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Les Cahiers de
L’OBSERVATOIRE
DU BONHEUR N° 7
URBANISME
ET BONHEUR
2
LES CAHIERS DE L’OBSERVATOIRE DU BONHEUR
N°07 JUIN 2015
[BONHEUR] n.m.
(de bon et eur). Eur vient du latin
populaire agurium qui signifie chance,
présage, augure. 1. État de complète
satisfaction, de plénitude.
2. Chance, circonstance favorable ;
joie, plaisir. Nous avons eu le bonheur
de la rencontrer. Au petit bonheur
(la chance) : au hasard.
Par bonheur : heureusement.
P04_QUELLE VILLE IDÉALE POUR NOTRE BIEN-ÊTRE ET NOTRE BONHEUR ? P10_BIEN-ÊTRE PAR L’ARCHITECTURE ET
L’AMÉNAGEMENT URBAIN P16_LA NATURE EN VILLE, FACTEUR D’UN BIEN-ÊTRE AU QUOTIDIEN P22_LA BIODIVERSITÉ URBAINE
Les Cahiers de l’Observatoire du bonheur édités par Coca-Cola France, 9, chemin de Bretagne, 92130 Issy-les-Moulineaux.
Direction de la publication : Imad Benmoussa. Rédaction en chef : Jean-Pierre Ternaux et Gilles Boëtsch. Rédaction : Jean-Pierre Ternaux, Joanne Clavel,
Agathe Euzen, Luc Abbadie, Gilles Boëtsch. Conception/réalisation : Burson-Marsteller i&e
© T. Bartel / P. Bauduin
LE BONHEUR DANS LA VILLE
JEAN-PIERRE TERNAUX,
DIRECTEUR DE RECHERCHE HONORAIRE
AU CNRS, COORDONNATEUR DE
L’OBSERVATOIRE DU BONHEUR
ET GILLES BOËTSCH, DIRECTEUR DE
RECHERCHE AU CNRS, DIRECTEUR DE
L’UMIESS 3189 ET DE L’OHMi TESSÉKÉRÉ
« UNE URBANISATION
RAISONNÉE CONSTITUE
UN DES OUTILS
SUSCEPTIBLES
D’APPORTER DES
SOLUTIONS POUR
ACCOMPAGNER
LA CROISSANCE
DÉMOGRAPHIQUE
ET AMÉLIORER LA
QUALITÉ DE VIE. »
ÉDITO
3
Chaque jour, 180 000 personnes supplémentaires accroissent
la population des villes dans le monde. Les prévisions démographiques
pressentent une population de 5 milliards d’urbains en 2025, soit 62 % de la
population mondiale et 80 % en 2100 ! En 2015 les pays développés comptent
370 villes de plus d’un million d’habitants et les pays en développement en
recensent 1 270. Dans ce contexte, l’urbanisation de 2 milliards de personnes
dans les pays émergents est l’enjeu majeur du développement durable des
décennies à venir. Si les villes du monde ne recouvrent que 2,8 % de la surface de
la planète, elles sont responsables de 78 % des émissions de carbone, de 76 %
de l’usage du bois et de 60 % de la consommation d’eau. Le scénario prospectif
pour 2040 est alarmant et les populations urbaines asiatiques, Chine et Inde,
seront quatre fois supérieures à celles de l’Amérique du Nord et de l’Europe.
Dans ce contexte, une urbanisation raisonnée constitue
un des outils susceptibles d’apporter des solutions pour accompagner cette
croissance démographique et tenter, d’améliorer la qualité de vie dans les
cités en expansion et les futures mégapoles. Si les économistes considèrent
l’urbanisation comme un moteur essentiel de la croissance, il ne s’agit pas
simplement d’augmenter le nombre de citadins et d’agrandir indéfiniment les
villes mais de mettre en œuvre des programmes de construction, respectueux
de la biosphère, susceptibles d’assurer une transition complète du statut rural
à celui d’urbain et d’améliorer la qualité de vie des citadins. Dans trop d’endroits,
les zones périurbaines sont délaissées et offrent des conditions de vie déplorables
pour leurs habitants. Il s’agit d’harmoniser les activités de production, l’emploi,
les modes de vie, la sécurité sociale, de développer les liens sociaux par le biais de
l’éducation et de la culture dans une perspective cohérente de l’espace. La tâche
est colossale, mais la nécessité de mettre en place les conditions d’un
développement durable est désormais acquise par un grand nombre d’acteurs.
Il faut aller vite. Mais prudence : un développement et une
urbanisation à marche forcée est un challenge à haut risque qui peut parfois
améliorer de façon spectaculaire la qualité de vie de millions d’urbains mais
souvent augmenter de manière significative les rangs des citadins aux statuts
les plus précaires.
QUELLE VIL
IDÉALE
POUR NOTRE BIENÊTRE
ET NOTRE BONHEUR ?
PAR JEAN-PIERRE TERNAUX
DIRECTEUR DE RECHERCHE
HONORAIRE AU CNRS
COORDONNATEUR DE
L’OBSERVATOIRE DU BONHEUR
BIOGRAPHIE
1947 > Angers, douce cité
berceau.
1967-1970 > Lille et
2003-2011 > Paris,
Berlin, Munich au service
de la communication du
CNRS.
Marseille, villes
universitaires pour l’éducation
et la connaissance.
2011 > Marseille pour une
retraite active et optimiste.
1971-2003 > Marseille,
© Thomas Bartel
4
N°07 JUIN 2015
LES CAHIERS DE L’OBSERVATOIRE DU BONHEUR
Paris, Glasgow, Genève,
Kiev, Saint-Pétersbourg,
cités innovantes pour une
carrière passionnante de
recherche.
LE BONHEUR DANS LA VILLE
LE
QUELLE VILLE IDÉALE POUR NOTRE
BIEN-ÊTRE ET NOTRE BONHEUR ?
5
« SI ON CONSTRUISAIT ACTUELLEMENT
DES VILLES, ON LES BÂTIRAIT À LA
CAMPAGNE, L’AIR Y SERAIT PLUS SAIN »5
_JEAN-LOUIS-AUGUSTE COMMERSON (1802-1879)
A
L'ESSENTIEL
L’homme inscrit sa vie dans
un perpétuel mouvement,
sans stabilité ni pérennité
dans les sentiments, les
sensations et les demandes.
Après avoir migré de la campagne
à la ville, il réclame aujourd’hui
une ville à la campagne, propre,
saine, verte, sociale, culturelle,
participative et connectée où la
qualité de vie, garant de plaisir et
de bonheur, soit optimale. Depuis
des décennies, cette quête de
bonheur a mobilisé, architectes,
urbanismes, aménageurs et
paysagistes. Leurs choix pour
procurer un environnement
urbain désirable sont encore à
préciser. Malgré des améliorations
parcellaires du bien-être urbain, la
bonne qualité de vie en ville reste
encore à inventer.
ujourd’hui, 55 % des habitants
de la planète vivent dans les
villes. Ce chiffre ne cesse
de croître et les hommes de
la campagne s’afficheront
bientôt comme de curieuses
minorités ! Quels que soient les territoires,
les civilisations, les architectures et les organisations urbaines, les villes rassemblent une
population nombreuse sur un espace restreint. Elles concentrent les activités
humaines dans un schéma où commerce,
industrie, éducation, politique et culture
construisent un véritable espace social.
Dans le monde entier, les villes portent les
spécificités de leurs régions. Les matériaux
de leurs bâtiments et les styles architecturaux témoignent des ressources locales,
du climat, de l’histoire et des cultures qui
les ont fondés. Généralement érigées dans
des lieux stratégiques de défense, des nœuds
de communication mêlant routes, chemins,
voies fluviales et ferrées et parfois façade
maritime, les villes n’ont fait que s’étendre,
passant successivement du statut de simple
localité urbaine, à celui de capitale, de
métropole et, au sommet de cette hiérarchisation, à celui de mégapole. Si cette nomenclature, basée sur le nombre d’habitants,
semble logiquement refléter les variations de
taille des agglomérations urbaines, aucune
norme internationale n’existe pour qualifier
de ville un groupement humain. Si au
Danemark 200 habitants suffisent pour
acquérir le statut de ville, 2 000 seront nécessaires en France et plus de 45 000 au Japon.
Dans ce contexte et même si l’ONU a fi xé
le seuil à 25 000 habitants, compter et comparer les villes du monde n’a pas de sens.
Seul le critère de densité humaine demeure
un élément quantitatif susceptible d’être
comparé et force est de constater que les
citadins sont bien serrés !
LES PARADOXES DE LA VIE
CITADINE
La ville a toujours attiré. Au XIXe siècle, avec
la révolution industrielle, de nouvelles cités,
attractives pour une main-d’œuvre bon
marché, se sont installées à proximité des
sites d’extraction et de transformation de
matières premières : charbon, minerai de
fer… mais offrant aussi des distractions
inconnues, comme les parcs zoologiques,
pour les populations migrantes arrivant du
monde rural. Parallèlement, les villes existantes n’ont fait que croître, avec une population aux revenus importants contribuant
à l’essor de l’industrie automobile et du luxe.
Cette mutation économique a fortement
participé à l’exode rural et a généré la
construction de nouveaux quartiers pour
loger et nourrir ces populations migrantes.
Voilà nos cités désormais couronnées de
banlieues dont la croissance n’a pas cessé
tout au long du XXe siècle. Si cette situation
5
Cette citation généralement attribuée à Alphonse Allais est de
Jean-Louis-Auguste Commerson, écrivain humoriste du XIXe siècle.
