Astérix chez les philosophes 1) Bonjour à toutes et à tous, Qu`est

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Astérix chez les philosophes
1) Bonjour à toutes et à tous,
Qu’est-ce qu’Astérix vient faire chez les philosophes ? Ou pour être plus juste, qu’est ce que
les philosophes viennent faire chez Astérix ? À cette question, vous pourriez raisonnablement
répondre qu’après tout, on peut philosopher avec n’importe quoi du moment que le
philosophe sait en faire son miel.
Par exemple rien n’empêche de philosopher à partir d’un garçon de café ou d’une chauve
souris. Jean-Paul Sartre s’est servi du premier afin de montrer comment la « mauvaise foi »
du serveur, le fait qu’il joue au serveur, lui permet de se construire une essence et le
philosophe Thomas Nagel s’est servi de la seconde pour s’attaquer au réductionnisme en
soulignant qu’il y a dans le monde des tas de choses qui échappent à la description
scientifique.
Il y a toutefois une grosse différence : Astérix n’est pas un garçon de café que vous pourriez
observer à loisir, et pas non plus un animal dont vous pouvez éprouver l’étrangeté
fondamentale qui vous empêche à jamais de savoir ce que c’est que d’être cet animal. Astérix
et son copain Obélix forment un couple célèbre de la fiction, comme Sancho Pança et Don
Quichotte chez Cervantes, Jacques le fataliste et son maitre chez Diderot, Uzbek et Rica dans
les Lettres Persanes de Montesquieu, Holmes et Watson etc.. Bref, ils appartiennent à un
monde avec ses régles et ses aventures, son éthique, ses dilemmes etc. Ce monde se prête-t-il
spécifiquement à philosopher ? On sent bien que le fait d’être un monde constitué, cohérent,
Harry Potter par exemple, est nécessaire mais pas forcément suffisant : il faut quelque chose
de plus qui pose nettement une question morale – qui du yéti ou du touriste de l’Himalaya est
l’abominable homme des neiges ? Qu’est ce que le mal selon Batman (dont je vous rappelle
qu’il devrait porter la mention ceci n’est PAS une chauve-souris - une question de
philosophie politique - Star Wars examine les faiblesses de la démocratie dans la lutte contre
l’empire – une question métaphysique : vaut-il mieux vivre heureux dans l’illusion comme
Don Quichotte ? - etc, etc
Le monde d’Astérix est-il en deçà ou au delà de cette frontière un peu floue que j’ai établie à
grands traits entre ce qui relève ou non de la philosophie? Vous vous doutez que si nous lui
avons consacré un numéro spécial de Philosophie Magazine c’est que nous avons parié que
oui. Avons-nous gagné ce pari ? Ma foi, nous verrons cela en conclusion ? Avec à titre
d’avertissement, cette remarque de Goscinny qui disait « puisque nous en sommes à la haute
philosophie, inutile de vous préciser que dans ce domaine on a trouvé des interprétations et
des intentions tout à fait surprenantes dans nos ouvrages. Je vous en fais grâce, d’autant plus
que je n’ai jamais très bien compris de quoi il s’agissait. Je crains de ne pas être assez
instruit. » Défense d’être cuistre en somme. Trop tard en ce qui me concerne, depuis que je
travaille à Philomag, je suis passé du côté obscur de la force, je cite à tout va. À ce propos,
vous aurez remarqué, peut-être avec consternation, la citation de Nietzsche en exergue. Je
vous la lis : « Personne ne peut tirer des choses, y compris des livres, plus qu’il n’en sait déjà.
Ce à quoi l’on a pas accès par une expérience vécue, on n’a pas d’oreilles pour l’entendre. »
Nietzsche, pourquoi j’écris de si bon livres, Ecce Homo, p131
Quel rapport avec Astérix ? Outre le fait qu’on est à peu près certain que Friedrich Nietzsche
n’a pas lu Astérix, il y a dans cette leçon du philosophe allemand une idée qui s’applique
parfaitement bien, me semble-t-il, et à notre époque en général et peut-être un peu plus
particulièrement à votre époque de la vie parce que les trois thêmes essentiels d’Astérix sont
l’amitié, la résistance, le rapport à l’étranger. D’ailleurs ils peuvent être rassemblés en un seul
et unique thême, celui de l’Autre, dont vous faites d’une manière ou d’une autre l’expérience
au quotidien : autrement dit, vous avez les oreilles pour l’entendre.
