entre 1965 et 1985. La télévision éducative aéroportée du Moyen Orient aux États-Unis a pris fin rapidement. Le projet de satellite pour l'éducation rurale en Inde a dû être arrêté après sa période expérimentale. Les six canaux de télévision éducative de Samoa ont cessé d'émettre. Certains grands projets planifiés ont souvent souffert d'être liés à des décisions de caractère politique plus que technique : ainsi ont sombré au gré de la conjoncture la télévision éducative d'Iran, la radio éducative en Afghanistan, la formation audiovisuelle des maîtres au Liban, l'université ouverte palestinienne, la télévision scolaire pour le premier cycle du secondaire au Salvador. 3. En revanche, d'autres ont connu des conséquences inattendues: certains ont été arrêtés en plein élan. Le cas le plus connu est celui de la Côte d'Ivoire qui en élevant brusquement le niveau de sortie de l'école primaire rénovée sur l'ensemble du territoire national a gonflé de façon aussi démesurée que soudaine la demande pour un enseignement secondaire qui n'a pas été en mesure de l'absorber. L'orientation initiale ouverte (développement communautaire rural) avait été ramenée en cours de route à des objectifs scolaires traditionnels sans que les conséquences de cette conversion aient été exactement mesurées. D'autres projets qui ont survécu l'ont fait en s'écartant de leurs objectifs initiaux: c'est le cas de Sesame Street (qui devait préparer les jeunes enfants d'âge préscolaire qui appartenaient aux catégories sociales défavorisées ou même résolument marginales à tirer un meilleur parti de leur scolarisation et en particulier à faciliter leur intégration dès leur entrée à l'école obligatoire) et devenu un programme très populaire chez les enfants des classes moyennes qui n'en avaient pas besoin. Un autre cas est celui de Open University au Royaume-Uni destiné par ses initiateurs à faciliter l'accès des travailleurs de la classe ouvrière à l'enseignement supérieur. Elle a finalement été utilisée principalement par les enseignants désireux d'acquérir des diplômes universitaires, devenant une immense école normale supérieure par les ondes. D'autres projets comme la radio rurale en Amérique latine, la radio et la télévision pour la formation des maîtres en Pologne ont su se stabiliser autour d'objectifs précis et relativement modestes. D'autres entreprises ont connu le succès parce qu'elles correspondaient à des besoins socio-éducatifs profonds qui ne pouvaient pas être satisfaits autrement. C'est le cas par exemple des entreprises d'enseignement à distance qu'il s'agisse d'universités par correspondance ou de télé-enseignement industrialisé pour les handicapés, ou le succès dès sa création de l'Université à distance chinoise qui permettait aux étudiants envoyés aux champs de garder le contact avec les activités universitaires. On évalue actuellement à 60 millions le nombre de jeunes chinois qui étudient l’anglais par radio et par télévision, soit un nombre supérieur à la totalité des citoyens britanniques. D'une façon générale, les micro opérations bien intégrées au niveau des établissements scolaires ont mieux résisté que les grandes entreprises dotées de structures autonomes. C'est le cas un peu partout des laboratoires de langues pour l'enseignement des langues ou l'utilisation de la vidéo dans les établissements de formation de maîtres. Quelles sont les raisons de ce tri sévère et de ce déchet important? Pourquoi ce décalage entre les ambitions affirmées et les résultats ? D'une façon générale, on constate que la visibilité particulière qu'une société accorde à une innovation éducative fondée sur l'emploi de technologies de communication expose toujours cette innovation à être évaluée avec plus de sévérité que celles qui sont introduites plus discrètement (réformes des contenus par exemple). Par ailleurs, dans de nombreux cas, les objectifs ont été insuffisamment définis soit que la précipitation ait présidé à la mise en place de campagnes ou de projets (la hâte étant généralement la caractéristique du pouvoir politique désireux de ne pas laisser à ses successeurs le bénéfice de ses initiatives), soit qu'une approche systématique n'ait pas été effectivement appliquée à la mise en place des opérations. Faute d'objectifs globaux, l'intégration du développement des programmes scolaires avec la production de matériels didactiques et son harmonisation avec la formation des maîtres ont souvent été négligées. Une autre raison a été le coût excessif, notamment