6
LES CAHIERS DE L’OBSERVATOIRE DU BONHEUR
perdure dans les pays en voie de développement, les villes occidentales perdent petit à
petit leur fonction première de production
industrielle, devenant de véritables centres
de services pour leurs habitants et ceux qui
vivent dans la région. Les cités conservent
les services centraux, les sièges des entreprises, les administrations locales, les services bancaires et juridiques et les structures
éducatives. De nos jours, les villes occidentales sont aussi dotées de structures de santé, de lieux de culte et
d’innombrables possibilités
pour la culture et les loisirs :
musées, bibliot hèques,
théâtres, cinémas, salles de
concert, installations sportives…
En d’autres termes, voilà
énumérée une série d’éléments qui contribuent à la
satisfaction et au bien-être
ressenti du citadin. Mais
le comportement individuel et
collectif de l’homo urbanus1 est
aussi, à juste titre, critique et revendicatif. Avec leurs expansions parfois
démesurées, les grandes métropoles accumulent bien des nuisances : pollution de l’air,
transports collectifs bondés et insuffisants,
sclérose du trafic automobile, bruit incessant, insécurité, stress engendré par une vie
urbaine. La devise du « toujours plus vite »
s’inscrit comme une règle incontournable.
Le manque d’espace vert et l’insalubrité de
1
« Homo urbanus » : expression utilisée par Jeremy Rifkin,
essayiste américain, spécialiste de prospective économique et
scientifique.
certains quartiers complètent le tableau
urbain… Cette situation est encore plus
désastreuse dans les villes des pays pauvres.
L’espérance d’un travail et d’une certaine
liberté au sein de la cité constitue les fondements utopiques de l’exode rural. Les villes
explosent et les jeunes migrants qui pensent
trouver en ville ce qui leur manque dans
leurs villages s’entassent dans les banlieues
dans des conditions matérielles et sanitaires
déplorables. Aujourd’hui, 300 villes de plus
d’un million d’habitants sont recensées
sur la planète dont une dizaine dépassant
les 18 millions !
N°07 JUIN 2015
élan novateur sera marqué par quelques
grands noms et expériences clés dans le
domaine de l’architecture et de l’urbanisme.
VICTOIRES ET ÉCHECS DE
L’URBANISME DU BONHEUR
Dans l’histoire des villes occidentales au
XIXe siècle, quatre expériences majeures
témoignent de la volonté des autorités
urbaines d’accéder au désir de leurs habitants. Londres s’enorgueillit de ses six parcs
royaux dont Hyde Park, créé en 1820 par
l’architecte Decimus Burton. Le Paris
haussmannien et ses faubourgs voient naître
squares, jardins, parcs et zones sauvages de
bois. À New York, l’architecte Frederik Law
Olmsted crée Central Park. À Barcelone,
Ildefons Cerdà, architecte et ingénieur
des ponts, rase toute la ville à l’exception du centre médiéval pour
reconstruire une cité sur un
plan reproductible. Ces événements marquent l’avènement de l’urbanisme social
qui consiste à apporter le
même bien-être pour l’ensemble des catégories de
popu lat ion. Ebenez er
Howard (1850-1928), urbaniste et journaliste anglais
devient leader de ce concept et
fonde le mouvement des « Citésck
jardins » qu’il considère comme
sto
ink
Th
une
vision radicale du bonheur pour
©
l’homme urbain. Howard introduit la
notion de satellisation, suggérant la réalisation de cités-jardins autonomes, entourées
Le citadin demeure attaché à sa ville mais de nature pour contribuer à l’urbanisation
il souhaite améliorer son confort et son des villes existantes. Les idées d’Howard
bien-être : il est désormais citoyen revendi- sont complétées par les propositions du
cateur. Cette velléité de transformer la ville darwiniste Patrick Geddes (1854-1932),
prend corps à la fin du XIXe siècle avec les botaniste et urbaniste écossais. Il affi rme
constats cinglants des conséquences post- que la totalité du monde vivant doit être
industrielles et s’amplifie au XXe siècle avec intégré dans les réflexions concernant les
la naissance des mouvements écologiques rapports de l’homme de la ville avec la
et le début des réf lexions et des actions nature. La ville est un véritable organisme
concernant le développement durable. Cet vivant. Ces concepts énoncés au XIXe siècle
LE BONHEUR DANS LA VILLE
7
© Thinkstock
QUELLE VILLE IDÉALE POUR NOTRE
BIEN-ÊTRE ET NOTRE BONHEUR ?
sont toujours d’actualité et irriguent encore
les débats et la mise en œuvre des projets de
création de villes nouvelles, d’amélioration
de l’espace urbain et, très récemment,
les programmes de construction de villes
intelligentes, connectées et durables.
Dans ce contexte, les paysagistes jouent un
rôle primordial dans la structuration de villes
paysagées. Au-delà des bienfaits incontestables de la mise en paysage de la cité sur le
bien-être et la santé du citoyen urbain, l’urbanisme paysager s’inscrit dans la vision d’une
nature rédemptrice face à l’inhumanité des
villes. Ce concept consolidé par l’avènement
de l’écologie politique est désormais évoqué
comme un instrument politique. La création
de parcs, la structuration paysagère de l’espace
public, constituent aussi le symbole d’une
collectivité à nouveau soudée dans le cadre
de l’utilisation du temps libre. Mais les
professionnels de l’urbanisme s’interrogent :
faut-il développer des projets de paysages
inspirés de l’art bourgeois, avantager la création de jardins ouvriers ou familiaux ou encore
favoriser l’utilisation des terrains vagues
pour générer la croissance d’espaces naturels
sauvages, lieux de liberté absolue ?
Aujourd’hui, la « symbolique du gazon »
s’inscrit irrémédiablement dans tous les
projets d’urbanisme moderne dans un cadre
scientifique où diverses disciplines apportent
leurs connaissances : botanique, zoologie,
génétique des populations, géographie,
hydrologie, écologie… Mais si plus de nature
en ville semble bénéfique pour la satisfaction
et le bonheur des citadins, quelques timides
voix s’élèvent pour s’interroger sur l’efficacité des choix opérés dans ce domaine.
Suffit-il de vouloir introduire de beaux paysages dans la réalité matérielle pour éradiquer
ou tenter de régler les incohérences de la
ville, réduire la pollution, lutter contre les
émissions de CO2 et s’attaquer résolument
aux questions de développement durable ?
Apporter aux citadins arbres, pelouses et eau
est-il suffisant pour améliorer les conditions
de la vie urbaine ? Une ville sans arbre est-elle
définitivement une ville sans âme ?
LE CORBUSIER, PIONNIER
D’UNE ARCHITECTURE ET
D’UN URBANISME DU BONHEUR
Charles-Édouard Jeanneret-Gris (1887-1965)
citoyen suisse naturalisé français en 1930, plus
connu sous le pseudonyme de Le Corbusier
est un des pionniers de l’architecture du
XXe siècle. L’œuvre de Le Corbusier s’inscrit
à la fois dans un contexte de réf lexion
théorique et d’exécution pratique. Pour lui,
les œuvres architecturales sont rendues
lisibles par des formes simples, dépouillées,
ordonnées, génératrices d’harmonie. Sa
vision met en exergue le bonheur comme
une des clés de l’urbanisme. En 1926, il définit les critères d’une architecture moderne :
les pilotis, le toit terrasse, le plan libre, la
fenêtre bandeau… En 1933, il précise avec
force : « Les matériaux de l’urbanisme sont :
le soleil, l’espace, les arbres, l’acier, le ciment
8
N°07 JUIN 2015
LES CAHIERS DE L’OBSERVATOIRE DU BONHEUR
dans cet ordre et dans cette hiérarchie ». En
1943, dans sa charte d’Athènes, Le Corbusier
énonce les moyens d’améliorer les conditions
d’existence dans la ville moderne qui doivent
permettre l’épanouissement harmonieux de
quatre grandes fonctions humaines : habiter,
travailler, se divertir, circuler. Le Corbusier
se fait l’adepte d’une architecture brute en
béton armée, sans ornement, où les divisions
de l’espace ne sont pas soumises aux impératifs du bâtiment. Il met en œuvre la réalisation d’éléments modulables pouvant être
préfabriqués et industrialisés. Ses réflexions
sur la modularité dans ce qu’il nomme « les
machines à habiter » sont scellées dans son
concept de « Modulor »2 . Il s’agit d’une
silhouette humaine standardisée qui sert à
concevoir la structure et la taille des unités
d’habitation, générant un confort maximal
entre l’homme et son espace vital.
LE SAVIEZVOUS ?
87 % des citadins sont
heureux de vivre dans leurs
agglomérations. 77 % sont
attachés à leurs cités et
85 % s’y sentent libres.
Ipsos 2013
Précurseur d’une « architecture du bonheur »,
Le Corbusier a eu plusieurs décennies
d’avance sur son temps. Ses constructions
comme la Cité Radieuse à Marseille n’ont
pas été comprises à l’époque. La Cité
Radieuse est vite devenue « La Maison du
Fada ». Les critiques ont été sévères. Malgré
son caractère novateur dans le domaine de la
« LÀ OU NAÎT L’ORDRE, NAÎT LE BIEN-ÊTRE »
_LE CORBUSIER
Ces principes architecturaux seront appliqués
dans la réalisation des unités de logement
collectif qu’il sera chargé de construire après
la Seconde Guerre mondiale, à Marseille,
Briey-en-Forêt, Rezé près de Nantes, Firminy
et Berlin. Ces bâtiments doivent pouvoir loger
un grand nombre d’habitants, être conçus
comme des lieux de vie où le caractère social
du village n’a pas été abandonné. Construit
à la verticale par manque d’espace, l’unité
d’habitation doit comporter tous les équipements collectifs nécessaires à la vie : rues,
commerces, école maternelle, garderie,
ascenseurs, chambres d’amis, laverie, piscine,
gymnase, piste de promenade ou de course,
bibliothèque, auditorium, atelier de peinture,
espace dédié à la vie sociale…
conception architecturale, les gains tangibles
apportés en terme de confort, de bien-être
furent loin d’être immédiatement appréciés.
Quel intérêt de construire des cités quasiautonomes dans une ville d’ores et déjà
structurée et organisée ? Quoi qu’il en soit,
Le Corbusier a laissé derrière lui des concepts
novateurs qui demeurent encore aujourd’hui
tout à fait pertinents.
