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R
EFORME FISCALE ET SOUTENABILITE DE LA
DETTE PUBLIQUE
:
LE CAS DU
L
IBAN
Par Hassan Ayoub
et Marc Raffinot
**
Mai 2005
Résumé :
Après une période de fuite en avant dans l’endettement, l’Etat libanais a réussi à
stabiliser la situation des finances publiques, notamment grâce à une réforme fiscale bien
menée avec l’appui de l’Union européenne. Les projections montrent que seule une réduction
de la croissance de l’économie associée à un dérapage des finances publiques serait de nature
à déboucher sur une insoutenabilité de la dette publique. Néanmoins, une grande partie de la
dette publique est à court terme. Pour renouveler les emprunts venus à échéance, il faut
maintenir la confiance des investisseurs, qui repose sur la stabilité du taux de change, et
implique d’accepter des taux d’intérêts élevés. L’Etat libanais a l’avantage de pouvoir
compter sur un secteur financier intérieur très liquide, capable d’absorber des montants élevés
de titres publics. Mais toute réduction des rémunérations des titres de dette publique risque de
fragiliser ce secteur.
Summary:
Since 2004, the Lebanese Government succeeded in stabilizing the public debt ratio to
GDP, namely through a fiscal reform supported by the European Union. Forecasts show that
only a sharp decrease in the growth rate, or a sharp increase of international interest rate could
result in an unsustainable public debt. Nevertheless, a significant part of the public debt is
short term. In order to roll it over, the confidence of investors is crucial. The stability of the
exchange rate is important in this regard, but result in very high interest rates. The Lebanese
government uses the high liquidity of the financial sector to issue bonds on the internal
financial markets. A decrease of public’s debt interest rates is likely to be problematic for the
banking sector.
Université de Lille2, CADRE
**
Université Paris Dauphine, EURIsCO, DIAL
2
Introduction
Avec une dette publique brute qui dépassait 185 % du PIB à la fin de l’année 2003,
l’Etat libanais se trouvait dans une situation extrêmement rare, sinon unique dans le monde.
Entre 1999 et 2003, la dette publique a progressé régulièrement sans que cela conduise à une
sévère crise d’endettement analogue à celles qu’ont connues des pays qui avaient un niveau
d’endettement bien plus faible. En 2000, par exemple, la dette publique turque ne dépassait
pas 69 % du PIB et son niveau maximal (en 2001) était inférieur à 119 % du PIB.
Face à cette menace potentielle, les gouvernements libanais ne sont pas restés inactifs.
Depuis quelques années, une ambitieuse réforme fiscalo-douanière a été entamée. Afin
d’anticiper la baisse des recettes douanières liée à la libéralisation du commerce extérieur et à
l’accord d’association avec l’Union européenne (UE), il s’agissait d’introduire la TVA et de
faire avancer le dossier des privatisations. L’UE a fourni un appui à ces réformes sous forme
d’une subvention à l’ajustement structurel. L’introduction de la TVA est généralement
considérée comme un grand succès, alors que le programme de privatisation a pris un retard
très important, ainsi que l’introduction d’un impôt général sur les revenus. La réforme
entreprise a permis d’accroître la pression fiscale et de dégager un surplus primaire.
Malgré l’amélioration de l’équilibre des finances publiques, la république libanaise se
trouve confrontée à un problème délicat. Il lui faut rembourser une dette publique qui reste
très importante (en partie libellée en devises), tout en maintenant une parité fixe avec le dollar
(pour asseoir sa crédibilité) et des taux d’intérêts élevés (pour attirer les capitaux). De plus, ni
la fiscalité ni l’allocation des dépenses publiques ne doivent remettre en cause le très fragile
équilibre socio-politique (qui se reflète dans la répartition tripartite du pouvoir). De plus,
l’Etat a largement mis le secteur bancaire à contribution pour absorber des montants élevés de
titres publics, et un retrait peut contribuer à fragiliser le secteur bancaire.
Cet article se propose de contribuer à l’analyse de cette situation. La première section
présente une analyse de la dette publique de l’Etat libanais. Dans la seconde section des
simulations seront entreprises pour évaluer la soutenabilité de la dette libanaise dans divers
scénarios budgétaires et de taux de change.