dans les pays en développement, d'un système technologique dont le système éducatif a dû assumer tout seul la mise en place et la gestion, sans avoir la possibilité de faire appel à des systèmes de communication déjà installés. Il a dû en conséquence assumer seul les coûts sans pouvoir les partager avec les autres utilisateurs. Il faut aussi souligner les difficultés inédites rencontrées dans le fonctionnement de projets innovateurs de cette nature, et notamment au niveau de l'articulation entre le réseau de distribution et la production de programme. Dans les pays en développement, en particulier, les spécialistes pour mettre en place des infrastructures, assurer la maintenance, organiser la production ont, à plusieurs reprises, cruellement fait défaut d'autant que le 4. financement de l'équipement (crédits d'investissement) a toujours été privilégié par rapport à celui de la production de programmes (crédits annuels de fonctionnement). L'assistance technique apportée aux pays en développement a par ailleurs été souvent insuffisante, certains pays en développement estimant même parfois que celle-ci n'était pas indispensable à la mise en place de projets innovateurs. De même, l'évaluation et le contrôle n'ont pas toujours fait l'objet d’une attention suffisante. On a voulu trop souvent mesurer les résultats trop partiellement et sur des périodes de temps trop courtes alors que les effets d’une réforme éducative ne peuvent être mesurés que de façon longitudinale sur des périodes de temps significatives. L'une des raisons principales de l’échec au moins apparent de ces projets provient de ce qu'ils ont été souvent conçus d'une façon insuffisamment évolutive en général à cause de la complexité qu'appelait leur organisation ; ils ont eu parfois une grande difficulté à s'adapter aux circonstances, à l'évolution des besoins ou des techniques. C'est ainsi que des projets de radio et de télévision qui cherchaient à pallier rapidement certaines déficiences éducatives passagères ont voulu continuer à fonctionner alors même que leur action efficace avait contribué à éliminer les problèmes qui avaient provoqué leur création. Tels ont été les cas de la Telescuola italienne et d'autres projets de radio-télévisions visant à l'élimination de l'analphabétisme dans une région donnée. Mais l'évolution de la technologie éducative et son avenir n'ont de sens que si on les interprète par rapport aux profonds bouleversements qu'ont connu depuis vingt ans l'éducation, les technologies de communication et le concept même de développement. En effet, dans les pays industrialisés, le développement depuis 1960 d'une forte critique interne de l'éducation (contestation étudiante, thèse de la déscolarisation) a fortement ébranlé les modèles mécanistes et producturistes de l'éducation qui avaient souvent inspiré les projets de technologie éducative. L'aspiration à une éducation renouvelée qui serait fondée sur les échanges individuels, le travail de groupe, la convivialité s'est révélée difficilement compatible avec une communication industrialisée. La crise économique de 1973 a souligné l'importance pour l'éducation d'épouser le mouvement technologique et industriel et de former des producteurs autant que des citoyens mais n'a pas réussi à proposer de nouveaux rôles pour la technologie éducative. Certains promoteurs ont cherché alors à faire de certains pays producteurs de pétrole une vitrine de démonstration pour la technologie éducative en les poussant à des investissements considérables qui utilisaient des modèles occidentaux surdimensionnés par rapport aux besoins réels du pays, contribuant ainsi à éloigner plus encore les pays en développement d'un usage approprié de la technologie éducative. De leur côté, les techniques de communication ont subi pendant la même période des modifications profondes: sur le plan technique, les grands moyens de communication ont accéléré la sophistication de leur matériel, la massification de la communication s'est brusquement accrue avec le recours aux satellites, la diversification des médias s'est affirmée avec l'apparition des petits médias (vidéo), puis les médias interactifs (vidéodisque). Parallèlement, les institutions de communication traditionnelles ont été remises en cause: revendication du libre accès aux médias, de professionnalisation de la communication, diversification des publics, etc. Enfin et surtout, les modèles de développement se sont eux-mêmes modifiés : dans les années 70, la