MUTATIONS DU POLITIQUE ET CAPITALISME AVANCÉ :
UNE GÉNÉALOGIE «CRITIQUE» DE LA GOUVERNANCE
Maxime Ouellet, PhD
Étude effectuée dans le cadre du projet de recherche La gouvernance des systèmes de
communication
Présentée au
Groupe de recherche interdisciplinaire sur l’information, la communication et la société
(Gricis)
Université du Québec à Montréal
Mai 2011
2
Résumé............................................................................................................................... 3
Introduction : Une généalogie de la gouvernance.......................................................... 4
Du gouvernement à la gouvernance................................................................................ 6
Gouvernance et cybernétique : De Saint-Simon à Weiner ........................................... 10
La gouvernance comme gouvernementalité : l’essence du néolibéralisme.................. 14
Conclusions provisoires et formulation des hypotses ............................................... 19
Chapitre 1 : Les fondements imaginaires de la modernité ......................................... 21
Le marxisme comme discours de légitimation de la gouvernance ............................... 23
L’économique : La valeur comme Sujet....................................................................... 27
L’imaginaire social-historique du capitalisme......................................................... 27
Le fétichisme et l’aliénation : la domination spécifiquement capitaliste ................. 30
La critique de l’économie politique : une critique catégorielle ............................... 33
La valeur comme forme de subjectivité .................................................................... 38
Le politique : Le Peuple comme Sujet.......................................................................... 40
L’institutionnalisation politique du capitalisme....................................................... 40
Les contradictions politiques de la modernité.......................................................... 42
La critique de l’État libéral : De Hegel à Marx ....................................................... 43
L’idéologie comme discours de légitimation du pouvoir dans la modernité............ 46
La sphère publique : l’idéologie de la communication dans la modernité ................... 48
Habermas et l’agir communicationnel ..................................................................... 49
La communication dans la sociéde marché .......................................................... 53
La gouvernance et la gestion technocratique du social................................................. 58
Chapitre 2 : Gouvernance et transformations institutionnelles du capitalisme avancé
........................................................................................................................................... 60
La corporation comme institution centrale du capitalisme avancé............................... 61
La gouvernance manariale comme mode de régulation social et politique dans le
capitalisme avancé.................................................................................................... 65
La financiarisation du capitalisme et la gouvernance actionnariale ............................. 68
La crise du mode degulation fordiste ................................................................... 68
Innovations financières et gouvernance actionnariale............................................. 71
Financiarisation et gouvernance en réseaux ................................................................. 76
La «bonne gouvernance» de la finance économique globale ....................................... 82
La nouvelle architecture financière internationale : réforme ou prolongement de la
logique de la «bonne gouvernance»? ....................................................................... 88
La gouvernance actionnariale et les nouvelles formes de subjectivités........................ 92
Chapitre 3 : Déclin ou mutation de l’État : la gouvernementalité néolibérale dans la
mondialisation ................................................................................................................. 97
La contestation du régime fordiste et le fétichisme du réseau...................................... 98
Gouvernance et mutations de l’État............................................................................ 103
La gouvernance globale et la gouvernementalité néolibérale..................................... 111
Espace public mondial, gouvernance et société civile : vers un compromis post-
fordiste?....................................................................................................................... 115
L’intégration fonctionnelle de l’espace public ....................................................... 120
Conclusion : La crise de la gouvernance globale et l’oubli des finalités.................. 124
Comment penser les médiations sociales au-de du capitalisme ? Pour un anti-
modernisme émancipateur .......................................................................................... 129
3
Résumé
Cette étude vise à situer la gouvernance, comprise à la fois en tant que catégorie
analytique que comme pratique sociale en voie d’institutionnalisation, dans le cadre des
transformations sociétales liées au capitalisme avancé. L’idée générale à la base de notre
analyse est que la gouvernance trouve son fondement au sein de limaginaire propre à la
modernité libérale. L’hypothèse centrale qui sert de fil conducteur à cette étude est donc
que la gouvernance consiste en la réalisation de l’imaginaire libéral au fondement de la
modernité. Dans un premier temps, il est montré au moyen d’une analyse de type
généalogique que bien que les racines idéologiques de la gouvernance se situent au cœur
des contradictions propres à la modernité, elle surgit en tant que catégorie de la pratique
sociale lors du passage d’un capitalisme libéral vers le capitalisme avancé. Par la suite, la
pratique de la gouvernance sera analysée dans le contexte des transformations socio-
économique contemporaines qui se caractérisent par la globalisation, l’informatisation et
la financiarisation. Il sera montré qu’elle s’inscrit dans le cadre du régime normatif qui
structure la pratique sociale à l’époque de la globalisation néolibérale. Cette seconde
section permettra d’étayer notre deuxième hypothèse qui est formulée ainsi : la critique
traditionnelle du capitalisme a participé au passage de la régulation politique des
rapports sociaux !le gouvernement! à lauto-régulation de type cybernétique, cest-à-
dire la gouvernance. Notre réflexion nous amène à poser la question de savoir si la
gouvernance ne consisterait pas en une subsomption du politique sous la forme-valeur
propre à l’économie capitaliste? Nous concluons en soulignant que la gouvernance
consiste effectivement en une forme de régulation de la pratique sociale qui est
spécifiquement capitaliste.