VILLES D’AUJOURD’HUI
ET DE DEMAIN
La prise de conscience de la nécessité de
mettre en place des mesures adéquates pour
assurer un développement durable, respectueux des ressources énergétiques fossiles et
permettant d’endiguer le réchauffement
climatique, a généré la mise en place d’une
politique et de pratiques nouvelles dans le
domaine de la construction. La construction
écologique3 est une construction saine qui
doit avant tout être adaptée au bien-être
de ces habitants. Le « Green building »3 est
conçu avec des matériaux naturels issus
d’une nature renouvelable et permettant de
réduire l’impact global de l’environnement
bâti sur la santé humaine et l’environnement.
Il implique l’utilisation efficace de l’énergie,
de l’eau et des autres ressources et doit
protéger la santé de ses occupants. Son développement doit réduire la production de
déchets, la pollution et la dégradation de
l’environnement. En France, ces nouvelles
pratiques sont désormais encouragées et
encadrées par des certifications. La démarche
« Haute Qualité Environnementale » ou
HQE proposée aux maîtres d’ouvrage définit
l’ensemble des critères conformes à la
gestion durable de toutes les étapes de la vie
d’une construction : conception, réalisation,
utilisation, maintenance, adaptation et
déconstruction. L’ensemble de ces règles,
difficiles à mettre en œuvre dans les quartiers anciens, sont tout à fait applicables aux
projets d’extension de nos cités. Aujourd’hui
même si quelques projets « vitrines » ont
vu le jour en Europe, le chemin sera long
pour habiter des villes à énergie positives
et pollution zéro.
Avec l ’importance grandissante des
technologies de l’information et de la
communication, le citadin contemporain est
devenu un citoyen connecté, à la fois
sédentaire et mobile. Ses exigences en terme
de connectivité, sont croissantes. Cette
situation a été déterminante pour proposer,
au sein de la ville, des solutions nouvelles
permettant de répondre à ces nouveaux
besoins. Dans la ligne novatrice de la
construction écologique le concept de ville
intelligente 4 , s’inscrit désormais comme
une piste novatrice pour les cités de demain.
Avec des milliers de capteurs, elles seraient
capables d’assurer, au profit de la qualité de
LE BONHEUR DANS LA VILLE
QUELLE VILLE IDÉALE POUR NOTRE
BIEN-ÊTRE ET NOTRE BONHEUR ?
vie du citoyen, la gestion des infrastructures :
eau, énergie, information, télécommunications,
transports, services d’urgence et de sécurité,
régulation domotique des équipements et
des bâtiments publics, gestion et tri des
déchets, entretien automatisé des espaces
verts. La réflexion où l’humain semble le
principal absent, progresse à grand pas, mais
les expériences concrètes, demeurent encore
peu nombreuses. Si comme certains
l’affirment la ville intelligente doit contribuer
au développement de la démocratie
participative, ne va-t-elle pas laisser au bord
de la route quelques générations de citadins
dépourvus de tous moyens numériques ?
La ville est une structure vivante complexe
en évolution permanente où les strates de
l’histoire laissent des traces dans la pierre,
le marbre, la brique, le béton, le verre… Elle
est aussi une communauté de femmes et
d’hommes pour qui les valeurs esthétiques,
la vision du paysage urbain, le confort, la
qualité de vie, le bien-être sont perçus de
mille façons différentes. La ville est parfois
monstrueuse, mais elle demeure aussi
fascinante et source de multiples plaisirs et
satisfactions. •
2
« Modulor » : mot créé par Le Corbusier qui résulte de
l’assemblage de « module » et « nombre d’or ».
« Green building » : construction écologique conçue pour
diminuer l’impact du bâti sur la santé humaine et l’environnement
naturel.
4
« Ville intelligente » : traduction de l’expression smart city.
Ce concept émergent désigne un développement urbain apte à
répondre à l’évolution des besoins des institutions, des entreprises
et des citoyens, sur le plan socio-économique et environnemental.
BIBLIOGRAPHIE
Le Corbusier, 1955, « Architecture du Bonheur »,
Les Presses d’Île-de-France, Collection « Cahiers Forces vives ».
Alain de Botton, 2007, « L’architecture du Bonheur ».
Mercure de France.
Françoise Choay, 2014, « L’urbanisme, utopies et réalités :
une anthologie ». Éditions Points.
Jean-Claude Mengoni, 2011, « La construction écologique :
Matériaux et Techniques ». Éditions Terre Vivante.
Collectif, 2014, « Ville intelligente, Ville démocratique ».
Éditions Berger Levrault.
© Getty Images - IGphotography
3
9
10
N°07 JUIN 2015
LES CAHIERS DE L’OBSERVATOIRE DU BONHEUR
BIENÊTRE PAR
L’ARCHITEC
ET L’AMÉNAGEM
M
arcus Vitruvius Pollio,
connu sous le nom de
Vitruve, est un architecte
romain (Ier siècle av. J.-C.),
auteur du seul traité
d’architecture antique
qui nous soit parvenu « De Architectura »1.
Il a décrit les principes fondamentaux de son
art, qui doivent régir la conception de tout
bâtiment : « utilitas, firmitas, venustas » (utilité,
solidité, beauté). L’humaniste et architecte
Leone Battista Alberti, au cours de la renaissance
italienne, a médité ces principes et les a reformulés dans un livre « De re ædificatoria »2 :
« commoditas, necessitas, voluptas ». « Commoditas » peut se traduire par le souci du confort
en ce qui concerne un bâtiment mais aussi
par le caractère accommodant, par la bonté3.
Le livre d’Alberti est peut-être le premier
traité humaniste d’architecture et le choix des
termes n’est pas fortuit. Il est un des premiers,
à placer le bonheur des hommes au cœur de
son travail.
Ainsi, de l’Antiquité à la Renaissance et
jusqu’à nos jours, le bien-être est une préoccupation constante des architectes et même les
tristes barres HLM de nos banlieues ont
constitué en leur temps une amélioration
nette du cadre de vie pour des populations
qui vivaient dans des bidonvilles.
Le bien-être est en réalité une question transversale, influencé par de nombreux facteurs :
politiques, environnementaux, économiques,
sociaux, etc. L’architecture et l’urbanisme ne
peuvent tout résoudre mais il est possible
d’intervenir concrètement sur l’environnement physique et social, d’améliorer la qualité
de vie, la santé et le bien-être des gens. Cela
peut prendre des formes très diverses et on
peut relever de façon non exhaustive au
moins quatre principes, illustrés par des cas
concrets.
FAVORISER L’ACTIVITÉ PHYSIQUE
C’est une évidence, mais on peut tout de
même le rappeler, l’activité physique est un
élément essentiel de la santé et du bien-être
des gens. Un usage excessif de la voiture, de
l’ascenseur réduit l’activité physique ce qui
favorise surcharge pondérale (voire l’obésité)
et maladies cardio-vasculaires. La sédentarité
multiplie par 2 le risque de présenter des
pathologies cardio-vasculaires. De plus
l’activité physique a un rôle préventif dans
des pathologies très diverses : diabète,
L'ESSENTIEL
On peut relever quatre
principes permettant
une intervention concrète
de l’architecture et de
l’urbanisme sur la qualité
de vie et le bien-être :
• Valoriser l’activité physique
par un design actif des villes
et des bâtiments
• Construire des bâtiments sains
par une localisation, un choix
de matériaux et un agencement
raisonnés
• Favoriser une alimentation saine
1
2
3
« Au sujet de l’Architecture »
« L’Art d’édifier »
Dictionnaire latin-français Gaffiot 1934
• Renforcer les liens sociaux
et associer les habitants à la
conception de leur quartier
LE BONHEUR DANS LA VILLE
BIEN-ÊTRE PAR L’ARCHITECTURE
ET L’AMÉNAGEMENT URBAIN
TURE
ENT URBAIN
PAR TEODORA
DORA NIKOLOVA,
R ARCHITECTEINGÉNIEUR
E À IAU D’ÎDF
URBANISTE
BIOGRAPHIE
en Bulgarie
EXPÉRIENCE
E
PROFESSIONNELLE
ÉDUCATION
2003 – 2012 >
2001 > Diplôme
d’ingénieur civil, UACG,
Sofia, Bulgarie
2003 > Master 2
en Urbanisme et
Aménagement, boursière
du gouvernement français,
IFU, Paris
2007 > Diplôme
d’Architecte DPLG, ENSA
Paris-Belleville
2010 > Thèse de science
en Bâtiments d’haute
qualité environnementale,
Oxford, Brookes University, GB
Architecte – Ingénieur
ur
chez Christian de
Portzamparc Architecte,
e,
Paul Chemetov Architecte,
ecte,
Michel Desvigne Paysagiste,
agiste,
Hamiltons Architects, Reichen
et Robert & Associés, Atelier
Parisien d’Urbanisme
Depuis 2013 >
Architecte – Ingénieur,
ur,
chargée d’études
à l’Institut d’Aménagement
ment
et d’Urbanisme
d’Île-de-France
© Thomas Bartel
1975 > Naissance
11
12
N°07 JUIN 2015
LES CAHIERS DE L’OBSERVATOIRE DU BONHEUR
incite les gens à utiliser leurs jambes. C’est le
cas dans le bâtiment universitaire Cooper
Union, conçu par Morphosis Architects où
l’escalier central est transformé en vrai espace
public, un lieu de rencontre et de communication entre les étudiants. Les ascenseurs
deviennent alors accessoires avec une utilisation ponctuelle (personnes à mobilité
réduite, personnes âgées, etc.).
Th
in
ks
to
ck
CONSTRUIRE
DES BÂTIMENTS SAINS
L’importance de la qualité d’un bâtiment
dans le bien-être de ses utilisateurs est une
notion bien connue. Les citadins occidentaux passent 90 % de leur temps à l’intérieur
d’un bâtiment. Il est donc facile de com-
©
hypertension, obésité, ostéoporose, dépression et même certaines formes de cancer.
