ZAÏS
Jean-Philippe Rameau (1683-1764)
Note de programme
Pastorale héroïque en un prologue et quatre actes créée le 29 février 1748 à
l’Académie royale de musique de Paris. Livret de Louis Cahusac.
Zaïs, une « pastorale féerique »
de Jean-Philippe Rameau (1683-1764)
et Louis de Cahusac (1706-1759)
L’opéra Zaïs fait partie de la deuxième période créatrice de Rameau (1744-1754) durant laquelle le compositeur,
parvenu au faîte de sa gloire, produit des opéras à une cadence d’au moins deux par an, et ce notamment grâce
à la collaboration assidue de son librettiste favori, Louis de Cahusac. Pour en arriver là, Rameau, après avoir reçu
de son père une solide formation d’organiste à Dijon, a d’abord mené une vie d’artiste nomade. En 1701, alors
âgé de dix-huit ans, il suit en tant que violoniste un orchestre ambulant jusqu’à Milan, mais revient vite en France
pour tenir les orgues de différentes églises parisiennes et provinciales, sans rester longtemps au même endroit.
Se trouvant à Paris en 1706, il publie son premier livre de pièces pour clavecin et retourne à Dijon. De passage à
Lyon en 1714, il répond à une commande d’œuvres de musique sacrée, puis établi à Clermont-Ferrand, il compose
des cantates et se plonge dans ses recherches sur la théorie musicale. En 1722, il se fixe définitivement à Paris et y
publie son Traité de l’harmonie réduite à ses principes naturels qui lui apporte une grande notoriété en tant que
théoricien de la musique. Attiré par l’opéra, Rameau écrit d’abord pour le poète et dramaturge Piron, originaire
comme lui de Dijon, la musique pour les intermèdes de ses comédies représentées au Théâtre de la Foire et
à la Comédie Française. Piron lui fait connaître le fermier-général Le Riche de La Pouplinière, grand mécène
mélomane. Dès 1732, celui-ci met à sa disposition un orchestre de haut niveau dans son salon parisien de la rue
de Richelieu. Grâce à La Pouplinière, Rameau remporte ses premiers succès sur la scène de l’Académie royale de
musique avec ses opéras Hippolyte et Aricie (1733), Les Indes galantes (1735), Castor et Pollux (1737), Les Fêtes
d’Hébé et Dardanus (1739).
Après une courte pause pendant laquelle il cessera d’écrire des opéras, Rameau rencontre Cahusac, le futur
librettiste de Zaïs. Cet auteur dramatique talentueux, de vingt-trois ans son cadet, est originaire de Montauban.
Après des études de droit, il est nommé premier secrétaire d’intendance dans cette ville, ce qui ne l’empêche pas de
s’adonner parallèlement à sa passion pour les lettres et le théâtre. En 1736, il donne sa première pièce, Pharamond,
à la Comédie Française. Remarqué par le comte de Clermont dont il devient le secrétaire des Commandements
et qu’il suit dans ses campagnes militaires, il continue néanmoins d’aborder différents genres littéraires comme
l’Épître sur les dangers de la poésie publiée en 1739, le roman libertin Grigri paru dix ans plus tard, et surtout
des articles pour l’Encyclopédie suivis d’un livre théorique important, La Danse ancienne et moderne ou Traité
historique de la Danse (1754). Avant cela, en 1742, Cahusac écrit une tragédie qui n’est jouée qu’une seule fois,
Le Comte de Warwick. Malgré cet échec, Cahusac parvient à faire représenter l’année suivante une comédie
féerique, Zénéïde, encensée par le Mercure de France, et dont le succès se prolongera jusqu’en 1797. La défaite
du comte de Clermont, son protecteur, lors de la guerre de succession d’Autriche, provoque son renvoi en mars
1744 et son installation définitive à Paris, vingt-deux ans après celle de Rameau. Il triomphe de nouveau avec une
comédie-ballet, L’Algérien ou les Muses comédiennes, composée pour la convalescence du roi Louis XV. Fort de
ces deux succès, Cahusac fait ainsi la connaissance de Rameau et lui propose ses services. Une relation d’amitié va
dès lors unir les deux hommes et ne trouvera un terme qu’à la disparition du librettiste à l’âge de cinquante-trois
ans. Cette complicité artistique d’une quinzaine d’années, amènera Cahusac à se consacrer désormais à l’écriture
de livrets d’opéras exclusivement pour Rameau, et produira Les Fêtes de Polymnie (1745), Les Fêtes de l’Hymen et
de l’Amour (1747), Zaïs (1748), Naïs (1749), Zoroastre (1749), La Naissance d’Osiris (1754), Anacréon (1754), à ne
pas confondre avec l’Anacréon de Rameau et de Bernard (1757), et enfin Les Boréades (répétée en 1763 mais non
représentée du vivant de Rameau).