révolution industrielle n'apparaît plus dans les pays de civilisation agraire comme le vecteur inévitable de la démocratisation et de l'égalité, la notion de rattrapage technique des pays industriels soit par les voies du modèle libéral, soit par celles du modèle socialiste est abandonnée, les inégalités paraissant s'accentuer malgré les progrès réels accomplis ça et là. On s'attache donc à explorer des formes de développement spécifiques endogènes et autochtones et, par conséquent, divergentes et différenciées selon les situations économiques géographiques, sociales, culturelles, plutôt qu'à chercher à rejoindre à tout prix un modèle universel jugé désormais inauthentique autant qu'inaccessible. 5. La technologie éducative inventée par les pays industriels tend donc à ne plus figurer au premier rang des préoccupations des réformateurs de l'éducation. Seules trouvent grâce celles qui se coulent aisément dans les contraintes économiques et culturelles du développement endogène comme la radio locale ou la presse rurale, et aujourd'hui, dans certains cas, la micro informatique. Dans ce paysage bouleversé, y a-t-il quand même des règles d'action validées par vingt années d'expérience ? La technologie a réussi à s'imposer au niveau micro plutôt qu'au niveau macro lorsqu'elle n'a pas lié son sort aux grandes institutions, systèmes et organismes qui se retrouvent actuellement en crise. Le modèle technologique imposé comme rattrapage ou court-circuit semble avoir vécu. Ce qui a trouvé sa place dans l'éducation, c'est la technologie soigneusement sélectionnée et dont l'emploi a été négocié à tous les niveaux de l'éducation, celle qui a été inscrite dans des visées à long terme compatibles avec des traditions vivaces et non dans la recherche de résultats de rupture immédiate à tout prix. Il faut retenir d'abord que les problèmes de l'innovation technologique dans l'éducation sont moins spécifiques de l'éducation que de la technologie. Ils s'inscrivent d'abord dans un certain nombre de contraintes communes à toutes les entreprises de développement et de coopération internationale. Le succès d'un projet est fonction de l'existence d'un milieu réceptif à la technologie, c'est-à-dire d'un milieu qui comprenne et accepte l'innovation et soit capable de maîtriser le fonctionnement des appareillages et d'en assurer la maintenance et plus encore qui soit susceptible de maintenir un niveau de créativité et d'invention suffisant en ce qui concerne ses applications. La télévision s'est développée avec le plus d'originalité dans les pays de culture plastique et de communication traditionnellement hiérarchisée (Japon, Italie). L'informatique s'est enracinée au sein des sociétés où dominent la communication symbolique, le traitement des données, la pratique des probabilités. Vient ensuite la nécessité d'embrasser le développement dans toute sa complexité. Le développement doit rester fidèle aux exigences de la rationalité, mais aussi prendre en compte les systèmes de valeurs culturelles. Or, trop souvent, tel aspect technologique exagérément valorisé à cause de sa nature même, comme l'information, a pu apparaître comme la solution d'un problème alors qu'il n'en constituait qu'un élément parmi d'autres. Or, le développement doit être à la fois global, endogène, intégré. L'assistance internationale pour le développement sait aussi aujourd’hui qu’il convient de veiller à mieux intégrer les réalités culturelles et sociales nationales dans lesquelles elle opère: l'existence des modes de communication ou de prises de décision différentes des pays industrialisés, d'une autre conception du temps, des distances, oppositions et tensions qui font la trame d'un pays comme l'opposition entre villes et campagnes par exemple. L'assistance internationale prend désormais conscience de ses responsabilités, s'agissant notamment de la capacité de survie d'une innovation technologique au sein de l'effort national lorsque l'assistance qui l'a créée vient à prendre fin. L'expérience a fait ressortir également d'autres contraintes qui, elles, sont propres aux technologies de communication. Celles-ci changent rapidement de forme et de nature, se complexifient et se diversifient, et par là même, les fonctions pédagogiques qu'on leur confie tendent à se diversifier. Le développement accéléré de la communication dans la vie quotidienne sensible même dans les pays les moins développés impose de nouvelles orientations à l'éducation. Les jeunes témoignent aux techniques