4
Introduction : Une généalogie de la gouvernance
La notion de gouvernance fait maintenant partie du vocabulaire usuel. D’abord apparu
dans le domaine de la gestion des entreprises, elle est aujourd’hui utilisée pour décrire les
modes d’organisations qui prévalent dans l’ensemble des sphères de la société : on parle
notamment de gouvernance municipale, de gouvernance en santé, de gouvernance des
universités, de gouvernance mondiale, de gouvernance des systèmes de communication,
etc. Véritable mot-valise, selon l’expression de Guy Hermet
1
, la gouvernance vient
s’ajouter à l’ensemble des expressions préfixées en «post», comme celles de société post-
industrielle, de postmodernité, de post-fordisme, ou encore à celle plus récente de
mondialisation, pour tenter de qualifier les transformations sociétales contemporaines. Si
ce terme apparaît neutre a priori, il n’en demeure pas moins fortement connoté
idéologiquement. Selon les auteurs critiques d’inspiration néo-marxistes, ce terme a servi
de cadre idéologique en vue de justifier la libéralisation des économies et de légitimer la
restructuration néolibérale des institutions publiques
2
. Si la connotation idéologique du
terme est clairement identifiée par de nombreux auteurs, l’essence même de la
transformation des rapports sociaux à laquelle renvoie cette notion a fait l’objet de moins
d’analyses synthétiques
3
. L’objectif de cette étude est justement de procéder à cet
exercice de synthèse visant à saisir l’émergence de la notion de gouvernance dans le
contexte plus large des transformations sociétales liées au passage des sociétés
capitalistes modernes vers le capitalisme avancé.
Dans le cadre de cette introduction, nous allons procéder à une analyse
généalogique de la notion de gouvernance. Il s’agit de cerner les origines de cette
catégorie de la pensée afin de déceler les fondements idéologiques de même que les
1
Hermet, Guy, «Un régime à pluralisme limité? À propos de la gouvernance démocratique», Revue
française de science politique», Revue française de science politique, Vol 54, No 1, 2004, pp.158-178.
2
Jessop, Bob, “Liberalism, Neoliberalism and urban governance : a State-theoretical perspective”, in Neil
Brenner & Nik Theodore (dir.), Spaces of neoliberalism: urban restructuring in North America and
Western Europe, Malde, Blackwell, 2004, pp.105-125.
3
De nombreux ouvrages qui portent sur la gouvernance tendent à réifier cette notion et l’utilisent comme
une nouvelle théorie de résolution de problème visant à palier les défaillances des démocraties libérales et
du capitalisme avancé. D’autres études, plus critiques procèdent à une généalogie de la notion, sans
toutefois inscrire leur critique dans une perspective sociologique plus large permettant de saisir de manière
dialectique l’émergence de cette nouvelle catégorie d’analyse.
5
pratiques auxquels renvoie cette notion. Ce premier travail de «défrichage catégoriel»,
nous permettra de formuler une série d’hypothèses à partir desquelles nous poursuivrons
cette étude. L’hypothèse principale au fondement de notre analyse est que la
gouvernance, comprise à la fois en tant que catégorie analytique que comme pratique
sociale en voie d’institutionnalisation, trouve son fondement au sein de limaginaire
propre à la modernité libérale. Dans la première partie de l’analyse généalogique qui suit,
il sera montré que la notion de gouvernance n’apparaît que très récemment la fin du
XXe siècle) pour tenter de crire la réalité sociale. Si dans la pratique, la gouvernance
renvoie effectivement à une transformation contemporaine du politique !le passage du
gouvernement à la gouvernance! ses fondements se trouvent néanmoins au sein même
de l’imaginaire de la modernité. Dans la seconde partie de cette introduction, il sera
d’ailleurs montré qu’on retrouve plusieurs des postulats sur lesquels repose le concept de
gouvernance dans les écrits de Saint-Simon portant sur les nouvelles formes réticulées
d’interaction sociale qui seraient, selon lui, mieux à même d’amener les sociétés
industrielles dans la voie du progrès. Ce fétichisme du réseau, articulé de manière plus
précise par les saint-simoniens, va paver la voie à la vision cybernétique d’un ordre social
autorégulé, qu’on retrouve tant chez les technocrates et les ingénieurs sociaux, que chez
les penseurs néolibéraux. Cette convergence entre bureaucratie et libéralisme constitue
selon nous l’essence de ce qu’on appelle communément le néolibéralisme. Dans la
troisième section de cette introduction, l’essence du néolibéralisme sera analysée afin de
montrer ses accointances avec la notion de gouvernance. À partir de la présentation du
concept de gouvernementalité formulé initialement par le philosophe Michel Foucault,
nous verrons que le néolibéralisme, contrairement à ce que prétend la croyance populaire,
ne consiste pas en un retrait de l’État face au marché, ni au passage d’un capitalisme
bureaucratique vers un capitalisme désorganisé, mais qu’il s’agit plutôt d’une nouvelle
manière de gouverner dans le contexte du passage d’un capitalisme libéral au capitalisme
avancé.
Ce premier travail de défrichage à portée généalogique nous permettra par la suite
d’étayer notre hypothèse de départ. Dans le premier chapitre, les fondements imaginaires
de la modernité seront interrogés afin de saisir comment la gouvernance apparaît comme
une tentative de dépassement de ses contradictions. Le second chapitre cherchera à
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