L’organisation territoriale contemporaine de
nos villes est le résultat de politiques
publiques qui favorisaient il y a 50 ans la
création de zones spatiales thématiques et
séparées : logements, bureaux, commerces,
loisirs, etc. avec des lieux de résidence, de
travail et de consommation parfois très
éloignés. La voiture s’est donc imposée pour
rendre possible cet usage de la ville, ce mode
de vie. Pour favoriser les mobilités
actives, limiter voire bannir un mode de
vie sédentaire, il est essentiel de développer un urbanisme de courtes
distances. Cela revient à diversifier
les fonctions dans la ville et à
rechercher une mixité d’usage au
sein de chaque quartier, afin que
l’utilisation de la voiture devienne
superflue.
Favoriser concrètement l’activité
physique de la population c’est
aussi aménager des espaces attractifs, des parcs et jardins de proximité,
construire des terrains et des équipements sportifs, des aménagements piétonniers et cyclables…
Ce concept de design actif peut s’appliquer
à la ville mais aussi à la conception de
bâtiments.
De nouvelles idées apparaissent. Ainsi l’escalier étroit, sombre et inconfortable, conçu
comme sortie de secours est désormais
désuet. Il peut reprendre sa fonction initiale,
noble, de colonne vertébrale du bâtiment :
large, confortable, éclairé et mis en valeur, il
l’amiante en sont la plus triste illustration. À
l’échelle d’un quartier, une conception
urbaine médiocre peut se traduire par une
mauvaise implantation et orientation du bâti,
une « hyper-densité », la construction de
bâtiments inesthétiques avec des volumétries
inappropriées. Des exemples de ce type d’urbanisme existent en périphérie de grandes
villes. Associé à d’autres problèmes sociaux,
un urbanisme défaillant fait le lit de comportements antisociaux comme le vandalisme et
peut amplifier un sentiment d’insécurité.
Vitruve consacre un chapitre entier de son
traité antique d’architecture au choix d’un
lieu sain pour construire un bâtiment et un
autre chapitre au choix des lieux destinés aux
usages de tous les citoyens. 21 siècles après,
urbanistes et architectes gardent les mêmes
préoccupations.
Ce qui est nouveau, c’est qu’il est possible
aujourd’hui de construire des bâtiments
qui interagissent de façon positive avec
leur environnement. Un exemple très
radical, non-réalisé, est celui du
projet du Musée B-mu à Bangkok
de François Roche appelé « Dusty
Relief ». L’enveloppe du bâtiment
représente une peau métallique
qui attire et stocke la poussière
de l’air par électrostatisme. Les
particules collées à l’extérieur,
augmentent progressivement
l’épaisseur du bâtiment, l’intérieur
reste propre et intact.
prendre que les bâtiments insalubres,
sombres, mal ventilés, construits avec des
matériaux toxiques nuisent à la santé et au
bien-être des gens, favorisant les pathologies
physiques et mentales, ainsi que les accidents. Les nombreux scandales liés à
FAVORISER
UNE ALIMENTATION SAINE
« Que ta Nourriture soit ta Médecine et
ta Médecine, ta Nourriture » Hippocrate
4e siècle av. J.-C. En tournant le dos au monde
agricole les citadins ont perdu une partie de
leur culture culinaire. Combien d’enfants
pensent aujourd’hui que le poisson pané
est la seule forme de consommation du
poisson ? Noyé dans une offre alimentaire
surabondante, l’homme moderne ne sait
plus comment se nourrir.
LE BONHEUR DANS LA VILLE
© David Sundberg - Esto
Les architectes peuvent favoriser l’apprentissage de ce savoir, le renouveau d’une culture
culinaire, par une réflexion appropriée dans
la conception des bâtiments.
Par exemple, les architectes du studio VMDO
(Charlottesville, Virginie, États-Unis) ont
associé des médecins et des chercheurs dans
la conception du nouveau bâtiment des
écoles maternelle et primaire à Buckingham
(USA). Le concept est celui d’une école où
la préoccupation essentielle est la santé et
le bien-être des enfants. Une attention
particulière a été portée à l’alimentation au
point qu’elle est devenue une matière à
étudier. Les architectes ont imaginé une
cuisine à but éducatif et des laboratoires
culinaires où les enfants apprennent aussi
bien les bases de la théorie d’une alimentation
saine, que la pratique de l’art culinaire. Les
distributeurs automatiques de boissons ont
été remplacés par des fontaines d’eau fraîche.
BIEN-ÊTRE PAR L’ARCHITECTURE
ET L’AMÉNAGEMENT URBAIN
De la même façon le développement et le
renouveau de jardins potagers à l’intérieur,
en proche périphérie et même sur le toit des
villes peut être mis à l’honneur par une politique urbaine volontariste. À Amsterdam,
Damian O’Sullivan a transformé des bateaux
pour touristes abandonnés le long des canaux
en jardins flottants. Dans le port d’Helsinki,
Dodo (une ONG) a installé une ferme
urbaine sur un vaste espace promis à un
complexe résidentiel dans une quinzaine
d’années. À Munich on compte plus de
800 jardins qui occupent 35 000 jardiniers
amateurs et servent de lieux de rencontre à
15 000 autres.
À New York, on a recensé plus de 600 community gardens, de Manhattan à Brooklyn.
Le mouvement a été encouragé par le Maire,
Michael Bloomberg, qui accorde une déduction fiscale à ceux qui installent des « toits
verts » sur leurs maisons.
13
Ce type d’initiative modifie l’environnement
urbain, mais aussi le lien des habitants avec
leur alimentation et donc avec leur corps.
FAVORISER LES LIENS SOCIAUX,
ASSOCIER LES HABITANTS À LA
CONCEPTION DE LEUR QUARTIER
Nous connaissons tous dans nos villes des
bâtiments ou des endroits calmes et rassurants, d’autres vivants et stimulants et d’autres
14
LES CAHIERS DE L’OBSERVATOIRE DU BONHEUR
© Thinkstock
encore sombres ou déprimants. Ces lieux par
leur conception, leur agencement peuvent
générer des émotions, voire favoriser un état
mental. Une place d’armes n’est pas un
monastère dominicain et chacun de ces lieux
nous affectent par la manière dont l’espace y
est occupé et découpé.
La notion de la qualité de vie a évolué avec le
temps et ne dépend plus uniquement du
confort et du bien-être physique des individus, mais aussi de leurs perceptions sensorielles. Ainsi, la sensation de sécurité est
indissociable du bien-être dans un quartier
mais dépend beaucoup de la qualité de l’aménagement urbain.
Par ailleurs, l’isolement, la solitude, peuvent
entraîner dépression, addiction, voire des
comportements asociaux. La santé mentale
est une partie intégrante du bien-être et de la
santé publique. Contribuer à établir des
réseaux sociaux et de communication, créer
une atmosphère urbaine conviviale est un
choix en terme d’urbanisme et d’architecture,
qui peut avoir un fort impact sur le bien-être
de la population. Améliorer la convivialité
des lieux publics permet de lutter contre
l’isolement, favorise les liens entre les différentes générations et groupes culturels, renforce le tissu associatif, et finalement la
sensation de sécurité et de bien-être.
Plusieurs communautés urbaines essaient
aujourd’hui de mettre en pratique ces
concepts afin de rendre leur ville attractive
ou tout simplement agréable à vivre.
La Ville de Los Angeles a lancé le programme Streets for People dédié aux initiatives novatrices pour la transformation
des espaces urbains sous-utilisés. Le but de
ce programme est de répondre au besoin
croissant d’espaces publics plus agréables
et sécurisés, de rues piétonnes, de lieux de
N°07 JUIN 2015
promenades. Des partenaires privés éligibles
répondent deux fois par an à un appel de
candidatures, avec des projets d’aménagement et de design. Les critères : les projets
doivent être développés sur une partie de la
voirie en utilisant un design simple et des
matériaux bon marché.
La première réalisation, Sunset Triangle
Plaza sur le Griffith Park Boulevard, date de
mars 2012. Un secteur de la rue avait été
fermé à la circulation et peint en vert fluo.
Des tables, des chaises de café, des pots de
fleurs, une aire de vélos ainsi qu’un panier
de basket-ball y ont été intégrés. Depuis, la
communauté s’est appropriée l’espace avec
enthousiasme et a varié les activités en
intégrant un cinéma d’été en plein air et un
marché de produits fermiers. La clé de la
réussite tient au fait que le coût des travaux
est modeste et que « ces projets peuvent être
réalisés suffisamment vite, c’est-à-dire avant
que les gens ne se découragent et s’en
désintéressent »4. Ce type de collaboration
public-privé obtient un soutien fort de la
communauté et génère des investissements
pour des aménagements permanents et à
plus grande échelle.
Le parc urbain linéaire à Copenhague,
Superkilen est un autre exemple. Autrefois
peu sûr, lieu de rencontre des drogués et
dealers, il accueille aujourd’hui un nouvel
espace public situé au cœur du quartier
multi-ethnique de NØrrebro.
Aménagé en trois couleurs différentes,
le parc s’étale sur une longueur de 750 m.
« La place rouge » est directement connectée
à la rue principale de NØrrebro qui mène
vers le centre de Copenhague. Elle est dédiée
aux rassemblements et aux activités sportives. La musique jamaïcaine et la couleur
vive dans lesquelles elle baigne, lui donnent
un souffle de jeunesse et de fraîcheur. « La
place verte » représente un jardin vallonné
planté qui accueille des lieux de repos et de
promenade et des terrains du sport. « La
place noire » héberge un marché aux puces
pendant le week-end. Calme et récréative,
LE BONHEUR DANS LA VILLE
Léonard de Vinci
connaissait l’œuvre
de Vitruve et a repris
son étude sur les
proportions de corps
humain.
elle est investie par les personnes âgées et
les enfants.
La population des quartiers voisins a été
intégrée autant que possible au projet, de la
conception architecturale à la réalisation. Les
artistes du groupe Superflux ont travaillé
avec les habitants pour choisir le mobilier
urbain. Des voyages ont été organisés dans
leur pays d’origine, afin qu’ils puissent
ramener les 120 pièces de ce mobilier. On
trouve ainsi, un toboggan japonais en forme
de pieuvre qui voisine avec des balançoires
de Bagdad, des bancs belges, une fontaine
marocaine, un panier de basket somalien,
une station de bus Kazakh, un ring de boxe
thaïlandaise, des poubelles écossaises et
même de la terre palestinienne… La collecte
a été réalisée dans 57 pays et illustre la
richesse ethnique de ce quartier. Cet endroit
est devenu un lieu de rencontre de populations
très variées. Dès son inauguration en 2012,
ce parc aux couleurs et design originaux
est devenu l’endroit préféré des habitants
des quartiers voisins.