Et maintenant passons aux choses sérieuses
2/3/4/5/6 )
La naissance d’Astérix
Dans cette France qui perd ses colonies qui se transforme (monde paysan vers monde
urbain), qui a besoin d’affirmer une France résistante, voilà un village qui résiste, qui modifie
le cours de l’histoire, un peu comme De Gaulle.., et par dessus tout qui exalte une vie d’avant
… l’industrialisation… la défaite.. La modernité (nos ancetres les gaulois)
7) Résister
Comment définir la résistance ? On trouve une belle définition dans l’abécédaire de Gilles
Deleuze, « créer dit-il, c’est résister, résister à la bétise Le monde ne serait pas ce qu’il est,
s’il n’y avait pas l’art. » Mais c’est une définition très étroite et qui ne recouvre pas
l’ensemble des significations du mot.
« Je hais les indifférents. Comme Friedrich Hebbel, je pense que "vivre, c'est résister" »
Antonio Gramsci. C’est très beau, mais cela renvoie à une définition de la vie, probablement
nietzschéenne.
Et puis résister, c’est bien beau mais à qui ou à quoi ? Résister à l’envahisseur n’est pas la
même chose que résister à la mondialisation ou résister à la tentation de manger du chocolat
Résister chez Astérix, c’est dire non, et si ca ne suffit pas, c’est cogner
Grace à la potion magique, dernier rempart du droit et dont on peut remarquer qu’elle est plus
contenant que contenu, chacun y met ce qu’il veut.
8/9) L’Allemagne sous le charme d’Astérix
10/11/12/) Le domaine des Dieux ou la lutte contre les promoteurs et une société, comme
l’écrit Jean Baudrillard dans la société de consommation (1970) où « la consommation »
saisit toute la vie, où toutes les activités s’enchaînent sur le même mode combinatoire, où le
chenal des satisfactions est tracé d’avance, heure par heure, où l’environnement est total,
totalement climatisé, aménagé, culturalisé.. »
13) Hair, comédie musicale anti guerre du vietnam, hippie, contre-culture mais à compter du
moment où la contreculture apparait, il est déjà trop tard
14) l’histoire d’Astérix recoupe une obsession de la philosophie de la seconde moitié du XXe
siècle, laquelle est entièrement placée sous le signe de la compréhension de l’autre. C’est le
cas de la philosophie analytique du langage de Quine, mais aussi des herméneutes disciples
d’Heidegger (Gadamer, Ricœur ou Vattimo), d’Habermas et de l’École de Francfort, ainsi que
de Lévi-Strauss et des post-structuralistes. tous dévolus à l’exploration des conditions et des
possibilités de comprendre aussi bien que possible ce que l’on appelle l’autre. Toute la
philosophie contemporaine est, en somme, occupée par l’empire herméneutique...
Mais c’est beaucoup plus drôle et compréhensible à travers Astérix qui pour sa part se
contente d’explorer la question des clichés nationaux.
En 1922, le journaliste Walter Lippmann (très influent, c’est lui qui invente le terme de guerre
froide) remarquait (dans Public Opinion) que «de toutes les influences qui s’exercent sur nous,
celles qui créent et maintiennent le répertoire des stéréotypes sont les plus subtiles et les plus
répandues». Qu’est-ce qu’un stéréotype ? Au sens strict c’est un cliché métallique en relief
obtenu par coulage de plomb qui permettait au bout du compte d’obtenir une forme demi
cylindrique permettant de passer sur la rotative d’un journal. Dans notre atelier mental, nous
gravons en somme des clichés tout aussi rigides que les coulages de plomb des ateliers typo.
Contiennent-ils une part de vérité ? À coup sûr, ils en fabriquent, à la manière de ces mafieux
italo-américains qui, après avoir vu Le Parrain, adoptèrent un look et des attitudes inspirées
du film. Et, à coup sûr encore, ils nous rassurent. Sur nous-mêmes, et parfois sur les autres.
«Le monde, dit encore Lippmann, nous est raconté avant que nous le voyions. Nous
imaginons la plupart des choses avant d’en faire l’expérience.»
Goscinny qui est un observateur affûté, juif exilé en en Argentine, qui va travailler ensuite à
New York sait ce que c’est que d’être un étranger. Et il a le stéréotype bienveillant – sans
dommage pour le lecteur qui les prendrait au pied de la lettre – et qui invite à réfléchir à notre
façon d’essentialiser la nature d’un groupe: les Corses sont forcément fiers et susceptibles, les
Helvètes ponctuels et propres, les Belges blagueurs et généreux et les Britanniques
impassibles et pointilleux sur l’état de leur gazon. Seuls les Goths échappent (en partie) à la
bienveillance des
auteurs et rappellent en filigrane que le stéréotype est aussi un
poison.
