développement, économie sociale et solidaire et démocratie

DÉVELOPPEMENT, ÉCONOMIE SOCIALE ET SOLIDAIRE ET
DÉMOCRATIE POLITIQUE
Par Lucile MANOURY et Maurice PARODI1
RÉSUMÉ2
Les auteurs font d’abord le constat, à partir d’un historique du développement, de la possible
jonction de l’économique au social consacré au Sommet de Copenhague en 1995 où l’on
introduisit la nécessité du partage de la richesse et du développement social. Ils affirment aussi
que le développement économique ne peut se faire sans démocratie politique. Tandis qu’au Nord,
c’est la reconnaissance et la visibilité de l’économie sociale qui est visée, au Sud, ce même type
d’économie pourrait devenir facteur de démocratisation à partir de certains de ses principes
organisationnels : liberté d’adhésion, gestion démocratique, éducation coopérative ou non-
lucrativité. Plus largement, l’économie sociale et solidaire pourrait devenir créatrice de
nouveaux espaces de participation qui favoriserait la démocratisation plus globale des diverses
sociétés.
DE QUOI PARLE T’ON ?
On prendra économie solidaire dans un sens large : économie sociale instituée (coopératives,
mutuelles, associations, fondations) et économie solidaire instituante ou « nouvelle économie
sociale », telle qu’elle a pu être caractérisée par de nombreux travaux3.
1 Lucile Manoury est politologue et charg e d tudes en conomie sociale et solidaire au Coll ge coop ratif
de Provences-Alpes-M dit rann e et Maurice Parodi est conomiste au Coll ge coop ratif d Aix en
Provence (France).
2 Cet article est aussi disponible en version anglaise et espagnole.
3 DEFOURNY Jacques, FAVREAU Louis, LAVILLE Jean-Louis (1998). Insertion et nouvelle conomie
sociale, un bilan international, Descl e de Brouwer; DEFOURNY Jacques, DEVELTERE Patrick, et
B n dicte FONTENEAU (1999). L conomie sociale au Nord et au Sud , De Boeck Universit .
DÉMOCRATISATION DU DÉVELOPPEMENT
Le processus de démocratisation du développement renvoie pour sa part à deux concepts clés,
développement et démocratie, qu’on s’attachera à clarifier.
Sans rentrer dans le détail des différentes approches du développement (Rostow et l’analyse du
sous-développement comme retard, l’analyse marxiste du sous-développement comme blocage,
etc.), on s’appuiera sur des approches comme celles de Lebret ou de Perroux qui ouvrent une voie
de réflexion sur ce que peut être un « développement solidaire ».
François Perroux, dans les années 1950, avait mis « la couverture des coûts de l’homme » au
cœur de ses définitions du développement. On dirait aujourd’hui la satisfaction des « besoins
essentiels » ( fundamental needs ) ce qui renvoie à la définition du « développement humain »
selon le PNUD4 :
Le développement humain est un processus qui conduit à l’élargissement des
possibilités offertes à chacun. Vivre longtemps, en bonne santé, être instruit et avoir
les ressources nécessaires pour jouir d’un niveau de vie convenable sont les plus
importantes. S’y ajoutent la liberté politique, la jouissance des droits de l’homme et
le respect de soi…
Il faut souligner qu’il a fallu attendre les années 1980, avec des économistes comme Hirschman,
pour que l’appréhension de la pauvreté, dont l’élimination constitue une cible centrale des
démarches de développement, ne se fasse plus sous le seul angle de la pauvreté (collective) des
nations, mais en tenant également compte des dimensions individuelles de la pauvreté. Ainsi la
Banque Mondiale publie depuis 1978 un rapport sur le développement dans le monde reposant
sur un vaste ensemble d’indicateurs économiques et sociaux. L’enjeu était, cependant, selon le
président MacNamara de « veiller à ce que les pauvres ne pâtissent pas indûment de l’adaptation
c’est à dire des Plans d’Ajustement Structurels (en préparation) ». Vingt ans plus tard, les experts
du PNUD ont renversé l’analyse. Le message central des experts du PNUD est simple : « si la
croissance du produit national brut (PNB) est indispensable pour atteindre tous les objectifs
humains essentiels, l’important est d’analyser comment cette croissance se traduit, ou ne se
traduit pas, en développement humain dans les diverses sociétés »; d’où la mise au point d’un
indicateur de développement humain, IDH, auquel ont, d’ailleurs, largement contribué des
économistes du Sud comme Amartya Sen.
Jusqu’à ce stade fort récent, il faut prendre acte du fait que si les indicateurs de la Banque
mondiale ont fourni une connaissance fine des profils de pauvreté, un des effets en a été une
absorption globale des crédits dans des programmes massifs de mesures statistiques de la
pauvreté, qui ont différé la mise en œuvre de projets concrets tels que l’accès à l’eau ou la
création d’activités économiques pour et avec les groupes les plus défavorisés.
