L’ŒUVRE DU MOIS NOVEMBRE DÉCEMBRE 2014 1 J Rameau, pas Rameau ? Il peut sembler paradoxal que le musicien Jean-Philippe Rameau (1683-1764) ait été peu portraituré de son vivant ; cela n’a pourtant rien d’étonnant. L’artiste était d’une nature peu sociable comme en témoigne son ami Piron : « Toute son âme et son esprit étaient dans son clavecin ; quand il l’avait fermé, il n’y avait plus personne au logis ». Il n’a donc sans doute pas cherché à diffuser son portrait. Les portraits de Rameau de son vivant 3 Les portraits de Rameau après sa mort Quelques portraits furent réalisés après sa mort : une gravure en manière noire de Gautier d’Agoty dans les années 1770, un portrait gravé d’après Jean-Bernard Restout pour illustrer la Galerie Françoise (recueil de biographies de Français célèbres, publié en 1772), une caricature de Fayet, et une Apothéose de Rameau peinte par Le Barbier pour le salon de musique du prince de Conti avant 1779. Ces œuvres mises à part, aucun nouveau portrait du compositeur ne fut réalisé : ceux qui ont été exécutés ultérieurement ont recopié les précédents, surtout la gravure de Saint-Aubin et celle de la Galerie Françoise. Enfin, le musée de Dijon conserve un portrait qui a toujours passé pour représenter Jean-Philippe Rameau 5 . Ce tableau fit partie de l’un des premiers envois du Louvre à Dijon, sous Napoléon Ier. Là encore, on ne connaît pas l’historique ancien du tableau, mais il semble s’agir d’un achat du musée du Louvre dans les premières années de son existence. L’œuvre fut longtemps attribuée à J.-B. Siméon Chardin (16991779), puis à Jacques-André Aved (1702-1766), attribution aujourd’hui contestée par de nombreux spécialistes du portrait français du XVIIIe siècle. 2 5 Le graveur Augustin de Saint-Aubin s’est inspiré de Caffieri pour réaliser un portrait de Rameau vu de profil en 1762 2 . Il est difficile de dire si Saint-Aubin s’est inspiré du buste lui-même ou s’il a gravé son œuvre d’après un dessin préparatoire de Caffieri. Toujours est-il que cette gravure connut une diffusion importante et servit de base à de nombreuses figurations du compositeur au XIXe siècle. La dernière image certaine de Rameau de son vivant est un dessin aquarellé de Carmontelle (1717-1806), réalisé dans une série de personnages célèbres de son époque 3 . Rameau, caractérisé par ses longues jambes maigres, écrit de la musique devant un clavecin. Ces figurations datent des dernières années de l’artiste, à un moment où celui-ci avait atteint une renommée qui en faisait une gloire de la musique française. 4 Rameau, pas Rameau ? Deux peintures, cependant, passèrent pour représenter Rameau dès le début du XIXe siècle. Le tableau connu sous le nom du Poète inspiré 4 apparaît en 1820 dans la vente après décès de Quentin Crawford, attribué à Jean Restout (1692-1768) : « Portrait de Rameau, la tête couronnée de lauriers, dans un moment d’inspiration ; il est assis près Si l’auteur du tableau était incertain, l’identification du musicien représenté semblait ne pas devoir être mise en doute depuis le début du XIXe siècle. Cependant, si ce tableau représente Rameau, il pose un problème iconographique important. Celui-ci a écrit pour le clavecin, l’opéra, l’orgue, et était surtout fier de ses écrits théoriques, qui l’amenèrent à participer à de nombreuses polémiques au cours de son existence. Or, le musicien représenté dans le tableau dijonnais tient un violon. Selon les codes du portrait au XVIIIe siècle, un musicien devait être portraituré avec l’instrument pour lequel il était le plus connu et c’est d’ailleurs devant un clavecin que Rameau est dessiné par Carmontelle. Bien que l’identification à Rameau ne puisse pas être exclue de manière absolue pour le tableau de Dijon, il semble qu’elle soit cependant relativement peu probable et qu’il s’agisse en fait d’un violoniste ou d’un compositeur pour violon, dont l’identité est, malheureusement, encore un mystère. 1 . Jean-Jacques Caffieri, Buste de Jean-Philippe Rameau, terre cuite, 1760, Dijon, musée des beaux-arts 2 . Augustin de Saint-Aubin, d’après Jean-Jacques Caffiéri, Portrait de Jean-Philippe Rameau, eau-forte et burin, 1762, Dijon, Bibliothèque municipale, Rés. 2500 ©BM Dijon. Photo E. Juvin 3 . Carmontelle (dit) Carrogis, Louis, Monsieur Rameau, aquarelle, gouache, mine de plomb et sanguine, Chantilly, musée Condé ©RMN-Grand Palais (domaine de Chantilly) / René Gabriel Ojéda 4 . Attribué à Jean-Bernard Restout, Le Poète inspiré, huile sur toile, Dijon, musée des beaux-arts 5 . Attribué à Jacques-André Aved, Portrait présumé de Jean-Philippe Rameau, Dijon, musée des beaux-arts mise en page : Ctoutcomme - © Polymago - © musée des beaux-arts -Dijon - rédaction : Matthieu Gilles - photos : F. Jay sauf mentions contraires Les portraits absolument sûrs de Rameau, et réalisés de son vivant, sont peu nombreux et datent tous de la fin de sa vie. Le plus connu est certainement le magnifique buste en terre cuite 1 de Jean-Jacques Caffieri (1725-1792), donné par ce sculpteur à l’Académie des sciences, arts et belles-lettres de Dijon en 1775, en hommage à la ville qui vit naître le musicien. Le buste, certainement réalisé d’après nature, est rendu de manière très vivante, avec une expression qui passe par les yeux pétillants et la bouche un peu pincée. Il fut exposé au Salon de 1761, où Diderot le remarqua, puis fut remanié après la mort du compositeur, comme l’atteste l’inscription sur le buste qui fait référence à son décès. Caffieri utilisa cette esquisse pour réaliser un buste officiel en marbre, qui disparut malheureusement dans l’incendie de l’Opéra de Paris en 1781. d’une table, et tenant une plume. » Il réapparaît dans une vente en 1850, sous une nouvelle attribution à Claude-Guy Hallé (1651-1731), avant d’être attribué à Greuze dans la collection d’Albert Joliet, qui le lègue au musée de Dijon en 1928. Des critères stylistiques amenèrent à prononcer à nouveau le nom de Jean Restout dans les années 1970, puis de son fils Jean-Bernard Restout (1732-1797) dont la période d’activité correspond mieux au style Louis XVI du fauteuil. Ce même élément a semblé incompatible avec les dates de Rameau et une nouvelle identification au poète Lebrun-Pindare fut proposée en 1980 ; c’est celle qui est retenue actuellement, bien qu’aucun élément ne puisse la corroborer de manière certaine.