ARCHITECTURE, BIEN-ÊTRE
ET HUMANISME
La qualité de vie et le bien-être dans les villes
peuvent être influencés par des choix d’urbanisme et des concepts architecturaux. Quatre
15
principes ont été retenus de façon non
exhaustive pour cet article. Il n’y a pas de
recette miracle, ni de solution unique, mais
un ensemble de pratiques et de concepts qui
permettent de créer un milieu urbain sain et
favorisent la santé physique, mentale, et le
bien-être de la population.
Dans son livre, Alberti traite de l’architecture
(et de l’urbanisme) comme d’une science
humaine globale qui s’occupant de l’homme
comme individu singulier et membre d’une
communauté, prend soin de l’insérer dans un
territoire, afin de contribuer au bonheur de
son existence. L’architecture naît en même
temps que l’homme et se développe parallèlement à la société, qu’elle contribue à protéger et à structurer. Il souligne, en outre,
l’importance du dialogue en architecture :
« Il n’y pas d’architecte sans dialogue ».
L’architecture, comme le langage, doit pour
lui consolider les relations entre les hommes.
L’architecture peut favoriser le bien-être, si
elle garde ces préoccupations humanistes au
cœur de sa pratique et laisse toute sa place au
dialogue avec les citoyens. •
4
Bill Roschen, Président de la Commission de Planification
Urbaine de la Ville de Los Angeles : www.peoplest.lacity.org
BIBLIOGRAPHIE
Boutté F., D’une approche bâtimentaire à une approche globale
et territoriale, archidrée n°363, oct/nov 2013, p. 43-55.
Caye P. et Choay F., L’art d’édifier [De re ædificatoria], Paris :
le Seuil, 2004.
Coeudevez C. et Déoux S., Bâtiments, santé, le tour des labels,
Médieco Éditions, 2011, 174p.
Eleb M. et Simon Ph., Entre confort, désir et normes : le logement
contemporain (1995-2010), PUCA, Ministère de l’Écologie, de
l’Énergie, du Développement durable et de la Mer, 2012.
Thibault G. et Pouliot P., Quantité d’activité physique requise
pour en retirer des bénéfices pour la santé, Synthèse de l’avis du
Comité scientifique de Kino-Québec et applications, Ministère de
l’Éducation, direction des communications, Gouvernement du
Québec, 1999.
Vitruve, De architectura, traité d’architecture en 10 livres, rédigé
en latin, dédié à l’empereur Auguste, -25. : http://remacle.org/
bloodwolf/erudits/Vitruve/
© Iwan Baan
LE SAVIEZVOUS ?
BIEN-ÊTRE PAR L’ARCHITECTURE
ET L’AMÉNAGEMENT URBAIN
Le parc urbain Superkilen à Copenhague.
LA NATU
EN
VILLE,
FACTEUR D’UN BIEN
AU QUOTIDIEN
PAR LAURÈNE WIESZTORT,
GÉOGRAPHE, SPÉCIALISTE
DE LA NATURE EN VILLE
BIOGRAPHIE
© Thomas Bartel
16
N°07 JUIN 2015
LES CAHIERS DE L’OBSERVATOIRE DU BONHEUR
1983 > Naissance
2006 > Diplôme d’Ingénieur en Maîtrise
des opérations de réhabilitation urbaine
2011 > Doctoresse en Géographie. « La réinsertion
de la nature en ville et le développement durable. Étude
de cas dans le bassin minier du Nord-Pas-de-Calais.
Méthode comparative avec des villes françaises et
étrangères »
2007-2013 > Enseignante et chercheuse
à l’Université d’Artois, l’IUFM, l’ENTE
2013-2015 > ATER à l’Université d’Artois
LE BONHEUR DANS LA VILLE
RE
ÊTRE
L'ESSENTIEL
La nature est un facteur
de bien-être. Celle-ci est peu
présente en ville créant un
manque important chez les
citadins, notamment des grandes
villes denses. Depuis quelques
années, il y a une prise de
conscience des bienfaits de la
nature en ville pour notre planète
(lutter contre le réchauffement
climatique et la baisse de la
biodiversité) et pour les citadins
(un cadre de vie plus agréable,
une offre de loisirs, une ville aérée
et purifiée). Ainsi, les projets
de renaturation se multiplient
et prennent des formes très
diversifiées : coulées douces sur
les berges, parcs urbains, toitures
et murs végétalisés… très appréciés
et pratiqués par les urbains.
LA NATURE EN VILLE, FACTEUR
D’UN BIEN-ÊTRE AU QUOTIDIEN
17
SELON E. O. WILSON L’HOMME A TOUJOURS EU
UNE ATTIRANCE POUR LA NATURE, IL A UN
BESOIN INNÉ ET VITAL D’ÉTABLIR UNE RELATION
AVEC LE MONDE VIVANT QUI SERAIT INSCRIT
DANS SON PATRIMOINE GÉNÉTIQUE.
D
ans la recherche, on utilise
le terme d’« aménité environnementale » pour évoquer les apports de la
nature à l’homme en
termes de bien-être, d’inspiration artistique ou même spirituelle. Le
biologiste Edward Osborne Wilson parle de
biophilie qu’il définit comme l’attirance de
l’homme pour la nature, expression d’un
besoin inné d’établir une relation avec le
monde vivant. Un besoin vital qui serait inscrit dans notre patrimoine génétique.
Les relations ville-santé font l’objet de
travaux de recherche qui font suite à des
pratiques opérationnelles en urbanisme qui
sont restées dominées depuis le XIXe siècle
par les notions d’hygiène ou de salubrité.
Ce n’est que depuis une dizaine d’années
que la notion de « bien-être » a émergé dans
le champ scientifique français. Cette notion
a contribué à ouvrir le domaine des
questionnements sur les relations entre la
santé et les environnements habités, vers
de nouvelles dimensions perceptives,
sensorielles, vécues. Parallèlement, le bienêtre ou le bonheur devenait aussi une
notion-clé des organisations internationales.
En 2012, l’ONU exprime son souhait
d’évaluer le développement d’un pays non
plus seulement à partir des richesses mais
également en mesurant le niveau de bienêtre et de bonheur de sa population. Un
indicateur qui semblerait informer
davantage sur les conditions de vie que les
indicateurs habituels (PIB, IDH…). L’OCDE
publie également en 2014 un certain nombre
d’indicateurs de bien-être régional et local,
résultats d’un projet d’étude intitulé
« Comment va la vie dans nos régions ? ».
L’intérêt des scientifiques vers de nouveaux
champs de recherche portant sur les relations
entre les sociétés et leur environnement
– relations saisies sous le prisme de la santé –
s’est trouvé également décuplé par la montée
du développement durable, la mise en
évidence des changements climatiques, de
l’impact des villes sur l’environnement.
Aujourd ’hui peu d ’études encore se
penchent sur la question des impacts de la
nature sur l’Homme et son bien-être, mais
récemment certains programmes de
recherche étrangers attestent d’une fonction
positive. L’interaction Homme-Nature est
favorable sur de nombreux plans : santé,
relation sociale, productivité au travail.
Notons que dans ces études la notion de
nature est synonyme de végétal uniquement.
La faune n’est pas prise en compte.
Les bienfaits – environnementaux, économiques, sanitaires – de la nature en ville sont
désormais reconnus et valorisés par les habitants, les élus mais également les promoteurs
ou encore les architectes. Les projets d’aménagement en milieu urbain intègrent de plus
18
LES CAHIERS DE L’OBSERVATOIRE DU BONHEUR
(forêt, réserve naturelle, parc paysager) ou la
simple vue de la nature par sa fenêtre (au
bureau, à l’école, à la maison, à l’hôpital)
peut exercer des bienfaits considérables
(Guéguen N., 2012).
La nature est bénéfique pour la santé de
manière directe et indirecte. Par exemple,
les parcs contribuent à améliorer la santé de
en plus la dimension nature, au travers de
nouveaux parcs, d’aménagements des rives
de fleuves, de murs végétaux…
Abordons ces aménités environnementales
en milieu urbain à travers 4 axes, dans
lesquels nous nous référerons à des études
internationales menées sur la question.
LA NATURE CONTRIBUE À
L’AMÉLIORATION DE NOTRE SANTÉ
Quels sont les impacts qu’exercent la nature
et les éléments dits naturels en ville sur notre
comportement et notre bien-être physique
et mental ? Il s’avère que l’immersion dans
un lieu ayant une forte diversité végétale
© Thinkstock
Le parc
Güell à
Barcelone.
N°07 JUIN 2015
ristique en milieu urbain n’a aucun effet
bénéfique sur notre métabolisme.