Evolution de la dette publique au Liban : une dynamique difficile à
maîtriser
Au début des années quatre-vingt dix, les libanais ont opté pour la paix et pour la
reconstruction de leur pays. Ce choix a nécessides efforts diplomatiques, économiques et
politiques pour faire face aux besoins financiers qui passent largement les ressources du
pays. Labakis (1991)
1
note « qu’après avoir vécu depuis deux ans dans l’attente des aides
extérieures érigées en chemin obligé de la reconstruction, les Libanais se rendent de plus en
plus compte qu’ils doivent compter avant tout sur eux-mêmes ».
Le contexte régional ne favorise pas l’obtention des aides et des prêts financiers
nécessaires à la reconstruction. Lewis (1993)
2
souligne que la Banque mondiale a défini des
projets destinés aussi bien à rétablir la paix régionale qu’à aider à financer la reconstruction
1
Cité par Bittar (1991)
2
Cité par Samir Sobh (1993).
3
du Liban et à lui faire retrouver son rôle économique dans la région. Dans ce contexte, le
gouvernement libanais n’a eu d’autre choix que de recourir à l’endettement en vue de soutenir
l’effort de la reconstruction. La conséquence d’un tel choix était la hausse progressive de la
dette publique au Liban.
La dette publique totale nette
3
a connu une tendance à la hausse tout au long de la
période en question. Le ratio de la dette publique nette par rapport au produit intérieur brut
augmente progressivement de 38% en 1992, à 169% en 2002, avant de reculer à 138% en
2003.
Figure 1: Evolution de la dette publique et de ses composantes (en % du PIB)
Evolution de la dette publique et de ses composantes
par rapport au produit inrieur brut
0%
25%
50%
75%
100%
125%
150%
175%
200%
1992 1993 1994 1995 1996 1997 1998 1999 2000 2001 2002 2003
DIN/PIB DE/PIB DN/PIB
Notes ; DN : Dette Publique Nette; DIN : Dette Publique Interne Nette; DE : Dette Publique Externe ; PIB :
produit intérieur brut. Source : calculés par nous à partir des rapports annuels de la Banque du Liban.
La progression de la dette publique marque un tournant dans l’histoire contemporaine
de l’économie libanaise de l’après-guerre. La dérive de l’endettement public est à mettre en
rapport avec l’effort de reconstruction et avec la situation des finances publiques. Cette
évolution s’est traduite par une hausse concomitante du service de la dette qui est passé de
44% des recettes d’exportation en 1992 à 391% en 2000 avant de reculer progressivement
pour atteindre 212% en 2003, comme le montre la Figure 2.
Rappelons que le succès de la seconde conférence de Paris sur le Liban (novembre
2002), qui a permis au Liban de bénéficier d’une ligne de 4,4 milliards de dollars de crédits
internationaux (dont la moitié environ a été tirée). Cette Conférence a marqué la volonté des
participants d’aider le Liban à réduire le poids de sa dette en lui permettant de bénéficier
d’emprunts à plus long terme et à un coût moins élevé. Elle a redonné confiance aux marchés
financiers et a permis de restructurer la dette publique, notamment en provoquant une baisse
des taux d’intérêts. En plus de la réorganisation des finances publiques, la principale
recommandation qui découle de cette conférence, consiste à convertir la dette publique
intérieure à court terme et à très haut taux d’intérêt, en de la dette extérieure à long terme et à
taux d’intérêts bas.
3
La dette publique nette est égale à la dette publique brute moins les dépôts du secteur public.
4
L’attribution des crédits a été liée à la mise en œuvre des réformes, notamment le
programme de privatisation, de réduction des dépenses publiques et d’augmentation des
recettes. Il n’en demeure pas moins que la pression de la dette publique sur le redressement de
l’économie se fait de plus en plus pesante et le problème majeur demeure le service de la
dette, à travers sa part prépondérante dans les recettes publiques courantes et dans celles des
exportations.