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Zaïs, troisième ouvrage issu du tandem Cahusac/Rameau, est le premier opéra du compositeur à être entièrement
consacré à la féerie et plus précisément au monde merveilleux de la mythologie moyen-orientale avec ses génies
aériens et ses créatures fantastiques. L’œuvre est créée le 29 février 1748 à l’Académie royale de musique de Paris
qui se trouve alors dans une situation financière particulièrement délicate. Depuis la mort en novembre 1747 de
son directeur Berger, qui a laissé 400.000 livres de dettes, l’institution ne verra arriver son remplaçant Guénot de
Tréfontaine qu’en mai 1748. Par ailleurs, moins de deux semaines après la création de Zaïs, Jélyotte, qui tient le
rôle-titre, tombe malade, interrompant les représentations. Pendant cette brève période d’interruption, Rameau
et Cahusac en profitent pour réviser l’œuvre qui est reprise à partir d’avril 1748. Bien que le livret et la partition
imprimée de Zaïs mentionnent en sous-titre « ballet héroïque », l’ouvrage composé d’un prologue et de quatre
actes appartient plutôt au genre de la pastorale puisqu’il y est question des amours entre un Génie de l’air (Zaïs)
et une bergère (Zélidie). L’intrigue assez simple peut surprendre en raison des épreuves cruelles utilisées par le
héros sur son amante, non sans un certain sadisme, à moins d’y voir une allusion à des symboles maçonniques
chers à Cahusac, lui-même initié à la Franc-maçonnerie par le comte de Clermont qui dirigea la Grande Loge, du
temps où il était son secrétaire. En effet, comme dans la plupart des autres opéras écrits pour Rameau, Cahusac
fait référence à des thèmes maçonniques qui sont sous-entendus dans Zaïs, mais qui seront plus explicites dans
les tragédies Zoroastre et Les Boréades. Trois ans avant la création de Zaïs, des réunions de francs-maçons avaient
fait l’objet de contrôles de police musclés à Paris. La discrétion sur une telle activité était donc de rigueur, d’où les
allusions maçonniques simplement suggérées dans cet opéra. On les retrouve néanmoins tout au long de l’œuvre
comme par exemple, avec les tourments infligés à Zélidie pour vérifier sa constance amoureuse ; le talisman qui
lui est remis sous la forme d’un bouquet de fleurs ; le tambour voilé qui donne le signal au début de l’ouverture,
ou encore les propos de l’Amour qui achèvent le prologue évoquant le bonheur universel qui réconcilie les quatre
éléments. De plus, la présence des « peuples élémentaires », le débrouillement du chaos et la remise en ordre du
monde par le roi des Génies, Oromazès, symbolisent une fraternité chère à l’imaginaire maçonnique.
L’ouvrage fut diversement apprécié par ses contemporains qui, tout en louant immédiatement la qualité de la
musique de Rameau dévolue à la danse, ont dénigré le librettiste et boudé certains airs et récitatifs, à commencer
par l’ouverture de l’opéra jugée trop difficile et qui sera très vite révisée. Clément ne formule pas autre chose
dans son livre intitulé Les cinq années littéraires (de 1748 à 1752), quand il écrit :
« J’ai oublié de vous annoncer le nouvel opéra Zaïs (...) La scène est moitié en l’air, moitié sur terre ; aussi dit-on que
la moitié de la musique est aérienne. Pour les vers, ils m’ont paru terrestres. La musique de Zaïs a médiocrement
réussi ; c’est le sort ordinaire des opéras de M. Rameau, ils ont de la peine à percer, mais ils gagnent tous les jours
(...) Les airs de danse sont charmants, vifs, légers, aériens, célestes. Quant à l’ouverture où l’on a prétendu peindre
le débrouillement du chaos, je trouve qu’elle le peint si bien qu’elle en est désagréable ; car tout ce choc des
éléments qui se séparaient et se rajustaient, n’a pas dû former un concert bien ami de l’oreille ; heureusement
l’homme n’était pas né pour l’entendre ; le créateur lui sauva cette ouverture qui lui aurait cassé le tympan ».