De même, la vue sur un espace de nature ou
des éléments de nature est très importante
pour un citadin, c’est même considéré
comme une plus-value (valeur du foncier) et
d’ailleurs la proximité avec un espace vert
est le facteur le plus déterminant dans son
LES ARBRES, LES FLEURS, LES PARCS
STIMULENT NOS RELATIONS SOCIALES, NOS
APTITUDES MENTALES. LA NATURE NOUS
FAIT DU BIEN, ELLE AMÉLIORE NOTRE CADRE
DE VIE, NOS CONDITIONS DE VIE ET EMBELLIT
NOTRE QUOTIDIEN.
la population par le fait qu’ils sont des lieux
qui facilitent la pratique d’activités physiques telle que la marche à pied. Une étude
de Bunn-Jin Park et al en 2009 montre que
l’endroit où nous pratiquons une activité a
des effets différenciés sur le sportif. Ainsi,
pour améliorer les effets cardio-protecteurs,
il est préférable de marcher dans un espace
naturel plutôt que dans la rue. Les travaux
en 2010 du chercheur japonais Quin Li de la
Faculté de médecine attestent aussi des bienfaits immunitaires d’une balade au cœur
d’un espace boisé (augmentation des cellules
tueuses naturelles) alors qu’une balade tou-
choix résidentiel. Plusieurs études, réalisées
dans des cadres et contextes différents
(hôpital, prison, école, entreprise) ont
montré que la vue que l’on a de sa fenêtre
peut influencer nos humeurs (diminution
du stress, de la violence, sérénité) et notre
santé. En effet, les travaux d’Ulrich en 1984
montrent une récupération plus rapide après
une intervention pour des patients ayant de
leur chambre une vue sur des arbres par rapport à des patients ayant une vue sur un mur
de briques. Raanaas, Patil et Hartig (2010)
montrent également que la présence de
plantes à l’intérieur d’une structure de
19
LA NATURE EN VILLE, FACTEUR
D’UN BIEN-ÊTRE AU QUOTIDIEN
convalescence a une influence positive sur multiples formes (parcs, jardins, espaces
l’état de santé des patients (meilleure gestion libres) constitue pour les citadins un moyen
de la douleur, diminution du rythme car- de renouer avec les cycles de vie, les saisons.
diaque et de la pression systolique, meilleur Ce sont des repères de la vie, du temps qui
rétablissement) et cela vaut sur le long terme, passe dans ce paysage artificiel qu’est la ville.
même après la sortie du patient. Une étude Cela explique l’attachement que peuvent avoir
autre a été menée en 2009 en Hollande sur les citadins aux arbres centenaires… en raison
un échantillon de 400 000 individus, ayant de cette symbolique : l’arbre sein qui traverse
dans un rayon équivalent autour de leur lieu les siècles…
de vie, peu ou un nombre important d’espaces
verts. A été mise en évidence l’existence ou LA NATURE-DÉCOR.
non de diverses pathologies selon le pour- LA NATURE PERMET DE CRÉER
centage d’espaces verts dans ce rayon (10 % DES VILLES ESTHÉTIQUES,
et 90 %). Après s’être assuré qu’il n’y ait pas AGRÉABLES À VIVRE
de grandes différences de statuts socio- La vue sur la nature est importante pour notre
économiques entre les individus de l’échan- bien-être et notre santé, mais nous savons
tillon, la prévalence de certaines maladies aussi que l’Homme aime le beau, l’esthétique.
selon le degré de verdure environnante a été Ainsi en ville, le végétal est devenu un élément
observée. Pour toutes les données,
celles-ci étaient plus élevées
lorsque les individus avaient peu
d’espaces verts dans leur environnement quotidien que ce soit pour
les troubles cardiovasculaires
(hypertension, AVC), musculaires
(douleurs diverses), mentaux
(dépression, troubles de l’anxiété),
respiratoires (infection, asthme),
neurologiques (migraines, vertiges),
digestifs et autres (eczéma, infection
urinaire, diabète, cancer) etc.
Ces résultats nous prouvent une
fois de plus que la présence de
nature dans notre cadre de vie a
une influence sur notre santé au
quotidien. Le végétal a un réel
Les jardins de Versailles
impact positif pour les individus
qui en profitent, soit par la pratique ou par d’embellissement, il participe à l’amélioration
la simple vue. N’oublions pas également que du cadre de vie, je parle alors d’une naturenos ancêtres se soignaient à partir de plantes décor. La nature en ville c’est surtout du
médicinales, nos fameux « remèdes de fleurissement qui va participer à la mise en
grand-mère » souvent élaborés à partir d’in- valeur d’une place, d’un patrimoine bâti,
grédients naturels. Dans les cultures arabo- c’est des arbres d’alignement qui off rent une
persane, chinoise, africaine et amérindienne, perspective sur un grand boulevard. Le
cette médecine traditionnelle à base de concours « ville et village fleuris » créé en 1959
plantes prime. C’est ce que l’on appelle la permet de promouvoir le développement des
phytothérapie. De plus, la nature, sous ses espaces verts dans les communes françaises et
participe à l’image de marque de la commune.
Parmi les critères de notation : la démarche
de valorisation par le végétal et le fleurissement de la commune. Chaque ville prend
soin de fleurir ses rues, ses places principales
et les particuliers en font de même en fleurissant leurs balcons, les appuis de fenêtre,
en tondant leur pelouse. Une nature qui est
ordonnée, réfléchie, mise en scène, créant
des tableaux agréables au regard, on parlera
d’une nature paysagée. De nombreuses
enquêtes ont révélé que les citadins veulent
dans les parcs ou dans leurs jardins retrouver des séquences paysagères, agréables à
contempler. En France, cela est sans doute
dû à notre héritage des jardins à la française.
Appelés également jardins réguliers ou classiques, ils sont pensés avec des agréments,
expression du classicisme dans
l’art des jardins, autrement dit la
recherche de la perfection formelle, d’une majesté théâtrale.
Versailles en est un parfait
exemple. Cependant, les jardins
anglais ont pris le contre-pied et
sont très appréciés par les citadins
car ils offrent une diversité de paysages et surtout leur conception
permet des aménagements multiples pour répondre à la demande
sociale (pelouses praticables, plan
d’eau, succession de points de vue,
des chemins irréguliers, une multitude d’espaces variés). Nous
pouvons citer de nombreux parcs
conçus de la sorte, très appréciés,
parmi eu x : Victoria Park
(Londres), Central Park (New York), Englischer Garten (Munich)…
La qualité des espaces verts publics, en
termes d’harmonie paysagère, d’aménagement, d’entretien et de fonctionnalité a une
influence directe sur leur fréquentation et
© RMN - Grand Palais (musée du Louvre) - Gérard Blot
LE BONHEUR DANS LA VILLE
la satisfaction des citadins. Et à l’échelle de la
ville, leur qualité, la beauté des parterres fleuris, des arbres d’alignement, contribue
à l’image de marque et à l’attractivité du territoire. Central Park à New York ou les jardins
de l’Alhambra à Grenade ou même encore le
Parc de la Tête d’Or à Lyon sont des exemples
de parcs qui ont fait la renommée de la ville.
LA NATURE SYNONYME
D’ESPACES DE LOISIRS ET DE
DÉTENTE QUI CRÉE DU LIEN
SOCIAL
Dans le contexte actuel de volonté de
concevoir des villes durables, de nombreuses
politiques publiques sont mises en place
pour réinsérer de la nature en ville. Elles sont
surtout une réponse à la demande sociale. Il
y a un manque de nature ressenti et exprimé
notamment dans les grandes villes. Cela est
dû à la forte minéralité des villes mais aussi
LE SAVIEZVOUS ?
au phénomène d’étalement urbain qui
repousse toujours plus loin les campagnes
(les espaces agricoles mais aussi naturels
qui permettent de développer des pratiques
de loisirs). Ainsi, aujourd’hui l’objectif est
de combler ce manque en offrant aux
urbains des espaces d’agréments, des lieux
de promenade (multiplication des voies
douces) et de pratiques sportives de plein air
ou la possibilité de cultiver un jardin familial
au cœur de leur ville. L’enjeu est sociétal.
Les citadins doivent disposer à proximité de
chez eux, d’un espace de détente et de loisirs,
pour favoriser leur épanouissement et leur
bien-être. Les parcs par exemple, jouent un
rôle crucial pour répondre à cette demande.
Les citadins attendent beaucoup de ces
espaces publics. Nombreux sont ceux qui
veulent y trouver des jeux pour enfants, des
sentiers de promenade adaptés et des équipements pour se reposer, contempler la
nature ou manger (bancs, table de piquenique) mais aussi pour pratiquer des activités
sportives. De nos jours, le parc urbain doit
posséder quelques boucles pour la course à
pied, mais également depuis quelques
Plus on s’approche
du centre-ville et
plus le thermomètre
grimpe ! La végétation
absorbe cette chaleur
pour mieux réguler
la température.
© Thinkstock
20
N°07 JUIN 2015
LES CAHIERS DE L’OBSERVATOIRE DU BONHEUR
années, on constate une demande accrue de
parcours de remise en forme.
Les parcs urbains sont aussi des lieux
d’échange et de convivialité. La nature sous
toutes ses formes peut être support d’activités
off rant de nombreuses opportunités pédagogiques ou ludiques (jardinage, jeu, terrain
d’aventure, observatoire de la biodiversité,
cueillette, festivité). Par exemple, les espaces
de nature sont des lieux privilégiés de rencontres intergénérationnelles et de mixité
sociale. Une enquête réalisée en 2012 à Lyon
par Lise Bourdeau-Lepage révèle que pour
les individus interrogés de plus de 50 ans et
en particulier les personnes âgées (plus de
70 ans), la fonction première d’un parc est
de permettre les rencontres et les activités
sociales à hauteur de 65 %. Moins onéreux
que certaines structures en dur, ils peuvent
être un vecteur pour rompre l’isolement.
Ainsi, ils contribuent véritablement à l’épanouissement des habitants et améliorent leur
quotidien.
Parlons des jardins cultivés en ville. Nous ne
pouvons parler des potagers urbains sans
citer la « green guerilla » qui est un mouvement contestataire de la fin du XXe siècle qui
acte pour la non-privatisation des espaces et
permet la reconquête des délaissés urbains
par la création de potagers publics. En France,
ces potagers très prisés (liste d’attente) ont
fini par être placés sous contrôle d’associations et clôturés… La volonté première qui
LE BONHEUR DANS LA VILLE
LA NATURE DANS LA
CONSTRUCTION DE LA VILLE,
COMME ÉLÉMENT D’UTILITÉ
PUBLIQUE
Nous ne pouvions pas conclure cet article
sans aborder la question du végétal dans la
conception des villes durables, mais aussi les
constructions dites écologiques. Par cela, la
nature a une utilité publique. Nous pouvons
citer plusieurs exemples. Dans un premier
temps, les espaces verts favorisent la rétention de l’eau de pluie par l’infi ltration et
l’absorption. Par conséquent, ils participent
à la recharge des nappes phréatiques tout en
limitant les risques d’inondation et d’érosion
des sols. De même la présence du végétal
joue un rôle de régulateur thermique. À l’ère
du réchauffement climatique, la nature rend
la ville plus vivable, assurant une meilleure
21
© Shutterstock - Littleny
était de créer des potagers et de les ouvrir au
public, est parfois reprise comme c’est le cas
à Rennes avec les « jardins de curés », composés d’un jardin des senteurs, d’un verger
accessible à tous (rhubarbe, framboisiers,
fraisiers), de jeux pour enfants, de terrains
de pétanque, d’étendoirs à linge. Un espace
propice aux rencontres, au partage et
échanges entre voisins et à la convivialité.