F.Perroux ajoutait que le développement passe par « une modification des comportements qui
rend une population apte à entretenir durablement la croissance », ce qui évoque la capacité
(les « capabilities » selon Amartya Sen5), l’autonomie, c’est à dire, la participation des
membres de cette population (des « acteurs ») au processus de développement endogène (choix
des finalités et des objectifs, mise en œuvre, suivi). Mais le développement implique encore une
« répartition convenable (équitable) des fruits de la croissance ». Cette dimension du
développement a été particulièrement mise en valeur depuis le sommet de Copenhague sur le
développement social (1995). Si les individus sont la véritable richesse d’une nation (finalité
humaine du développement), alors on ne peut parler de développement si celui-ci ne
s’accompagne pas d’une réduction des inégalités et de la pauvreté monétaire ainsi que de la
pauvreté humaine.
Il n’est pas inutile, à cet égard, de rappeler les nouveaux indicateurs de pauvreté monétaire et de
pauvreté humaine du PNUD6. L’indicateur composite de développement humain (IDH) est
4 PNUD, Rapport mondial sur le d veloppement humain, 1997.
5 SEN, Amartya,(1999). Commodities and capabilities, United States, Oxford University Press, 102 p.
6PARODI, Maurice (2002). ˙˚La pauvret dans les pays riches et dans les pays en d veloppement˚¨, paru
dans un ouvrage collectif en hommage Bernard Rosier au Presses Universitaires de France (P. Dock s et
al., Ordre et d sordre dans l conomie-monde.
mesuré à partir de quatre indicateurs pondérés : l’espérance de vie à la naissance, le taux
d’alphabétisation des adultes, la moyenne d’années d’étude, le PIB réel par habitant ajusté. Cet
indicateur fournit une information plus précise du niveau de développement d’un pays que le seul
PIB par tête en PPA. Cet indicateur ne tient cependant pas compte des progrès accomplis en
terme de développement, et l’importance de la pauvreté humaine résiduelle amène à préciser un
indicateur de pauvreté humaine (IPH). L’IPH résulte d’une approche par les manques. Il repose
sur une mesure du pourcentage d’adultes risquant de décéder avant 40 ans, du pourcentage
d’adultes analphabètes et de pourcentage de personnes n’ayant pas accès aux services essentiels
(ainsi, on compte le pourcentage d’individus n’ayant pas accès aux soins de santés et à l’eau
potable, le pourcentage d’enfants de moins de 5 ans souffrant de malnutrition, etc.). On
remarquera que ces indicateurs ne témoignent pas, cependant, d’éléments fondamentaux pour les
processus de développement tels que la liberté politique ou encore l’impossibilité de prendre part
à la vie de la communauté...
Lors du sommet de Copenhague, le forum des ONG avait clairement dénoncé l’incompatibilité
entre le système économique dominant et les exigences du développement social :
[…] Nous, représentants de la société civile, appelons gouvernements et dirigeants
politiques à reconnaître que le système existant a ouvert la brèche la plus
dangereuse de l’histoire de l’humanité entre une minorité excessivement riche et
sur- consommatrice et une majorité des êtres humains qui s’appauvrit, au Sud mais
aussi, de plus en plus, au Nord. Aucune nation divisée de façon aussi dramatique
n’est restée stable très longtemps; aucune frontière ni aucune force ne peut contenir
le désespoir et le ressentiment qu’un système en faillite génère actuellement de
façon si intense.
En résumé, aujourd’hui, après un demi-siècle de développement ou de non-développement des
pays du tiers monde, mais aussi des pays riches du « club » de l’OCDE, certains attributs du
développement ou qualificatifs qui le caractérisent semblent faire plus ou moins consensus :
endogène, participatif (donc forcément décentralisé), humain ou social, équitable.
Ces attributs du développement envahissent aujourd’hui les discours des institutions
internationales. On est cependant en droit de se demander si ces notions, notamment celle du
développement participatif, sont suffisamment intégrées par les différentes parties intéressées au
développement ou si elles ne cautionnent pas le déploiement d’un capitalisme débridé à l’échelle
mondiale.
Par delà cette interrogation, un seul qualificatif peut sans doute résumer ces attributs : celui de
démocratique. On parlera ainsi de processus démocratique de développement ou de
développement démocratique. Démocratie économique et démocratie politique sont donc
intrinsèquement liés, ainsi que K. Polanyi le soulignait dès 19447. Il ne saurait y avoir processus
démocratique de développement sans une organisation démocratique de la société.
Qu’est-ce donc que la démocratie ou un régime politique démocratique ?
DE LA DÉMOCRATIE
On peut décliner le mot démocratie dans trois sphères ou champs :
- démocratie politique,
- démocratie économique,
- démocratie sociale
La démocratie politique est évidemment première, elle renvoie :
- à l’existence d’un État de droit, c’est à dire qui soit à même de garantir par sa
constitution, ses instances et l’organisation de la séparation des pouvoirs, le respect des
droits individuels et collectifs des citoyens et des composantes de la société politique
(pluralité des partis) et de la société civile (droit d’association, libertés syndicales, etc.).
7 Date de la premi re dition. POLANYI, Karl, (1983˚: r dition 1996). La grande transformation, aux
origines politiques et conomiques de notre temps, France, ditions Gallimard, 419 p.
1 / 14 100%