Le journal L’Avant-Coureur, lors des reprises de Zaïs en 1761, ajoute :
« On a de tout temps reproché aux paroles de M. de Cahusac d’être un amas de grands événements de féerie
entassés les uns sur les autres, assez souvent même sans ordre, pour étonner les regards de ceux qui fréquentent
peu ce spectacle, et pour rendre les opéras très dispendieux aux directeurs ».
Les critiquent s’amplifient avec les dernières reprises de Zaïs en 1769, au point que seule la danse continue de
trouver grâce aux détracteurs, à la différence du reste de l’œuvre. Les connaisseurs ont estimé que le prologue
n’était qu’une pâle copie de celui écrit pour l’opéra de Destouches, Les Éléments (1721), où il s’agit déjà de la
fin du chaos et de la naissance de l’univers. Pour ce qui est de l’intrigue elle-même, Cahusac se serait selon eux
directement inspiré de Zélindor, roi des Sylphes, de Rebel et Francœur (1745) ainsi que d’Issé de Destouches
(1697), où il est à chaque fois question d’un amant soupçonneux à l’égard de sa bien-aimée. Dans Issé, le dieu
Apollon aime incognito la mortelle Issé dont est aussi épris le berger Hilas, tandis que dans Zélindor, dont le
monde enchanté est le même que celui de Zaïs, le roi des Sylphes (créatures des airs) aime la belle Zirphé qui n’en
est amoureuse que dans ses rêves. Jusqu’à la fin, Zélindor se montrera invisible et l’éprouvera de cette manière. Il
reste donc la musique de Rameau qui trouvera grâce au public.
L’ouverture, d’après le livret, « peint le débrouillement du chaos, et le choc des éléments lorsqu’ils se sont séparés ».
Cette dislocation cosmique donne précisément de la matière aux deux premières scènes du prologue et constitue
un bel exemple de symphonie à programme. Selon la description poétique de Raynal dans ses Nouvelles littéraires
(1748), l’ouverture doit se comprendre ainsi :
« Ce n’est qu’à mesure que le développement se fait, que la nature naît et s’anime. Alors vous entendez un léger
frémissement, c’est le zéphyr ; les flûtes résonnent, c’est le ramage des oiseaux ; les violons se joignent aux flûtes
et, par leurs modulations variées, tantôt vives et tantôt lentes, vous représentent l’idée d’un torrent qui roule à
grand bruit et d’un ruisseau qui coule lentement, ou la séparation de l’air et du feu. Puis, tout à coup, par des sons
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plus marqués, plus hardis, le musicien vous transporte dans les airs. Là, il vous peint à la fois le bruit des vents et
du tonnerre, ou bien, par une harmonie voluptueuse ou pleine de majesté, il vous inspire le plaisir de l’amour, il
calme vos sens ou vous annonce la présence des dieux ».
Le prologue peint le chaos où se démêlent tour-à-tour les quatre Éléments (l’air, l’eau, le feu et la terre) pour
former l’univers (« Éveillez-vous, troupe immortelle ! », scène 1). Oromazès, le roi des Génies, ordonne au soleil
d’éclairer le monde (« Astre éclatant, répands la clarté la plus pure », scène 2). L’Amour, entouré des Plaisirs,
descend sur la terre et chante sa puissance « sur tout ce qui respire » (« Connaissez le dieu du bonheur », scène 3).
Au premier acte, le théâtre représente une avenue champêtre avec au fond le temple de l’Amour. Zaïs, déguisé en
berger, malgré la mise en garde par son confident Cindor de ne pas céder aux sentiments des humains, avoue être
épris de la bergère Zélidie (« Tout se change en plaisir près de l’objet aimé », scène 1). Celle-ci vient et partage ses
vœux avec Zaïs (« Que mon cœur est touché de cet heureux retour », scène 2). Rejoint par une troupe de bergers,
le couple célèbre l’Amour dans une fête champêtre (« Accourons tous, que tout s’empresse », scène 3). Le dieu
paraît (« Ma puissance prépare à l’empire amoureux », scène 5), mais, tout en bénissant cette union, il suggère à
Zaïs d’éprouver l’objet de ses feux.