Qu’est-ce que ca veut dire de comparer des caractères nationaux comme nous le faisons
couramment ?
Dans chaque nation, la vie quotidienne repose sur des us et coutumes enracinés dans la
population. Différentes vertus sont évaluées différemment dans différentes cultures. Par
conséquent, lorsque vous comparez les « caractères nationaux », vous ne faites rien d’autre
que comparer différents idéaux sur la manière de conduire sa vie, donc sur les idéaux de la vie
bonne.
15) Un coup d’œil sur le cas anglais : Dans l’intro de l’édition anglaise il y a cette phrase de
Goscinny : « nos petites bandes dessinées ne se moquent pas du réel, mais des idées du réel
que les gens ont dans la tête, c’est-à-dire des clichés ». Le philosophe Julian Baggini ne
s’intéresse pas tant à la justesse anthropologique des personnages anglais de l’album qu’aux
idéaux qu’ils expriment. Il remarque que la bédé comme la philosophie fonctionne par
abstraction qui capture l’essence de la vie réelle (après tout, la philo s’abstrait du particulier
pour créer des vérités universelles puis elle invente des concepts qui simplifient le monde).
16) Il relève le côté imperturbable et le flegme des personnages, et le rattache au
stoicisme avec l’acceptation de l’imperfection et de l’impermanence de la vie, accepter les
hauts et les bas avec équanimité.
17/18) Et il se réfère au célèbre poème de Kipling, If
Si tu sais faire des rêves- sans en être l’esclave, Penser – mais sans en faire ton but ;
Si tu
peux accueillir Triomphe ou Désastre
Comme les deux imposteurs qu’ils sont ;
Si tu peux
supporter de voir tes vérités
Déformées par des escrocs (..)
Si dans toute minute qui passe, inexorable,
Tu sais voir la valeur de chaque seconde
Alors, le Monde sera à toi, avec tout ce qu’il contient,
Et, surtout, bien mieux que cela, tu seras un Homme mon fils.
19 /20) Si nous quittons maintenant la Grande Bretagne pour la Corse, seul album qui s’ouvre
par un prologue destiné à ménager la susceptibilité corse, à travers le commentaire de Jérome
Ferrari : que raconte-t-il ? Que « tout cliché contient une part de vérité qui ne devient
mensongère que parce qu’il atteint un degré de généralisation tel qu’il ne colle plus à la
réalité. » Que Goscinny est bienveillant et surtout que tout cliché a une effectivité sociale, en
particulier à propos de la susceptibilité.
21) Qe se passe-t-il quand on ne se comprend pas, mais alors pas du tout ?
Lars Svendsen analyse les deux thêmes principaux de la peur et la nature du langage puisque
les vikings ignorent totalement le langage figuré, pas d’imagination en somme. Pour résumer
sa pensée, « le choc esthetique à l’écoute du bruit épouvantable de Cacophonix (c’est-à-dire
Assurancetourix) ouvre aux vikings les portes du royaume imaginaire et symbolique que leur
interdisait leur langage rudimentaire et strictement littéral
22) et côté philosophie allemande, on ne croit pas beaucoup à l’efficacité du dialogue..
23) pour le plaisir
24) Qu’est-ce que l’amitié?