électroniques, radio, 6. télévision, vidéo, informatique, un intérêt plus grand qu'à tout autre technologie moderne et une stratégie pédagogique efficace doit prendre appui sur cet intérêt, mais en dépassant rapidement le niveau de départ pour atteindre les niveaux effectivement créateurs et enrichissants. Le magnétoscope ne doit pas rester un présentateur de clips, ni le micro-ordinateur un flipper. Cet intérêt oblige également les éducateurs à dépasser la conception instrumentale des médias utilisés comme auxiliaires pédagogiques pour adopter une approche plus culturelle et plus globale de la communication. Il s'agit de préparer les jeunes à maîtriser la communication et à en tirer parti dans la vie quotidienne. Un enseignement critique (media education, computer literacy) succède à un emploi utilitaire: l'éducation à la technologie précède et évince parfois la technologie dans l'éducation. L'innovation pédagogique elle-même est en train de changer de nature. La progression multiforme de l'emploi des technologies (vidéo, micro-ordinateur) fait que l'impulsion n'est plus apportée d'en haut selon un modèle unique. L'innovateur n'est plus un chef d'orchestre qui règle la progression du changement et distribue les rôles en fonction d'objectifs préétablis. L'innovation progresse selon des rythmes qui ne sont plus contrôlables selon les procédures hiérarchisées traditionnelles. Elle est portée par des réseaux d'échanges entre unités actives sur le terrain. Moins directement soumis aux pressions industrielles et commerciales, l'éducateur est en mesure de moduler, manipuler et retourner la technologie pour lui donner des finalités originales et des micro objectifs à sa convenance. Où va la technologie de l'éducation ? L'idée a progressé que les technologies de communication sont plus que des outils ou des tuyaux, qu'elles produisent des significations nouvelles, qu'elles engendrent des processus mentaux nouveaux. Grâce à la diversification des techniques et à la décentralisation des décisions, le pouvoir pédagogique échappe progressivement au planificateur pour retourner à l'éducateur. Par ailleurs, la poussée actuelle de la micro informatique au sein du complexe de technologie éducative tend à détourner l'attention de la communication audiovisuelle en valorisant le traitement analytique et rationnel de l'information. Ce sera probablement une des tâches majeures des technologies de l'éducation dans les années qui viennent de trouver un régime qui permette d'équilibrer les apports des moyens audiovisuels et ceux de l'informatique au sein d'un même effort éducatif. Les intérêts que les uns et les autres soulèvent chez les jeunes, les savoirs qu'ils apportent, les processus mentaux qu'ils suscitent peuvent-ils être rapprochés et harmonisés à des fins de développement et d'apprentissage individuels et collectifs ? I1 faudra savoir dorénavant comment tirer parti à la fois et ensemble de la richesse polysémique et des apports à l'imaginaire des moyens audiovisuels et de l'analyse linéaire et de la culture numérique. Déjà l'organisation de l'informatique, des techniques interactives (à condition de ne pas sombrer dans la scolastique de l'analyse comportementale et de l'intelligence artificielle) pourrait montrer la voie. Il y a là une tâche d'autant plus urgente que les contradictions internes du milieu technique et leurs conséquences sur le développement intellectuel ne sont pas nécessairement perçues par les nouvelles générations. Nées avec ces technologies, elles ont en effet tendance à percevoir le milieu technique comme un milieu global et homogène sans faille. Or, ce qui compte aujourd'hui ce sont les capacités de création et d'invention chez les jeunes, c'est-à-dire la possibilité offerte de maîtriser des technologies présentes et futures. L'enjeu ne serait-il pas de produire plus d'improbable et plus d'imprévu, d'engendrer des emplois libérateurs de la technologie qui permettraient à la société future d'échapper à une logique purement industrielle marchande et consumériste ? En vérité, la technologie dans l'éducation n'est-elle pas encore à inventer ? 7. BIOGRAPHIE DE L'AUTEUR HENRI DIEUZEIDE (France) 1951-1956 Assistant et maître assistant, Laboratoire de pédagogie audio-visuelle, Ecole normale supérieure de Saint-Cloud, France. 1956-1967 Chef du Département de radio et télévision scolaire, Institut pédagogique national, Paris. 1967-1985 Directeur de la Division des sciences de l'éducation, contenus et méthodes, UNESCO.