Le deuxième acte se déroule dans le palais aérien de Zaïs, entouré de nuages brillants et de vapeurs légères. Zaïs
craint de ne pas être aimé comme il aime lui-même (« Charme des cœurs ambitieux », scène 1), et pour s’assurer
de la fidélité de Zélidie à son égard, il donne ses pouvoirs à Cindor pour séduire son amante (« À tes yeux elle va
s’offrir », scène 2), tout en espérant qu’elle ne lui cédera pas. Celui-ci s’exécute (« Venez aimable Zélidie », scène
3) en surprenant Zélidie par un ballet où des statues s’animent, puis lui promet la félicité éternelle si elle quitte
Zaïs. La bergère résiste pourtant (« Hélas ! Est-ce à moi de vous plaire ? », scène 4). Pour la faire vaciller, Cindor
déclenche un orage terrible (« De ma puissance souveraine », scène 4) suivi d’une douce accalmie (« Vous craignez,
c’est assez et vos vœux sont ma loi », scène 4), puis lui offre alors un bouquet enchanté destiné à combler tous ses
souhaits (« À qui se pare de ces fleurs », scène 5). C’est alors que paraît Zaïs (« Ciel est-ce vous ? En croirai-je mes
yeux ? », scène 7). Zélidie l’implore de quitter les cieux pour la rejoindre sur la terre et lui confie les fleurs que lui
avait données Cindor pour mieux le protéger de ce rival dangereux.
Au troisième acte, dans son palais, Zaïs se réjouit de ce que Cindor n’ait pas réussi à séduire sa bien-aimée (« Vole,
enchante mon cœur, espoir délicieux », scène 1). Mais il ne souhaite pas en rester là et veut personnellement
tester son amante (« Je veux voir Zélidie, et l’éprouver moi-même », scène 1). Zélidie, enfermée dans un jardin
enchanté, se lamente (« Coulez mes pleurs », scène 2), tandis qu’un chœur célèbre les nouvelles amours de Zaïs
et qu’un ballet dépeint la légèreté et l’inconstance (« Célébrons la victoire », scène 3). La bergère se désespère en
voyant paraître Zaïs déguisé sous les traits de Cindor (« C’est Cindor... quel nouveau supplice ! », scène 6). Celui-
ci lui propose, pour l’éprouver une nouvelle fois, de se venger du perfide qui l’abandonne (« Cessez de soupirer
quand vous pouvez punir », scène 6). Elle refuse. Se sentant toutefois inexplicablement attirée par le faux Cindor
(« Mais quel charme m’entraîne », scène 6), elle s’enfuit pour ne pas céder à son penchant et sauver son honneur.
Zaïs jubile face à la constance de son aimée (« Amour, elle triomphe, et tes vœux sont remplis », scène 7).
Au quatrième acte, au seuil de son palais, Zaïs révèle enfin son identité mais Zélidie, impressionnée par tant de
grandeur, en ressent une immense tristesse car elle le préférait à l’état de berger (« Je ne voulais que le cœur
de Zaïs », scène 1). Zaïs se débarrasse alors de ses pouvoirs magiques pour devenir un simple mortel comme elle
(« Appui de mon pouvoir suprême », scène 1). Les amants sont transportés dans un désert aride (« Je vois ici tout
ce que j’aime. Rochers affreux, tristes déserts », scène 2). Oromazès paraît (« Ô ciel ! Oromazès », scène 3) et, en
récompense, confère à Zélidie l’immortalité (« La terre vous admire, et les dieux sont pour vous », scène 3), rend à
Zaïs ses pouvoirs et reconstruit un nouveau palais où il bénit l’heureux couple. Les Éléments célèbrent cette union
par une fête brillante (« De nos concerts que les airs retentissent », scène 3) et Zaïs laisse éclater sa joie auprès de
son amante (« Règne Amour, lance tes traits », scène 4).
En dépit des critiques envers le livret de Cahusac pourtant fort ingénieux, Zaïs contient des scènes agréables, et
l’action dans son déroulement périlleux laisse la place à de purs moments de spectacles dansés et de musique
instrumentale que Rameau a bien su rendre descriptifs et évocateurs comme le souhaitait le librettiste. L’émotion
dramatique reste constamment présente en dépit de la légèreté de l’intrigue. Outre l’ouverture novatrice déjà
expliquée plus haut, on peut citer la scène 6 du troisième acte entre Zélidie et Zaïs déguisé en Cindor, l’air
mélancolique de Zélidie « Coulez mes pleurs », et surtout les magnifiques épisodes chorégraphiques (« ballets
figurés ») intervenant dans chaque acte avec à l’appui une musique délicieuse et, selon les spectateurs de
l’époque, aérienne. En guise de conclusion, l’expression du musicologue Masson tirée de son ouvrage L’opéra de
Rameau (1930), résume parfaitement l’impression qui résulte de l’écoute de cet opéra encore méconnu : « c’est
ce mélange de grandiose, de gracieux et de touchant, dans une œuvre de demi-caractère, qui fait encore pour
nous le charme particulier de Zaïs ».
Patrick Florentin, président de la société Jean-Philippe Rameau
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