L’amitié est le troisième thême qui traverse les aventures d’Astérix. Essentiellement celle qui
lie Astérix et Obélix, le petit teigneux, malin comme Ulysse et droit comme un i, avec la
passion de l’honnête comme dirait Séneque et le gros pas malin, vif comme Achille fort
comme Hercule et sensible comme une violette. On est assez loin de Cicéron pour qui l’ami
est une copie améliorée de soi « car celui qui a devant les yeux un ami véritable a devant soi
comme sa propre image idéale » Et plus proche d’Aristote (éthique à Nicomaque) selon
lequel « il y a trois qualités ou conditions qui font naître l'amitié; ce sont la bonté, l'agrément,
et l'utilité. Il faut, pour être amis, qu'au sentiment d'une bienveillance réciproque, fondée sur
l'une de ces trois qualités, se joigne la connaissance du bien qu'on se veut mutuellement. En
gros, il dit qu’on ne peut vivre sans amis, qu’on ne peut pas en avoir beaucoup, qu’ils ne
peuvent pas être trop loin, etc…
Bon je ne vous bassine pas avec Aristote, comme dit Montaigne, On nous apprend à vivre
quand la vie est passée. Cent étudiants ont attrapé la vérole avant d'être arrivés à la leçon
que leur fait Aristote sur la tempérance »
I, XXVI « Sur l’éducation des enfants » p.201
25) Si vous avez la curiosité d’aller lire quelques textes philosophiques sur l’amitié, vous
constaterez qu’il y a grosso modo deux positions antagonistes : ceux qui n’y croient pas et
ceux qui y croient
Proust n’y croit pas (comme Antoine Compagnon…) et critique Nietzsche qui voit dans l’ami
celui qui l’invite à se dépasser - (Il faut honorer dans son ami l’ennemi même » Zarathoustra)
- ; il voit dans l'amitié « qui est une simulation puisque, pour quelques raisons morales qu'il le
fasse, l'artiste qui renonce à une heure de travail pour une heure de causerie avec un ami sait
qu'il sacrifie une réalité pour quelque chose qui n'existe pas (les amis n'étant des amis que
dans cette douce folie que nous avons au cours de la vie, à laquelle nous nous prêtons, mais
que du fond de notre intelligence nous savons l'erreur d'un fou qui croirait que les meubles
vivent et causerait avec eux. »
Ou encore La Rochefoucault C’est l’intérêt seul qui produit notre amitié. Nous ne nous
donnons pas à eux pour le bien que nous leur voulons faire, mais pour celui que nous en
voulons recevoir. »
Jacques Derrida, lui, démantèle les pensées de l’amitié comme fusion, familiarité de tous les
instants. Pour lui, c’est la reconnaissance de l’altérité radicale de l’autre, de son irréductible
secret, qui est à la base de la relation amicale. « L’amitié ne garde pas le silence, elle est
gardée par le silence » (Politiques de l’amitié) : elle implique de ne pas tout se dire, un art de
la distance et un devoir de réserve.
o philoi, oudeis philos, «oh mes amis, il n’y a pas d’amis» Aristote selon Diogene Laerce?
Repris par Nietzsche et Montaigne et plus tard Derrida.
Or Casaubon corrige dès 1616…
Ho philoi, oudeis philos, «celui qui a beaucoup d’amis, il n’a pas d’amis».
Pourquoi Derrida ne modifie pas cette formule quand Agamben lui signale, parce que ça ne
correspond pas à ce qu’il a écrit, parce qu’au fond, cette interrogation le taraude comme elle
taraude chacun d’entre nous au moment où nous nous retournons, pour dire à la manière du
magnifique film de Scola nous nous sommes tant aimés, que sommes nous devenus ? Que
sont nos amis devenus ? Avons-nous été à leur hauteur, et s’ils ont rapetissé, avons-nous
tendu la main pour les élever ?
Parce que c’est aussi cela Astérix et Obélix, une amitié inoxydable, oh, elle connaît des
soubresauts comme dans la zizanie
26) Uderzo et Goscinny ne châtient pas, en tout cas pas seulement, les mœurs en riant, à la
manière d’Horace. Il y a bien sûr des personnages de la comédie humaine dans Astérix – des
vaniteux, des fourbes, des traîtres mais il y a d’abord et surtout une superbe description d’une
défaite de la calomnie et une victoire de l’amitié
27) Montaigne for ever :
28) Le banquet : chez Platon on se pose des questions insolubles et on se dispute. Chez
Astérix, on les résout et on se réconcilie. Le banquet gaulois signale la fin des doutes et des
inquiétudes. Retour au cosmos ordonné de la terre et du village gaulois au centre du monde,
harmonie à laquelle s’ajoute la spontanéité de la fête, il n’y a pas d’un côté les acteurs et de
l’autre les spectateurs, mais la fusion , la proximité et l’absence de masques ; le rire n’est pas
moquerie, mais partage
« Le banquet d’Astérix c’est Platon corrigé par Rousseau »
Quiconque a le courage de paraitre toujours ce qu’il est deviendra tôt ou tard ce qu’il doit
être
Rousseau , Correspondance générale
29) le temps freiné, mais pas dompté dans la volonté de maitriser l’espace et le temps, il y a le
vœu de la stase : non pas le « il faut que tout change pour que rien ne change » que professe
un héros du Guépard, mais il faut que rien ne change pour que rien ne change.
le village gaulois ne bouge pas ou presque, chaque album se clot par un banquet, chaque
lecteur qui s’y replonge retrouve ce petit morceau de paradis tant il est vrai que les seuls vrais
paradis sont ceux qu’on a perdu, ceux de l’enfance,
Je vous remercie de votre attention
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