Figure 2 : Evolution du ratio service de la dette publique par rapport aux exportations
et aux recette publiques
0%
20%
40%
60%
80%
100%
120%
1992 1993 19941995 1996 1997 1998 1999 20002001 2002 2003
SD/RP
25%
55%
85%
115%
145%
175%
205%
235%
265%
295%
325%
355%
385%
415%
SD/X
Notes : S.D : Service Dette Publique ; X : Exportations ; R.P. Recettes Publiques. Source : ratios calculés par
nous à partir des rapports annuels de la banque du Liban
A partir de 2000, ce ratio connaît une tendance à la baisse, qui s’explique non
seulement par l’allégement du service de la dette mais aussi par l’amélioration de la
compétitivité des produits libanais à l’exportation. Mais malgré la baisse constatée depuis
2000, le niveau du service de la dette demeure préoccupant pour le Liban. En fait, les
indicateurs de la dette publique libanaise dépassent largement tout ce qui est généralement
considéré comme des seuils d’insolvabilité. Il est donc surprenant que cette situation ne
débouche pas sur une crise, ce qui peut apparaître comme un miracle.
Evolution de la dette publique interne
Quant à la dette publique interne nette, elle s’est accrue durant la période 1992-2003, passant
de 3178 milliards de L.L. à 26843 milliards de L.L. soit une augmentation en volume de
l’ordre de 22665 milliards de L.L. Toutefois, sa part dans le produit intérieur brut a connu une
fluctuation notable. De 44%, en 1992, elle augmente progressivement pour atteindre 131% en
2000, avant de reculer à 94% en 2003. On note que la raison majeure de la baisse constatée
depuis 2000 provient de la conversion de la dette publique interne en dette publique externe.
Cette nouvelle tendance reflète le succès de la stratégie de conversion de la dette publique.
Evolution de la dette publique externe
5
Dans les années quatre vingt, la dette publique externe était limitée puisque le gouvernement
libanais n’a pas eu recours à l’endettement externe pour financer les dépenses publiques de
l’Etat libanais pendant les années de crise. La dette publique extérieure était de l’ordre de 404
millions de dollars en 1990 et 448 en 1991, soit respectivement 20%, et 10% du produit
intérieur brut. Cependant, à partir de 1993, le recours du gouvernement Hariri à l’endettement
externe engendre une augmentation de la dette publique externe du pays. Ainsi, le montant de
la dette publique externe augmente progressivement de 5% du produit intérieur brut en 1992,
pour atteindre 67% en 2002, avant de reculer à 54% en 2003.
La raison majeure de cette augmentation, à partir de 1999, fut la conversion d’une grande
partie de la dette interne en dette externe, celle-ci ayant des coûts plus faibles, d’une part, et la
nécessité d’avoir un compte des opérations financières excédentaire pour compenser les
déficits commerciaux croissants, d’autre part. Si bien que, la question de la dette extérieure est
devenue très préoccupante pour le Liban.
Il faut souligner enfin que la dette extérieure du Liban est presque entièrement publique 96
% à la fin 2003 en ce qui concerne la dette publique extérieure, d’après les données de la
Banque mondiale présentées dans l’annuaire Global Development Finance).
Evolution de la structure de la dette
La structure de la dette publique par terme montre que le gouvernement libanais a eu
recours à la dette publique à court terme au début des années quatre-vingt dix. C’est à partir
de 1995 qu’il adopte une stratégie de conversion de dette à court terme en dette à long terme.
En effet, à partir de cette année, la part des bons du trésor à 24 mois dans le total augmente
progressivement pour atteindre un niveau élevé en 2003. Elle est passée de 41% en 1995 à
plus de 93% en 2003. En même temps, la part des bons du trésor à 12 mois connaît une
tendance à la baisse, passant de 43% en 1995 à 3% en 2003. Cette stratégie de conversion se
traduit par un allégement du poids de la dette publique à court terme, réduisant ainsi la
pression sur les finances publiques.
Figure 3 : Evolution de la composition des bons du Trésor (en %)
0%
10%
20%
30%
40%
50%
60%
70%
80%
90%
100%
1991 1992 1993 1994 1995 1996 1997 1998 1999 2000 2001 2002 2003
% B3M %B6M %B12M %B24M
Notes : B3M : Bons du trésor à trois mois ; B6M : Bons du trésor à 6 mois ; B12M : Bons du trésor à 12 mois ;
B24M : Bons du trésor à 24 mois. Source : Rapports annuels de la Banque du Liban.
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