Soutenus ou mis en place par des associations, les jardins partagés sont de plus en
plus nombreux et permettent un rapport à
la nature direct (cultiver, produire ses
propres légumes). Grands-parents et petitsenfants, voisins se transmettent un savoirfaire, les vertus de la patience. De plus,
plusieurs études ont montré que le jardinage
a de nombreuses répercutions positives sur
le plan de la santé. Il améliore l’état physique
et mental des individus qui le pratique,
notamment pour les personnes âgées (souplesse, densité osseuse, stimulation mentale).
Les Anglais ont d’ailleurs créé les « healing
gardens », des jardins thérapeutiques dans
les centres médicaux qui sont associés au
protocole de soins de certains patients (ex. :
patients atteints d’Alzheimer).
LA NATURE EN VILLE, FACTEUR
D’UN BIEN-ÊTRE AU QUOTIDIEN
« Battery Urban Farm », Jardin cultivés à Manhattan, New York.
humidification de l’air et en réduisant ainsi
les effets de l’îlot de chaleur urbain. Le
confort l’été, notamment en période de
canicule, en est considérablement amélioré.
C’est pour cette caractéristique que le végétal a fait son apparition dans les nouvelles
techniques de conception des bâtiments
basse consommation (toitures végétalisées,
murs végétalisés). De plus, les plantes ont
également la capacité d’épurer l’air en recyclant le dioxyde de carbone en oxygène et
ont des capacités dépolluantes (on parlera
de phytoremédiation) puisqu’elles peuvent
réduire les facteurs allergènes et les maladies
respiratoires. Ainsi, on comprend l’enjeu de
multiplier ce type de structures végétales
mais aussi de réinsérer, de recréer des
espaces de nature en ville (bois, zones
humides) pour notre bien-être quotidien.
Tous ces travaux nous montrent qu’indéniablement la nature a sa place en ville quels que
soient la culture, le pays. La présence
d’arbres, de fleurs, de parcs stimule nos relations sociales, certaines de nos aptitudes
mentales. La nature nous fait du bien, elle
améliore notre cadre de vie, nos conditions
de vie, elle embellit notre quotidien et par cela
incontestablement elle est pour les citadins
une source de bien-être et de santé sur du
long terme lorsqu’elle est accessible… •
BIBLIOGRAPHIE
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Psycho-n°54.
GUEGUEN N. et MEINERI S., 2012, Pourquoi la nature nous fait du
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N°07 JUIN 2015
LES CAHIERS DE L’OBSERVATOIRE DU BONHEUR
LA BIODIVER
URBAINE
E
n biologie, la biodiversité est
simplement la diversité biologique. Elle intègre tous les
niveaux biologiques : la diversité des gènes au sein d’une
population (diversité génétique),
la diversité des populations au sein d’un écosystème (diversité spécifique) et la diversité
des interactions et des écosystèmes terrestres
(diversité écosystémique). Du fait de l’emboîtement de ces différents niveaux de la biodiversité, il est impossible d’avoir une mesure
absolue de la biodiversité et, souvent, nous
nous focalisons sur la diversité spécifique en
négligeant le niveau génétique et écosystémique. Robert Barbault parlait du « tissu du
vivant » comme synonyme de la biodiversité
pour faire bien ressortir les interactions qui
existent entre les populations (compétition,
prédation, parasitisme, mutualisme) afin d’y
intégrer la dimension écosystémique. Depuis
la conférence de Rio (1992), le terme de
« biodiversité » n’est pas seulement utilisé
pour sa définition biologique mais est
devenu un concept véhiculant différents
messages : la biodiversité est en déclin ;
l’homme fait partie de la biodiversité ; le
déclin de cette biodiversité est en partie dû
aux activités anthropiques ; or, l’Homme
dépend de la biodiversité comme ressources
(aliments, pétroles, médicaments…), comme
services écosystémiques (filtration de l’eau,
régulation du climat…) et comme ressources
spirituelles et esthétiques. Il serait donc
logique d’éviter son déclin tout en maintenant nos activités. C’est dans ce contexte
qu’est né le « développement durable » qui
prône le développement d’une activité
anthropique respectueuse de la biodiversité.
Parallèlement, l’environnement urbain est
en constante expansion depuis ces dernières
années. Une récente étude prédit qu’en 2030,
plus de 5 milliards d’humains seront urbains
et que l’environnement urbain augmentera
de 1,2 million de km² (équivalent à une surface d’un pays comme l’Afrique du Sud),
triplant ainsi sa surface à l’échelle terrestre1.
Cet environnement urbain a ses propres
particularités dont le fonctionnement est
étroitement lié aux activités humaines et qui
s’est vu être colonisé par de nombreuses
espèces qui se sont acclimatées ou adaptées
à ce nouvel environnement. C’est dans ce
contexte qu’est née une nouvelle discipline :
« l’écologie urbaine ». Celle-ci vise à décrire
et à comprendre le fonctionnement de la
biodiversité urbaine. Plus précisément,
cette science est l’étude des processus
déterminant l’abondance et la distribution
des organismes, des interactions entre organismes, des interactions entre organismes et
l’environnement, et des flux d’énergie et de
matière dans l’écosystème urbain. L’environnement urbain est essentiellement dépendant
des activités de l’Homme (environnement
1
Seto et al. 2012. Global forecasts of urban expansion to 2030
and direct impacts on biodiversity and carbon pools. PNAS 109:
16083-16088.
L'ESSENTIEL
La biodiversité intègre tous
les niveaux biologiques :
des gènes aux écosystèmes.
Bien qu’elle rende de nombreux
services, nos activités participent
à son inexorable déclin.
L’environnement urbain semble
être hostile à toutes formes
de biodiversité, néanmoins
elle s’y est installée. Nous
la connaissons peu, or cet
environnement ne cesse de
croître. Elle est essentiellement
dépendante des activités de
l’Homme mais aussi de son
comportement et de ses choix
vis-à-vis de celle-ci en ville.
Les premières études révèlent
que la ville constitue une vitrine
de la biodiversité spécifique
locale présente en dehors des
villes. Celle-ci renferme
également des interactions
écologiques originales et pourrait
rendre de nombreux services aux
citadins.
LE BONHEUR DANS LA VILLE
LA BIODIVERSITÉ URBAINE
23
SITÉ
PAR JULIEN GASPARINI,
SORBONNES UNIVERSITÉS, UPMC UNIV
PARIS 06, INSTITUT D’ÉCOLOGIE ET DES
SCIENCES DE L’ENVIRONNEMENT DE
PARIS, 75005 PARIS, FRANCE
BIOGRAPHIE
1977 > Naissance à Saint-Denis (93)
2004 > Thèse de doctorat en Écologie
à l’Université Pierre et Marie Curie
(Sorbonne Universités)
2004-2007 > Premier assistant
à l’Université de Lausanne (Suisse)
2014 > Responsable du pôle d’Écologie
Urbaine au sein de l’Institut d’Écologie et des
Sciences de l’Environnement de Paris.
© Thomas
à l’Université Pierre et Marie Curie (Sorbonne
Universités) au sein du laboratoire Écologie et
Évolution puis au sein de l’Institut d’Écologie
et des Sciences de l’Environnement de Paris.
Bartel
Depuis 2008 > Maître de conférences
LA BIODIVERSITÉ URBAINE,
LES PREMIÈRES APPROCHES
DESCRIPTIVES
Les premiers travaux ont consisté à décrire
la présence ou l’absence des différentes
espèces. Dans ce contexte, les hypothèses
étaient les suivantes. Premièrement, les chercheurs s’attendaient à ce que l’urbanisation
entraîne une diminution de la diversité spécifique du fait de la fragmentation et la perte
de l’habitat d’origine. Deuxièmement, ils
s’attendaient également à ce que la diversité
spécifique soit homogène entre toutes les
villes à la surface du globe du fait des flux
commerciaux et migratoires d’humains
entre villes entraînant des échanges bio-
Blanc (2 %)
Barré (34 %)
© Thinkstock
physico-chimique, sonore, lumineux, topographique…) mais aussi de son comportement
et de ses choix vis-à-vis de la biodiversité en
ville (régulation de population, gestion de la
nature, perception de la nature, poubelle et
marché comme source de nourriture, parc
et jardin, espèces domestiques devenues
férales…). Ainsi, le fonctionnement de l’écosystème urbain est soumis à une dynamique
particulière pour lequel nous disposons de
très peu d’information en comparaison avec
les écosystèmes non anthropisés.
tiques entre les villes (échanges de graines,
de pollens, d’animaux qui suivent l’homme
dans les transports). Une étude a récemment
testé ces deux hypothèses2 en recensant les
espèces de plantes et d’oiseaux s’étant installées dans 147 villes (de 13 000 à 18 millions
d’habitants) des 5 continents. Les résultats
montrent, en effet, que les villes concentrent,
moins de biodiversité spécifique que les
habitats d’origine. Les villes n’hébergent que
5 % des 14 240 d’espèces de plantes vasculaires
et que 20 % des 10 052 d’espèces d’oiseaux.
