n’était—qu’apparence: elle n’existe pas. On peut ainsi assimiler la
naissance de la pensée intermédiale à cette prise de conscience
brutale: tout est processuel. Il s’agit là d’un changement radical
non seulement dans l’approche scientifique des phénomènes de
communication mais dans l’organisation des savoirs. Tenant l’in-
termédialité à la fois comme symptôme et conséquence de ce
changement paradigmatique majeur, Silvestra Mariniello voit en
l’intermédialité une autre manifestation de la fin du langage
comme médiateur universel et unique.
En d’autres termes, notre litéracie en est encore une qui nous
confine dans une configuration du savoir centrée sur le langage
(logos) et ne nous donne pas les moyens de comprendre notre
vie avec les nouveaux médias (outre la photographie et le
cinéma, les médias électriques et électroniques), sauf à partir
de la perspective du logocentrisme. (Mariniello 166)
Récusant cette litéracie logocentrique qui est un produit du
langage et qui, comme ce dernier, est fondée sur l’abstraction et
sur le système des oppositions, Mariniello relève des manifesta-
tions marquantes—ni isolées ni prodromiques—de l’instauration
d’une autre litéracie qui ne reposerait pas sur des entités stables,
duelles et discrètes, organisées selon un système d’opposition
binaire sans lien avec la réalité (dont le langage l’a abstraite), mais
sur le principe de la différence. En ce sens, la réflexion de
Mariniello est à rapprocher des travaux de la critique déconstruc-
tiviste de Yale et, en particulier, de ceux de Barbara Johnson
(1980).
À la fin de l’illusion de l’immobilité, qui entraîne la fin du
règne de l’objet aux limites nettes, s’ajoute le rejet des dualismes
structurants. Il faut insister sur cet aspect: si l’intermédialité ne
concernait—de nombreux chercheurs la conçoivent encore
ainsi—que l’étude des rapports entre les médias et si elle ne faisait
que reprendre les approches et acceptions traditionnelles des
médias et des arts, elle ne ferait que préciser et fragmenter ce qui
existe déjà—l’écologie des médias, la médiologie, etc.—et ne serait
qu’une autre façon de dire l’interdisciplinarité. Mais l’intermédia-
lité est d’un autre ordre. Elle bouleverse nos conceptions de la
médiation et des médias. L’action des technologies numériques
n’y est évidemment pas étrangère. Leur dynamique invasive (elles
s’insinuent partout), leur formidable capacité de migrer d’un
environnement à l’autre en préservant leur intégrité, leur effet de
contamination et d’hybridation font vaciller les modèles établis.
TRiC / RTaC • 32.2 (2011) • Jean-Marc Larrue • pp 174-206 • 177