Mais contrairement aux prédictions, les
villes ne sont pas homogènes en terme de
biodiversité spécifique. En effet, l’étude
révèle que la majorité des oiseaux et des
Damier (26 %)
Figure 1 : Polymorphisme de couleur du plumage chez le pigeon des villes.
plantes vasculaires sont des espèces natives
de la région géographique. Les villes sont en
fait une vitrine de la biodiversité locale. Si
nous nous plaçons à l’échelle des familles,
nous constatons effectivement que 65 % des
familles de plantes vasculaires et 73 % des
familles d’oiseaux sont représentées en zone
urbaine. De plus, l’étude révèle qu’il y a relativement peu d’espèces cosmopolites. Les
espèces les plus cosmopolites sont le pigeon
urbain (Columba livia) et le pâturin annuel
(Poa annua). Néanmoins, l’homogénéisation de la biodiversité est peut-être actuellement en cours et d’ici quelques années nous
assisterons à la disparition des espèces
locales au profit des espèces cosmopolites.
Damier foncé (28 %)
Noir (10 %)
© Thinkstock
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N°07 JUIN 2015
LES CAHIERS DE L’OBSERVATOIRE DU BONHEUR
LE BONHEUR DANS LA VILLE
Au niveau de la diversité génétique, mes
recherches se sont focalisées sur une espèce
cosmopolite : le pigeon urbain. Celui-ci
présente une étonnante diversité de couleur
ayant une base génétique en milieu urbain
(Figure 1). Dans son environnement natif,
les falaises de la Méditerranée, cette diversité
de couleur est absente, seuls les pigeons
« barrés » composent les populations natives.
Pour comprendre l ’origine de cette
biodiversité des populations urbaines, il faut
comprendre l’histoire évolutive des pigeons.
Les pigeons ont été domestiqués depuis
plusieurs milliers d’années avant J.-C. pour
leur chair et pour leur faculté à revenir sur
leur lieu de naissance ; très pratique pour
envoyer des messages avant l’apparition du
téléphone. Cette domestication a entraîné
une sélection artificielle importante, parfois
sur des qualités esthétiques comme la
couleur. Après l’arrivée du téléphone, les
pigeons sont redevenus sauvages et ont
colonisé le milieu urbain. Cette diversité de
couleurs a alors été soumise aux pressions
de sélection de l’environnement urbain.
Une partie de la diversité issue de la
domestication est a lors maintenue.
Pourquoi ? En fait, les gènes codant pour
la couleur du plumage codent également
pour des hormones régulant différentes
grandes fonctions physiologiques et
comportementales comme l’assimilation de
la nourriture3. En effet, nous avons montré
que les pigeons noirs rentabilisaient mieux
une forte disponibilité en nourriture que
les pigeons les plus clairs. Inversement,
les pigeons noirs toléraient moins le manque
de nourriture que les pigeons les plus clairs.
L’environnement urbain étant très variable
dans le temps et dans l’espace, celui-ci
entretient, fi nalement, le maintien de cette
diversité de couleurs. Plus simplement, les
différentes couleurs reflètent des adaptations
à différentes niches écologiques comme la
disponibilité en nourriture ou la pollution.
Ainsi, les propriétés de la ville maintiennent,
dans le cas du pigeon, une biodiversité
LA BIODIVERSITÉ URBAINE
génétique plus élevée que dans le milieu
natif…
Au niveau écosystém ique, com me
l’environnement urbain est un nouvel
environnement, beaucoup de populations se
sont adaptées ou acclimatées créant ainsi de
nouvelles interactions biotiques. La
différence entre ces deux mécanismes est
souvent mal comprise. Le premier,
l’adaptation, résulte d’un mécanisme
évolutif : la sélection naturelle. Brièvement,
la sélection naturelle maintient les génotypes
qui codent pour des phénotypes les plus
efficaces en termes de survie et de
reproduction dans un environnement
LE SAVIEZVOUS ?
L’environnement urbain
triplera de surface entre
2000 et 2030, soit une
augmentation équivalente
à un pays comme l’Afrique
du Sud.
donné. À l’inverse, elle élimine les génotypes
les moins efficaces. L’acclimatation est le fait
qu’un génotype est plastique et que les
individus peuvent ajuster leur phénotype en
fonction de l’environnement. Le bronzage
chez l’homme est un exemple classique de
plasticité ; notre couleur fonce en fonction
de l’exposition au soleil. Quel que soit le
mécanisme, l’environnement urbain, par
son originalité, a vu émerger de nouvelles
chaînes alimentaires. L’exemple le plus
parlant est le cas de la chouette hulotte
(Strix aluco) à Marseille4. Cette espèce est un
oiseau de proie nocturne, principalement
25
forestier. Son régime alimentaire se constitue
essentiellement de mulots ou de campagnols
en milieu forestier. L’étude des pelotes de
réjections des chouettes hulottes de Marseille
montre que son régime alimentaire se
constitue essentiellement de limaces !
LA PERCEPTION HUMAINE,
FACTEUR INFLUENÇANT
LA BIODIVERSITÉ URBAINE
Finalement, l’interaction biotique la plus
originale en ville est l’interaction entre
l’homme et la biodiversité. En effet, dans cet
espace confiné, l’interaction entre l’homme
et la biodiversité est beaucoup plus forte et
va jouer un rôle moteur et dynamique sur
la biodiversité. Plus particulièrement, la
perception des citadins va grandement
influencer celle-ci. Au niveau de la biodiversité spécifique, nous n’avons pas le même
regard sur les espèces comme les chardons,
les blattes, les rats et les pigeons que sur
les espèces comme les roses, les abeilles,
les moineaux et les mésanges. Les blattes,
qui envahissent nos cuisines en ville, sont
systématiquement stigmatisées et sont soumises à des méthodes de régulation par les
citadins (utilisations d’insecticides). En y
réfléchissant, les blattes n’ont pas d’effets
négatifs sur nos activités. Seule leur présence
dérange. En utilisant des insecticides, l’effet
est certes relativement efficace sur les populations de blattes mais va aussi éradiquer les
populations de la biodiversité non ciblée. De
plus, les autorités publiques peuvent décider
2
Aronson et al. 2014. A global analysis of the impacts of
urbanization on bird and plant diversity reveals key
anthropogenic drivers. Proceedings of the Royal Society of London
B 281: 20133330.
3
Jacquin Lisa. 2011. Coloration mélanique et stratégies d’histoire
de vie chez le pigeon biset urbain. Thèse de Doctorat
de l’Université Pierre et Marie Curie (Sorbonne Universités)
sous la direction de Julien Gasparini.
4
Bayle Patrick. 2012. Étude du régime alimentaire d’un couple
de chouette hulotte en milieu urbain (Marseille).
Publication en ligne le 12 janvier 2015 à l’adresse suivante :
http://www.hulotteparisienne.fr/index1.php4?p=action2&auth=2
de réguler et gérer la nature en ville afin de
satisfaire la perception de la place de la biodiversité en ville. C’est dans ce contexte que
la mairie de Paris a mis en place une méthode
de régulation des populations de pigeons en
installant des pigeonniers « contraceptifs ».
À l’inverse, les abeilles sont perçues comme
« gentilles » par les citadins car elles participent à la pollinisation et fabriquent du miel
(et pourtant elles piquent !). C’est ainsi que
certaines municipalités franciliennes ont
placé des ruches sur nos toits favorisant le
développement de cette population. Les perceptions sont susceptibles de varier dans le
temps et dans l’espace, la biodiversité avec !
LA BIODIVERSITÉ URBAINE
AU SERVICE DU BONHEUR
DES CITADINS
Cette biodiversité détestée, comme les rats
ou les blattes, peut, quelle que soit sa renommée, rendre des services intéressants aux
activités humaines en zone urbaine. En effet,
les rats et les blattes se nourrissent essentiellement des déchets du métabolisme urbain,
ce sont de véritables éboueurs de nos rues et
de nos appartements qui ne coûtent rien aux
contribuables. Parallèlement, l’agriculture
urbaine est en pleine expansion et la biodiversité des villes peut apporter sa contribution. C’est le cas des abeilles pour la
production de miel. Nous pouvons également reparler du pigeon dont les fientes
pourraient fournir un fertilisant local. Je
ne parlerai pas de la possibilité de manger
celui-ci. Nous ne sommes pas encore prêts.
Mais cette agriculture urbaine serait très
intéressante puisque le pigeon se nourrit de
nos déchets. Il pourrait rendre le service
d’éboueur-recycleur en transformant nos
déchets en nourriture. Nous pourrions alors
consommer ses œufs ou ses pigeonneaux.
Les vers de terre sont également très présents
dans les sols des parcs et jardins urbains. Or,
ce dernier a la réputation d’aérer le sol et de
minéraliser la matière organique du sol, la
rendant plus assimilable par les plantes,
favorisant la production des cultures. De plus,
plusieurs organismes vivants séquestrent
des polluants dans différents organes. C’est
le cas par exemple de certaines plantes qui
séquestrent les métaux traces (= métaux
lourds). Bien évidemment, quand la plante
meurt, les métaux sont relargués dans
l’environnement. Mais, si les populations
de plantes se maintiennent dans le temps
(certaines meurent et d’autres naissent), c’est
d’autant moins de métaux traces auxquels
N°07 JUIN 2015
nous sommes exposés. Je finirais enfi n par
le constat qu’intrinsèquement, nous sommes
émerveillés par la biodiversité. Il suffit pour
cela d’aller se promener dans la rue et de
regarder les enfants courir en rigolant après
les pigeons ou de souffler sur les fleurs de
pissenlits. Les citadins sont également
fascinés quand je leur raconte que le pigeon
urbain est un des rares représentants aviaires
à allaiter ses poussins avec du lait de jabot.
Les deux sexes participent à cet allaitement.
Plus généralement, nous allons au zoo ou
aux parcs botaniques pour s’émerveiller de
la biodiversité exotique. Nous payons pour
aller admirer et comprendre cette biodiversité lointaine alors que nous ne connaissons
pas celle qui nous entoure dans nos villes,
qui est pourtant en libre-accès. Ce bonheur
est à portée de mains alors sortez dans la rue
et admirez-la ! •
© Fotolia
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LES CAHIERS DE L’OBSERVATOIRE DU BONHEUR
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Date d’achèvement du tirage : juin 2015. Numéro ISSN en cours. Dépôt légal - Juin 2015.
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